Le Parfum de la dame en noir/18
4 pages
Français

Le Parfum de la dame en noir/18

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
4 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Le Parfum de la dame en noirGaston LerouxXVIII.Midi, roi des épouvantes>n peu plus tard, je me trouvais dans la salle basse de la Louve, en tête à tête avec Mrs Edith. J’essayais de la rassurer en la voyantimpatiente et inquiète ; mais elle passa ses mains sur ses yeux hagards… et ses lèvres tremblantes laissèrent échapper l’aveu de safièvre : « J’ai peur », dit-elle. Je lui demandai de quoi elle avait peur et elle me répondit : « Vous n’avez pas peur, vous ? » Alors, jegardai le silence. C’est vrai, j’avais peur, moi aussi. Elle dit encore : « Vous ne sentez pas qu’il se passe quelque chose ? — Où ça ?— Où ça ! où ça ! Autour de nous ! » Elle haussa les épaules : « Ah ! je suis toute seule ! toute seule ! et j’ai peur ! » Elle se dirigeavers la porte : « Où allez-vous ? — Je vais chercher quelqu’un, car je ne veux pas rester toute seule, toute seule. — Qui allez-vouschercher ? — Le prince Galitch ! — Votre Féodor Féodorowitch !m’écriai-je… Qu’en avez-vous besoin ? Est-ce que je ne suis point là ? »Son inquiétude, malheureusement, grandissait au fur et à mesure que je faisais tout mon possible pour la faire disparaître, et je n’euspoint de peine à comprendre qu’elle lui venait surtout du doute affreux qui était entré dans son âme au sujet de la personnalité de sononcle vieux Bob.Elle me dit : « Sortons ! » et elle m’entraîna hors de la Louve. On approchait alors de l’heure de midi et toute la baille resplendissaitdans un embrasement embaumé. N’ayant point ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 64
Langue Français

Extrait

Le Parfum de la dame en noir
Gaston Leroux
XVIII. Midi, roi des épouvantes
>n peu plus tard, je me trouvais dans la salle basse de la Louve, en tête à tête avec Mrs Edith. J’essayais de la rassurer en la voyant impatiente et inquiète ; mais elle passa ses mains sur ses yeux hagards… et ses lèvres tremblantes laissèrent échapper l’aveu de sa fièvre : « J’ai peur », dit-elle. Je lui demandai de quoi elle avait peur et elle me répondit : « Vous n’avez pas peur, vous ? » Alors, je gardai le silence. C’est vrai, j’avais peur, moi aussi. Elle dit encore : « Vous ne sentez pas qu’il se passe quelque chose ? — Où ça ? — Où ça ! où ça ! Autour de nous ! » Elle haussa les épaules : « Ah ! je suis toute seule ! toute seule ! et j’ai peur ! » Elle se dirigea vers la porte : « Où allez-vous ? — Je vais chercher quelqu’un, car je ne veux pas rester toute seule, toute seule. — Qui allez-vous chercher ? — Le prince Galitch ! — Votre Féodor Féodorowitch ! m’écriai-je… Qu’en avez-vous besoin ? Est-ce que je ne suis point là ? » Son inquiétude, malheureusement, grandissait au fur et à mesure que je faisais tout mon possible pour la faire disparaître, et je n’eus point de peine à comprendre qu’elle lui venait surtout du doute affreux qui était entré dans son âme au sujet de la personnalité de son oncle vieux Bob. Elle me dit : « Sortons ! » et elle m’entraîna hors de la Louve. On approchait alors de l’heure de midi et toute la baille resplendissait dans un embrasement embaumé. N’ayant point sur nous nos lunettes noires nous dûmes mettre nos mains devant nos yeux pour leur cacher la couleur trop éclatante des fleurs ; mais les géraniums géants continuèrent de saigner dans nos prunelles blessées. Quand nous fûmes un peu remis de cet éblouissement, nous nous avançâmes sur le sol calciné, nous marchâmes en nous tenant par la main sur le sable brûlant. Mais nos mains étaient plus brûlantes encore que tout ce qui nous touchait, que toute la flamme qui nous enveloppait. Nous regardions à nos pieds pour ne pas apercevoir le miroir infini des eaux, et aussi peut-être pour ne rien deviner de ce qui se passait dans la profondeur de la lumière. Mrs Edith me répétait : « J’ai peur ! » Et moi aussi, j’avais peur, si bien préparé par les mystères de la nuit, peur de ce grand silence écrasant et lumineux de midi ! La clarté dans laquelle on sait qu’il se passe quelque chose que l’on ne voit pas est plus redoutable que les ténèbres. Midi ! Tout repose et tout vit ; tout se tait et tout bruit. Écoutez votre oreille : elle résonne comme une conque marine de sons plus mystérieux que ceux qui s’élèvent de la terre quand monte le soir. Fermez vos paupières et regardez dans vos yeux : vous y trouverez une foule de visions argentées plus troublantes que les fantômes de la nuit. Je regardais Mrs Edith. La sueur sur son front pâle coulait en ruisseaux glacés. Je me mis à trembler comme elle, car je savais, hélas ! que je ne pouvais rien pour elle et que ce qui devait s’accomplir, s’accomplissait autour de nous, sans que nous puissions rien arrêter ni prévoir. Elle m’entraînait maintenant vers la poterne qui ouvre sur la Cour du Téméraire. La voûte de cette poterne faisait un arc noir dans la lumière et, à l’extrémité de ce frais tunnel, nous apercevions, tournés vers nous, Rouletabille et M. Darzac, debout sur le seuil de la Cour du Téméraire, comme deux statues blanches. Rouletabille avait à la main la canne d’Arthur Rance. Je ne saurais dire pourquoi ce détail m’inquiéta. Du bout de sa canne, il montrait à Robert Darzac quelque chose que nous ne voyions pas au sommet de la voûte, et puis il nous désigna nous-mêmes du bout de sa canne. Nous n’entendions point ce qu’ils disaient. Ils se parlaient en remuant à peine les lèvres, comme deux complices qui ont un secret. Mrs Edith s’arrêta, mais Rouletabille lui fit signe d’avancer encore, et il répéta le signe avec sa canne. — Oh ! fit-elle, qu’est-ce qu’il me veut encore ? Ma foi, monsieur Sainclair,j’ai trop peur !Je vais tout dire à mon oncle vieux Bob, et nous verrons bien ce qui arrivera. Nous avions pénétré sous la voûte, et les autres nous regardaient venir sans faire un pas au-devant de nous. Leur immobilité était étonnante, et je leur dis d’une voix qui sonna étrangement à mes oreilles sous cette voûte : — Qu’est-ce que vous faites ici ? Alors, comme nous étions arrivés à côté d’eux sur le seuil de la Cour du Téméraire, ils nous firent tourner le dos à cette cour pour que nous puissions voir ce qu’ils regardaient. C’était, au sommet de l’arc, un écusson, le blason des La Mortola barré du lambel de la branche cadette. Cet écusson avait été sculpté dans une pierre maintenantbranlante et qui manquait de choir sur la tête des passants. Rouletabille avait sans doute aperçu ce blason suspendu si dangereusement sur nos têtes, et il demandait à Mrs Edith si elle ne voyait point d’inconvénient à le faire disparaître, quitte à le remettre en place ensuite plus solidement. — Je suis sûr, dit-il, que si l’on touchait à cette pierre du bout de sa canne, elle tomberait. Et il passa sa canne à Mrs Edith :
— Vous êtes plus grande que moi, dit-il, essayez vous-même.
Mais nous essayions en vain les uns et les autres d’atteindre la pierre ; elle était trop haut placée et j’étais en train de me demander à quoi rimait ce singulier exercice,quand tout à coup, dans mon dos, retentit le cri de la mort !
Nous nous retournâmes d’un seul mouvement en poussant tous les trois une exclamation d’horreur. Ah ! ce cri ! ce cri de la mort qui passait dans le soleil de midi après avoir traversé nos nuits. Quand donc cesserait-il ? Quand donc l’affreuse clameur que j’entendis retentir pour la première fois dans les nuits du Glandier aura-t-elle fini de nous annoncer qu’il y a autour de nous une victime nouvelle ? que l’un de nous vient d’être frappé par le crime, subitement et sournoisement et mystérieusement comme par la peste ? Certes ! la marche de l’épidémie est moins invisible que cette main qui tue ! Et nous sommes là, tous quatre, frissonnants, les yeux grands d’épouvante, interrogeant la profondeur de la lumière toute vibrante encore du cri de la mort ! Qui donc est mort ? Ou qui donc va mourir ? Quelle bouche expirante laisse maintenant échapper ce gémissement suprême ? Comment nous diriger dans la lumière ? On dirait que c’est la clarté du jour elle-même qui se plaint et soupire. Le plus effrayé est Rouletabille. Je l’ai vu dans les circonstances les plus inattendues garder un sang-froid au-dessus des forces humaines ; je l’ai vu, à cet appel du cri de la mort, se ruer dans le danger obscur et se jeter comme un sauveur héroïque dans la mer des ténèbres ; pourquoi aujourd’hui tremble-t-il ainsi dans la splendeur du jour ? Le voilà, devant nous, pusillanime comme un enfant qu’il est, lui qui prétendait agir comme le maître de l’heure. Il n’avait donc point prévu cette minute-là ? cette minute où quelqu’un expire dans la lumière de midi ? Mattoni, qui passait à ce moment dans la baille, et qui a entendu, lui aussi, est accouru. Un geste de Rouletabille le cloue sur place, sous la poterne, en immuable sentinelle ; et le jeune homme, maintenant, s’avance vers la plainte, ou plutôt marche vers le centre de la plainte, car la plainte nous entoure, fait des cercles autour de nous, dans l’espace embrasé. Et nous allons derrière lui, retenant notre respiration et les bras étendus, comme on fait quand on va à tâtons dans le noir, et que l’on craint de se heurter à quelque chose que l’on ne voit pas. Ah ! nous approchons du spasme, et quand nous avons dépassé l’ombre de l’eucalyptus, nous trouvons le spasme au bout de l’ombre. Il secoue un corps à l’agonie. Ce corps, nous l’avons reconnu. C’est Bernier ! c’est Bernier qui râle, qui essaye de se soulever, qui n’y parvient pas, qui étouffe, Bernier dont la poitrine laisse échapper un flot de sang, Bernier sur qui nous nous penchons, et qui, avant de mourir, a encore la force de nous jeter ces deux mots :Frédéric Larsan ! Et sa tête retombe. Frédéric Larsan ! Frédéric Larsan ! Lui partout et nulle part ! Toujours lui, nulle part ! Voilà encore sa marque ! Un cadavre et personne,raisonnablement, autour de ce cadavre !… Car la seule issue de ces lieux où l’on a assassiné, c’est cette poterne où nous nous tenions tous les quatre. Et nous nous sommes retournés, d’un seul mouvement, tous les quatre, aussitôt le cri de la mort, si vite, si vite, que nous aurions dû voir le geste de la mort ! Et nous n’avons rien vu que de la lumière !… Nous pénétrons, mus, il me semble, par le même sentiment, dans la Tour Carrée, dont la porte était restée ouverte ; nous entrons sans hésitation dans les appartements du vieux Bob, dans le salon vide ; nous ouvrons la porte de la chambre. Le vieux Bob, était tranquillement étendu sur son lit, avec son chapeau haut de forme sur la tête, et près de lui, veille une femme : la mère Bernier ! En vérité ! comme ils sont calmes ! Mais la femme du malheureux a vu nos figures et elle jette un cri d’effroi dans le pressentiment immédiat de quelque catastrophe ! Elle n’a rien entendu ! Elle ne sait rien !… Mais elle veut sortir, elle veut voir, elle veut savoir, on ne sait quoi ! Nous tentons de la retenir !… C’est en vain. Elle sort de la Tour, elle aperçoit le cadavre. Et c’est elle, maintenant, qui gémit atrocement, dans l’ardeur terrible de midi, sur le cadavre qui saigne ! Nous arrachons la chemise de l’homme étendu là et nous découvrons une plaie au-dessous du cœur. Rouletabille se relève avec cet air que je lui ai connu quand il venait au Glandier d’examiner la plaie du cadavre incroyable. — On dirait, fit-il, que c’est le même coup de couteau ! C’est la même mesure ! Mais où est le couteau ? Et nous cherchons le couteau partout sans le trouver. L’homme qui a frappé l’aura emporté. Où est l’homme ? Quel homme ? Si nous ne savons rien, Bernier, lui, a su avant de mourir et il est peut-être mort de ce qu’il a su !…Frédéric Larsan ! Nousrépétons en tremblant les deux mots du mort. Tout à coup, sur le seuil de la poterne, nous voyons apparaître le prince Galitch, un journal à la main. Le prince Galitch vient à nous en lisant le journal. Il a un air goguenard. Mais Mrs Edith court à lui, lui arrache le journal des mains, lui montre le cadavre et lui dit : — Voilà un homme que l’on vient d’assassiner. Allez chercher la police. Le prince Galitch regarde le cadavre, nous regarde, ne prononce pas un mot, et s’éloigne en toute hâte ; il va chercher la police. La mère Bernier continue à pousser des gémissements. Rouletabille s’assied sur le puits. Il paraît avoir perdu toutes ses forces. Il dit à mi-voix à Mrs Edith : — Que la police vienne donc, Madame !… C’est vous qui l’aurez voulu ! Mais Mrs Edith le foudroie d’un éclair de ses yeux noirs. Et je sais ce qu’elle pense. Elle pense qu’elle hait Rouletabille qui a pu un instant la faire douter du vieux Bob. Pendant qu’on assassinait Bernier, est-ce que le vieux Bob n’était pas dans sa chambre, veillé par la mère Bernier elle-même ? Rouletabille, qui vient d’examiner avec lassitude la fermeture du puits, fermeture restée intacte, s’allonge sur la margelle de ce puits, comme sur un lit où il voudrait enfin goûter quelque repos et il dit encore, plus bas : — Et qu’est-ce que vous lui direz, à la police ? — Tout ! Mrs Edith a prononcé ce mot-là, les dents serrées, rageusement. Rouletabille secoue la tête désespérément, et puis il ferme les yeux. Il me paraît écrasé, vaincu. M. Robert Darzac vient toucher Rouletabille à l’épaule. M. Robert Darzac veut fouiller la Tour Carrée, la
Tour du Téméraire, le Château Neuf, toutes les dépendances de cette cour dont personne n’a pu s’échapper et où, logiquement, l’assassin doit se trouver encore. Le reporter, tristement, l’en dissuade. Est-ce que nous cherchons quelque chose, Rouletabille et moi ? Est-ce que nous avons cherché au Glandier, après le phénomène de la dissociation de la matière, l’homme qui a disparu de la galerie inexplicable ? Non ! non ! je sais maintenantqu’il ne faut plus chercher Larsan avec ses yeux !Un homme vient d’être tué derrière nous. Nous l’entendons crier sous le coup qui le frappe Nous nous retournons et nous ne voyons rien que de la lumière ! Pour voir, il faut fermer les yeux, comme Rouletabille fait en ce moment. Mais justement ne voilà-t-il pas qu’il les rouvre ? Une énergie nouvelle le redresse. Il est debout. Il lève vers le ciel son poing fermé. — Ça n’est pas possible, s’écria-t-il, ou il n’y a plus de bon bout de la raison ! Et il se jette par terre, et le revoilà à quatre pattes, le nez sur le sol, flairant chaque caillou, tournant autour du cadavre et de la mère Bernier qu’on a tenté en vain d’éloigner du corps de son mari, tournant autour du puits, autour de chacun de nous. Ah ! c’est le cas de le dire : le revoilà tel qu’un porc cherchant sa nourriture dans la fange, et nous sommes restés à le regarder curieusement, bêtement, sinistrement. À un moment, il s’est relevé, a pris un peu de poussière et l’a jetée en l’air avec un cri de triomphe comme s’il allait faire naître de cette cendre l’image introuvable de Larsan. Quelle victoire nouvelle le jeune homme vient-il de remporter sur le mystère ?… Qui lui fait, à l’instant, le regard si assuré ! Qui lui a rendule son de sa voix ?Oui, le voilà revenu à l’ordinaire diapason quand il dit à M. Robert Darzac : — Rassurez-vous, Monsieur,rien n’est changé !Et, tourné vers Mrs Edith : — Nous n’avons plus, Madame, qu’à attendre la police. J’espère qu’elle ne tardera pas ! La malheureuse tressaille. Cet enfant, de nouveau, lui fait peur. — Ah ! oui, qu’elle vienne ! Et qu’elle se charge de tout ! Qu’elle pense pour nous ! Tant pis ! tant pis ! Quoi qu’il arrive ! fait Mrs Edith en me prenant le bras.
Et soudain, sous la poterne, nous voyons arriver le père Jacques, suivi de trois gendarmes. C’est le brigadier de la Mortola et deux de ses hommes qui, avertis par le prince Galitch, accourent sur le lieu du crime. — Les gendarmes ! les gendarmes ! ils disent qu’il y a eu un crime ! s’exclame le père Jacques qui ne sait rien encore. — Du calme, père Jacques ! lui crie Rouletabille, et, quand le portier essoufflé, se trouve auprès du reporter, celui-ci lui dit à voix basse : Rien n’est changé, père Jacques. Mais le père Jacques a vu le cadavre de Bernier. — Rien qu’un cadavre de plus, soupire-t-il ; c’est Larsan ! — C’est la fatalité, réplique Rouletabille.
Larsan, la fatalité, c’est tout un. Mais que signifie cerien n’est changéde Rouletabille, sinon que, autour de nous,malgré le cadavre incidentel de Bernier, tout continue de ce que nous redoutons, de ce dont nous frissonnons, Mrs Edith et moi, et que nous ne savons pas ?
Les gendarmes sont affairés et baragouinent autour un jargon incompréhensible. Le brigadier nous annonce qu’on a téléphoné à deux pas de là à l’auberge Garibaldi où déjeune justement ledelegatoou commissaire spécial de la gare de Vintimille. Celui-ci va pouvoir commencer l’enquête que continuera le juge d’instruction également averti.
Et ledelegatoIl est enchanté, malgré qu’il n’ait point pris le temps de finir de déjeuner. Un crime ! un vrai crime ! dans learrive. château d’Hercule ! Il rayonne ! ses yeux brillent. Il est déjà tout affairé, tout « important ». Il ordonne au brigadier de mettre un de ses hommes à la porte du château avec la consigne de ne laisser sortir personne. Et puis il s’agenouille auprès du cadavre. Un gendarme entraîne la mère Bernier, qui gémit plus fort que jamais dans la Tour Carrée. Ledelegatoexamine la plaie. Il dit en très bon français : « Voilà un fameux coup de couteau ! » Cet homme est enchanté. S’il tenait l’assassin sous la main, certes, il lui ferait ses compliments. Il nous regarde. Il nous dévisage. Il cherche peut-être parmi nous l’auteur du crime, pour lui signifier toute son admiration. Il se relève.
— Et comment cela est-il arrivé ? fait-il, encourageant et goûtant déjà au plaisir d’avoir une bonne histoire bien criminelle. C’est incroyable ! ajouta-t-il, incroyable !… Depuis cinq ans que je suisdelegato, on n’a assassiné personne ! M. le juge d’instruction…
Ici il s’arrête, mais nous finissons la phrase : « M. le juge d’instruction va être bien content ! » Il brosse de la main la poussière blanche qui couvre ses genoux, il s’éponge le front, il répète : « C’est incroyable ! » avec un accent du Midi qui double son allégresse. Mais il reconnaît, dans un nouveau personnage qui entre dans la cour, un docteur de Menton qui arrive justement pour continuer ses soins au vieux Bob.
— Ah ! docteur ! vous arrivez bien ! Examinez-moi cette blessure-là et dites-moi ce que vous pensez d’un pareil coup de couteau ! Surtout, autant que possible, ne changez pas le cadavre de place avant l’arrivée de M. le juge d’instruction.
Le docteur sonde la plaie et nous donne tous les détails techniques que nous pouvions désirer. Il n’y a point de doute. C’est là le beau
coup de couteau qui pénètre de bas en haut, dans la région cardiaque et dont la pointe a déchiré certainement un ventricule. Pendant ce colloque entre ledelegato etle docteur, Rouletabille n’a point cessé de regarder Mrs Edith, qui a pris décidément mon bras, cherchant auprès de moi un refuge. Ses yeux fuient les yeux de Rouletabille qui l’hypnotisent,qui lui ordonnent de se taire. Or, je sais qu’elle est toute tremblante de la volonté de parler.
Sur la prière dudelegatosommes entrés tous dans la Tour Carrée. Nous nous sommes installés dans le salon du vieux Bob où, nous va commencer l’enquête et où nous racontons chacun à tour de rôle ce que nous avons vu et entendu. La mère Bernier est interrogée la première. Mais on n’en tire rien. Elle déclare ne rien savoir. Elle était enfermée dans la chambre du vieux Bob, veillant le blessé, quand nous sommes entrés comme des fous. Elle était là depuis plus d’une heure, ayant laissé son mari dans la loge de la Tour Carrée, en train de travailler à tresser une corde ! Chose curieuse, je m’intéresse en ce moment moins à ce qui se passe sous mes yeux et à ce qui se dit qu’à ce que je ne vois paset que j’attends… Mrs Edith va-t-elle parler ?… Elle regarde obstinément par la fenêtre ouverte. Un gendarme est resté auprès de ce cadavre sur la figure duquel on a posé un mouchoir. Mrs Edith, comme moi, ne prête qu’une médiocre attention à ce qui se passe dans le salon devant ledelegato. Son regard continue à faire le tour du cadavre. Les exclamations dudelegatonous font mal aux oreilles. Au fur et à mesure que nous nous expliquons, l’étonnement du commissaire italien grandit dans des proportions inquiétantes et il trouve naturellement le crime de plus en plus incroyable. Il est sur le point de le trouver impossible, quand c’est le tour de Mrs Edith d’être interrogée. On l’interroge… Elle a déjà la bouche ouverte pour répondre, quand on entend la voix tranquille de Rouletabille : Regardez au bout de l’ombre de l’eucalyptus. — Qu’est-ce qu’il y a au bout de l’ombre de l’eucalyptus ? demande ledelegato. — L’arme du crime ! réplique Rouletabille. Il saute par la fenêtre, dans la cour, et ramasse parmi d’autres cailloux ensanglantés, un caillou brillant et aigu. Il le brandit à nos yeux. Nous le reconnaissons : c’est « le plus vieux grattoir de l’humanité » !
Notes
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents