Auguste de Villiers de L’Isle-AdamEsquisse (Villiers de L’Isle-Adam)Le Parnasse contemporain : Recueil de vers nouveaux, Alphonse Lemerre(Slatkine Reprints), 1866 (1971) (pp. 260-261).ESQUISSEÀ ...
Auguste de Villiers de L’Isle-Adam Esquisse (Villiers de L’Isle-Adam) Le Parnasse contemporain : Recueil de vers nouveaux, Alphonse Lemerre (Slatkine Reprints), 1866 (1971) (pp. 260-261).
ESQUISSE À LA MANIÈRE DE GOYA
Admirons le colosse au torride gosier Abreuvé d’eau bouillante et nourri de brasier, Chevalde fer que l’homme dompte ! C’est un sombre coup d’œil, lorsque, subitement, Le frein sur l’encolure, il s’ébranle fumant Etpart sur ses tringles de fonte.
Le centaure moqueur siffle aux défis lointains Du vent, voix de l’espace où s’en vont nos destins ! Ledragon semble avoir des ailes ; Et, tout fier de porter les hommes dans son flanc Il fait flotter sur eux son grand panache blanc Etson aigrette d’étincelles !
Et les talus boisés qui bordent son chemin, Montagnes et rochers, tourbillon souverain !… Leschamps décrivent des losanges ;
Il passe, furieux, éperonné d’éclairs, Son arome insolite imprègne au loin les airs D’uneodeur de sueurs étranges.
Quand il fait onduler lourdement ses vagons, Le soir, dans la campagne, avec un bruit de gonds, Fauvecyclope des ténèbres, On croit voir, léthargique, une hydre du chaos Qui revient sous la lune, étirant ses grands os Etfaisant valoir ses vertèbres.
C’est le monstre prévu dans les temps solennels ; C’est un enfer qui roule au fond des noirs tunnels Avecsa pourpre et ses tonnerres ; Et les rouges chauffeurs qui la nuit sont debout, Chacun sur la fournaise où sa chaudière bout, Semblentdes démons ordinaires.
Quand ses réseaux ceindront ce globe illimité, Sans honte nous pourrons aimer la Liberté : Ilsle savent, les capitaines ! Après avoir pesé la gloire, dans nos mains, Nous allons trouver mieux que le sang des humains, Pournous fertiliser les plaines !
Ô mort ! tout se transforme et rien ne se corrompt, Et tous les éléments de la Terre seront Leséléments de notre gloire ; Les pôles se joindront dans le cercle idéal : Courage, char macabre, auguste et boréal ! Éclaireurde la route noire !…