Les Aventures Singulières de René : "le Premier Prix du Jury"
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Description

Le héros, René, est un personnage haut en couleur. médecin de profession mais actuellement en retraite, président de plusieurs associations, , artiste-peintre amateur,il vit des aventures singulières.Celle-ci expose comment il a réalisé une oeuvre picturale qui fut primée lors d'un concours.

Informations

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Publié le 29 février 2012
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Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

  Le Premier Prix du Jury  
    Enquête de Jean Paul POIRIER  
Éditions de la Corne d’ Or  
         AVIS AU LECTEUR     Cet ouvrage est le résumé d’une enquête approfondie effectuée auprès d’un jury de concours d’œuvres picturales afin de s’assurer de son total désintéressement . En effet le public assimile trop souvent , à tort, ces manifestations culturelles à de sombres compromis affairistes au détriment des qualités artistiques des peintres en compétition.  L’enquêteur a donc recherché minutieusement le parcours d’une œuvre primée depuis son ébauche jusqu’à son ultime achèvement , et à s’assurer ainsi de la parfaite objectivité des membres du jury et du talent de son auteur .                                                     L’éditeur                                                                            
 CHAPITRE 1    En retournant chez lui , sur la route de Saint Germain en Laye , au volant de sa voiture, René n’était pas peu fier ! Il venait de remporter le premier prix de peinture ( prix du jury) pour son œuvre maîtresse « Sans Titre » qu’il avait présentée au concours organisé par le LIONS CLUB à l’occasion de son congrès d’ utomne de Jouy en Josas.  a  La compétition avait été rude , car nombre d’amis , membres du LIONS CLUB comme lui , y avait exposé des huiles et des aquarelles d’une rare qualité picturale , rendant particulièrement difficile le choix d’un jury d’autant plus objectif qu’il connaissait bien les divers participants , artistes peintres amateurs .  René était heureux d’avoir été ainsi couronné par ses pairs , et se réjouissait à l’idée d’annoncer la bonne nouvelle à son épouse qui avait fait montre de tant de patience à son égard. Ne s’était elle pas souvent lassée de ne pouvoir converser avec lui durant toutes ces soirées où il disparaissait sans rien dire pour s’enfermer dans son atelier ? N’avait elle pas été plus d’une fois désespérée de voir ses mets refroidir en attendant que René veuille bien surseoir à sa tâche et venir dîner ? N’avait elle pas été rabrouée plus d’une fois lorsqu’elle daignait s’inquiéter de ce qu’il faisait pendant ces longues heures tardives ?  Cette distinction allait à coup sûr la récompenser , elle aussi , de son mérite et de sa gentillesse envers un René devenu renfermé au fil des jours tant sa principale préoccupation avait été laborieuse .  Il est vrai que René ne manquait pas de talent et pouvait être satisfait de lui -même . Il avait déjà exposé avec succès et à plusieurs reprises ce que son imagination et son habileté manuelle avaient créé , que ce soit des horloges extraordinaires faites de bouts de bois , de ficelles et de morceaux de boites de conserves , ou encore des sculptures de métal rouillé récupéré de ci de là sur le sol au hasard de ses promenades , ou enfin des peintures à l’huile ou à l’aquarelle à mi chemin entre le figuratif et l’abstrait .   Mais l’œuvre qu’il avait présentée au concours du LIONS CLUB était celle qui lui avait demandé le plus d’effort , qui semblait à ses yeux la plus belle , mais qui pourtant lui laissait un sentiment de malaise car il ne réussissait pas à déterminer s’il devait ou non la considérer comme véritablement achevée ou comme ne constituant qu’une simple ébauche malgré le temps qu’il avait consacré à la réaliser et malgré le souci perpétuellement renouvelé qui avait présidé à son élaboration.  Les véritables artistes n’ignorent pas ce sentiment d’insatisfaction qu’ils éprouvent constamment devant leurs créations . Même si celles ci paraissent aux yeux du public parfaites ,ils ne peuvent s’empêcher de s’interroger sur leurs possibilités de les parachever afin que tout le monde comprenne bien ce qu’ils ont voulu traduire et exprimer.   René n’échappait pas à cette règle et continuait donc à se demander , malgré son prix à ce concours , s’il avait ou non bien terminé son œuvre.   Cette dernière n’était pas une peinture , à proprement parler , mais un assemblage de petits morceaux de papier et de carton de diverses couleurs collés les uns à coté des autres et provenant de revues ou publications publicitaires déchirées minutieusement par René .
 L’ensemble constituait une image de ton pastel dont chacun pouvait à loisir s’interroger sur ce ’ ll pouvait bien représenter :  qu e e   -certains n’y décernaient qu’un amas de couleurs reposant pour la vue et l’esprit dont les formes ne signifiaient rien de particulier , relevant de l’art abstrait , et faute d’imagination trouvaient cela joli , sans plus.    -d’autres , s’estimant experts , y retrouvaient trace de quelques écoles néo -pointillistes-cubistes , auxquelles René n’avait d’ailleurs jamais cru bon de s’intéresser particulièrement.   -d’autres , moins érudits , semblaient déceler en regardant à yeux demi -fermés quelque grande cité ensoleillée.    -Enfin les plus avertis des choses de l’art ne cherchaient pas à savoir ce que l’artiste avait voulu exprimer , mais ce qu’il avait voulu laisser deviner .   Seul René savait exactement , ou plus précisément croyait savoir, ce que son œuvre signifiait pour l’avoir maintes fois commencée et recommencée , effaçant le lendemain ce qu’il avait créé la veille , rajoutant inlassablement des petits bouts de papiers sur son collage , cherchant sans cesse à améliorer son tableau dans sa quête permanente de traduire ce que lui dictait son esprit fébrile , de peur d’oublier ce qu’il venait de vivre , toutes ces nuits , à l’heure où le sommeil vient reposer habituellement ses semblables des vicissitudes de la journée .  Il n’avait en réalité que tenté de retranscrire sur une toile les rêves qui l’avaient hanté six mois auparavant lorsqu’il avait quitté la vie professionnelle pour prendre , disait - on , une retraite bien méritée .                      
                          CHAPITRE 2     Tout avait commencé à l’issue du cocktail de départ en retraite qui avait mis fin aux fonctions hospitalières de René . En rentrant ce soir là chez lui , René était partagé entre le plaisir de ne pas avoir à se lever de bonne heure le lendemain et l’angoisse de ne plus savoir comment occuper ses journées .  Il en avait fait part à son épouse au cours du dîner familial , et celle -ci l’avait rassuré quelque peu en lui faisant remarquer que , dorénavant, il pourrait se consacrer pleinement à ses activités associatives du LIONS CLUB et de l’Orphéon de Saint Germain en Laye, sans oublier ses autres Violons d’Ingres . De plus leur résidence secondaire de La Brousse (Auvergne) pourrait maintenant leur donner toutes les satisfactions qu’ils en attendaient.   René s’était donc mis au lit , pas complètement convaincu toutefois de la justesse du raisonnement de son épouse . Ne pourraient -ils pas profiter de sa retraite pour voyager ? Certes la modeste pension de l’état semblait ne pouvoir couvrir qu’à peine leurs dépenses de vie courante , mais en faisant attention à leurs finances ne pourraient ils pas profiter de leur nouvelle vie pour découvrir enfin ces horizons lointains qui berçaient l’imagination de René depuis sa plus tendre enfance ?  Ces pays , René croyait déjà bien les connaître , au fil de ses lectures . Il avait même collectionné avec passion divers vestiges historiques de tout le bassin méditerranéen qu’il conservait précieusement à l’abri de la poussière dans les vitrines de son salon , et en avait cherché quelques références dans les nombreux ouvrages ornant sa bibliothèque.  Encore dernièrement l’un de ses amis lui avait offert une curieuse terre cuite gréco -romaine provenant semblait il d’une fouille proche d’Éphèse . Il avait alors immédiatement consulté d’abord un livre d’art sur la région , dans lequel il avait effectivement trouvé la photographie d’un objet en tous points similaire , puis un vieux catalogue de commissaire priseur spécialisé dans ce type d’antiquité.   L’Orient intéressait tout particulièrement René , avec ses débauches de couleurs , ses légendes des mille et une nuits , ses musiques lancinantes , ses festins somptueux , ses femmes lascives de harem . Mais , par manque de temps , il n’avait jamais pu y séjourner même pendant un bref week-end contrairement à ses ancêtres qui étaient descendus du Nord de la Russie , passés par la Mer Noire puis par le Bosphore ,remontés par la Méditerranée avant d’émigrer définitivement en France.  Alors que son épouse s’était déjà assoupie et dormait profondément , René prit la décision de se rendre le lendemain matin à l’agence de voyage la plus proche pour se renseigner sur les divers séjours et prix , ramener des catalogues et tenter d’entreprendre une visite organisée de ces sites archéologiques maintes fois vantés par les tours opérateurs .      
 C’est uniquement à la suite de cette importante décision planifiant sa journée du lendemain qu’il réussit à s’endormir .  Alors qu’il était maintenant plongé dans un profond sommeil , il crut entendre au beau milieu de la nuit une longue plainte non loin de lui . Se réveillant à moitié , il décela en fait une sorte de mélodie gutturale dont les notes particulièrement longues semblaient exprimer une complainte , mieux encore une prière.  Sortant d’un coup de sa torpeur , il s’empressa de réveiller son épouse afin de s’assurer que ce bruit n’était pas le fruit de son imagination . Celle ci se montra tout aussi surprise que René , et ils décidèrent de se lever sur le champ et de jeter un coup d’œil à travers la fenêtre pour tenter de comprendre la cause de ce curieux tapage nocturne .  Bien que dehors il fasse encore très sombre , ils virent dans le lointain une étrange lueur rouge se détachant de l’horizon et montant lentement vers le ciel . Au fur et à mesure de sa montée , cette faible clarté devenait de plus en plus lumineuse et ses rayons permettaient maintenant d’entrevoir le paysage alentour.   Quelle ne fut pas la surprise de René en découvrant qu’autour de lui ce n’était qu’amoncellement de toitures en tuiles , recouvrant tantôt des petites maisons d’un étage , tantôt de petits immeubles , à perte de vue , comme si la terre entière était construite , la ligne d’horizon se perdant complètement dans cet imbroglio de bâtisses entassées les unes sur les autres avec parfois de curieuses longues cheminées élancées dont le faîtage pointu semblait crever le ciel.  De la hauteur de sa fenêtre , René ne distinguait aucune rue , comme si cette accumulation d’habitations agglutinées les unes contre les autres avait été conçue par un architecte urbaniste dément . De plus le bruit qui l’avait réveillé se renouvelait en de multiples échos de tous les quatre points cardinaux de cette gigantesque ville , en même temps que s’amplifiait également un étrange ronronnement sourd provenant du sol .  René se rendit alors compte , la lueur du jour devenant plus vive , qu’ils étaient en train de regarder , son épouse et lui , pour la première fois le réveil d‘une importante ville musulmane. L’appel à la prière des innombrables mosquées avait précédé de peu le lever du soleil et le commencement de l’agitation coutumière matinale .   Descendant rapidement de leur chambre , et sortant de leur maison , René et son épouse se retrouvèrent dans une petite ruelle où déjà chacun s’affairait à ouvrir son échoppe en paraissant heureux de commencer cette nouvelle journée .  René voulut alors s’enquérir de l’endroit où , par suite d’un curieux sortilège , ils se trouvaient présentement . Mais malgré le sourire avenant de la première personne qu’il interrogea, il ne put comprendre sa réponse dans une langue qu’il ne connaissait pas .   Des paroles incompréhensibles dites par son épouse durant son sommeil ajoutées au soleil qui avait pénétré leur chambre par l‘interstice d‘un rideau mal fermé le firent se réveiller soudainement et prendre conscience qu‘il venait de rêver.     
     CHAPITRE 3     René garda pour lui l’étrange rêve qu’il venait de faire , et s’abstint d’en faire part à son épouse . En revanche cette aventure nocturne lui donna une idée : Pourquoi ne pas essayer de reproduire immédiatement sur la toile ce paysage extraordinaire qu’il avait bien malgré lui contemplé dans son sommeil ?  Sitôt pensé sitôt fait ! René se mit alors en quête de rechercher dans quel placard de sa confortable demeure son épouse avait bien pu ranger son matériel d’artiste peintre qu’il avait comme à son habitude laissé traîner on ne sait où lorsque , plusieurs mois auparavant , il avait peint pour l’un de ses amis , avocat de profession , des magistrats en conciliabule et robes noires .  n ar va Mais il ’ ri it pas à retrouver sur le champ ses tubes et pinceaux , ne réussissant à mettre la main , à travers le capharnaüm de la pièce lui servant d’atelier , que sur quelques grands cartons entoilés .  Malgré la requête réitérée qu’il formula auprès de son épouse , celle ci ne lui fut d’aucun secours , ne sachant même plus si elle avait rangé ou , pire , jeté à l’insu de René le bric -à-brac abandonné par lui au beau milieu de la salle à manger .  Bougon qu’on ait osé le priver de ses affaires sans le lui dire , René décida d’aller immédiatement acheter chez le droguiste voisin de nouveaux matériels sans même prendre son petit déjeuner préparé avec soin par son épouse et dont l’agréable odeur le laissa , pour une fois , indifférent .  En arrivant chez le commerçant , René eut la surprise de constater que le magasin était fermé pour « cause de vacances » de son propriétaire . Dépité il rebroussa chemin en se demandant comment il allait pouvoir faire pour immortaliser son rêve sur la toile .  De retour à sa maison , et regardant machinalement sa boite à lettres , il trouva dans celle ci le paquet de revues et tracts publicitaires que les préposés de La Poste avaient déjà l’habitude de déposer volumineusement , sans doute pour combler les lacunes et retard de ce service public dans l’acheminement et la distribution du courrier .   Agacé , René entreprit de les déchirer sans même les lire afin de les jeter plus facilement dans la poubelle . Dans ses gestes rageurs il en fit tomber quelques morceaux à terre , et se penchant pour les ramasser il eut un instant l’illusion de revoir , ainsi couchée sur le sol , une partie de la ville contemplée par lui durant la nuit .  Prenant cela pour l’effet du hasard , il récupéra ces bouts de papiers , les mélangea avec les autres ,en fit un petit tas qu’il porta sans ménagement d’une main vers le réduit où il remisait les
diverses poubelles imposées par la tatillonne administration de recyclage des déchets .    Au moment où il tentait d’ouvrir d’une main le couvercle de l’une d’entre elles , il sentit quelque chose passer entre ses jambes , et ,de surprise , il fit choir cette fois ci l’ensemble des papiers . Un miaulement réprobateur lui fit comprendre que son chat , enfermé malencontreusement dans ce réduit depuis la veille , venait de se précipiter affamé sur sa gamelle à moitié vide .  Maudissant l’incident , René se baissa une nouvelle fois pour récupérer les détritus , et il fut stoppé dans son geste par la stupeur ; une nouvelle partie de la ville se trouvait à ses pieds , rayonnant d’un soleil orangé qui faisait se détacher nettement les minarets et les coupoles des multiples petits toits de tuiles rouges !  En y regardant de plus près , René crut même y entendre le tumulte matinal , à moins que ce ne fut le ronronnement de la machine à laver le linge située dans la buanderie mitoyenne .  Toujours est-il que ses deux maladresses lui donnèrent une nouvelle idée : en l’absence de tubes de couleurs et de pinceaux , ne pouvait il pas tout simplement tenter de reproduire sur les cartons entoilés de son atelier , avec ces petits morceaux de papier et de la colle , sa vision nocturne ?  Fébrilement il ramassa toutes ces publicités déchirées et se mit à la tâche .  A l’heure du déjeuner , son épouse inquiète de ne pas l’avoir vu réapparaître depuis son départ précipité du matin l’appela à haute voix , le dérangeant ainsi dans son labeur . L’estomac vide , René consentit à interrompre le temps d’un repas l’œuvre qu’il avait commencée , répondant aux questions de son épouse qu’il avait suivi son conseil , découvert une nouvelle technique picturale et qu’elle n’avait aucune raison de se faire du souci puisqu’il avait trouvé facilement matière à s’occuper pour son premier jour de retraite .   Il faut reconnaître que cette nouvelle et singulière technique n’était pas aisée à mettre en œuvre . René avait cru bien faire en encollant complètement le carton entoilé , s’imaginant qu’il lui serait ainsi plus facile d’y apposer délicatement , pièce par pièce minutieusement choisie , les bouts de papier colorés des tracts publicitaires , un peu comme s’il reconstituait un puzzle .   Mais le choix à opérer parmi les morceaux de papier entassés et leur positionnement sur le support englué n’allaient pas sans difficultés . L’absence de dessin à la mine de plomb préalable augmentait la complexité de l’opération , et René se trouvait obligé de faire glisser avec ses doigts devenus poisseux les éléments de sa composition pour recréer l’image d’ensemble enregistrée dans sa mémoire .  Il lui fallait donc , au début , beaucoup d’heures et de patience pour retrouver exactement sur sa toile les détails caractéristiques de son étrange cité , et il n’avait jusqu’alors réussi qu’une sommaire ébauche pouvant vaguement rappeler quelque chose mais qui était loin de correspondre à la réalité .  Dès la fin du déjeuner , René se précipita à nouveau dans son atelier , et il y resta totalement
absorbé par sa tâche jusqu’au moment où il fut de nouveau interrompu par son épouse et l’heure du dîner .     CHAPITRE 4     Pendant le repas , l’épouse de René ne put s’empêcher de lui faire grief de l’avoir ainsi abandonnée une journée entière , sa première journée de retraité , et s’inquiéta qu’ils ne passassent le reste de leurs vies à se croiser ! René lui promit alors de limiter à l’avenir son excessivité , de ne plus s’isoler dorénavant toute la journée . N’était il pas en retraite pour pouvoir goûter avec elle le bonheur d’être enfin constamment l’un près de l’autre , débarrassés de toute contrainte professionnelle ?  Malgré l’envie qui le dévorait de retourner à son atelier après dîner , René ne voulut pas faire de peine à son épouse , et ils passèrent ensemble sa première soirée de retraite à entreprendre des projets communs pour leur nouvelle vie à deux . Puis , la nuit venue , ils montèrent se coucher .  Mais sitôt endormi René reprit son rêve là où il s’était brusquement arrêté .    Le soleil était maintenant à son point culminant et René marchait dans une ruelle devenue quasiment blanche sous l’effet de la luminosité . Il voyait d’une manière floue à travers les vagues de chaleur remontant du sol les échoppes de couleurs pastel constituant le rez -de-chaussée de la majeure partie des maisons regorger des marchandises les plus diverses entassées sans souci de décoration , et dans celles ci les allées et venues incessantes des clients rejoignant la foule compacte circulant à pied dans la ruelle .  C’était en réalité un véritable flot de passants , rapide par endroits , ralenti à d’autres on ne savait trop pourquoi , qui contournait comme en les enveloppant des charrettes , ânes , mules , portefaix et autres moyens rudimentaires de transport disséminés de ci de là .  Il sembla à René que tout ce monde se dirigeait vers le même endroit , et il suivit le mouvement général jusqu’à l’extrémité de la ruelle . Celle ci déboucha sur une large place devant une imposante mosquée comportant pas moins de quatre minarets . Au beau milieu de cette place , les bâches d’un marché de plein air créaient une énorme tache d’ombre ne permettant pas de distinguer ce qui s’y déroulait .   S’approchant sans hâte excessive , en raison de la chaleur , et entrant dans la pénombre , René fut pris d’un léger étourdissement : l’odeur y était pour lui inhabituelle , faite de subtils parfums mélangés à des relents de basse cour et de boucherie ; la température y paraissait particulièrement fraîche à coté de celle du dehors ; mais le brouhaha des négociations n’empêchait pas d’entendre le bourdonnement des guêpes attirées par les fruits .   Ses yeux s’étant peu à peu habitués à l’obscurité toute relative des lieux , René distinguait nettement les divers étals , avec leurs pyramides de fruits et légumes , leurs sacs d’épices ,
leurs alignements de volailles et morceaux de viande , leurs vasques en terre cuite emplies d’eau et de poissons prêts à être consommés .        A mesure qu’il avançait autour des tables des marchands , René s’étonnait de découvrir des parfums qui lui étaient jusqu’alors inconnus , et il s’émerveillait devant la diversité des couleurs que des rais de lumière passant par divers trous à travers les bâches rendaient encore plus éclatantes . Devant son air admiratif , un marchand lui offrit en souriant une grosse figue fraîche ventrue de suc pour lui faire savourer la qualité de ses produits .  Le plaisir procuré sur son palais par cette dernière combla de bonheur René , qui allait ainsi d’enchantements en enchantements , quittant le marché pour le jardin de la mosquée où des bassins recueillaient avec de joyeux clapotis l’eau s’écoulant de plusieurs fontaines .   De nombreuses personnes étaient assises sur les pelouses , à l’ombre d’arbres feuillus plantés au milieu de massifs floraux ; des familles avaient apporté des samovars et buvaient du thé brûlant devant des enfants qui riaient en jouant à cache -cache derrière la végétation ou en faisant des galipettes sur l’herbe .   René se mit alors à penser qu’elle était d’un seul coup bien loin derrière lui sa vie d’avant sa retraite , faite d’un emploi du temps d’autant plus stressant que les malades ne pouvaient attendre et que le calendrier des prélèvements fiscaux et sociaux obligatoires ne lui laissait guère le loisir de simplement regarder le temps s‘écouler .   Qu’ils paraissaient heureux les habitants de cette étrange cité , affairés certes mais sans fébrilité et dans la bonne humeur , sachant interrompre leur labeur pour goûter des joies simples procurées par le sentiment d’être chanceux lorsque , chaque jour , l’on est encore vivant et habités du désir de partager avec les autres cette extraordinaire aventure qu’est la vie .    Se rendant soudain compte qu’il se trouvait là tout seul , sans son épouse , René se demanda où cette dernière avait bien pu aller dès qu’ils avaient quitté ensemble ce matin même leur maison . Ne s’était elle pas en cours de route aventurée dans quelque échoppe afin d’y faire des emplettes ? N’était elle pas restée derrière lui , enveloppée par la foule , dans la ruelle qu il avait empruntée pour venir jusqu’à cette mosquée ?   D’un coup l’angoisse l’envahit : ne s’était  elle pas purement et simplement perdue dans cette ville inconnue et ne cherchait elle pas désespérément à le retrouver ?  Le sang de René de fit qu’un tour , et il décida de rebrousser chemin et de partir à sa recherche en refaisant exactement en sens inverse le trajet qui l’avait conduit jusque là , et en l’appelant constamment haut et fort . Mais pourvu que le prochain appel à la prière des minarets ne couvre pas sa voix !  A cet instant il lui sembla entendre le tintamarre d’un clocher d’église ?   La sonnerie des cloches de la paroisse de Saint Germain en Laye invitant les fidèles à la messe dominicale lui fit prendre conscience que son épouse n’était plus à ses cotés , s’était levée de
bonne heure comme à son habitude , et l’avait laissé dormir pendant qu’elle préparait le petit déjeuner .                                                         CHAPITRE 5    Ce premier dimanche de sa nouvelle vie fut consacré par René et son épouse à des retrouvailles familiales ; l’un de leurs quatre fils avait annoncé qu’il avait décidé avec sa compagne de convoler en justes noces durant l’été et qu’il souhaitait que la fête traditionnelle se déroule à La Brousse . Entre l’établissement de la liste des convives , le choix du menu du repas de noce , la tenue des mariés et des invités , l’organisation de l’hébergement sur place ou dans des localités voisines des amis et proches , la journée s’était écoulée avec une rapidité peu commune , et René n’avait pas ressenti la moindre envie de remettre les pieds dans son atelier .   Mais le soir venu , et alors que les enfants étaient repartis , René ne put s’intéresser au feuilleton débile programmé à la télévision . Plutôt que de rester vissé devant son poste , il préféra laisser son épouse , fatiguée par un surcroît de tâches ménagères dû à la venue des enfants , aller se coucher la première , puis , presque en catimini , il retourna à son tableau .  Il fut quelque peu désappointé en constatant que ce qu’il avait fait la veille ne correspondait plus du tout au dernier souvenir qu’il avait de cette ville dont il se remémorait les détails découverts par lui la nuit précédente . Faisant sien l’adage «  vingt fois sur le métier remettez   votre ouvrage », il entreprit alors de reprendre par superpositions de nouveaux bouts de papier colorés sur son tableau l’œuvre si laborieusement commencée , et ce jusqu’à ce qu’il obtienne enfin une nouvelle image plus proche de la dernière réalité .  Décrire avec quelle minutie il travailla relèverait à lui seul de l’exploit ! Enfin ce ne fut qu’à une heure avancée de la nuit qu’il rejoignit sur la pointe des pieds son épouse endormie et se coucha à coté d’elle .   A peine avait il fermé les yeux qu’il replongea dans son étrange rêve.   Cette fois ci une odeur nauséabonde lui monta aux narines , mélange de pourriture et d’eau croupie . Dehors c’était la panique : les gens courraient dans tous les sens au milieu d’un fracas épouvantable . Des pans de murs entiers s’étaient écroulés . Il pleuvait des trombes d’eau et la boue avait envahi les ruelles et même la grande place de la mosquée dont l’un des minarets était tombé à terre.  Partout ce n’était que Peur et Désolation ! Chacun cherchait quelque endroit où s’abriter , mais devant les maisons éventrées , les toitures défoncées , il ne restait guère que les citernes souterraines ou les caves de quelques grands édifices pour se réfugier ; mais elles étaient infestées par les rats .  A l’emplacement du marché se dressait maintenant un sommaire hôpital de campagne où des brancardiers déposaient toutes les minutes une multitude de blessés agonisants . Des chirurgiens paraient au plus pressé , amputant à la chaîne bras et jambes pour éviter la
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