Mysmie
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Description

C'est une histoire de salissure, de poubelle et d'ordure.
Mysmie serait née d’une poubelle. Elle l’a appris un soir de l'hideuse bouche de son beau-père. Elle s’est ainsi à ce moment-là, cru naître de la puanteur des ordures. « le bébé de la poubelle ». Les journaux en parlèrent. Ils conspuèrent la mère, le geste, la ville. L’éboueur raconta, les sacs. Le mélange de reste de nourriture, de début de pourriture, un chat mort et les mouvements sous une serviette sale, pleine de sang. L’homme raconta, conta, mystifia sa découverte, son sauvetage. Lavant ainsi l’honneur de sa ville, où des hommes de bien veillaient. Pendant ce temps Mysmie de bras en bras, devint un bébé à adopter au cœur d’une pouponnière. Elle y fut lavée, changée, soignée, nourrie et renommée. Elle devint Maryse. Maryse à ses trois mois entra dans une famille. Une famille d’adoption. Sans enfant, juste Maryse comme unique Don. Elle fut aimée. Son enfance elle la passa dans les jupes, dans les bras, dans le cœur de sa mère. Maryse en était son prolongement, son acte de foi, sa vie. 2 Dans le déroulement de ces vies, la maladie s’insinua, emporta le père, laissant seule, la femme et l’enfant en bas-âge. La mère se remaria. Un nouveau père entra dans la vie de l’enfant. Maryse s’en accommoda. Mais ce père ne l’aimait que pour sa femme. Pas pour elle, Maryse. Elle l’encombrait. Il ne la voyait que comme le résidu de l’aimée.

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Publié le 10 mai 2013
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Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

Mysmie
Florette M Oeuvre publiée sous licence Creative Commons by-nc-nd 3.0 En lecture libre sur Atramenta.net
1
Mysmie.
Mysmie serait née d’une poubelle. Elle l’a appris un soir de l'hideuse bouche de son beau-père. Elle s’est ainsi à ce moment-là, cru naître de la puanteur des ordures. « le bébé de la poubelle ». Les journaux en parlèrent. Ils conspuèrent la mère, le geste, la ville. L’éboueur raconta, les sacs. Le mélange de reste de nourriture, de début de pourriture, un chat mort et les mouvements sous une serviette sale, pleine de sang. L’homme raconta, conta, mystifia sa découverte, son sauvetage. Lavant ainsi l’honneur de sa ville, où des hommes de bien veillaient. Pendant ce temps Mysmie de bras en bras, devint un bébé à adopter au cœur d’une pouponnière. Elle y fut lavée, changée, soignée, nourrie et renommée. Elle devint Maryse. Maryse à ses trois mois entra dans une famille. Une famille d’adoption. Sans enfant, juste Maryse comme unique Don. Elle fut aimée. Son enfance elle la passa dans les jupes, dans les bras, dans le cœur de sa mère. Maryse en était son prolongement, son acte de foi, sa vie.
2
Dans le déroulement de ces vies, la maladie s’insinua, emporta le père, laissant seule, la femme et l’enfant en bas-âge. La mère se remaria. Un nouveau père entra dans la vie de l’enfant. Maryse s’en accommoda. Mais ce père ne l’aimait que pour sa femme. Pas pour elle, Maryse. Elle l’encombrait. Il ne la voyait que comme le résidu de l’aimée. Comme le chat, le chien, le bibelot qui reste là. Il s’en désintéressa. La négligea jusqu’à ce soir. Ce soir où la mère était absente. Ce soir, où l’enfant n’ayant que lui pour partager sa joie. Ce soir où, elle annonça fièrement sa réussite au brevet. Elle était si brillante et pétillante de vie. Si vive, si vivante que l’homme la regarda. Admirant ses lignes, ses courbes, ses bourgeons de féminité. Il déboucha du champagne la fit boire et but. Il but à en annihiler toute trace d’intelligence et de bon sens. Il but à souhaiter, salir, souiller cette fleur de fumier. Il était temps pour elle de recevoir sa leçon d’humilité. Cette candide insouciance devait disparaître à tout jamais de son regard. Il lui demanda « m’aimes-tu mon enfant ? » « bien sûr comme un Papa » Elle, elle y croyait. Elle croyait à cet amour filial qui enfin apparaissait. « viens, approche-toi, viens sur mes genoux, ma fleur » Maryse fit un pas, un suivant. Hésitante. Il se fit souriant, cajoleur. Se leva. Titubant. Main en avant, en direction d’elle. Elle recula. D’un pas.
3
Pas assez vite, pas assez loin. Il agrippa de toute sa poigne son bras. De son haleine imbibée, puant l’alcool. Il susurra « fleur de fumier » Maryse se raidit de tout son corps. Son corps collé au sien. « oui, tu es une fleur de fumier… sais-tu d’où tu sors ? » Maryse fit non de sa tête. Elle fit non, non pas de ne pas le savoir, mais, non, pour continuer à l’ignorer. « j’ai fait des recherches, moi…tu sors d’une poubelle ! » Il tira sur son bras, tira à lui broyer les os du poignet et l’entraîna jusque dans sa chambre. Maryse ne pleurait pas. Maryse ne parlait plus. Maryse était sidérée, arrêtée, suspendue sur le fil de sa vie. Il farfouilla dans une commode d’une main, de l’autre il continuait à la broyer. Il fouilla, retourna, éjecta des photographies écornées qui tombèrent au sol. Des photos qui dans leurs chutes montrèrent le regard de la mère de Maryse. Un regard de douceur, de compassion. Le regard qu’elle tournait vers elle. Ce regard d’un indescriptible amour. Lui, lui, les yeux injectés de sang, triomphait, exhibant devant elle un article de journal. « tiens ! la voilà, la preuve ! » « ta mère, ta mère, ta vraie mère, pas ma femme ! » « ta mère, ta mère, t’a mise au monde sur une poubelle et elle t’y a laissée !La catin, la chienne ! » Maryse n’était plus. Elle ne sentait plus le sang affluer, nourrir son corps. Elle ne voyait plus rien, que cet article, ce « bébé de la poubelle »
4
Elle l’entendait lui, hurler : « tu es une fille de chienne ! Une fille de catin ! Ça se voit, ça se lit dans tes yeux, ça se lit sur ton corps ! Ton orteil gauche mal-formé en est la marque. Personne ne voudra de toi, fille de rien ! » Il fit silence. Posa sa main sur son visage à elle, caressant sa joue, ses lèvres. Et murmura :« personne d’autre que moi ne voudra de toi ! » Et elle le vit se jeter sur le corps de Maryse, arracher sa jupe, son slip, elle le vit ânonner, beugler, baver des insanités, elle le vit, la pourfendre dans son ventre, son intimité. Maryse n’existait plus. Pantin désarticulé. Elle n’était qu’une poubelle, un réceptacle à ordure. Après s’être rhabillé, pour clore cette soirée, il balança dans le ventre de Maryse un coup de pied si fulgurant et violent que toutes les douleurs subies se réveillèrent en même temps. En montrant l’article soigneusement replié il menaça Maryse : « Si tu parles de quoi que ce soit, je montre cette preuve de bébé-poubelle à ta mère. Je ne suis pas sûre qu’elle t’aimera encore après ça » « allez, lève-toi et file dans ta chambre ! Je ne veux plus te voir ! » La mère revint. La mère réintégra les murs, sa chambre. De ce soir-là, elle remarqua un infime changement. Sa fille se faisait distante. Elle n’en vit que des signes d’une adolescente qui se cherchait. Maryse ne cherchait rien, elle ne fouillait pas dans les poubelles de ses origines. Maryse voulait fuir, détruire Maryse. Maryse n’était qu’une fille de rien. Chaque fois qu’il se trouvait seul avec elle, il le lui répétait. Tant et tant que cela fut une certitude. Elle était rien. Rien. Mais il n’eut plus l’occasion de la toucher.
5
L’été arriva, la mort à nouveau triompha, dans la vie de Maryse. Au loin, là-bas, elle perdit sa marraine, sa tante, Annie, l’amie très chère de sa mère. La seule vers laquelle Maryse aurait pu se tourner, parler, se confier. La seule qui savait lire dans les yeux de Maryse. Elles partirent toutes deux, pour là-bas, dans cette grande ville où Annie habitait. Annie était sans famille, sans parent, sans enfant, sans mari. Maryse était comme sa fille. Elle lui laissait, à sa grande surprise, tout ce qu’elle possédait, tout : maison, meubles, argent, fortune et une petite boîte grise que le notaire lui remit. Assises dans la cuisine d’Annie, Maryse et sa mère observèrent en silence le métal usagé, les restes de l’image, la peinture écaillée. Annie même absente flottait autour d’elles. Elle avait tant été là pour elles. Elle n’avait d’yeux que pour Maryse. Sa Maryse, sa Mysmie comme elle le surnommait. You miss me lui disait-elle sur le dernier baiser. Il n’y aura plus de you miss me murmuré à son oreille. Plus jamais. La mère poussa la boîte de ses mains tremblantes vers Maryse, la suppliant : « Ouvre-la ! C’est à toi ! » Le couvercle se retenait à la boîte, comme s’il voulait conserver encore son secret enfermé. Prisonnier. Maryse hésitait entre l’envie d’ouvrir et de laisser fermer. « Ouvre-là ! » Dans la bouche de sa mère la répétition de cette supplique se fit ordre. Le contenant offrit son contenu en s’épanchant sous les doigts de Maryse.
6
Une photographie, deux lettres, des chaussons de bébé tricotés. De la layette, un body. Maryse étalait tout ce petit monde devant elles, sur la table. Les lettres repliées, finement manuscrites, elle les prit. Ouvrit la première. Maryse découvrit les premiers mots. « Lettre à ma fille » Elle leva les yeux sur sa mère qui lui fit signe de continuer. « je n’avais pas le droit et l’envie de prendre soin de toi. Tu seras mieux dans les bras d’une famille unie. Moi je n’aurai jamais de temps pour toi. Mais toujours tu seras pour moi : You miss me » Maryse pleurait en silence. Pas de mots, ni de sanglots, les larmes coulaient sans bruits de ses yeux, elles coulaient en s’écrasant sur ses mains, dans lesquelles, elles meurtrissaient la seconde lettre. « Ceci est ma confession. Employée de la DDASS, j’ai frauduleusement facilité l’adoption d’une enfant abandonnée à une famille que je connaissais, mariée depuis peu. Car cet enfant était le mien. Cette grossesse, je l’ai vécue cachée, loin de ma famille, cachée de mon travail, d’où pendant les deux derniers mois je me suis absentée. J’ai accouché à l’hôpital sous X, de cette enfant, une fille. Je ne voulais pas me sacrifier, suspendre ma carrière. Je ne pouvais seule m’en occuper. Mais la savoir loin de moi, dans une famille inconnue m’effrayait. J’ai favorisé son adoption par une amie, sans qu’elle connaisse l’appui que j’offrais. La malformation de son orteil gauche m’a permis de la suivre et de faciliter cette démarche. Je ne m’en repends pas. J’ai fait au mieux pour cette enfant. » Maryse leva ses yeux sur sa mère, pâle et abattue.
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Elle marmonnait : « C’est sur toi qu’elle a toujours veillée, pas sur moi, son amie ! Tout fut pour toi ! Les vacances, les cadeaux, les noëls ! Elle m’a menti ! Elle s’est servi de moi ! C’est de la folie ! » Maryse ne l’écoutait pas, elle réalisait : sous « X » à l’hôpital ! Elle réalisait en répétant : « je ne suis pas née dans une poubelle… pas une ordure… pas une fille de rien… pas née dans une poubelle ! » Une répétition, un leitmotiv « Rien, poubelle » que la mère interrompit en la prenant dans ses bras. « Mais que vas-tu t’inventer ma chérie ? » Elle la berçait en caressant ses cheveux. « Tu es ma fille… mon unique fille ! Tu es à moi ! Qu’importe d’où tu viens, tu es ma fille ! Franchement les idées que tu as ! » Elle la lâcha et s’appliqua à ranger les éléments épars dans la boîte. Tout en répétant « De la folie, c’est de la folie ! » Quand la boîte fut refermée, elle posa ses mains dessus, fit tourner son alliance du bout de ses doigts et soupira : « Que va dire ton père de tout ça ?» Le froid glissa le long du dos de Maryse. Le froid d’une haine. Celle engendrée du dégoût de la salissure où il l’avait plongé. Ce froid, implacablement, s’engouffra dans sa voix : « Ce n’est pas mon père ! » « Comment peux-tu dire ça, je ne te savais pas si ingrate, après tout ce qu’il a fait pour toi ! » Maryse d’un bond se leva de sa chaise, s’éloignant du regard outré de sa mère. « C’est une ordure cet homme-là ! » La mère d’un seul mouvement fut à son niveau et porta sur son visage la première gifle de sa vie. Maryse la main sur sa joue rougie, s’enfuit hors de la maison en courant, elle fut rattrapée par sa mère, la main sur la porte de la grille.
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Maryse rugissait, elle vomissait toute sa haine : « il m’a violée ! » « Que dis-tu ? Pourquoi mens-tu ? » Les doigts de sa mère, blanchirent se crispèrent sur sa main. « Je ne mens pas… crois-moi… c’est vrai… » Les mains blanches tremblèrent. « Je ne retournerai plus là-bas Maman ! Je ne veux plus de lui ! » Les tremblements gagnèrent les bras, le corps. L’étau des mains se desserra, sa mâchoire se crispa dans un râle, elle cria : « Comment est-ce possible ! Je deviens folle ! » Son regard à l’instant vide devint noir. « Tu es folle ! C’est toi qui es folle ! » Dans un hurlement ignoble elle lâcha, ce que plus jamais elle ne put se faire pardonner : « Aussi folle que ta… que ta tante… ta folle de mère ! » Ainsi Maryse disparut devant cette grille, elle disparut dans la conviction de n’être que l’enfant d’une autre, « Maryse » disparut de son vocabulaire comme le mot « Maman ». Même quand bien plus tard sa mère divorça. Elle ne put jamais se résoudre à l’appeler Maman, à jamais elle fut Jeanne et elle Mysmie.
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