The Project Gutenberg EBook of La vraye suitte du Cid, by Nicolas Mary This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: La vraye suitte du Cid Tragi-comédie représentée par la troupe royale Author: Nicolas Mary Release Date: October 3, 2006 [EBook #19455] Language: French *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VRAYE SUITTE DU CID ***
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LA VRAYE SUITTE DU CID. TRAGI-COMEDIE. Representee par la Troupe Royale. A PARIS, Chez Anthoine de Sommaville, au Palais, dans la petite salle, à l'Escu de France. M. DC. XXXVIII.AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Extrait du Privilege du Roy. Par grace & Privilege du Roy donné à Paris le 23. jour d'Octobre 1637. Signé, Par le Roy en son Conseil. DE MONÇEAUX, il est permis à ANTHOINE DE SOMMAVILLE, Marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une piece de Theatre, intituleela vraye suitte du Cid, Tragi-comedie, durant le temps & espace de cinq ans, à compter du jour qu'elle sera achevee d'imprimer. Et deffences sont faittes à tous Imprimeurs, Libraires, & autres de contrefaire ladite piece, ny en vendre ou exposer en vente de contrefaicte, à peine de trois mil livres d'amande, de tous les despens, dommages & interests, ainsi qu'il est plus amplement porté par lesdites Lettres qui sont en vertu du present Extraict tenuës pour bien & deuëment signifiees, à ce qu'aucun n'en pretende cause d'ignorance. Achevé d'Imprimer pour la premiere fois, le 1. jour de Decembre mil six cens trente sept. Les exemplaires ont esté fournis.
ACTEURS. LE ROY.
L'INFANTE, de Seville. RODRIGUE, serviteur de Chimene. CHIMENE, maistresse de Rodrigue. DON DIEGUE, pere de Rodrigue. DON ARIAS, gentil-homme de Seville. D. SANCHE, favory du Roy. CELIMANT, Prince de Cordouë. SPHERANTE, Prince de Tolede. CHERIFFE, Infante de Cordouë. AMBASSADEUR, de Tolede. LES GARDES.
LA VRAYE SUITTE DU CID
ACTE I.
SCENE PREMIERE.
L'INFANTE, CHYMENE.
L'INFANTE.
Ne dissimule point, dy moy belle Chymene, Pourquoy mesprises-tu la qualité de Reyne? Le trône, & ses grandeurs ont-ils si peu d'appas Que loing de te charmer ils ne te touchent pas? Non, je ne le puis croire: & certes je m'estonne Du refus que tu faits d'une illustre Couronne, Pense-tu que le Cid avec tout son bon-heur T'esleve quelque jour à ce haut rang d'honneur? Et que par les effets de sa valeur extreme Il te ceigne le front d'un Royal diademe? Non, non, tu ne le dois attendre que du Roy. Car enfin ce grand Cid est sujet comme toy: A quelque haut degré qu'il mette ta fortune, Elle sera tousjours à mille autres commune: Au lieu que l'heritier du Sceptre de Fernand, Peut rendre ton bon-heur si parfait & si grand, Que mille autres beautez auroient l'ame ravie D'estre en cet heureux poinct où le Roy te convie.
CHYMENE.
Madame, il est bien vray que toute autre que moy Se laisseroit charmer aux caresses d'un Roy, Et que ce faux esclat de grandeur souveraine Pourroit bien esblouir une fille un peu vaine, Mais pour ne point faillir en cette occasion J'ay plus de modestie & moins d'ambition: Madame croyez-moy, je verray sans envie Qu'une autre ait le bon-heur dont vous flattez ma vie Et que dans le sejour d'un superbe Palais Elle reçoive un bien qui ne me pleut jamais, Pour moy sans regarder plus haut que ma fortune, Je trouve dans le trône une pompe importune, Et donnant à mon coeur des mouvemens plus sains, J'attache mes desirs à de moindres desseins: C'est par l'égalité qu'un beau couple s'assemble, Ceux qui sont inégaux ne sont pas bien ensemble, Et l'Amour fait entr'eux de si foibles accords, Que souvent on les void se rompre sans efforts.
L'INFANTE.
Chymene, je sçay bien quelle est ta modestie, Mais pour cette raison ne sois pas divertie, De recevoir un bien qui vient s'offrir à toy Par le vouloir des Dieux, & de la main d'un Roy: Le Ciel qui t'a donné des qualitez si belles, Ne veut point que tu sois d'un rang indigne d'elles, Il cognoist que ce front est desja destiné Par les arrests du sort pour estre couronné, Et pour te confirmer ce bien-heureux presage D'un Monarque puissant il touche le courage, Et fait mesme advoüer à cet esprit royal Qu'il n'est rien icy bas à ton merite esgal. Encore que le Cid t'ait tousjours adorée, Croy-tu que son amour ne puisse estre alterée, Et que dans la longueur de son esloignement Ainsi que grand Guerrier il soit fidele Amant? Peut-estre maintenant ton amour l'importune, Et son ambition croît avec sa fortune; Si lors qu'il n'avoit pas ce tiltre glorieux Qui le met au dessus de ses braves ayeux, Il s'estimoit desja digne de ton merite, Pense-tu que son coeur s'arreste en ce limite, Aujourd'huy que l'Espagne & tant de Nations Admirent sa valeur & ses perfections. Ah! Chymene je voy de grandes apparences Qu'il portera plus haut ses belles esperances, Et qu'un trône sera l'inévitable écueil Où ta fidelité trouvera son cercueil.
CHYMENE à part.
Ah Dieux! qu'adroittement elle me veut surprendre, Et m'oster un amour où je la voy pretendre! Oüy sans doute elle l'ayme, & parlant pour le Roy, Je cognois bien aussi qu'elle parle pour soy. Madame si le Cid abandonne Chymene, Pour donner à son coeur une plus noble chaisne, Vous verrez qu'elle sçait souffrir esgalement Et ses legeretez & son esloignement.
L'INFANTE.
Puisque tu peux joüyr d'un pareil advantage, Tu dois belle Chymene imiter son courage: Et comme les grandeurs changent ses passions Donner un mesme vol à tes affections, Ne croy pas pour cela qu'on te nomme infidelle, Ou que ce changement te rende criminelle: La volonté des Roys peut tout authorizer Et la mort de ton pere a droit de t'excuser; Outre que tu n'és pas si vivement atteinte, Il me souvient encor avec quelle contrainte Tu promis ton amour à ce superbe Amant A qui tu ne donnas que l'espoir seulement: Le Roy veut t'exempter de cette loy severe, Luy prefereras-tu le meurtrier de ton pere, Non tu ne feras pas ce tort à ta vertu.
CHYMENE.
Madame vous sçavez comme j'ay combattu Avant que de ceder à cette violence Où son amour fit moins que mon obeïssance, Je resistay long-temps, mais enfin mal-gré moy Il fallut obeyr aux volontez du Roy, Il fallut oublier son crime & ma vengeance, Vostre pere Fernand me mit en sa puissance, Et puisque je me suis renduë à cet effort Ses fers acheveront & ma vie & mon sort.
L'INFANTE.
Mais entens mes raisons
CHYMENE.
Elles sont superfluës, On delibere en vain des choses resoluës
L'INFANTE en sortant.
Tu pourras y songer avec plus de loisir.
SCENE DEUXIESME.
CHIMENE seule.
Je sçay bien quel party mon amour doit choisir Si la gloire du Cid a sa flame estouffée, Pour donner à ses voeux un plus noble trophée Je ne l'empesche point, que son destin soit beau Qu'il soit dessus un trône, & moy dans le tombeau. Mais si jamais ce front doit porter la couronne, Il faudra que ce soit le Cid qui me la donne Ce don d'une autre main me seroit odieux Et luy seul le peut rendre agreable à mes yeux Mais quelle occasion, & quelle negligence L'obligent si long-temps à garder le silence: Dans le commencement de son triste depart Je voyois quelquesfois des lettres de sa part Et de la mesme main dont parmy les alarmes Il tire tant de sang, il essuyoit mes larmes Mais helas je crains bien qu'en cet object vainqueur L'esloignement des yeux n'ayt fait celuy du coeur Car depuis quelque temps je n'ay plus de nouvelles Que celles que j'entens du destin des rebelles Avec ses ennemis il destruit mon espoir Et sa gloire luy fait oublier son devoir Toutesfois cher Amant excuse un peu ma plainte Un veritable amour est rarement sans crainte Estant si genereux tu n'es pas inconstant Aussi craindrois-je moins si je n'aymois pas tant Vien doncq c'est trop long-temps faire l'esperience Et de ma passion & de ma patience Vien si tu veux m'oster d'un penible soucy Ou sçaches que sans toy je vay mourrir icy Mais que me veut Dom Sanche & quel sujet l'ameine.
SCENE TROISIESME.
DOM SANCHE, CHYMENE.
DOM SANCHE.
Une bonne nouvelle adorable Chymene
CHYMENE.
Quelle? vien-tu du Cid m'annoncer le retour?
DOM SANCHE.
Non encores Madame on l'attend à la Cour, Mais un plus grand bon-heur que le Ciel vous envoye Doit faire icy ceder la tristesse à la joye: Ah que vostre destin doit estre glorieux!
CHYMENE.
Quoy donc? des ennemis est-il victorieux? Retourne-t'il chargé de Lauriers & de Palmes?
DOM SANCHE.
Oüy: sa rare valeur rend ces Estats plus calmes, Mais ce n'est pas cela qui m'oblige à vous voir.
CHYMENE.
Quel est donc ce bon-heur faictes le moy sçavoir?
DOM SANCHE.
Madame consultez cette beauté si rare Et vous sçaurez le bien que le ciel vous prepare, Consultez ces beaux yeux, ils vous diront assez Contre qui depuis peu leurs traits se sont lancez, Ils vous diront qu'un Roy jeune, amoureux & brave Prefere à ses grandeurs la qualité d'esclave, Et qu'il trouve ses fers si charmans & si doux Qu'il semble ne vouloir regner qu'avecque vous. Oüy Madame le Roy vous ayme, il vous adore, Et je viens demander la grace qu'il implore; Qu'une injuste rigueur ne l'y refuse pas, Considerez qu'un Sceptre a de puissans appas, Et qu'il ne sied pas bien de faire l'inhumaine Quand il s'agist d'un trône, & du tiltre de Reyne.
CHYMENE.
Ah! qu'il te sied bien moins de troubler mon repos Par les traits odieux d'un si lasche propos: Perfide as-tu si peu de honte, & de courage Que de ne pas rougir me tenant ce langage, As-tu mis en oubly la gloire de tes fers, Ne te souvient-il plus que je les ay soufferts, Et mesme quelquesfois pour soulager tes peynes Que ma main pitoyable a soustenu tes chaisnes, Toutesfois coeur ingrat & sans ressentiment Apres avoir porté la qualité d'Amant Tu parles pour un autre, & tu veux que mon ame Reçoive en ta faveur les ardeurs de sa flame, Ah! que tu monstre bien par ce tour desloyal Combien le Cid avoit un indigne Rival, Puisque tu ne sçaurois te conserver la gloire D'avoir long-temps au moins disputé la victoire.
DOM SANCHE.
Si je croyois, Madame, en cette occasion Qu'il vous restast pour moy quelque inclination Et que l'impression de ma flame passée Ne fust pas tout à fait de vostre ame effacée, Je ne parlerois plus des hommages d'un Roy, La voix dont il se sert vous parleroit pour moy, Et je vous ferois voir par ma perseverance Combien je cherirois cette heureuse esperance.
CHYMENE.
Quoy traistre que je t'ayme, ah le noble dessein, Je plongerois plustost un poignard dans mon sein: Que cette vanité n'entre pas dans ton ame, Je ne receus jamais de si honteuse flame, Et pour ne point souffrir un si lasche vainqueur J'employrois cette main pour m'arracher le coeur. Quoy Dom Sanche as-tu bien l'audace de pretendre A ce prix glorieux que tu n'as pu deffendre? Ne te souvient-il plus de ce fameux duel Qui te fit recevoir un affront solemnel, Quand on te contraignit de m'apporter l'espée Pour moy contre le Cid vainement occupée, Est-ce pour avoir faict cette belle action Que tu pretens encore à mon affection? Est-ce pour ce sujet qu'il faut qu'on te prefere A ce noble Guerrier que l'Espagne revere, Parle raconte moy quelques-uns de tes faits
Dy que par ta valeur les Mores sont deffaits Qu'au seul bruit de ton nom tout se rend, & tout cede, Que tu remplis d'effroy l'Arragon & Tolede Que ton bras avec eux est l'appuy de l'Estat Et que l'Espagne enfin te doit tout son esclat, Alors, si ce discours se treuve veritable Dom Sanche asseurément tu me seras aymable Les Roys au prix de toy me seront odieux Et tu me seras cher à l'esgal de mes yeux.
DOM SANCHE.
Je ne suis pas, Madame, en ce point d'arrogance Que de m'attribuer cette haute vaillance Je borne mes desseins à de moindre effets Les Mores par mon bras n'ont pas esté deffaits. Il ne fit jamais rien capable de vous plaire Mais il ne fume pas du sang de vostre pere.
CHYMENE.
Quoy ta rage inhumain ne se peut arrester? Et tu te plais encore à me persecuter? Ne te lasses-tu point de voir couler mes larmes, Tien traistre de mon sang tu peux teindre tes armes Et me faire mourir avec moins de rigueur Que par ce coup mortel dont tu frappes mon coeur. Acheve ingrat acheve, assouvis ton envie Vange toy de ta honte aux despens de ma vie, Et cesse d'outrager avecque tes discours Celuy dont les bontez ont espargné tes jours.
DOM SANCHE.
Disant la verité, je ne faits point d'outrage Et ce discours n'est pas un effet de ma rage Je ne parlay jamais d'un jugement plus sain Vostre projet est beau, mais vostre espoir est vain Aux volontez d'un Roy vous vous monstrez rebelle Et vous ne croyez pas ce grand Cid infidelle, Bien que vous soyez seule en toute cette Cour Qui n'ait oüy parler de ce nouvel Amour. Son objet est Cheriffe Infante de Cordouë Luy mesme ouvertement dans ses lettres l'advouë Et la depeint au Roy d'un pinceau si charmant Qu'on void qu'il en est moins, l'ennemy que l'Amant.
CHYMENE.
Hé bien laisse venir cette superbe Infante, Qu'au lieu d'estre captive elle soit triomphante, Que le Cid soit vaincu comme victorieux Pourveu que ton objet s'esloigne de mes yeux Avec plus de constance, & moins d'inquietude J'attendray les effets de son ingratitude, Retire toy de grace & m'accorde ce point Que tes soins desormais ne m'importunent point, Exerce ton adresse en de meilleurs offices Ne te travaille plus à croistre mes supplices, Et quitte sans contrainte une commission Qui trahit ton honneur & ta condition.
DOM SANCHE.
Lorsque je sers mon Roy je ne crains point de blâme, Mais brisons ce discours, je vous laisse Madame. Le temps vous fera mieux digerer mes advis, Cependant je me tais, & je vous obeïs.
[Il sort.]
SCENE QUATRIESME.
CHIMENE seule.
Enfin que dois-je faire, & que dois-je resoudre Si de tous les costez j'entens gronder la foudre Et si pour m'affliger mon mal-heur a permis Qu'on m'ait mesme logée entre mes ennemis. Ah grand & brave Cid si tu sçavois la peyne Qu'à ton occasion endure ta Chimene, Et combien de combats elle rend chaque jour Pour ta fidelité comme pour son amour, Quand tu serois encor au milieu des alarmes Je sçay bien que mon sort t'arracheroit des larmes Et qu'il t'obligeroit de venir secourir Celle qu'un peu d'espoir empesche de mourir Mais tu ne le sçay pas, & ma seule constance Est l'unique secours qui s'offre à ma deffence, Ne croy pas toutesfois que je perde le coeur Il n'appartient qu'à toy d'en estre le vainqueur Toute autre vainement en espere la gloire Je deffendray pour toy les fruits de ta victoire, Si bien qu'esgalement nous aurons combattu Si tu vaincs par ta force & moy par ma vertu.
SCENE CINQUIESME.
LE ROY, DOM DIEGUE & quelques Gardes.
LE ROY.
Dom Diegue ne croy pas si je donne à Chimene Avecque mon amour la qualité de Reyne Que je veuille usurper par mon authorité Un tresor que ton fils a si bien merité, Il me souvient trop bien de ses rares services Pour luy rendre aujourd'huy de si mauvais offices, Au contraire je veux augmenter son bon-heur Et luy donner un prix esgal à sa valeur, Je destine à ses voeux une plus noble Amante, Chimene sans rougir peut ceder à l'Infante, Et ton fils ne sçauroit se plaindre justement De mon affection ny de ce changement.
DOM DIEGUE.
Mais nous n'avons jamais merité cet honneur Et mon fils n'oseroit pretendre à ce bon-heur, La Princesse, Seigneur, doit estre plus heureuse Aussi pour s'abaisser elle est trop genereuse Et Rodrigue n'est pas un assez digne Amant Pour celle qu'on reserve à des Roys seulement.
DOM FERNAND.
Apres les grands effets qu'à produit son courage Je sçay que je luy dois encore d'avantage, Et que pour bien payer ses belles actions Un Sceptre est au dessous de ses pretentions, Aussi veux-je à ce point eslever sa fortune Et rendre à ses desirs ma puissance commune, Ma soeur est disposée à recevoir ses voeux Ainsi l'amour pourra nous contenter tous deux Si l'espoir glorieux d'estre un jour souveraine Peut vaincre en ma faveur la rigueur de Chymene, Dom Sanche de ma part l'est allé visiter Il cognoist cet esprit il le pourra dompter, Et comme il est adroit, j'ay beaucoup d'esperance Du bienheureux succez qu'aura son eloquence: Mais quels si longs discours peuvent l'entretenir, Et quel sujet le rend si lent à revenir?
Puis qu'il est confident des secrets de mon ame, Ne cognoist-il pas bien que je suis dans la flame Où je brusle sans cesse, où je languis tousjours, Et que par sa paresse il attente à mes jours?
DOM DIEGUE.
Que vostre Majesté, Sire, sorte de peyne Le voila de retour.
SCENE SIXIESME.
DOM FERNAND, DOM DIEGUE, DOM SANCHE.
DOM FERNAND.
He bien qu'a dit Chymene
DOM SANCHE.
Tout ce que la rigueur, tout ce que le mespris Inspirent d'ordinaire aux superbes esprits Cette fiere beauté l'a permis à sa langue Pour respondre aux douceurs de mon humble harangue, En vain je l'ay flattée avecque mes discours Sire, j'aurois plustost apprivoisé des Ours Tant l'amour de son Cid la rend inexorable, Et je n'espere pas qu'elle soit plus traitable, Car Sceptre, ny Couronne, Empires ny Grandeurs Ne font rien qu'irriter l'excez de ses rigueurs.
LE ROY.
Quoy Chymene avec moy faict aussi l'inhumaine Ah! je rabattray bien de cette humeur hautaine, Et je luy feray voir par mon ressentiment Qu'on doit avec son Prince agir tout autrement, De mon affection elle faict peu de conte: Mais dans peu ses mespris tourneront à sa honte Et mesme ce grand Cid qu'elle croid des-ja sien Trompera son espoir comme elle a faict le mien Oüy, j'y sçauray si bien disposer son courage Qu'un semblable mespris vangera cet outrage En donnant un objet plus digne à son amour: Mais d'où vient qu'Arias est icy de retour.
SCENE SEPTIESME.
LE ROY, DOM DIEGUE, DOM ARIAS.
DOM ARIAS.
Grand Prince je vous viens apporter les nouvelles Et du bon-heur du Cid & du sort des rebelles, Il est proche d'icy, sain & victorieux.
LE ROY.
Le Ciel rende bien-tost sa presence à mes yeux.
DOM ARIAS.
Sire dans peu de temps vous le verrez paroistre, Cependant de sa part je vous rends cette lettre Qui vous confirmera ce que je vous ay dit,
LE ROY.
En ce ravissement je demeure interdit,
Et mon ame des-ja brusle d'impatience Apres ce cher object dont j'attens la presence Va, dy luy que je meurs du desir de le voir, Dom Diegue qu'on donne ordre à le bien recevoir.
ACTE II.
SCENE PREMIERE.
LE ROY, L'INFANTE, CHYMENE.
LE ROY.
He bien Chymene: enfin ce coeur inexorable Ne se resoult-il point de m'estre favorable, Apres tant de rigueurs & de mespris souffers Un Roy doit-il mourir accablé de ses fers, Oüy vostre ingratitude en ce poinct est extréme Que vous me haïssez parce que je vous aime Mais Chymene advoüez que vous avez grand tort Si Dom Sanche m'a faict un fidele rapport, Et si lors qu'il alla vous offrir mes hommages Pour sa commission il reçeut des outrages, Quelque superbe espoir qui flatte vostre orgueil Vous me devez Chymene un plus courtois accueil, Outre ma qualité la seule bien-seance Doit porter vostre esprit à cette defference, Et si l'on vous déplaist quand on vous faict la cour Le respect doit au moins suppléer à l'amour.
CHYMENE.
Sire, je ne sçay pas ce qui faict vostre plainte Ny de quelles couleurs Dom Sanche m'a dépeinte Mais quelque opinion qu'il vous ait fait avoir Jamais la vanité n'a trahy mon devoir Et lors que je renonce au rang de souveraine Je suis respectueuse & non pas inhumaine, Il est vray que Dom Sanche a droict d'estre irrité Et que j'ay vivement contre luy esclatté: Mais, Sire, ses discours ont causé ma colere Ozant me reprocher le meurtre de mon pere, Et si mal à propos venant m'entretenir D'un coup qui seigne encor dedans mon souvenir,
LE ROY.
Si ce ressentiment occupe ta memoire Il est belle Chymene important à ta gloire Et mesme necessaire à ton contentement Que l'autheur de ce coup ne soit pas ton Amant, Aussi bien n'a-t'il plus cette premiere flame Que ta grace autresfois alluma dans son ame, Le Cid en te quittant a quitté son projet Et comme de Climat il a changé d'object Cheriffe maintenant est la beauté fatale Qui fut son ennemie & qu'il rend ta rivale Je sçay qu'à cette Infante il est fort obligé, Mais quand de ce dessein il seroit desgagé Les services rendus par toute sa famille Destinent à ses voeux l'Infante de Castille; Si bien que ton amour ne doit rien esperer S'il ne veut desormais pour moy se declarer
L'INFANTE.
Que mon ame est icy diversement atteinte Des mouvemens d'amour, d'esperance & de crainte
Je dois mon esperance à qui je dois le jour Cheriffe faict ma peur & le Cid mon Amour De tant de passions qu'elle sera plus forte
SCENE DEUXIESME.
LE ROY, L'INFANTE, CHYMENE, D. ARIAS.
DOM ARIAS.
Sire,
LE ROY.
Que me veux-tu?
DOM ARIAS.
Le Cid est à la porte.
LE ROY.
Qu'il entre: He bien Chimene en fin vous allez voir Ce glorieux vainqueur que je vay recevoir Je sçay qu'il doit venir avec beaucoup de pompe Et mesme avec Cheriffe ou sa lettre me trompe Vous pouvez remarquer en cette occasion Ou son ingratitude, ou son affection: Servez vous bien du temps dedans cet intervalle Conferez vos attraicts avec vostre Rivalle Et par ses qualitez Jugez de vostre sort CHYMENE à part. De quels yeux juste Ciel verray-je cet abord.
SCENE TROISIEME.
LE ROY, L'INFANTE, CHYMENE, LE CID, CHERIFFE, SPHERANTE, CELIMANT, D. ARIAS.
LE CID.
Monarque le plus grand que le soleil esclaire Prince victorieux que l'Espaigne revere: Mars enfin satisfaict me rend auprés de vous, Et me permet l'honneur d'embrasser vos genoux: Mais comme auprés des dieux dont vous estes l'image On ne se doit jamais approcher sans hommage J'ay creu pour meriter le bon-heur de vous voir Que de moy vos grandeurs exigeoient ce devoir. Sire recevez donc cette illustre couronne, Que mon bras vous apporte & que le ciel vous donne, Avecque ces deux Roys, en ce point bienheureux Qu'ils sont les prisonniers d'un Roy si genereux Cettuy cy possedoit le sceptre de Cordoüe Et l'autre que mon sort veut mesme que je loüe Du prince de Tolede est l'unicque heritier
LE ROY.
Tu m'en feras grand Cid le recit tout entier: Mais avant que l'ouir il fault que je t'embrasse Que je baise ce front digne du Dieu de Trace Et que j'admire enfin ces traits imperieux Qu'Amour & Mars par tout rendent victorieux.
LE CID.
Ah? Sire à ce discours je ne sçay que respondre
L'excez de vos bontez ne sert qu'à me confondre Pour espargner ma honte espargnez vos faveurs, Et comme les travaux partagez les honneurs: Comme moy vos soldats ont fait vostre victoire, Il est Juste grand Roy qu'ils ayent part en la gloire Et que par les bienfaits de vostre Majesté Ils reçoivent le prix de leur fidelité
LE ROY.
On peut à leur merite aisément satisfaire, Mais pour tes actions il n'est point de salaire Ouy grand Cid tu te plais à faire des ingras Et ta langue veut vaincre aussi bien que ton bras Pour me favoriser neglige ta deffence Et te laisse une fois vaincre à ma bien-veillance, Autrement tu me fais des presens superflus Si tu veux que je sois au rang de tes vaincus, Mais que ton eloquence espargne un peu ses charmes Et fais nous le recit du succez de tes armes Un plus digne entretien ne nous peut arrester.
LE CID.
Grand Prince quel qui soit je vay vous contenter. Je ne fus pas plutost hors de cette frontiere Que mon bras qui cherchoit quelque noble matiere, D'exercer sa valeur; d'un sang ardent & prompt Prit pour premier objet le Tyran d'Ayamont D'abord je l'investis, puis je forçay sa ville Et je fis son tombeau du lieu de son azile Ce siege fut suivy d'un plus heureux effet Les Algarbes confus virent leur Roy deffaict Et de leur propre sang la campagne couverte Leur mit devant les yeux un tableau de leur perte Apres ce grand combat dont je vous advertis Je ralliay mes gens, & passay le Bethis A rondes je reçeus le renfort de vos armes Et je mis tous le monde en d'estranges alarmes Tariffe & Gibralfar revinrent soubs vos loix Je repris Algesire, & tous ces petits Roys Qui s'estoient revoltez contre vostre puissance Esprouverent les maux qui suivent l'insolence De cet heureux succez Je ne fus pas content Le Prince de Jahen en ressentit autant Et par son arrogance attira cet orage Pour avoir refusé de me donner passage Enfin ceux dont Seville a craint les trahisons Sont dedans les enfers, ou bien dans vos prisons, De là voulant plus loing porter ma renommée J'advançay vers Cordouë avecque mon armée, Et je l'eusse d'abord emportée aisement Sans le secours qu'elle eut assez heureusement: Ce Prince genereux la voyant assiegée Voulut par quelque effort la rendre soulagée, Mais jugeant que par là son espoir estoit vain Comme il estoit prudent il changea de dessein; Enfin, apres avoir consulté sa vaillance Son coeur en conçeut un, digne de sa naissance, Par un de ses Herauts il m'envoye un cartel Mon courage aussi-tost consent à ce duel Et d'un mot de ma main je luy marque la place Qui devoit achever ma vie ou son audace, Il s'y rend, j'y parois, nous en venons aux mains Le Ciel en voit partir mille coups inhumains, Et je croy que son front pallit en cet orage Mais enfin le bon-heur me donna l'advantage.
SPHERANTE.
La modestie icy trahit vostre valeur La force me vainquit & non pas le mal-heur Vantez vous librement d'un affront que j'aduoüe,