La Chose du lac

Laurence Suhner

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Laurence Suhner -La Chose du lac

La Chose du lac

— Ah ! ça, tout de même ! Ils pourraient être un peu plus discrets ! Même lorsqu’ils sont déguisés en civil, on les flaire à cinquante mètres. — Je ne vous le fais pas dire ! Regardez celui-ci, ma chère Virginia. Avec son nœud papillon de travers et son costume trop court, on le croirait échappé d’un cirque ! — Ou d’un asile de fous... Les trois individus qui échangeaient ces propos éclatèrent d’un rire qui détonna dans l’atmosphère feutrée du boudoir. Ils étaient installés dans de profonds fauteuils décorés de fleurs et arabesques rouge et or dans un pur style Art déco. Sir Alex Murdock fumait un cigare dont la cendre jonchait les plis de son gilet. Lord Archibald tenait une tasse de thé, qui avait eu largement le temps de refroidir entre ses doigts. Quant à Virginia Lovelace, élégante et raffinée comme à l’accoutumée, elle exhibait avec nonchalance son fume-cigarette. Il était trois heures de l’après-midi, la veille de ce fameux samedi du premier août... La tornade quasi tropicale qui s’abattait depuis bientôt une heure sur la petite ville de Montreux avait plongé l’hôtelÉden au Lacet ses majestueux salons dans une pénombre crépusculaire. Une fenêtre claquait par intermittence, soulevant ses voiles légers et animant le velours de ses rideaux. Les flots déchaînés du lac Léman émettaient un grondement océanique. Un air de jazz, tantôt proche tantôt lointain, rivalisait avec les notes doucereuses du pianiste qui officiait dans le salon attenant. Un éclat de voix monta soudain de la réception. Virginia Lovelace aperçut la silhouette du commissaire Ducommun qui se découpait sur les palmiers et autres plantes exotiques du grand hall d’entrée. Il écumait de rage en admonestant l’un de ses sbires en civil. — Ce n’est pas trop tôt ! lança Lord Archibald. Le désordre qui règne dans cet hôtel depuis ce matin est inacceptable. Ce commissaire Ducon quelque chose passe encore, mais la basse-cour qui l’accompagne... Virginia porta son fume-cigarette à ses lèvres, amusée : — Il faut les comprendre, Lord Archibald, c’est le branle-bas de combat. Ce brave homme a dû recruter tout ce qui lui passait par la main pour affronter tant bien que mal cette bérézina... — À mon avis, ce déploiement de force est d’une inutilité crasse, reprit Sir Alex Murdock. Et cela, pour deux raisons : premièrement, ces policiers ont l’air de parfaits incapables, deuxièmement, « le Renard » est le voleur de bijoux le plus audacieux et doué que ce siècle ait connu, et par conséquent... Lord Archibald afficha une mine outrée : — Vous ne pensez pas sérieusement qu’il va réussir son coup ? Sir Alex se contenta de hausser les épaules en émettant un petit gloussement. Virginia enchaîna, le sourire aux lèvres : — Cet aigrefin est un véritable prestidigitateur ! Imaginez que ce matin encore il déclarait dans une lettre envoyée à la presse qu’il arracherait « L’Œil de la Reine » au cou même de la comtesse Kochlinskaïa, durant le bal du premier août, et cela, au nez et à la barbe de tous !

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