L écrivain et la langue : dialogue et polyphonie dans l œuvre de quelques auteurs romands du XXe siècle - article ; n°1 ; vol.53, pg 111-127
18 pages
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L'écrivain et la langue : dialogue et polyphonie dans l'œuvre de quelques auteurs romands du XXe siècle - article ; n°1 ; vol.53, pg 111-127

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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2001 - Volume 53 - Numéro 1 - Pages 111-127
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2001
Nombre de lectures 98
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre-André Rieben
L'écrivain et la langue : dialogue et polyphonie dans l'œuvre de
quelques auteurs romands du XXe siècle
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2001, N°53. pp. 111-127.
Citer ce document / Cite this document :
Rieben Pierre-André. L'écrivain et la langue : dialogue et polyphonie dans l'œuvre de quelques auteurs romands du XXe siècle.
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2001, N°53. pp. 111-127.
doi : 10.3406/caief.2001.1414
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2001_num_53_1_1414\\\
L'ECRIVAIN ET LA LANGUE :
DIALOGIE ET POLYPHONIE
DANS L'ŒUVRE DE QUELQUES
AUTEURS ROMANDS DU XXe SIÈCLE (1)
Communication de M. Pierre- André RIEBEN
(Université de Zurich)
au LIF Congrès de l'Association, le 4 juillet 2000
LES ORIGINES D'UNE PROBLÉMATIQUE
Le rapport de l'écrivain à sa langue ne se définit pas
comme un rapport à un objet, mais bien comme un
rapport avec d'autres sujets, scripteurs ou locuteurs util
isant la même langue que lui; il s'agit donc toujours d'une
relation dialogique, par laquelle s'instaure une confronta
tion entre un ou plusieurs univers linguistiques préexis
tants et le discours, différent, de l'œuvre en train de se
faire : l'écrivain est celui qui se forge sa propre langue
dans et contre la langue commune, en se servant autre
ment des « mots de la tribu ».
S'agissant de l'écrivain francophone hors de France, cet
Autre de sa langue avec lequel il se confronte comprend
notamment la « Littérature française » et le « français de
France », par rapport auxquels il est, implicitement ou
volontairement, amené à prendre parti. On connaît bien
(1) La présente étude est issue d'un travail soutenu par le Fonds national
suisse de la recherche scientifique. PIERRE- ANDRÉ RIEBEN 112
les cas de figure dans lesquels peut s'incarner cette
relation : de l'aspiration au mimétisme, caractérisée par la
tendance à l'hypercorrection et associée parfois à l'idéal
isation caricaturale de la « pureté » ou de la « clarté » éter
nelles du français, jusqu'à la contamination ou au
métissage linguistiques, teintés d'une volonté d'affirma
tion identitaire plus ou moins agressive selon les circons
tances.
En ce qui concerne les écrivains romands, les conditions
culturelles et politiques telles qu'elles se présentent
aujourd'hui en Suisse romande -tout comme nos
rapports avec la France- font du lien de l'écrivain romand
au français de France un problème mineur, de portée
pratique et littéraire limitée. Il en irait bien sûr autrement
si nous avions à nous définir, ou à nous défendre, face à
un voisin hégémonique.
Si l'on remonte au tournant du XXe siècle, on constate
cependant que, pour l'écrivain de Suisse romande, l'aff
irmation du droit à écrire un français qui ne soit pas néces
sairement le « français de France » ne va pas de soi. Que
l'on veuille promouvoir, comme le souhaitaient les uns,
une « littérature nationale » qui véhiculerait des valeurs
helvétiques spécifiques, ou que l'on prône l'assimilation
pure et simple au modèle français, comme l'illustre
l'exemple d'écrivains tels qu'Edouard Rod ou Victor Cher-
buliez, établis à Paris et intégrés à la vie littéraire pari
sienne, l'attitude linguistique est la même : le français
« d'ici » est considéré comme une variante inférieure du
français de France.
On n'abordera pas les différentes raisons, notamment
les motifs de politique interne propres à la Suisse d'alors,
qui expliquent une telle attitude. On se bornera à
mentionner deux des principaux tenants de cette perspect
ive autodépréciative : Gonzague de Reynold qui, dans
L'histoire de la littérature française dans les pays étrangers de
langue française , en 1914, parlait d'un « français de
frontière » pour désigner le français de Suisse, et Virgile L'ÉCRIVAIN ET LA LANGUE 113
Rossel qui, dans son Histoire de la littérature française hors
de France (1897), évoquait « l'infériorité linguistique de la
Belgique, de la Suisse et du Canada français »(2).
Face à une France qui détiendrait le monopole du bon
français, les Suisses romands doivent donc se borner au
rôle de locuteurs respectueux, voire coupables, d'une
langue étrangère, comme le laisse entendre Maurice
Millioud qui écrit en avril 1914, dans la revue « La Bibli
othèque universelle » : « La langue française n'est pas à
nous, c'est nous qui sommes à elle et qui sommes obligés
de façonner sur ses exigences notre pensée, nos senti
ments, notre vision. Nous pouvons parler la langue faite,
nous ne pouvons faire la langue ».
CF. RAMUZ, DE L'AFFIRMATION IDENTITAIRE
À L'INVENTION D'UN STYLE
C'est à Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) que l'on
doit la plus vigoureuse réaction contre de tels propos,
dans un essai paru en 1914 sous le titre de Raison d'être(3).
Ce texte marquera un tournant capital dans l'histoire des
lettres romandes : pour la première fois, un écrivain réflé
chit aux divers aspects de la relation aliénée que le franco
phone romand entretient avec la langue et la littérature
françaises, pour affirmer clairement sa volonté d'écrire
une langue qui lui soit propre.
Ramuz ne se bornera pas à des considérations théori
ques ; il tirera de sa confrontation avec la langue française
une écriture entièrement neuve, un style dont il déclare
qu'il devra se calquer, comme il l'écrit dans Raison d'être,
sur l'« accent » de la langue locale. Il faut entendre par là
non pas une volonté mimétique d'écrire comme parle le
Vaudois, mais l'affirmation d'un travail à effectuer sur la
(2) Tous deux cités par J.M. Klinkenberg, [in] L'identité culturelle dans les
littératures de langue française, Presses de l'Université de Pécs, 1989, p. 70.
(3) CF. Ramuz, Oeuvres complètes, Lausanne, Mermod, 1941, tome VII. PIERRE- ANDRÉ RIEBEN 114
langue classique apprise à l'école et à l'Université, de
manière à revivifier cette langue brimée par les exigences
du « bien dire » en lui insufflant l'énergie des inflexions de
l'oral, la vigueur des raccourcis ou la rudesse des répéti
tions du phrasé local, et ceci sans la moindre intention
folklorisante - les traces locales et dialectales sont en effet
très rares chez Ramuz.
Là même où ses détracteurs romands et français
(Claudel et Céline ne s'y étaient pourtant pas trompés)
voyaient la volonté de « mal écrire exprès », le lecteur
avisé reconnaît ce que nous savons être une des forces de
l'écriture de Ramuz : cette façon hardie et parfois brutale
d'assumer la part physique et instinctive de la langue en
cassant la syntaxe trop polie, en syncopant le texte à coup
de répétitions, de scansions lancinantes, mais aussi en
s'abandonnant à l'innocence de comparaisons prosaïques
empruntées aux objets de la vie quotidienne. C'est cette
manière neuve d'écrire qu'il désignera comme une
« langue-geste », opposée à la « langue-signe », langue
morte réifiée par les contraintes du bien dire (4).
Cette dernière formulation apparaît dans la Lettre à
Bernard Grasset (1928) (5), qui prolonge et précise la
réflexion de Raison d'être. Ramuz y affirme à nouveau que
le français de France est pour lui une langue « apprise » :
«[...] mon pays a eu deux langues: une qu'il lui fallait
apprendre, l'autre dont il se servait par droit de naissance ;
il a continué à parler sa langue en même temps qu'il
s'efforçait d'écrire ce qu'on appelle chez nous, à l'école, le
"bon français" ».
Anticipant les travaux de la sociolinguistique, Ramuz
constate encore que ce que l'on appelle « le » français
n'existe pas ; il existe une multiplicité de langues françai
ses propre

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