La Liqueur de myrte
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Description

Histoire de confinement, d'adolescent et d'amour. A la suite d'une catastrophe , une famille doit rester confinée dans un hameau isolé. La veille du cataclysme, François, le narrateur, et Laurence, un couple de lycéens amoureux avaient convenu de se retrouver le lendemain soir pour d'une soirée chez un copain. Mais il n'y a pas eu de lendemain. En tout cas pas celui attendu. Amour, découverte de soi, des autres, du sens qu'on peut donner à sa vie qui justifie l'espoir.

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Publié le 14 avril 2020
Nombre de lectures 14
Langue Français

Extrait

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LA LIQUEUR DE MYRTE (dernière correction avril 2020)
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Comme tous les vendredis, l'autocar scolaire s'est arrêté quelques instants sur le bord de la route. Le temps d'en descendre, d'échanger quelques signes, des cris, des sifflements, des baisers déposés sur le bout des doigts et soufflés vers les copines qui sourient ou qui font la grimace, des bras d'honneur, des gestes obscènes, d'ultimes regards qui supplient, des haussements d'épaules, des lèvres amoureuses
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qui s'écrasent sur la vitre, des clins d'yeux complices et qui promettent, des poings menaçants et des mentons qui défient. Comme tous les vendredis, le car de 17 heures a déversé son chargement de lassitude. Les sacs et les cœurs sont lourds, et le troupeau descendu prend, comme hébété, le chemin du bercail. Changement de vie. Le gros de la troupe a continué à marcher le long de la route et s'est dirigé vers le village, pour d'autres séparations, d'autres saluts, et ainsi de suite à mesure des embranchements, jusqu'à son éparpillement complet où chacun redevient le fils, le frère, qui se remet de sa semaine d'internat dans la vapeur d'un bol de chocolat familial. Laurence et moi, dès l'arrêt du car, nous avons traversé la route nationale et commencé à monter le chemin bordé de murettes qui nous hisse à travers le coteau jusqu'à la ferme de ses parents et, plus loin encore, par-dessus quelques virages serrés, jusqu'à ma
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propre maison. C'était le trente avril, et de ma vie, il n'y avait jamais eu que ce trente avril-là. On marchait la main dans la main. On s'arrêtait parfois pour souffler, pour rire, pour s'embrasser par petites becquées -on disait:" à la japonaise" - ou par longues lippées dévorantes, façon "aspireuse".On ne se pressait pas. Il fallait faire durer ce chemin. Indifférents aux rangées de vignes et aux vergers qui s'enfeuillaient toujours davantage à chacun de nos retours hebdomadaires, on ne voyait que nous-mêmes, on n'entendait que nos voix, on ne respirait que nos propres corps. On ne se savait pas heureux. On l'était. Un toit de ferme est apparu au détour d'un virage, et j'ai rappelé à Laurence nos conventions. - Alors ce soir, à dix heures. Tu n'oublieras pas ? Elle a souri comme quelqu'un qui a préparé un mauvais coup. - J'y serai, François.
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- Mais je ne te verrai pas, je ne t'entendrai pas, je ne te toucherai pas. Elle a sorti une enveloppe de sa poche. - J'y ai pensé. Tiens, c'est une lettre. Je te l'ai écrite pour qu'on soit un peu plus longtemps ensemble ce soir. J'ai voulu m'en emparer aussitôt mais elle a esquivé mon geste en repliant le bras derrière son dos. - Tu la liras seulement juste avant dix heures. Dix heures moins cinq. Pas avant. Promis juré ?  J'ai abondamment craché par terre et levé la main droite, et elle m'a tendu la lettre. J'ai alors fait semblant de la lire à travers l'enveloppe. Elle m'en a empêché, et on s'est encore longuement embrassés. - Sale traître ! J'ai mis l'enveloppe dans ma poche. - Et pour la soirée de demain, chez Edouard ? Elle m'a pris les deux mains et les a portées à ses lèvres:
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- J'y serai. - Et après la soirée ? Elle s'est tassée contre moi avant de répéter : - J'y serai. Je sentais en moi quelque chose qui se comprimait, et, comme pour ne pas briser quelque chose de fragile, un mouvement de vapeur, une chute de flocon, j'ai dû bredouiller: - Alors, dis-moi, Laurence, demain soir, on fera l'amour cette fois-ci ? Promis juré ? Elle s'est lentement redressée, et j'ai senti que nous partagions alors le même désir. On se fouillait, on se farfouillait dans les yeux. Et ça battait dans nos poitrines et dans nos veines. J'attendais qu'elle dise. Elle a tourné la tête, a esquissé la moue resserrée du cracheur, avant de retrouver mon regard et de dire en levant la main: - Promis juré, votre Honneur. Alors j'ai senti comme une folie en moi, comme des cris, comme des sauts. Ça bondissait là-dedans,
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ça se dilatait, ça se sauvait comme le lait de la casserole, en gros bouillons crémeux, et j'en restais immobile et agité. On a repris notre marche, chacun dans son désir de l'autre, déjà dans une attente mêlée à une vague inquiétude. On est arrivé au portail de la ferme. On s'est encore embrassés, mais plus apaisés. Nous ne savions que nous dire. Tout nous semblait avoir été dit là, dans cette promesse du lendemain. Elle s'est écartée de moi. Elle a pris une pierre sur la murette et me l'a tendue : - Pour que tu penses bien à ma lettre ce soir. J'ai pris la pierre qui me donnait le gabarit de sa poignée. J'ai bafouillé en la soupesant: - Pour que tu penses bien à demain soir. Son père est alors apparu au bout de la cour. Il nous a hélés en faisant un grand salut de la main. On a répondu. Puis, sans se retourner vers moi, elle a ouvert le portail et s'est dirigée vers la
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maison. J'ai mis la pierre dans la poche de mon blouson et j'ai continué mon chemin.
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La lettre dans une poche, la pierre dans l'autre, j'ai continué ma folie dans ma tête, avec tout ce désir-là, bien calé, bien au chaud, que Laurence poussait en moi avec du papier et du caillou. Je me répétais les mots, les gestes, les intonations, pour conserver encore et toujours ces quelques moments qui me transformaient à mes propres yeux. Je me répétais tout, avec application ou délire, alternant sur les mêmes mots le murmure et le cri, le chuchotement et l'éclat, comme pour vivre encore plus fort cette invraisemblable explosion qui me faisait déborder de moi-même. Tout à ma folie, j'ai passé le dernier virage qui contourne par le
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dessus la ferme de Laurence sans m'en rendre compte. J'ai commencé d'apercevoir les tilleuls, puis les glycines de la maison. Et tout à coup, notre chien Chico a déboulé sur le chemin en aboyant sa joie. Il s'est accroché à moi, frétillant dans mes jambes et ahanant de plaisir. Je lui ai pris la gueule dans mes mains, et je lui ai hurlé à l'oreille : - Demain soir ! Il a sursauté et s'est échappé en aboyant plus fort pour se réfugier vers la maison.
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Le portail était ouvert. Je is entré dans la cour, mais avant  passer sur la terrasse, je me is figé tout à coup, et ça s'est s à défiler à toute vitesse dans  tête quand j'ai reconnu la iture verte à côté de la nôtre: - La Mamie !
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Et aussitôt je me suis entendu m'exclamer: - Merde ! Son anniversaire demain soir ! J'avais complètement oublié. Toute cette vie-là que je retrouvais tout à coup avait été comme effacée de ma vie qui se vivait toute à l'existence et au désir de Laurence. Ç'a été un instant de vide, avec retours sur images extraordinairement accélérées de deux mondes qui se heurtaient en moi : celui de mes parents, de ma famille, de mon passé, et celui, bien présent, que je vivais au plus près de moi avec Laurence et que je ne pouvais partager avec personne ici J'ai senti l'approche d'une catastrophe. Atterrissage trop brutal. Risque de déflagration. Urgence : reprendre les commandes. Et j'ai repris les commandes sans pouvoir envisager sur le champ de solution, sinon la perspective d'une vague mais pénible explication suivie d'une non moins pénible négociation.
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Mais de l'intérieur de la maison on m'appelait, et déjà la Mamie apparaissait sur le seuil, tirée par ma petite sœur Tounette, et traversait la terrasse à ma rencontre, toute à sa joie de revoir son grand petit François. Elle m'a embrassé comme les grand-mères savent embrasser les petits enfants et comme les enfants le redoutent. J'ai dit quelque chose pour marquer une légère surprise et cacher une profonde contrariété. Mon père est arrivé ensuite du fond de la maison, et, après m'avoir embrassé, m'a posé la question de tous les vendredis soirs, rituelle, et qui se voulait de connivence sans que ni l'un ni l'autre n'y ayons jamais cru : - Alors le bahut, ça a gazé cette semaine ? J'ai souscrit à ce qu'il attendait, avec un soupir de lassitude à peine forcé : -Crevé et content de rentrer ! Ce qui a dû le satisfaire puisque me retirant le sac des épaules, il a simplement ajouté :
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- Eh! bien, remets–toi .On t'attendait pour le thé. Il a rassemblé les chaises autour de la table de la terrasse, tandis la Tounette et Chico s'empressaient autour de moi. Ma mère est apparue alors avec le plateau du thé et l'a déposé sur la table. Elle m'a embrassé et son regard a rapidement jaugé mon état de santé. J'ai même alors pensé qu'elle avait dû se douter de quelque chose de ma contrariété rentrée, que mon air las faisait déjà l'objet d'un questionnement. On s'est assis autour de la table, et mon père a commencé le service. La Tounette a voulu que je la prenne sur mes genoux pour des câlins de retrouvailles. J'ai senti la lettre de Laurence se froisser dans ma poche. Elle m'a demandé ce que j'avais crié dans l'oreille du chien. - Des mots, des mots très gros, je lui ai répondu. Elle m'a regardé, a semblé réfléchir sérieusement avant de
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