Réflexions sur l’anarchie. Promenades subversives
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Adolphe RettéRéflexions sur l’anarchie. Promenades subversivesLa Brochure mensuelle, 1932 (pp. 4-31).NOTEUn certain succès obtenu par les Réflexions sur l’Anarchie et les traductions qui en furent faites en anglais et en tchèque medécident à publier une nouvelle édition remaniée de cet opuscule. J’y ai joint une série de propositions touchant la doctrinelibertaire et quelques documents pris sur le vif de l’état social actuel.Ces réflexions s’adressent surtout à ceux qui détermineront l’âme de demain, car les littérateurs d’aujourd’hui sont, pour la plupart,beaucoup trop prudents ― ou même beaucoup trop serviles pour témoigner qu’ils les goûtent. ― Etre un de ces malfaiteurs quiconçoivent un idéal de beauté, par delà les hideurs du temps présent, dire crûement ce qui existe, sans souci de ménagements àl’égard des opinions domestiquées, cela vaut aux esprits libres la rancune et l’animosité des Officiels, des Satisfaits et desEmpiriques.Qu’importe ? Le devoir est de se manifester tout entier, selon soi-même. Nous vivons à une époque de désagrégationuniverselle : partout l’homme commence à secouer la vermine de dogmes et de lois qui le dévore. Sous le vernis dont lebadigeonnent infatigablement nos maîtres, l’édifice malpropre dans lequel nous sommes incarcérés s’effrite et se lézarde.Concourir à sa démolition, ouvrir des jours vers le grand soleil futur, dût-on en souffrir, dût-on en mourir, telle est la préoccupationqu’il sied d’avoir.Voici donc encore un ...

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Adolphe Retté Réflexions sur l’anarchie. Promenades subversives La Brochure mensuelle, 1932(pp. 4-31).
NOTE
Un certain succès obtenu par les Réflexionssur l’Anarchieet les traductions qui en furent faites en anglais et en tchèque me décident à publier une nouvelle édition remaniée de cet opuscule. J’y ai joint une série de propositions touchant la doctrine libertaire et quelques documents pris sur le vif de l’état social actuel.
Ces réflexions s’adressent surtout à ceux qui détermineront l’âme de demain, car les littérateurs d’aujourd’hui sont, pour la plupart, beaucoup trop prudents ― ou même beaucoup trop serviles pour témoigner qu’ils les goûtent. ― Etre un de ces malfaiteurs qui conçoivent un idéal de beauté, par delà les hideurs du temps présent, dire crûement ce qui existe, sans souci de ménagements à l’égard des opinions domestiquées, cela vaut aux esprits libres la rancune et l’animosité des Officiels, des Satisfaits et des Empiriques.
Qu’importe ? Le devoir est de se manifester tout entier, selon soi-même. Nous vivons à une époque de désagrégation universelle : partout l’homme commence à secouer la vermine de dogmes et de lois qui le dévore. Sous le vernis dont le badigeonnent infatigablement nos maîtres, l’édifice malpropre dans lequel nous sommes incarcérés s’effrite et se lézarde. Concourir à sa démolition, ouvrir des jours vers le grand soleil futur, dût-on en souffrir, dût-on en mourir, telle est la préoccupation qu’il sied d’avoir.
Voici donc encore un coup de pioche.
Mai 1896.
RÉFLEXIONS SUR L’ANARCHIE
A. R.
Liberté, égalité, fraternité ne sont plus les mêmes choses qu’elles étaient aux jours de la guillotine; mais il est juste que cela les politiciens ne le comprennent pas et c’est pourquoi je les hais. Ces gens ne désirent que des révolutions partielles, révolutions dans les formes extérieures, dans la politique. Mais ce sont de pures bagatelles. Il n’y a qu’une chose qui serve : révolutionner les âmes. Minez l’idée de l’Etat, mettez à sa place l’action spontanée et l’idée que la parenté spirituelle est la seule condition de l’unité et vous lancerez les éléments d’une liberté qui mérite d’être possédée.
Ibsen :Lettre à G. Brandes.
L’histoire des persécutions, c’est l’histoire des tentatives faites pour endiguer la nature.
Emerson:Compensation.
PROPOSITION L’individu normal agit selon la logique naturelle, selon les lois physiologiques qui régissent son humanité. Chez lui, l’idée d’un acte détermine immédiatement l’acte lui-même. Cet acte peut − selonl’illogisme des conditions sociales actuelles −léser nombre d’individualités environnantes, le fait n’en reste pas moins évident : l’acte ayant apporté une satisfaction intégrale à l’individu, l’acte sert l’espèce. DÉVELOPPEMENT
Le mot Anarchie signifie négation de l’autorité. − L’Anarchie implique donc l’abolition de toute contrainte et partant de toute loi imposée au nom d’un principe, d’une tradition ou d’un intérêt. En effet, que des hommes, au nom de l’intérêt d’une caste, imposent un code, qu’ils se réclament d’une tradition pour imposer une éducation, il adviendra toujours qu’ils tendront à entraver l’épanouissement intégral des individualités différentes d’eux-mêmes. Leurs codes, leurs dogmes et leurs formules issus de leur intérêt leur sembleront la perfection et ils s’efforceront d’étouffer toute originalité qui sortirait de leurs cadres. Que leur pouvoir s’exerce au détriment du
grand nombre ou seulement de quelques-uns, il y aura contrainte et par suite malaise, ce dont tous et eux-mêmes souffriront car les divers éléments qui constituent l’organisme social sont équivalents et solidaires. Benjamin Constant a dit avec raison : « J’entends par liberté le triomphe de l’individu tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. » Donc ni lois, ni obligation, ni sanction : l’Anarchie n’admet pas plus le gouvernement d’un seul que la prépondérance d’une classe, celle-ci se constitua-t-elle de prêtres, de nobles, de propriétaires ou de prolétaires. Mais si l’Anarchie ne comportait que ces négations, elle serait stérile et vouée au néant comme maintes doctrines nihilistes. Or il n’en va pas ainsi ! l’Anarchie affirme l’individu. Elle prétend que la liberté laissée à l’individu de se développer en raison de ses propres fonctions et de satisfaire ses besoins matériels, moraux et intellectuels, selon son caractère et son tempérament, doit avoir pour résultat un développement plus intégral de l’humanité tout entière. Ce faisant, elle ne procède ni d’un dogme ni d’un principea priori. Elle est guidée par la seule observation des lois naturelles qui forment leprocessusd’évolution. Car l’évolution, c’est la vie elle-même − la vie sans commencement ni fin, la vie qui agit pour agir, la vie qui ne connait ni entraves ni limites, ni supérieurs ni inférieurs. Justement parce que la vie agit pour agir, son action varie à l’infini et produit des individualités toutes différentes les unes des autres. Il est donc absurde de traiter ces individualités d’après un critérium général. En effet, de quel droit, toi, homme dont certains besoins ne sont pas les miens et dont, par suite, certaines fonctions diffèrent des miennes − car la loi naturelle veut que les fonctions soient [1] proportionnelles aux besoins− de quel droit, m’imposeras-tu des lois qui ne peuvent que formuler la satisfaction de ces besoins et sanctionner le développement de ces fonctions ? De quel droit encore si par force, ruse ou dol, tu parviens à m’asservir àtes lois, détermineras-tu ma valeur sociale puisque tu ignores l’être que j’aurais pu réaliser si j’avais été libre de me développer selon mes propres besoins et mes propres fonctions ? La méthode aristocratique et la méthode théocratique suppriment la question au lieu de la résoudre. Les tenants de la première disent : « Nous sommes les plus forts, les conquérants, les Nobles ; c’est pourquoi vous nous obéirez. » D’où l’oppression brutale du grand nombre par le petit nombre. La seconde exige la foi, la croyance à une légende ou à un dogme ; elle n’accepte pour élus que ceux quine veulent pas comprendreet la tyrannie qu’elle instaure au nom d’un Dieu est d’autant plus abominable qu’elle se pare d’une feinte douceur − qu’elle asservit l’humanité par la ruse et qu’elle l’abêtit par le mystère. La méthode démocratique tourne la question. Elle aboutit à la théorie des moyennes et partant à la médiocrité, cette tortue aveugle ! Elle vante le juste milieu ; mais son juste-milieu est un paillasse balourd sur une corde roide ; son balancier l’entraîne à droite et à gauche et il finit toujours par se casser le nez. Lorsque la méthode démocratique renie le juste-milieu, c’est pour préconiser la suprématie du grand nombre − d’où oppression de la minorité par la majorité. Cette méthode verse, en dernier ressort, dans la fiction qu’un individu peut représenter les intérêts de plusieurs individus. Si un grand nombre d’individus abusés délèguent à l’un d’entre eux le pouvoir de les représenter, ceux qui préféreraient ne pas être représentés du tout ou être représentés par un autre sont lésés − on vole la personnalité des premiers, on écrase les seconds. Ainsi, dans tous les cas, force brutale, ruse ou dol : tels sont les cercles vicieux où tourne l’humanité tant qu’elle est gouvernée.
L’anarchiste voit plus haut. Il dit : « La seule autorité que je réclame est de moi-même sur moi-même ; le seul droit, celui de satisfaire librement mes besoins et de développer librement mes fonctions ; le seul devoir que je reconnaisse : ne pas faire à autrui ce que je ne voudrais pas qu’on me fit à moi-même. »
La première proposition intéresse l’individu ; la deuxième intéresse l’individu et l’espèce ; la troisième surtout l’espèce.
[2] Cette autorité de soi-même sur soi-même ne peut s’acquérir que par le développement intégral des fonctions intellectuelles. « Que l’homme fasse, qu’il dise ce qui vient strictement de lui, et quelque ignorant qu’il puisse être, ce ne sera pas sa nature qui lui [3] apportera des doutes et des obstructions ».
Quelles causes entravent donc la libre manifestation de la nature humaine ? Celles qui proviennent du milieu et celles qui proviennent de l’hérédité. Mais combien l’homme est magnifiquement armé, s’il le veut, contre ces deux fatalités ! Le milieu social tente de lui imposer, outre les mille barrières que comportent les lois et les préjugés, une éducation et une foi ? Il a pour les combattre sa raison. La raison libérée lui apprendra ce qu’il doit prendre et ce qu’il doit laisser de l’éducation reçue ; elle lui dira : « Tu accepteras les idées,rien que les idéesqui sont conformes à ta nature. Mais si, par exemple, toi poète, on voulut te transmuer en mathématicien, tu rejetteras la chape de plomb où l’on prétendait t’enclore et tu feras des vers. Nulle considération ne doit t’empêcher d’accomplir ce que te dicte la nature − sinon tu serais un faible, un médiocre qui ne sait se servir de sa raison. Pire que l’éducation, la foi cherche à te dérober une part de ta personnalité sous couleur d’obéissance à un principe supérieur et invisible que rien ne te démontre existant, que le témoignage de tes sens repousse ? Tu ne croiras qu’en toi-même car l’homme fort est celui qui a l’orgueil de soi-même, qui respecte assez ses fonctions pour ne pas les soumettre aux rêveries des vieux âges.
Ils diront que tu es un démon, mais ton enfer vaut mieux que leur ciel. Et si l’on s’efforce, au nom de l’éducation ou de la foi, de t’incorporer à une caste, tu sauras que l’homme libre ne doit regarder, pour se conduire, ni au-dessus ni au-dessous de lui, mais droit devant lui ».
Quant aux lois de l’hérédité dont certains à prétentions scientifiques voudraient s’autoriser pour des répressions, elles sont obscures et tellement enchevêtrées aux autres lois naturelles qu’il est difficile de déterminer leur rôle exact dans la formation d’un caractère. Tels penchants que l’hérédité légua peuvent se modifier selon les circonstances : un vice n’est jamais que l’envers d’une vertu ou plutôt il n’y a ni vice ni vertu, il y a des fonctions qui demandent leur appropriation et qui la trouvent ou ne la trouvent pas dans un milieu favorable ou défavorable à leur développement.
La raison cultivée, libérée des éducations et des croyances, apprendra encore à l’homme comment il peut approprier ses fonctions à sa nature. Pour cela il sied qu’il se connaisse soi-même. Lorsque l’homme aura fait la conquête de soi-même, lorsqu’il aura délivré
son esprit des chaînes que lui imposèrent des siècles de servitude et de foi, lorsqu’il aura la pleine conscience de sa nature, il deviendra un anarchiste parce qu’il sera un volontaire…
La volonté ! c’est là que réside le secret de cette liberté intérieure qu’il doit acquérir : la volonté, la plus haute des fonctions humaines car elle est la résultante de tous les besoins et de toutes les fonctions, l’intégrale volonté, domaine de l’évolution future telle que nous, libertaires d’aujourd’hui, nous pouvons la pressentir, la volonté grâce à qui l’homme sera enfin un dieu… Ce droit au libre épanouissement de la personnalité réclamé par l’Anarchie peut-il trouver sa satisfaction dans les conditions sociales que nous sommes obligés de supporter ? Assurément non. Aujourd’hui, lu société tout entière est basée sur la hiérarchie. Directement ou indirectement, tout producteur subit l’autorité d’un ou de plusieurs exploiteurs au profit de qui se dépensent son intelligence et son énergie. Profiter du travail d’autrui en travaillant soi-même le moins possible ou en ne travaillant pas du tout, telle est la règle de l’exploiteur − accaparer tous les biens de la terre afin d’entretenir son luxe et son oisiveté, tel est son but. Et cette doctrine exécrable n’a que trop prospéré puisque quelques-uns ont réussi, grâce au dogme d’autorité inculqué aux exploités, à détourner, en vue de leur seule jouissance, le patrimoine commun. Les résultats ne se sont pas fait attendre. D’une part, les possédants se sont engourdis dans la fainéantise et dans la mollesse ; leurs facultés n’étant plus exercées se sont atrophiées ; on a vu éclore chez eux les perversions les plus anti-naturelles, les maladies morales les plus monstrueuses − ce sont des dégénérés. D’autre part, les non-possédants obligés de produire sans bénéficier intégralement de leur labeur, obligés de dépenser leur activité dans un sens différent de celui que leur assignait leurs propres besoins, lésés dans leur nature, volés, trahis, dupés, affamés, vendus, endormis au nom de la foi et de la loi, n’ont pu se hausser à la pleine conscience de leur être − ce sont des incomplets. L’Anarchie apporte le remède. Elle dit : « Tout est à tous. Que chacun produise selon ses forces et jouisse selon sesbesoins ; que nul ne s’arroge le droit d’accumuler plus qu’il ne peut consommer : l’équilibre s’établira, et il s’établiranaturellementcar la terre suffit largement non seulement à nourrir toute l’humanité, mais encore à satisfaire toutes ses aspirations morales et intellectuelles. » Et les moyens ? dira-t-on. − Ils sont de deux sortes. D’abord que l’homme comprenne la lutte pour la vie dans son vrai sens qui est celui-ci : chez beaucoup d’espèces faites pour vivre en société, comme l’espèce humaine, un instinct essentiel porte l’unanimité des individus à réagir contre les lois naturelles défavorables, à s’adapter aux lois naturelles favorables. L’intérêt de chaque individu est partie constituante de l’intérêt commun ; chaque individu luttant normalement pour la vie lutte pour toute l’espèce et toute l’espèce lutte pour chaque individu. − Darwin n’a jamais dit autre chose. Et c’est grâce à une scélérate interprétation de l’observation qu’il formula que nous assistons à ce conflit de cannibales dénommé civilisation par les bénéficiaires de notre état social. En pratique, il est évident qu’il est nécessaire de rendre à tous ce qui appartient à tous, soit : abolir la propriété et son corollaire l’autorité. Le jour où nous aurons la libre jouissance des biens communs, chacun pourra développer intégralement sa personnalité, chacun agira pour agir, et l’homme sera pareil à un arbre vigoureux, prenant à la terre tous les sucs qui lui sont nécessaires, imprégné de la bonne sève de vie, donnant sans compter des feuilles innombrables, des fleurs parfumées et des fruits savoureux − tel que la nature veut qu’il soit. Mais pour cela, il faut la révolution sociale − par l’Anarchie. Ne pas faire à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fit à vous-même : ceci est encore un prétexte de sauvegarde individuelle. En effet : toute action détermine une réaction. Que tous agissent dans le même sens contre l’ambiance hostile − ainsi que le demande l’intérêt de chacun − la réaction de l’ambiance sera fortement atténuée ou même annihilée par la résistance de tous à ses effets néfastes. Si, au lieu de porter mon effort dans ce sens, je le porte contre mon voisin, je détermine une réaction de mon voisin contre moi; il souffre par moi et je souffre par lui, car ayant agi à l’encontre de sa liberté individuelle, il est mathématique qu’il réagira à l’encontre de la mienne. Or, quel est le bien suprême que je respecte par-dessus tout en moi ? La liberté, c’est-à-dire l’intégrale expansion de mon individu. Je ne puis donc, en bonne logique, attenter à l’expansion de mon voisin sans me blesser moi-[4] même. Par suite, ce que je respecte en moi, je le respecterai en autrui. Il n’y a pas d’autre solidarité possible.
CONCLUSION
En résumé : l’Anarchie demande aux hommes, à tous les hommes qu’ils prennent conscience d’eux-mêmes − à cette fin elle sollicite ceci : qu’au lieu de se laisser mener par des appétits ou des sentiments à l’exclusion des idées, ils apprennent, par leur propre raison, à se servir de la volonté, synthèse de toutes les fonctions. L’Anarchie combat toutes institutions, toutes lois, toutes religions qui entraveraient l’intégral épanouissement de l’individu − à cette fin elle détruit les concepts assortis de propriété et d’autorité. L’Anarchie établit la solidarité − à cette fin elle démontre qu’il sied que chacun se développe sans nuire au développement d’autrui. Par ainsi, tout ordre légal étant aboli, l’Anarchie établit l’harmonie. Nous pouvons donc la définir maintenant : la libre action de chaque individu, spontanément déterminée par la conscience de ses besoins, régie par sa volonté raisonnée, limitée par son propre intérêt, partie intégrante de l’intérêt commun − pour le plus grand bien de l’espèce. Contre cette doctrine de raison et de beauté, la société actuelle, cette gueuse des tombeaux qui se cramponne au cadavre de ses institutions plutôt que de regarder l’avenir en face, n’a pas assez de haine, d’imprécations et d’iniquités. Contre la vie, elle hurle à la mort comme une chiennealeuse… Ils ont des lois, des robins et desolices ; ils ont des banes, desuillotines et desotences ;
ils ont des gouvernants, des patries et des armées ; ils ont les propriétaires ; ils ont l’Église... Nous avons avec nous la Justice et la Vérité − nous vaincrons. PROMENADES SUBVERSIVES
La magistrature est le trait d’union entre la féodalité bourgeoise et sonultima ratio: la guillotine.
Idées en faveur chez les Bourgeois : quintessences frelatées deconsensus omnium.
Ce que les Bourgeois appellent la Morale, c’est le droit à l’hypocrisie.
Quand les Maîtres commencent à s’apitoyer sur leurs esclaves, ils sont perdus. − Quand les Bourgeois parlementaires votent des lois de « protection pour les ouvriers », c’est qu’ils ont peur.
Voir les choses sous leur vrai jour ; dire, par exemple, que les soldats sont des assassins à gages inconscients c’est, suivant les Bourgeois, « saper les bases de la Société. » On vous met en prison pour cela.
Lu ce règlement affiché au mur des cellules de Mazas : « Défense de siffler et de chantermême à voix basse. » La prison est une cage où l’on défend aux oiseaux de chanter.
« Vous avez le droit de vous mettre en grève » disent les Bourgeois aux ouvriers. « Très bien, répondent les ouvriers des manufactures de l’Etat, comme nous crevons un peu de faim, nous allons nous mettre en grève. » − Pardon, reprennent les Bourgeois, vous autres vous n’êtes plus des ouvriers, vous êtes des fonctionnaires. Nous allons faire une loi qui vous interdise la grève au nom de la liberté des gens qui veulent circuler sur le chemin de fer, acheter des allumettes ou des armes à feu ou du tabac. » − « Mais alors, nous, nous ne sommes plus libres ? » disent les ouvriers. « Vous êtes libres de vous en aller si nos règlements ne vous conviennent pas. » − « Et manger? » objectent les ouvriers. « Cela ne nous regarde pas » répondent les Bourgeois.
Des ouvriers se mettent en grève. Le fils de leur patron leur tire un coup de fusil chargé avec du gros plomb et en blesse cinq. Coût 100 fr. d’amende avec application de la loi Bérenger. − (Affaire récente à Avesnes). Deux employés des omnibus engagent leurs camarades à résister à la Compagnie. Coût six et huit mois de prison, sans loi Bérenger. Les Bourgeois trouvent cela fort judicieux.
Un Simple tue l’homme qui symbolise là Bourgeoisie et cette bizarre mécanique qu’elle intitule en son patois : le jeu régulier des institutions parlementaires. Il a frappé au nom d’une Idée, qu’il comprenait plus ou moins bien − on le guillotine. Un Homicide professionnel massacre beaucoup de nègres au nom de la civilisation. On lui plante sur la tête un bouquet de plumes blanches et on lui attache sur la poitrine une amulette en émail. Et les patriotes de la tribu dansent autour dutotem. Dialogue entendu au moment de la mort d’Alexandre III. − L’un disait « À cause de la décomposition récente d’une charogne illustre, les gens ont arboré à leurs fenêtres des morceaux d’étoffe peints crûment en trois couleurs ; puis il les ont roulés autour d’un bâton surmonté d’une losange de cuivre et d’une petite loque de crêpe noir… C’est curieux. » L’autre répondit : « Ce sont lestotemsde deuil. La tribu pleure le Grand-Sauvage des Kalmoucks. »
Les socialistes parlementaires disent : « letotemen trois couleurs ne vaut rien. Voici untotemrouge qui est bien plus beau. Aidez-nous à « faire la conquête des pouvoirs publics », nous vous le donnerons. »
Les Anarchistes disent : « Tas de sauvages, combien de temps encore vous laisserez-vous leurrer avec des morceaux d’étoffe bariolés ? »
Le fils d’un gros industriel millionnaire met en vente une propriété. « Sans doute, lui dit quelqu’un, vous avez beaucoup travaillé pour acquérir cette propriété ? » L’autre répond : « C’est mon père qui me l’a léguée. Moi je ne travaille pas. » Et les assistants l’envient. Entendant cela, le fils d’un voleur met en vente de l’argenterie prise par son père au gros industriel. Le fils du millionnaire la voit et s’écrie : « Ceci est à moi, d’où le tenez-vous ? » Et le fils du voleur répond : « C’est mon père qui me l’a léguée. » Les assistants le mènent chez le commissaire.
Quand les Sauvages d’Afrique ont remporté une victoire, ils se réjouissent. S’ils sont vaincus, ils se tapissent dans leurs cases et pleurent. Quand les Sauvages d’Europe ont subi une défaite, ils élèvent des monuments à leurs morts, et ils viennent périodiquement y suspendre des couronnes. Ils s’écrient : « Gloire au vaincu ! » et ils boivent de l’alcool. On appelle cela :une pieuse cérémonie patriotique.
Du moment que les Bourgeois admettent qu’il est des cas où l’on a le droit et même le devoir de tuer son prochain, ils reconnaissent implicitement qu’on a le droit de les tuer eux-mêmes.
Traductions d’aphorismes bourgeois.Obéir à la loi= se soumettre au bon plaisir d’autrui.Faire des affaires= voler autrui.Aimer sa Patrie= détester quiconque s’habille autrement que vous et parle une autre langue.Avoir des espérances= désirer la mort de ses proches.Un gouvernement fort= une bande d’aigrefins à poigne.Attendre tout de réformes progressives et modérées= ayant soif, verser de l’eau dans un tamis et attendre qu’elle y séjourne pour se désaltérer.Question sociale =mauvaise conscience des Bourgeois.C’est un original =c’est un homme qui pense par lui-même.C’est un fouc’est un homme qui raisonne juste. =Les ouvriers sont des fainéants qui deviennent importuns= les esclaves sont las d’avoir faim.M. Untel a eu, dit-on, quelques démêlées jadis avec la justice, mais il est très riche et reçoit fort bien= C’est un filou qui a réussi ; tâchons de l’imiter.Certains individus= les Anarchistes.La Justice= l’Iniquité.
Les journaux — parangons d’honnêteté et de bonne foi comme on sait — se sont tous fort indignés contre les gens du Panama — et auparavant ils ont tous publié, moyennant finances, les réclames de cette association de malfaiteurs bien rentés.
Quand un quotidien vante quelque chose ou quelqu’un avec insistance, prenez le contre-pied de ses assertions, vous serez à peu près sûr d’être dans le vrai.
Journal complètement indépendant signifie : consciences à vendre.
Où en est une race quand elle se glorifie de posséder des engins de destructions de plus en plus perfectionnés ?
Lors de l’affaire Turpin, cet état d’esprit se vérifia ! « Turpin veut donner sa mitrailleuse auxAllemands ! — Le misérable !… Turpin nous donne sa mitrailleuse ! — Le grand homme ! »
Les anarchistes disent : « Tas d’insensés, quand cesserez-vous de vous massacrer les uns les autres. »
C’est parce que les hommes ont peur d’eux-mêmes que la Propriété individuelle peut se maintenir avec son symbole l’Autorité. Celui qui a conscience de soi-même, qui n’a pas peur de raisonnervoitl’ordure de l’une et de l’autre.
Quiconque vote se reconnaît incapable de se conduire soi-même. Quiconque obéit, sans répugnance, aux gouvernants qu’il se donna, ressemble à un mouton qui viendrait s’offrir bénévolement au couteau du boucher.
Se résigner, par abnégation, c’est pire encore. Cela ravale l’homme au rang de fakir ou de bétail ahuri. Le comble de l’art gouvernemental consiste à inculquer cette résignation au nom d’un Bon Dieu. De là, l’utilité des prêtres.
Les habitudes métaphysiques ont amené à faire du termeSociétéentité antagonique à l’individu. Quiconque veut diriger, une gouverner, régir, invoque le salut de la Société pour empêcher la libre expansion des individus — comme si chacun ne pouvait trouver en soi ce qui convient le mieux à son développement. Grâce au dogme Société, les individus ont tellement pris le pli d’obéir qu’ils se laisseraient toujours dépouiller par les Habiles qui leur vantent « l’intérêt général » si des Révoltés ne se levaient pour leur apprendre ceci : « Rien ne doit prévaloir contre la liberté individuelle. »
Que nul ne soit contraint, fut-ce au nom de la majorité, que nul ne contraigne, fut-ce au nom de sa science — voilà la liberté selon la raison.
On dit : « Mais la plupart des hommes ne savent pas raisonner. » Laissez-les libres, ne leur imposezrien, ils apprendront à raisonner par leur propre expérience. Aujourd’hui, il n’en va pas ainsi. — Au collège, qui est mal noté ? leRaisonneur. Au régiment, de même. Dans les administrations, aussi — et partout, dans la vie telle qu’elle nous est faite. C’est parce que le Raisonneur estcelui qui veut se rendre compte. Cette qualité lui vaut les tracasseries d’autrui — et sa propre satisfaction.
Le sentiment de justice c’est l’instinct de sauvegarde individuelle élargi : si je moleste mon voisin, je lui donne un prétexte de me molester à son tour. Il y entre aussi une part d’esthétique : la souffrance est laide. Si mon voisin souffre, cela me déplaît, cela me donne l’impression d’un manque d’harmonie. Ne pas tolérer qu’il ait faim alors que je suis rassasié, ne pas admettre qu’il soit esclave alors que je suis libre, c’est me faire plaisir à moi-même.
On parle toujours des paresseux. Il n’y a de paresseux que dans une société où le bien commun est mal réparti, les uns possédant tout sans avoir travaillé, les autres, rien bien qu’ils travaillent sans cesse, il en résulte que le travail est considéré comme une souffrance par ceux-ci, comme une dégradation par ceux-là. Mais laissez le bien commun à la disposition de tous, vous verrez les individus travailler avec plaisir à augmenter leur bien-être et laisser le surplus de ce qu’ils auront produit à autrui dès que leurs besoins seront satisfaits.
Le travail c’est l’action. Or, l’homme ne se porte bien que lorsqu’il agit. — Et quand il agit, il est heureux.
Rien de plus curieux que les revirements de cette caste bourgeoise : la gent-de-lettres. Naguère, comme il était bien porté de se donner des allures subversives, beaucoup de la jeune littérature prônaient volontiers l’anarchisme, réclamaient la Révolution. Bientôt, à cause de certains incidents bruyants — et justifiés, cette ferveur tomba. Il devenait impolitique d’afficher de telles explosives opinions. Alors la plus grande prudence remplaça cette mode de se dire révolté. Les plus adroits insinuèrent « qu’on allait trop loin », que « l’aristocratie de la pensée ne pouvait admettre aucune alliance avec les grossières revendications d’un imbécile prolétariat », que « l’anarchie, bonne en tant que prétexte à dilettantisme, ne valait rien en application », que « les intellectuels se devaient de vivre dans le monde supérieur de l’art »…
Pauvres « intellectuels », que ferez-vous donc le jour où la Révolution éclaterapour de bon ?
Les poltrons, eux, déclarèrent que leur humanité souffrait trop de ces abominables désordres. Ils tirèrent leur épingle du jeu et se tinrent cois jurant qu’on ne les reprendrait plus à plaindre les Pauvres. Il y eut aussi ceux qui se targuèrent de leurs efforts antérieurs pour ne plus bouger.
Cependant les sincères, minorité infime, ne variaient pas et combattaient de plus belle pour l’Idée qui les avait conquis. — Aussi furent-ils traités de fous, de naïfs ou, mieux encore, de malins qui cherchaient à se distinguer, à « ne pas dire comme tout le monde » afin de conférer à leurs écrits un cachet de singularité.
Belle folie qui consiste à rester honnête vis-à-vis de soi-même. Louable naïveté qui, ayant adopté un idéal, ne le tient pas pour un sujet de dialectique mais bien pour une règle d’existence. Et puis ces étranges Malins ne récoltent que des injures, des calomnies, les tracasseries policières, la haine et le dédain des vieilles prostituées qui font du sentiment et se pavanent en vedette sous la lanterne à gros numéro des feuilles publiques, le mauvais-vouloir des chers confrères — et aussi l’estime des esprits courageux. Tels quels, ils sont tranquilles et confiants dans la justice de l’avenir.
Il y a quelque chose de plus étonnant que l’hypocrisie des bourgeois, c’est la résignation des pauvres. On dirait que ceux-ci goûtent de profondes jouissances à se laisser piler et piller… Pourtant, ne pas trop s’y fier. Sous le nuage qui les couvre, on commence à entendre de sourds grondements. L’orage approche.
Rien désormais ne peut empêcher la révolution sociale d’éclater. Aveugle qui ne la voit pas venir.
Une des causes les plus déterminantes de la révolution, ce sera le machinisme. Nous assistons en effet à ce singulier phénomène : la machine produisant davantage et en moins de temps que le travail manuel devrait être un moyen de développer le bien-être général. Or, grâce au régime de propriété individuelle, il en va tout autrement. A mesure qu’une nouvelle machine est inventée qui
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