Au Bon-Air - Saison 1, épisode 1
19 pages
Français

Au Bon-Air - Saison 1, épisode 1

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Description

Zoe, jeune Anglaise ambitieuse, souhaite ouvrir un restaurant à Paris. Installée au quartier Bon-Air, elle apprend la cuisine dans les livres qu’elle emprunte à la bibliothèque. Elle y rencontre Christian, le nouveau bibliothécaire. Quand celui-ci l’invite à boire le meilleur café du monde avec vue sur la tour Eiffel, elle n’y croit pas une seule seconde. Très vite, ils développent pourtant des sentiments réciproques malgré les rêves de l’une et la maladresse de l’autre, mais tandis que Zoe s’accroche à ses envies de restaurant parisien, Christian, lui, ne quitterait sa ville pour rien au monde.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 14 juillet 2016
Nombre de lectures 70
EAN13 978-2-9556542
Licence : Tous droits réservés
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Au Bon-Air
Épisode 1
Aude RECO
© Aude Réco 2016 ISBN:978-2-9556542-3-1
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
Table des matières
CHAPITRE 1 :Rose pastel avec du citron dedans
CHAPITRE 2 :Avec vue sur la tour Eiffel
CHAPITRE 3 :La couleur, c'est la vie !
DANS L'ÉPISODE 2 :Disponible dès maintenant
POUR ALLER PLUS LOIN :La recette de Zoe : le moelleux au citron
NOTES
Biographie
CHAPITRE 1
Rose pastel avec du citron dedans
— C’estcomment dites-vous ? Tellement mignon ! s’exclama Zoe. Son sourire léger s’étira rapidement d’une oreille à l’autre. Elle dodelina de la tête. Ses cheveux noués en une longue queue de cheval à boucles châtain suivirent le mouvement. Elle s’empêchait de sautiller d’un pied sur l’autre, mais elle trépignait d’impatience à l’idée de s’installer sur son sofa pour feuilleter le livre de cuisine qu’elle tenait. Elle en admira longuement la couverture rose pastel avec liseré blanc. Un cupcake y apparaissait dans sa caissette en papier. Ses longs doigts caressèrent les illustrations de pépites de chocolat en relief qui ornaient les angles. La texture douce et veloutée comme une peau de pêche la ravit. Elle qui rêvait depuis des lustres de découvrir l’art des cupcakes derrière les fourneaux plutôt que dans son assiette, voilà exactement ce qu’il lui fallait ! — Tellement mignon, répéta Ama avec un manque évident de conviction. Ouais. Le sourire de Zoe, la plus frenchie des Britanniques, s’élargit de plus belle. Elle ne manquait pas de charme et ce sourire, à la fois radieux, simple et sincère, y contribuait largement. Pour Ama, qui la connaissait depuis son arrivée en France, son amie était la simplicité incarnée, de ses habitudes à sa manière de s’habiller. Il ne fallut guère davantage que la jolie couverture pour convaincre Zoe de glisser l’épais ouvrage sous son bras, entre un livre dédié aux desserts et un autre consacré à l’art de la table. Des étoiles plein les yeux, la trentenaire imaginait déjà un avenir où les Parisiens se bousculeraient à la porte de son restaurant. Vague rêve pour l’instant, mais qu’elle espérait concrétiser au plus vite. Elle se donnait beaucoup de mal et ne désespérait pas. Du moins, pas encore, car elle devinait une longue route avant d’atteindre son but, ne comptant que sur l’aide relative de sa meilleure amie, Ama ; et celle-ci se résumait plutôt à des remontages de moral en règle. Pas de vrai coup de pouce, donc, hormis une bonne humeur quasi permanente. — Je l’appellerais bienBreakfast in Paris, maisme paraît trop ciblé sur le petit- ça déjeuner. Elle fit la moue et ramena une longue mèche de cheveux derrière l’oreille. Elle était mignonne avec son petit nez retroussé et ses joues rebondies. Jamais rassasiée, elle se pencha à nouveau sur les rayonnages chargés de la bibliothèque. Ils grimpaient jusqu’au plafond et nécessitaient une échelle pour accéder aux niveaux supérieurs. Cette construction de livres avait toujours émerveillé Zoe, qui passait un temps fou à écumer les allées de l’établissement. Ainsi, les ouvrages culinaires se suivaient, se ressemblaient parfois – souvent même –, mais la jeune femme en relisait certains avec un plaisir grandissant. Le seul contact du papier au bout de ses doigts l’enchantait. Certaines pages brunies par les années réveillaient en elle une sensation de découverte intense, comme si personne ne les avait plus tournées depuis longtemps, comme si, d’un bond en arrière, elle s’apprêtait à entrer dans un monde inconnu des autres puisqu’ils n’auraient pas pris la peine d’en pousser les portes. Ilmefaudraitunun,reprit-elleenclaquantlalanguedunairagacé.
Ilmefaudraitunun,reprit-elleenclaquantlalangued’unairagacé. Ama haussa les épaules. — Un coup de pied aux fesses. Pour avancer, termina Zoe. Elle releva la tête, fière de maîtriser de mieux en mieux les subtilités de la langue française. — Tu n’es pas très utile à mon apprentissage, ma belle, plaisanta-t-elle en se tournant vers Ama. Celle-ci leva les yeux d’un air désespéré. Zoe était une chic fille, mais quand elle avait une idée dans la tête, impossible de l’en déloger. Elle avait fait son nid en France afin d’étudier son art culinaire en autodidacte. Après quoi, elle entamerait les études qui lui ouvriraient des perspectives concrètes dans le monde de la cuisine. Ama lui avait proposé de bosser dans sa boutique de vêtements en attendant mieux, mais Zoe préférait écrire des piges. Rester plantée derrière une caisse et mettre en rayon ne lui correspondaient pas. Par ailleurs, Ama employait déjà Natacha, une rêveuse patentée aux formes généreuses, mais avec un charme fou. — En même temps, objecta Ama, tu demandes ça à une nana qui apprend sur le tas depuis cinq ans. Et puis, moi, je t’aide à t’habiller correctement, c’est déjà pas mal ! Zoe se renfrogna. Ne sachant pas comment prendre cette remarque, elle préféra ne pas répliquer. De toute façon, elle s’en fichait. Elle entretenait des goûts vestimentaires très banals, au grand dam d’Ama, qui ne jurait que par le bariolé. La façade de sa friperie arborait d’ailleurs toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et même plus sans problème. « La couleur, c’est la vie », répétait-elle. Tandis qu’elle affichait un jaune pétant sur sa robe courte d’un bleu intense, Zoe préférait la discrétion indiscutable de son ensemble gris pull d’été-jean-bottes. En harmonie avec la mélancolie du ciel, dont les nuages menaçaient de craquer à tout instant. Mais peu importaient les remontrances d’Ama, Zoe n’était pas du genre à se formaliser pour si peu. Elle était de ceux qui profitent de chaque minute, de chaque rayon de soleil, mais aussi de chaque averse. Idéal pour passer un grand coup d’eau sur ses désespoirs. — Sinon, pour ton restau, apprends déjà à cuisiner, enchaîna Ama. Je m’occuperai des coups de pied dans l’arrière-train avec plaisir, j’ai toujours été douée pour ça. Les deux amies éclatèrent d’un rire franc jusqu’à se faire rappeler à l’ordre par Christian, le nouveau bibliothécaire. Zoe vit bien que sa « Coco », comme elle la surnommait, le dévorait des yeux. Il n’était pas désagréable à regarder, au contraire. Son visage ni trop carré ni trop anguleux lui donnait un côté intéressant à détailler et l’Anglaise s’amusa à compter le nombre de fois où il fronça les sourcils le temps qu’il les aborde. La chemise dont le col dépassait de son pull sans manches lui conférait un aspect sérieux et ses chaussures témoignaient du soin qu’il semblait mettre dans ses affaires. Dommage pour le nœud papillon qui ringardisait l’ensemble. Néanmoins, Ama considérait sûrement l’accessoire comme un obstacle de plus à l’accomplissement de son désir plutôt qu’une faute de goût. Elle se fichait pas mal que l’objet de ses convoitises dispose d’une queue ou d’une paire de seins, tant qu’elle en profitait. — Celui-là, j’en ferais bien mon quatre heures, glissa Ama, étayant les réflexions de Zoe. Elle passa une langue gourmande sur ses lèvres écarlates. — Qu’est-ce qui t’en empêche ? — Trop maigrichon, répondit-elle sur le ton de l’évidence. Un câlin et je le casse en deux ! Zoe ne la contredit pas. Ama avait le chic pour observer les gens, passer en revue les tics qui la rebutaient, les embarquer dans le tourbillon que constituait sa vie avant de les laisser sur le bas-côté quand elle réalisait qu’ils ne correspondaient pas à ses attentes. Zoe avait de la chance : elles s’entendaient à merveille. Elle abandonna son rayon, puis slaloma entre les étagères pour rejoindre le comptoir à
l’entrée. Surchargé d’ouvrages et de brochures en tout genre, il laissait entrevoir l’écran d’un ordinateur, un pot à crayons et une pile de magazines. Sous l’œil attentif d’Ama, la jeune femme rendit les bouquins de la semaine passée et avança ceux qu’elle désirait emporter. Le visage du bibliothécaire sembla se dérider quand il enregistra le livre sur la gastronomie française, révélant deux adorables fossettes. — Excellent choix, commenta-t-il en le lui tendant. Le néon crachait une lumière blafarde sur son visage, lui conférant un teint spectral qui tranchait avec le noir de ses cheveux très courts. Il avait une voix chaude, plaisante à écouter. Le badge épinglé sur son pull et mentionnant son prénom pendouillait sur la gauche. En fin de compte, il ne se montrait peut-être pas si soigneux qu’il voulait bien le montrer. Ses doigts frôlèrent ceux de Zoe et sans rien y comprendre, un frisson la surprit. Un mélange d’angoisse, d’aise avec un elle ne savait quoi de grisant. Pas de quoi fouetter un chat, mais elle bafouilla en rangeant l’ouvrage dans son sac en plastique aux couleurs de l’établissement, avant de souhaiter à Christian une bonne fin de journée. — Il faudrait vous décoincer un peu, mes mignons, lâcha Ama, goguenarde. Elle poussa la porte vitrée et laissa passer son amie avant de sortir à son tour. L’air chargé d’humidité contraria le nez de l’Anglaise, qui renifla avec une grâce sans pareille. La main dans son sac à la recherche d’un mouchoir, elle fusilla discrètement Ama du regard, sidérée qu’elle se mêle ainsi des ressentis éprouvés par les gens. Bon, Zoe ne représentait pas n’importe qui à ses yeux, mais quand même, lire dans les émotions des autres comme dans un livre ouvert et le leur faire savoir, quel toupet ! Quel manque de délicatesse ! Toutes deux remontèrent la rue sous une mélodie enjouée que fredonnait Ama. En ce 5 juillet, le jour commençait à décliner de plus en plus tôt, surtout avec ce temps de chien qui dominait depuis une bonne semaine, et Zoe l’appréciait. Contrairement à la majorité des gens, elle trouvait que la pénombre exhalait quelque chose de rassurant, à la manière d’un nid douillet. Elle aimait se promener et se perdre en rêveries à la lueur des lampadaires. Ils constituaient un peu son port d’attache dans la marée noire qu’offrait la nuit. Le quartier Bon-Air était de ceux qui respirent la vie et dans lesquels flotte une agréable odeur de café. Un bistrot proposait le meilleur jus du monde, à l’angle de la rue dans laquelle se situait la bibliothèque municipale. Zoe ne cessait d’en vanter les mérites, arguant qu’en plus, la façade était de toute beauté. Un vrai régal pour les yeux et les papilles : des géraniums fleurissaient dans leurs jardinières colorées, sur les appuis des fenêtres, derrière lesquelles pendaient des rideaux coquets comme tout. Un parterre de fleurs enchantait la vue des clients qui entraient ou sortaient. En plus de posséder son propre restaurant, Zoe rêvait d’un lieu charmant et convivial, de l’endroit parfait pour contenter son estomac ainsi que son goût des jolies choses. Mêler l’utile à l’agréable, en somme. Pas comme dans cette affreuse bibliothèque aux rayonnages poussiéreux, usés et au carrelage vieillot. Quand la Britannique imaginait son futur établissement, elle s’y déplaçait en pensées si réalistes et précises qu’elle s’y croyait déjà. Mais comme dans tout rêve, il redevenait réalité au douzième coup de minuit et la pilule s’avérait parfois amère à digérer. Elle ne souhaitait pas réfléchir à tout ça ce soir, encore moins se miner le moral. Elle abandonna Ama sur la place, un large sourire aux lèvres, avant de s’engager dans l’impasse au bout de laquelle elle occupait un duplex avec vue sur un chantier récent. Elle vivait à mille lieues du rêve parisien qu’elle nourrissait d’espoirs, mais tant pis. Mieux valait ça que d’habiter sous les ponts. Sa priorité en rentrant fut d’ôter ses bottes et de les oublier dans un coin, entre la plante verte du couloir et la tablette sur laquelle elle déposait ses clefs. Elle avait l’impression qu’un rouleau compresseur était passé par là. Le soulagement qu’elle ressentit en glissant les pieds dans ses chaussons douillets ne portait pas de nom. Aucun mot ne pouvait qualifier ce bien-
être. D’un coup, elle tournait le dos à sa journée, à l’été maussade pour rejoindre son cocon confortable. Elle accrocha sa veste sur la patère dans l’entrée. Le sac à main rejoignit les chaussures près du tapis, puis Zoe passa dans la cuisine ouverte pour vérifier l’état du réfrigérateur. À coup sûr qu’il lui manquerait de quoi préparer la recette plus que tentante repérée dans le livre rose pastel qu’elle venait de ramener. La tête entre les planches de verre, elle établit une liste d’ingrédients et, de mémoire, la compara à celle de la recette. Shit! cracha-t-elle en claquant la porte. Tout ça pour un demi-jus de citron pressé ! Elle pesa le pour et le contre. En quoi un demi-jus de citron changerait-il le goût du gâteau ? Sans doute en trois fois rien, mais si elle ne respectait pas scrupuleusement les indications, jamais elle n’obtiendrait la rigueur qu’elle souhaitait atteindre avant d’ouvrir son restaurant. Elle jeta alors un coup d’œil à l’horloge qui trônait au-dessus du canapé. — J’ai encore le temps. La supérette du coin ne fermerait que dans vingt minutes. Zoe renfila sa veste à la va-vite, oublia le parapluie au cas où et s’en mordit les doigts dès qu’elle franchit la porte de l’immeuble. Au retour, ses cheveux ressembleraient à de la laine effilochée. Heureusement qu’Ama ne serait pas là pour voir ça ! En fin de compte, elle courut sous une pluie glacée et se précipita dans l’épicerie dont l’enseigne orange terne clignotait, en plus des portes coulissantes qui causaient un brouhaha de tous les diables. — Fruits et légumes, deuxième allée sur la gauche, marmotta-t-elle en se dépêchant. Ses talons de bottes claquaient sur le sol glissant. Des laitues pourrissantes le jonchaient, de même qu’une purée de tomates et un bocal d’asperges explosé. Un carambolage de caddies avait vraisemblablement eu lieu à l’angle du rayon fruits et légumes et de la tête de gondole qui présentait les vinaigrettes. Les étals n’offraient plus qu’un choix limité en début de soirée. Malmenés toute la journée, certains produits frais arboraient une étrange teinte brunâtre, tandis que d’autres commençaient à se ratatiner contre les rebords des bacs en plastique. Zoe resta plantée pendant dix minutes à hésiter entre des citrons verts et d’autres, peu engageants. Elle rentra finalement bredouille et gelée jusqu’aux os. — Si l’auteur dit citron, alors il n’y a pas à tergiverser, dit-elle pour se remonter le moral. Elle l’aurait bien mangé en dessert, ce moelleux ! Désappointée et furieuse, elle se reprocha de ne pas avoir cédé à l’appel des citrons verts, avant de se remémorer la rigueur que nécessitait la cuisine. Elle enfonça les mains au fond de ses poches d’un geste rageur. — Si tu commences à remplacer les ingrédients, où va le monde ? se fustigea-t-elle en se glissant sous la couette. La tête enfoncée dans l’édredon moelleux, elle en oublia bien vite ses tracas.
CHAPITRE2
Avec vue sur là tour Eiffel
Comme chaque matin, Christian réajusta son nœud papillon avec minutie. Comme chaque matin, une pensée s’envola pour Estelle. Le souvenir de ses cheveux blonds qui tombaient en cascade sur ses épaules, son sourire jusqu’aux oreilles, ses regards de coin quand la contrariété pointait le bout de son nezBon sang, ce qu’elle lui manquait ! La plupart du temps, sa radio beuglait et la musique envahissait l’habitacle de sa vieille voiture. Celle qui tombait toujours en rade au mauvais moment, que l’on avait acceptée de justesse au contrôle technique. Elle l’avait achetée d’occasion chez un concessionnaire. Maudite voiture qui lui en faisait voir de toutes les couleurs ! À présent, c’était de s’en rappeler qui en faisait baver à Christian. Les souvenirs avaient le don de lui larder le cœur aux plus mauvais moments, comme maintenant, alors qu’il s’apprêtait pour le travail. Il se pencha vers le miroir de l’entrée, les boucles de son nœud papillon entre le pouce et l’index, puis fignola sa présentation. Dans sa poche de chemise à carreaux, le badge tout moche de la bibliothèque cognait doucement contre sa poitrine quand il marchait. Ou bien, il s’agissait de son cœur un peu affolé et il n’était pas fichu de faire la différence. Il jeta enfin un coup d’œil par la fenêtre à côté de la porte. Le soleil tapait déjà fort, aujourd’hui, et un vent léger glissait dans les feuilles du grand pommier des voisins. L’été s’installerait peut-être enfin. En tout cas, pas besoin d’un parapluie. Parfait. Il habitait à deux pas du centre-ville et de ses commodités. Il n’aimait pas gaspiller son temps en embouteillages ni dans les transports en commun, leur préférant de loin une bonne marche vivifiante. Un saut à la pâtisserie et il arrivait au travail en épanchant sa gourmandise avec une petite boîte de macarons. La pâtissière, élégante jusqu’au bout de ses boucles anglaises, la lui tendait chaque matin dès qu’il franchissait le seuil de sa porte et que le carillon résonnait. Les macarons multicolores attendaient sagement dans leur écrin enrubanné, entre ses longs doigts aux ongles vernis. Parfois, Christian se disait qu’elle tentait de lui envoyer des messages subliminaux par le biais de ses paquets. On ne mettait pas autant de soin dans un emballage, d’habitude. On n’y ajoutait pas un joli ruban cinq jours par semaine. Si ? Cette fois, il n’y songea pas, trop préoccupé par le jour du rendez-vous hebdomadaire, comme il l’appelait. Il entamait sa troisième semaine à la bibliothèque et la jeune femme à l’accent britannique ne manquait pas un mardi. Elle déposait toujours les bouquins empruntés avec une grâce de mammouth, évitait son regard avec un soin tout particulier et repartait en le saluant. Il la gonflait, seule raison susceptible d’expliquer son silence. Sans doute devrait-il se contenter d’un bonjour, au revoir et de passer à autre chose ? — Je vais essayer ça, se promit-il en quittant la pâtisserie. Sauf que la belle poireautait inlassablement devant la bibliothèque dès treize heures quarante-cinq. Difficile, donc, de l’ignorer et de ne pas ouvrir un peu en avance. — Rien que pour elle, soupira Christian en accrochant son manteau dans la réserve. Iléternuaquandsespassoulevèrentunnuagedepoussièredansuncoinilnese
Iléternuaquandsespassoulevèrentunnuagedepoussièredansuncoinilnese rendait presque jamais. Là reposaient de vieux livres culinaires que l’ancien bibliothécaire n’avait vraisemblablement pas jugé utile d’installer en rayon. Il s’empresserait de réparer cette erreur, car malgré les dos un peu vieillots, les ouvrages se portaient bien. Pour les avoir feuilletés et pour apprécier la bonne cuisine, il savait qu’ils pourraient se révéler profitables ou intéressants à certaines personnes. Bien sûr, par certaines personnes, il entendait l’Anglaise qui ouvrait à peine la bouche quand ils se croisaient. Celle qui venait le plus souvent seule et repartait avec des étoiles plein les yeux. Christian tirait une certaine satisfaction à l’idée de contribuer, ne serait-ce que très modestement, au plaisir de cette jeune femme. Pour une fois, son métier lui paraissait utile, bien qu’Estelle, elle, n’en ait jamais douté. Il parlait encore quelquefois à cette Estelle qui n’existait plus, hormis dans sa tête. De la pluie et du beau temps, des sujets insignifiants au possible. La force de l’habitude, même deux ans après. À l’occasion, il s’apercevait qu’elle n’était pas là pour répondre et la solitude se rappelait à lui avec la délicatesse d’un char d’assaut. Estelle avait le don de tomber en panne juste devant sa porte. La première fois, sa voiture causait un raffut si horrible qu’il avait tiré Christian du lit. Sans compter Estelle qui s’égosillait au téléphone. Posté à la fenêtre du premier étage d’un château réaménagé en appartements, mal dissimulé derrière son double rideau, il la regardait et elle l’avait aperçu par hasard. Un sourire de sa part à lui plus tard et un regard furieux en retour, elle avait fini par repartir à pied, son matériel à photo dans une sacoche jetée sur l’épaule. Elle non plus ne le regardait pas, au début. Son Anglaise affichait la même indifférence à son égard ; seuls les livres de cuisine comptaient. Elle devait passer des heures entre la gazinière et le pot à ustensiles. Le jeune homme l’imaginait sans difficulté dans la vaisselle jusqu’au cou, avec de la mousse sur les oreilles. Il sourit à cette pensée. Qu’attends-tu pour l’inviter à boire un café ?minauda la petite voix dans son esprit. Il la fit taire d’une tape sur le sommet de son crâne. Elle avait néanmoins raison. Voilà trois semaines qu’il attendait l’occasion de préparer un expresso à sa lectrice assidue. Sa machine à café ne servait qu’à lui et nom d’un petit bonhomme, qu’il était triste de n’avoir personne avec qui partager une tasse ! Avec Estelle, tout avait été différent. Elle avait fait le premier pas. Ou plutôt, la partie dominante de sa personnalité, à savoir la photographe passionnée, avait fait le premier pas. Une bête proposition de séance photo. Elle était douée, il fallait bien le reconnaître. Et elle avait tellement insisté pour que Christian devienne son modèle qu’il avait fini par accepter, sans gaieté de cœur, néanmoins. Il faisait très beau pour un mois d’avril. Les rayons du soleil tapaient avec force et la plupart des gens se promenaient en tee-shirt et chaussures d’été. — Comment m’as-tu trouvé pendant la séance ? demanda Christian entre deux gorgées d’une bière tiède. Il grimaça en reposant la bouteille sur la table basse. Estelle, occupée à remballer son matériel, interrompit sa besogne pour se tourner vers lui. — Un peu timide, admit-elle. Mais les photos sont très bien. — Qu’est-ce que tu vas en faire ? — Les ranger dans un carnet. En encadrer certaines dans ma pièce secrète. Le jeune homme sentit le rose lui monter aux joues. — Tu vas encadrer des photos de moi à poil ? — Je les aime bien et ce n’est que de l’art. Il faut les voir en tant que telles. Toi aussi, je
t’aime bien, d’ailleurs. En retournant à son rangement, Estelle lui adressa un sourire qui, d’ordinaire, aurait eu tôt fait de le désarmer. Il se ressaisit. — On aurait peut-être des choses à se dire, hasarda-t-il. Tu es sûre que tu m’aimes seulement bien ? Elle fit volte-face. La lueur amusée qui brillait jusqu’alors dans ses yeux pâles venait de laisser place à un orage naissant. — Pourquoi ce sous-entendu ? demanda-t-elle, agacée. Mais pas question pour Christian de se débiner. — Je crois que tu es amoureuse. En fait, je crois que tu es folle de moi. Elle écarquilla les yeux un bref instant, puis un sourire moqueur lui adoucit les traits. Le visage presque angélique de Christian ne la convainquait guère, apparemment. — Dans tes rêves, beau gosse, railla-t-elle. Personne ne peut aimer un mec comme toi. T’es trop nombriliste. Il n’y a que toi sur Terre, trop parfait pour parler à de misérables quidams. Tu as presque la grosse tête, Christian. — Et c’est pour ça que personne ne peut m’aimer ? Estelle ramassa sa sacoche avant de filer. La question du jeune homme, quant à elle, flottait dans l’air, accompagnée de la gêne qu’il éprouvait alors. Il avait la sensation de quémander un semblant d’amour pour espérer se sentir mieux dans son âme. La paix qu’il envisageait avec lui-même n’était pas pour tout de suite. Il ravala sa colère à l’égard de la vie. La voix de son Anglaise l’arracha aux pensées douloureuses qui l’assaillaient. Installé derrière le comptoir, il la considéra un moment avant de s’apercevoir qu’elle lui parlait. — J’aimerais garder celui-ci, répéta-t-elle en indiquant le livre rose pastel emprunté à l’arrivée de Christian. Il se souvenait de ce jour comme si c’était hier. Avec son amie, elles riaient de bon cœur. En temps normal, il aurait dit qu’elles gloussaient comme des dindes, mais les fossettes de son Anglaise lui avaient tapé dans l’œil. Quant à son rire outrageux pour un lieu si paisible, Christian n’en eut cure. Le rappel était pour la forme. Le bibliothécaire se félicitait d’appartenir à la vieille école et l’inconnue au livre rose présentait un goût d’interdit. — Il me reste cinq recettes à tester, se justifia-t-elle dans un français presque parfait. Vous aviez raison, cet ouvrage est un très bon choix ! La gorge nouée par la surprise de ce début de conversation, Christian se contenta de sourire. — J’ai rencontré quelques problèmes, ajouta-t-elle. D’abord, les citrons, puis le poisson qui— Un café ? — Non, pas avec leah, oui, d’accord. Enfin, pas— Ce soir, à la fermeture, insista Christian, soudain sûr de lui. Constater la confusion de la jeune femme le rassurait quant à son propre embarras. Il se sentait pousser des ailes et éprouvait l’envie de le crier sur les toits. — Je vous offrirai le meilleur café du monde, mademoiselle. Avec vue sur la tour Eiffel. Une lueur ravie illumina les prunelles de sa lectrice. Why not? Le cœur du bibliothécaire battait si fort qu’il était persuadé qu’on l’entendait dans tout l’établissement. — Au fait, je m’appelle Christian.
— Zoe,maisvotreprénom,dit-elleenagitantl’indexdevantsapoitrine.Sur lebadge.
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