Dans La Peau d'un Prof 5

Kohlan

Description

Souvenirs d'une carrière de prof suite

Informations

• Publié par: Mullan
• Publié le: 13 août 2011
• Nombre de lectures: 317
• Langue: Français

Extrait

Novembre 1981

5. Premier voyage

Lemondeest unlivre, et ceux qui nevoyagentpas n'enlisentqu'une page.

Saint Augustin

Ma valise est prête. Je pars aujourd’hui pour la première fois avec un groupe d’élèves en tant que professeur. Mon collègue de Néerlandais, Gérard, m’a demandé de l’accompagner dans levoyage annuel qu’il a l’habitude d’organiser pour les élèves qui suivent le cours de néerlandais. Ces voyages donnent aux élèves l’occasion de pratiquer la langue étudiée. Ilsdécouvrent enfin le pays dans laquelle cette langue est parlée. Persuadée que ces séjours sont pour tous une expérience humaineenrichissante, je suis enthousiaste à l’idée de partager ces moments avec le groupe.

Je sais que Gérard est assez discret . Il ne fréquente pas souvent le studio des professeurs mais il a acquis une certaine notoriété au sein du corps professoral.  D’âgemoyen, il en impose aux élèves et aux professeurs non seulement par sa grande taille et ses yeux très foncés mais aussi par sa personnalité. Très sur de lui, ilest reconnu comme un professeur

ayant de l’expérience. Certainsle décrivent comme mégalomane, certains le craignent, d’autres l’admirent. Je suis contente de partir avec lui car je suis convaincue que je pourrai profiter de son expérience.

Le car nous attend devant l’école. Il est 6 heures du matin mais tout le monde est à l’heure, heureux de partir trois jours aux Pays Bas. Gérard, fort de son expérience a déjà compté tous les élèves et salué les parents quiattendent notre départ sur le trottoir.Le chauffeur nous a aidés à ranger les valises et les sacs dans la soute à bagages. Je m’assois à l’avant ducar, prête pour cette première expérience. Gérard prend le micro et j’admire la facilité avec laquelle il donne les premières informations aux élèves. Il rappelle le programme de la journée et quelques consignes de discipline. Il s’assoit,se retourne vers moi et me prévient : - Ah! Oui! Je veux que tu saches que lors des voyages scolaires je préfère me promener seul pendant les temps libres! J’aibesoin de calme et derepos entre les activités. Donc, ne sois pas étonnée, si je te laisse seule . ET moi qui pensais qu’on allait faire bonne équipe pendant ces trois jours !Intimidée parla personnalité de mon collègue, je lui souris et m’installe dans mon fauteuil. En regardant le paysage défiler, je regrette mon manque d’expérience et me demande comment ce voyage va se dérouler. Premier arrêt: visite de la charmante ville de Delft. Gérard a tout bien organisé et le timing est précis. Nous allons visiter la Vieille Egliseoù se trouve la tombe du peintreJohannes Vermeer, LaNouvelle Egliseet lemausolée duprince d'OrangeGuillaume le Taciturne. Nous aurons du temps libre sur la place, flanquée del'hôtel de ville bâtiment remarquable destyle Renaissance.

A la descente du car, mon collègue se retourne vers moi et me précise avant de filer : - Je vais à l’avance pour organiser les visites. Pourrais-tu faire en sorte que tout le groupe soit à l’heure aux rendez vous ? Je comprends alors que mon rôle pendant le voyage va se limiter à faire avancer le groupe et àveiller à ce que les élèves respectent ses consignes. Je commence à regretter d’avoir accepter d’accompagner Gérard dans son voyage. Heureusement, les élèves sont assez disciplinés et à part quelques ferventes du shopping, je n’ai pas trop de difficultés à les amener aux différents points de rencontre. Le temps libre de midi me semble durer une éternité : je ne veux pas m’ « imposer » aux élèves qui profitent de ce moment pour se défouler entre eux et je me sens seule dans la petite ville de Delft. Je déambule le long des canaux et prends quelques photos.Je n’ai pas envie d’entrer seule dans un restaurant et je me demande où a disparu mon collègue. Les activités suivantessont très bien programmées: visites de Den Haag, Scheveningen, Alkmaar …Un groupe d’élèves afinalement remarqué ma solitude et me propose de me promeneravec eux. J’accepte leur gentille invitation tout en veillant à ne pas devenir trop intimes. La situation est délicate: on a à peu près le même âge et je suis leur professeur. Si jele pouvais,je me ferais amie avec Julie. Ayant recommencé ses études, elle n’a qu’un an de moins que moi. Elle est très agréableet attentive à ce que je ne reste pas seule. Nous avons les mêmes centres d’intérêt.Nous bavardons ensemble.

Le programmeprévoit quelques heures dans une discothèque hollandaise ledeuxième soir.L’ambiance y est bonne et nous passons un bon moment , professeurs et élèves. C’est l’occasion pour les jeunes de faire des connaissances et de parler en néerlandais. Je me détends et fais quelques pas de dance sur la piste. Je me fais même draguer en néerlandais, ce qui amuse les élèves. Le jeune homme ne veut pas croire que je suis un des deux professeurs qui accompagnent le groupe. - Que venez-vous faire ici ?

- J’accompagne un groupe scolaire en voyage. - Je ne vous crois pas ! Vous êtes trop jeune pour être professeur ! -Je n’ai pas mon diplôme depuis longtemps mais je suis bien professeur de néerlandais. - C’est une blague ! - Mais non, c’est notre prof ! - EH ! Il ne veut pas croire que Madame est notre professeur ! Les élèves s’amusent de ce qui pro quo. Je ris avec eux.

Gérard participe à la soirée et semble bien s’amuser aussi jusqu’au moment où il me dit : -Il est onze heures. Je dois me reposer pour être en forme demain. Je vais aller me coucher. Je compte sur toi pour ramener les élèves à l’auberge pour minuit. Quand minuit sonne, je me sens obligée de respecter les consignes que m’a données mon collègue plus âgé et expérimenté que moi. La tâche ne s’avère pas facile: si certains élèves acceptent docilement de me suivre, d’autres sont plus difficiles à convaincre. - Minuit! C’est trop tôt! On s’amuse bien! On ne veut pas rentrer tout de suite ! - C’est un voyage scolaire! C’est déjà bien que nous ayons passé quelques heures dans une disco ! - Madame ! On reste encore un peu ! - Ce n’est pas possible. Demain on se lève à 7heures pour la suite du voyage ! Allez venez ! - Non ! On a rencontré un groupe de Hollandais ! On n’a pas envie de partir ! - Bon ! Ca suffit maintenant, vous me suivez ! - Allez! Madame ! - Celui qui ne vient pas avec moi maintenant ne participera pas à l’activité demain soir !On y va ! Je me dis que ce n’est pas toujours facile de faire obéir un groupe d’ados et je suis soulagée quand je les vois se lever pour me suivre. Je pousse undeuxième soupir de soulagement quand la porte se referme derrière tous les élèves, laissant dans la rue le groupe de jeunes hollandais qui avaient décidé de nous suivre bruyamment. Vraiment, ce voyagene me laissera pas que des bons souvenirs !

Le lendemain, nous embarquons avec le car sur un ferryvers l’île de Texel. Gérard a prévu une ballade en vélo sur la charmante petite île. Gérard a de bonnes idées mais il a oublié que tout le monde ne sait pas rouler en vélo ! Trois élèves demandent pour ne pas participer à cette activité : elles ne sont pas à l’aise sur un véloet proposent de nous attendre près du car. Gérard ne veut rien entendre. Toujours impressionnée par la forte personnalité de mon collègue plus âgé, je n’ai pas assez d’aplomb pour lui dire qu’il est borné et que je ne suis pas d’accord avec lui. Et je me retrouve à la fin d’un groupe de cyclistes, encourageant les trois pauvres filles à pédaler du mieux qu’elles peuvent. Gérard a pris la tête du peloton et a disparu depuis longtemps. Heureusement, je dispose d’une carteet je sais où se trouve le premier arrêt. Nous arrivons tant bien que mal au petit pavillon près de la plage, contentes de pouvoir nous reposer un peu. Je n’ai pas le temps de mettre un pied à terre queGérard enfourche sa bicyclette et reprend la route sans me donner l’occasion de réagir. Il nous aprobablement attendues suffisamment longtemps et on risquerait dedépasser le timing prévu pour l’activité. - Enfin ! Les voilà ! On y va ! Tout le monde sur son vélo ! J’ai envie de l’étrangler ! Mais je dois me contenir devant les élèves et nous voilà repartis à la file indienne. Un peu plus tard, Michèle, à bout de forces, titube sur son vélo et tombe sur … moi ! Je me rends compte que mon bras me fait souffrir mais nous parvenons finalement à rejoindre le car. Quand Gérardapprend la mauvaise nouvelle, il me propose de me conduire chez un médecin qui diagnostique un coude fêlé. Je dois porter mon coude en écharpe. Heureusement, Julie m’aide quand c’est nécessaire et Gérard me propose gentiment de prendre les repas ensemble.

La dernière journée à Amsterdam se passe bien.Nous visitons la maison d’Anne Frank et le musée Van Gogh. Après un agréable tour en bateau sur les canaux, nous nous promenons dans la ville et découvrons le béguinage.

Nous rentrons tard le soir. A ma grande surprise, Gérard me remetun livre sur le peintreRembrandt, signé par tous les participantsen souvenir du voyage.Cette attention me fait chaud au cœur et je me dis que, finalement, je ne garderai pas un simauvais souvenir de cette expérience. Je me promets simplementde faire attention plus tardà mieux impliquer mes jeunes collègues dans les activités que nous ferons ensemble.