Guy de Maupassant
L’Angelus
I
La pendule sonna six heures et la comtesse de Brémontal, quittant des yeux le livre
qu’elle lisait, les leva vers le cadran d’un beau cartel Louis XVI accroché sur le mur ;
puis, d’un lent regard, elle parcourut son grand salon, sombre malgré les autres
lampes, deux sur la table, où beaucoup de livres traînaient, et deux sur la cheminée.
Un feu de bûches, flambant dans l’âtre, un feu de campagne, un feu de château,
jetait aussi une lueur à éclats sur les murs, éclairant des tapisseries à personnages,
des cadres dores, des portraits de famille et les hauts rideaux, d’un rouge foncé,
qui voilaient et drapaient les fenêtres. Malgré toutes ces lumières, la vaste pièce
était triste, un peu froide, pénétrée par l’hiver. On sentait du dehors l’âpre rigueur de
l’air et le souffle du vent, glacé par le tapis de neige étendu sur la terre, qui faisait
craquer les arbres du parc. La comtesse se leva ; de sa démarche un peu lente, un
peu traînante de jeune femme enceinte, elle vint s’asseoir devant le foyer et tendit
ses pieds à la flamme. Les bûches embrasées lui jetèrent à la face l’émanation de
leur vive chaleur, une sorte de caresse brûlante et même un peu brutale, tandis
qu’elle sentait en même temps son dos, ses épaules et sa nuque tressaillir encore
sous le frisson de l’atmosphère de mort, dont cet hiver terrible enveloppait la
France. Cette sensation du froid glissait partout en elle, entrée dans son âme autant
que dans son corps, et à cette ...
Voir