L envol
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L’Envol Copyright © 2006 Emmanuelle Boudaliez

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Publié par
Publié le 06 octobre 2011
Nombre de lectures 196
Langue Français

Extrait

L’Envol Copyright© 2006 Emmanuelle Boudaliez, Cette cr´eation est mise `a disposition selon le Contrat Paternit´e-NonCommercial-NoDerivs 2.0 France dis- ponibleenlignehttp://creativecommons.org/licenses/ by-nc-nd/2.0/fr/ ou par courrier postal a` Creative Commons, 559 Nathan Ab- bott Way, Stanford, California 94305, USA. ´Edition du 31 d´ecembre 2007 (www.shantighar.org) L’exemple d’une vie moralement sup´erieure est invincible. Einstein Chapitre 1 – Capitaine! La voix d’Isma¨el Raynes, second `a bord du Lady Helena, long-courrier bri- tannique,´etait pressante. Wilfrid Harrison qui fumait la pipe sur la dunette en regardant les cotˆ es de France s’estomper dans le lointain, grommela d’un ton rogue : – Qu’y a-t-il, monsieur Raynes? Vous ne pourriez pas vous d´eplacer pour me parler au lieu de crier ainsi? – D´esol´e, capitaine, r´epliqua Raynes dont l’accent chantant trahissait les origines galloises. Mais il est indispensable que vous veniez! Bon gr´e, mal gr´e, le capitaine se r´esigna a` obtemp´erer. Lentement, majes- tueusement, pour bien montrer que cette acceptation a` r´epondre a` cet appel ´etait un effet de sa tr`es grande magnanimit´e, il descendit sur le pont prin- cipal, d´erogeant ainsi aux usages. Les marins qui n’´etaient pas de service et mˆeme ceux qui auraient duˆ ob´eir aux injonctions du lieutenant ou du second se trouvaient r´eunis autour d’une des chaloupes. En fait, seul le timonier sem- blait exclu de l’attroupement. Le groupe se fendit pour laisser passer l’auguste maˆıtre des lieux. – Alors quoi? – Regardez dans la chaloupe, capitaine. WilfridHarrisonn’yjetaqu’uncoupd’oeilavantdedarderunregardglacial sur l’ensemble de l’´equipage. –Quiestl’auteurdecetteplaisanterieinadmissible?demanda-t-il`alaronde d’une voix a` peine plus r´econfortante que son regard. Raynes, imperturbable devant la mont´ee de la col`ere de son chef – `a la diff´erence des marins qui baissaient peureusement les yeux – r´epondit sans s’´emouvoir : – Nous craignons qu’il ne s’agisse pas d’une plaisanterie, capitaine. Ou, si tel ´etait le cas, son auteur est rest´e en France. – Tant mieux pour lui! aboya Harrison. Je lui aurais fait savoir ce que je pense d’une telle attitude. Cette menace devait ˆetre redoutable car les marins, sans se concerter, se dirent qu’il ´etait plus sage de s’´eloigner d’un volcan qui ne manquerait pas d’exploser. Dans un mouvement d’ensemble prouvant une longue habitude de ce genre de prudentes retraites, ils reprirent leurs occupations avec un z`ele hypocrite, destin´e avant tout a` ´eviter des repr´esailles. Le second qui n’avait pas ´et´e dupe de la manoeuvre des hommes resta seul avec le capitaine dont la fureur croissait de seconde en seconde tandis qu’il consid´erait, recroquevill´e dans la chaloupe, un tout petit gar¸con, ˆag´e de quatre ou cinq ans. 3 4 L’Envol – C’est inadmissible! fulminait Wilfrid Harrison. Que fait ce gosse ici? Qui l’y a mis? Que vais-je en faire? – Pour le moment, le rassurer, r´epondit Raynes avec bon sens. Le pauvre petit a l’air terroris´e. – Je m’en moque. Ce n’est pas mon affaire! Jetez-le par-dessus bord! L’imminence du danger eut raison du calme de Raynes : – Capitaine! Vous ne pensez pas ce que vous dites! – Si, mon cher, je le pense! Ce sera un bon d´ebarras pour nous tous! Le petit gar¸con ´ecoutait cet ´echange. Dans les yeux d’un bleu presque mauve, la peur et l’orgueil livraient un impitoyable combat. Comment ne pas ˆetre rempli de compassion devant cette infinie d´etresse qui refusait pour- tant l’humiliation des larmes? Comment songer a` se d´efaire de l’encombrant probl`eme comme un vulgaire sac de bl´e? Raynes, sans se soucier de l’opinion de son chef, sourit `a l’enfant avant de le prendre dans ses bras. Sa douceur ´etait si naturelle, si chaleureuse, son expres- sionsibienveillantequelebambinparutserassurerunpeu,bienqu’ilnecessˆat de lancer des regards apeur´es vers le g´eant blond qui criait si m´echamment. – Ah! fit Harrison du ton du plus profond m´epris. Vous voil`a a` jouer les m`eres poules! Je ne vous connaissais pas sous ce jour! Vous avez l’air compl`etement ridicule, mon cher! Le second ne sembla pas se formaliser de l’insulte grossi`ere. Il caressait gentiment les cheveux boucl´es du petit gar¸con. –J’acceptelereproche,capitaine,dit-ilaveccetteinalt´erablebonnehumeur que lui enviaient les marins. Mais il me semble qu’il faut prendre une d´ecision quant a` cet enfant. Il y a peut-ˆetre un indice qui nous permettra de nous faire une id´ee de la situation. Wilfrid Harrison ´eructa quelques jurons avant d’ordonner au second de le suivre au carr´e. L’enfant, toujours cramponn´e au cou du marin, serrait les dents, sans rien perdre de ce qu’il passait ni laisser soupc¸onner qu’il compre- nait vraiment ce qui se passait. Il se d´ebattit comme un beau diable quand le capitaine chercha a` le fouiller et voulut lui retirer les vˆetements. – Laissez moi faire! dit Raynes, conscient que la brutalit´e allait aggraver une situation bien assez d´elicate. Ah, j’ai un papier! Tenez! Il tendit `a son sup´erieur une feuille chiffonn´ee, griffonn´ee a` la hˆate. Elle ´etait ´ecrite en anglais. Wilfrid Harrison la lut `a haute voix : «On m’a pay´e 1 000 livres pour supprimer cet enfant. Je n’ai pas le cœur de le faire. Vous qui l’avez d´ecouvert, prot´egez-le, cachez le myst`ere de son arriv´ee parmi vous. Ses ennemis sont tellement puissants et nombreux qu’un mot imprudent le ferait tuer, vous tue- rait et tuerait ses parents. Ne le laissez pas prendre dans l’engrenage du sang vengeur. Sauvez-le!» – Eh bien! poursuivit Harrison, moqueur, n’avais-je pas raison de vouloir m’en d´ebarrasser? Le visage de Raynes ne broncha pas, mais son corps entier se raidit dans une attitude de r´evolte passionn´ee. Cet homme ´etait un monstre. Il pouvait en effet jeter l’enfant a` la mer. Personne ne l’accuserait de meurtre afin de ne pas ´ebruiter sur la place publique une sombre affaire a` laquelle ils ´etaient tous ´etrangers mais dans laquelle ils risquaient aussi leur vie. Chapitre 1 5 Avec des gestes tr`es doux, le second serra contre lui ce petit ˆetre arrach´e a` sa famille et qui, innocent, payait pour les erreurs, le pouvoir, la richesse, les opinions politiques ou les crimes de ses parents. Le visage ´etait beau, avec des traits fins et r´eguliers. Les yeux d’un bleu mauve, tr`es l´eg`erement en amande, contrastaient avec les cheveux boucl´es d’un noirbrillantetlapeaud’unbrundor´e,encoreaccentu´eparlehale.ˆ Lem´etissage ´etait ´evident. L’expression, bien qu’obscurcie par la crainte, respirait la fiert´e, la noblesse et l’intelligence. L’enfant regardait d’ailleurs avec une grande attention ces deux hommes qui semblaient s’int´eresser `a lui et discuter son sort. Il ne perdait pas de vue aucun de leurs gestes, aucune de leurs mimiques, mais malgr´e cette ´etude si s´erieuse, rien ne permettait de dire qu’il comprenait les mots ´echang´es. – D’ou` peut-il bien venir? demanda Wilfrid Harrison a` haute voix. Tiens, je vois quelque chose qui brille. En effet, l’´eclat d’une chaˆıne en or, a` laquelle´etait suspendue une m´edaille, se faufilait entre les replis d’une fine chemise brod´ee. Pour´eviter que les doigts sans douceur du capitaine ne viennent l’arracher, Raynes la mit `a la vue de tous. Au recto, on voyait un remarquable travail d’orf`evrerie qui n’´evoquait rien pour les deux hommes. Les lignes enchevˆetr´ees avaient-elles un sens? Au verso, un nom : Emmanuel. Une date : 18 f´evrier 1860. Celle de la naissance ou du baptˆeme. On ´etait le 17 juillet 1863. On pouvait supposer que le petit garc¸on avait trois ans et demie, mˆeme s’il faisait plus que cet age.ˆ Emmanuel avait laiss´e les deux hommes tourner et retourner la m´edaille entre leurs mains sans manifester autre chose qu’une terreur renouvel´ee. Il ´ecouta avec la mˆeme ardeur inqui`ete la conversation qui suivit la d´ecouverte de son nom et de son ageˆ . – Ce doit ˆetre un juif. Avec un nom pareil. Et une peau aussi brune... – La conclusion me parait hˆative, capitaine, r´epondit Raynes avec bonsens. – C’est facile a` v´erifier. Wilfrid Harrison fut plus rapide que le second qui, pour prot´eger son pr´e- cieux fardeau n’osa pas r´esister. L’enfant, manipul´e sans ´egards pour ses sen- timents, se d´ebattit, outr´e de cet examen intime auquel cet inconnu n’avait aucun droit. Le capitaine ´etait le plus fort. Son jugement p´eremptoire ne tarda pas a` tomber. Non, le gar¸con n’´etait pas juif. Raynes sentit un cer- tain d´esappointement dans son ton, ce qui le fit fr´emir. La survie d’Emmanuel tenait-elle a` sa religion? – D’ou` viens-tu? aboya Wilfrid Harrison en fixant l’enfant avec ses terribles yeux bleus. Emmanuel,l’inspectiontermin´ee,s’´etaitrecroquevill´edanslesbrasdujeune second dont le premier souci ´etait de le rassurer. La question du capitaine le fit se rapetisser davantage. –Jedoutequ’ilconnaissel’anglais,objectaRaynesdesontonam`ene.Apr`es tout, il nous arrive de France. – Et vous savez le fran¸cais, vous? s’enquit le capitaine avec un m´epris insultant auquel le jeune homme opposa sa tranquillit´e d´esarmante. – Pas un mot. Je connais seulement le gallois! – C’est plus que moi! Allez donc chercher Hans. Hans,lecharpentier,´etaitbelgeetpolyglotte.Ilservaittoujoursd’interpr`ete au capitaine qui n’avait jamais consenti de prononcer un mot dans une langue 6 L’Envol ´etrang`ere. C’´etait un petit homme plus latin que nordique dans son apparence physique, mais d’un temp´erament taciturne. – D’ou` viens-tu, petiot? demanda-t-il a` Emmanuel d`es qu’il eutˆ compris ce que le capitaine attendait de lui. – Je m’appelle Emmanuel, rectifia aussitˆot l’enfant. Pas petiot. Pourquoi les autres ne parlent pas comme moi? Je comprends pas. Le monsieur l`a est m´echant. J’aime pas. Je veux papa et maman. Je veux pasˆetre ici. J’aime pas. Ram`ene-moi a` la maison! Ram`ene-moi chez papa et maman. Hans traduisit ce flot de paroles `a ses sup´erieurs, aussi surpris qu’eux par cette soudaine prolixit´e. Le regard bleu, vif, se
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