Les Aventures Singulières de René : "Les Trompettes d Arihâ"
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Les Aventures Singulières de René : "Les Trompettes d'Arihâ"

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René, docte médecin à la retraite, Président Chef d'Orchestre du célèbre Orphéon de Saint-Germain, rêve de se produire avec ses musiciens au Grand Stade de France. Mais son rêve tourne vite au cauchemar. Pour quelle raison ?

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Publié le 10 mars 2012
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Licence : Tous droits réservés
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Les trompettes d’Arihâ  
Reportage de Jean Paul POIRIER  
Éditions de la Corne d’Or  
                                                                 AVIS AU LECTEUR     Parmi toutes les « Aventures Singulières de René » celle relatée dans les pages qui vont suivre explique l’attachement particulier de René pour l’Orphéon de Saint -Germain.  L’auteur s’est volontairement abstenu de rajouter quoi que ce soit aux faits relatés tels qu’ils se sont réellement déroulés, se contentant d’en faire un fidèle reportage ne nécessitant aucun effort d’imagination.   La sincérité des sentiments attribués à René ne peut donc en aucun cas être mise en doute ; toutes poursuites judiciaires à ce sujet contre l’auteur ou l’éditeur s’avéreront vouées à l’échec.                                                                                                  Note de l’éditeur  
                                                              CHAPITRE 1     Allongé dans son lit à côté de Claude, son épouse ô combien dévouée, René ne dormait pas, cherchant en vain depuis plus d’un quart d’heure à retrouver le sommeil.   Les insomnies sont hélas fréquentes chez les personnes d’un certain âge et René n’échappait pas à cette vicissitude ; ne venait-il pas de fêter la veille ses soixante quinze printemps dans cette imposante résidence secondaire de « La Brousse » ( note de l’éditeur : La Brousse = bled perdu des fin-fonds de lAuvergne ravitai l é par les corbeaux ) où il comptait prolonger tranquillement son séjour d’une semaine avant de retrouver le tumulte de la région parisienne ?   Cet anniversaire avait d’ailleurs été l’un des plus fastueux que René ait vécu .   Tous ses amis de l’Orphéon de Saint -Germain étaient venus spécialement pour l’occasion et la fête avait battu bon train au milieu des musiques d’un autre âge et des chansons grivoises qui avaient jusqu’à présent fait le succès de la célèbre formation musicale créée et présidée par René.  René avait été particulièrement ému devant les témoignages d’amitié de tous ses musiciens reconnaissants les mérites de leur Président et il avait largement apprécié les nombreux cadeaux que ces derniers lui avaient offerts ( avec quelque réserve toutefois pour celui de son joueur de banjo qui semblait s’être en réalité fichu de sa tête).   Les victuailles avaient été à la hauteur de l’événement, son clarinettiste préféré émigré à La Rochelle ayant apporté d’imposantes bourriches d’huîtres pour précéder la gargantuesque potée auvergnate confectionnée par le meilleur maître queue de la région.  Toujours est-il que le lendemain, une fois terminée l’agitation des départs de tous ses invités, René s’était retrouvé seul avec Claude dans sa grande demeure auvergnate seulement troublée par les allées-venues de sa chatte reprenant ses habitudes coutumières après être restée cachée durant toute la présence des invités, et par les bruits de gloussement des poules et d’aboiement du chien de leur vieille et unique voisine ( «  La Brousse » ne comptant pas plus d’âmes que les doigts d’une main).   Durant la soirée, René et Claude avaient dîné des plus frugalement, n’ayant pas encore digéré totalement les victuailles du repas d’anniversaire de la veille et ils avaient décidé de se coucher d’autant plus tôt que la télévision ne leur offrait que l’ineptie habituelle d’émissions sans intérêt et qu’ils n’avaient rien de particulier à faire la nuit tombée.   Après s’être rapidement endormi, René s’était réveillé d’un coup sans raison apparente.   Espérant se rendormir sur le champ il n’y parvenait toutefois pas et n’osait pas bouger de peur de perturber le sommeil de Claude.  Puisqu’il ne dormait pas, René songeait ...   1
Le lecteur que vous êtes sait bien que lorsque René songe, il ne peut en aucun cas songer à des choses ordinaires, à quelque banal souci domestique, à quelque normale préoccupation familiale.  Lorsque René songe, il ne peut être question que de considérations personnelles extrêmement complexes nécessitant toute l’énergie de son subconscient et toute la clairvoyante de son esprit cartésien.  En fait depuis qu’il avait décidé de se mettre au lit, une question ( et non des moindres ) lui revenait sans cesse en tête. Il avait tenté de l’extraire de son esprit en se couchant et crut y avoir réussi puisqu’il s’était endormi rapidement. Mais elle était réapparue sournoisement durant son sommeil et l’avait réveillé. Elle commençait même à l’angoisser quelque peu car il n’arrivait pas à lui trouver une réponse logiquement satisfaisante.  Il fut à deux doigts de réveiller Claude pour lui demander son avis et se retint au dernier moment par peur des reproches courroucés que celle -ci n’aurait pas manqué de lui faire.   Pourtant la question était d’importance comme ne manquera pas de le remarquer le lecteur assidu des « Aventures Singulières de René » que vous êtes. Nul doute qu’elle était de nature à inquiéter René, à lui faire perdre le sommeil, à influer sur son avenir, à le rendre heureux ou malheureux, à ternir ou non sa réputation, à secouer les fondements de ses convictions, à perturber ses certitudes, en un mot à l’agacer prodigieusement:  « Qui dirigeait, en réalité, l Orphéon ? ».  
 
                                                             CHAPITRE 2     Cette question avait commencé à naître dans l’esprit de René quelques mois auparavant durant l’une des soirées que l’Orphéon avait été invité à animer. A cette époque René venait de subir une nouvelle opération chirurgicale du genou qui le faisait souffrir et l’empêchait de marcher à la bonne cadence lors des défilés. Étant momentanément réduit à ne se déplacer qu’en fauteuil roulant, René avait obtenu de l’organisateur de cette soirée que tous les musiciens soient assis, afin de pouvoir lui-même, de son fauteuil roulant et avec sa superbe coutumière, diriger la célèbre formation musicale.  En raison de son handicap, ses musiciens n’avaient pas rechigné à la tâche, certains allant même jusqu’à pousser non sans difficulté le solide fauteuil roulant qui n’arrivait pourtant qu’avec peine à supporter le surpoids de l’imposant trombone que René s’évertuait à vouloir manier comme à son habitude malgré son inadaptée position assise.  Durant cette soirée, René avait eu parfois le sentiment que son Orphéon fonctionnait tout seul, ou du moins fonctionnait avec une direction d’orchestre au petit bonheur la chance ; certes il faisait lui-même les annonces au public, l’invitait à applaudir, se tenait à la place habituellement réservée à la direction des musiciens, faisait montre d’autorité lorsque ces derniers se livraient à quelques polissonneries, mais son véritable rôle semblait s’arrêter là.    René s’était bien rendu compte que les musiciens, en jouant, ne le regardaient qu’à peine, alors qu’il était censé les diriger. Il voyait leurs regards furtifs tantôt en direction des épaisses moustaches du premier tromboniste, tantôt en direction des lunettes du premier trompettiste en tous cas rarement dans sa direction à lui, René, pourtant leur Président -chef d’Orchestre.   D’autres ne semblaient avoir de regards que pour la jeune flûtiste, à moins que ce ne fût pour la gaie joueuse de hautbois ou la nouvelle recrue préposée à la grosse caisse.  L’un surtout énervait particulièrement René puisqu’il ne regardait jamais personne mais passait son temps à surveiller du coin de l’œil le bout rouge de la cigarette qu’il avait coincée allumée en haut du manche de son banjo, au risque d’y mettre le feu, tout en grattant mécaniquement l’instrument.   Toujours est-il que ce sentiment de ne pas véritablement diriger lui -même son Orphéon lui était de nouveau survenu lors d’une journée de répétition générale qu’il avait organisée dans un restaurant proche de sa résidence principale francilienne; chacun semblait vouloir imposer à la formation le choix des morceaux à interpréter, prenant même l’initiative d’en démarrer les premières notes et entraînant ainsi les autres musiciens.  En raison de la joyeuse pagaille que cela entraînait il avait fallu beaucoup de diplomatie à René pour qu’il parvienne à faire apprendre par tous quelques nouveaux morceaux et à en faire répéter d’autres.    3
Cette conviviale sortie-répétition de l’Orphéon s’était toutefois terminée à la satisfaction de René, les musiciens ayant finalement suivi correctement ses instructions et gestes, renforçant ainsi sa conviction qu’il fallait bien un capitaine pour diriger le navire et que ce rôle ne pouvait être exercé que par lui-même.  Mais lors de son soixante quinzième anniversaire, les musiciens venus spécialement lui rendre visite à « La Brousse » lui parurent avoir de nouveau fait seulement semblant d’être dirigés par lui. Ce sentiment devint peu à peu une certitude pour René lorsqu’il s’est agi de faire durant l’après -midi une aubade dans une zone d’activité et d’artisanat d’Ambert (ville la plus proche de La Brousse) à l’occasion d’une manifestation populaire organisée par la municipalité; tout se passa comme si la direction de l’Orphéon était assumée tantôt par l’un tantôt par l’autre des musiciens sans que René n’ait véritablement son mot à dire. Cela ne nuisit pas pour autant à la prestation de l’Orphéon, ni à la prestance de René qui sut, pour le public, trouver les mots appropriés mettant en valeur sa formation musicale.  En tous cas, cette certitude s’imposa bel et bien dans l’esprit de René : s’il présidait l’Orphéon, il ne le dirigeait pas pour autant. Et cette vérité l’empêchait maintenant de dormir !   
                                                                          CHAPITRE 3     Alors que René, allongé sur son lit, les yeux au plafond, tentait de deviner quels étaient les membres de l’Orphéon susceptibles de diriger en catimini le jeu de ses musiciens, il lui sembla entendre dans la profondeur de la nuit les notes d’une mélodie .   Or avant de se coucher, il avait bien pris soin d’éteindre le poste de télévision et il ne possédait à « La Brousse » aucun autre appareil pouvant émettre des sons musicaux tels que radio, magnétophone, chaîne stéréo et/ou lecteur de CD. La mélodie ne pouvait donc pas provenir de sa maison. Sans doute provenait-elle d’une maison alentour. Mais la seule maison occupée dans ce hameau éloigné de toute civilisation était celle de sa vieille voisine qui devait être probablement endormie ; en tous cas René se l’imaginait mal s’enivrer de musique à cette heure tardive.   Voulant percer plus avant ce mystère, René entreprit de se lever avec précaution pour ne pas risquer de réveiller Claude. S’asseyant au bord du lit et cherchant du pied à tâtons ses pantoufles, il fut surpris par un couinement désapprobateur de sa chatte assoupie en boule sur le plancher et qu’il avait malencontreusement dérangée.   « Tiens ! » se dit intérieurement René, croyant comme tant d’autres que les chats vivent la nuit. « Que fait-elle là dans ma chambre au lieu de pourchasser les souris logées dans le grenier ? ».  Attribuant provisoirement ce laisser -aller félin à l’âge très avancé de sa chatte, René enfila ses pantoufles et, se levant totalement, parcourut en traînant les pieds dans le noir les quelques mètres séparant son lit de la porte de sa chambre. Puis après avoir bien refermé celle -ci, il alluma de l’interrupteur du palier la lumière de l’escalier conduisant au rez -de-chaussée, seul endroit d’où il pourrait tenter de découvrir, sans risque de réveiller Claude, l’origine et la cause de cette inattendue mélodie nocturne. Mais au moment où il commença à descendre, la musique cessa subitement.  « Diantre ! » se dit René, en restant immobile quelque temps, scrutant les faibles bruits alentour ; quelques craquements du bois des vieux meubles, quelques souffles du vent du dehors s’engouffrant par les interstices des fenêtres, quelques grattements de pattes des souris du grenier furent les seuls sons audibles mais familiers qui pénétrèrent dans ses oreilles.  Ne voulant pas rester une éternité debout dans l’escalier dont la froideur, en cette saison de l’année, commençait à lui geler la peau, René fit marche arrière et regagna son lit en évitant de perturber le sommeil de sa chatte et de Claude.  Mais il ne se rendormit pas pour autant facilement, car à peine les yeux fermés il entendit de nouveau distinctement cette mélodie nocturne qui l’avait intrigué. Prenant le parti de ne pas se relever pour rien, René tendit l’oreille avec plus d’intensité : il s’agissait effectivement d’un morceau de musique qui lui rappelait vaguement quelque chose . Il crut reconnaître le jeu des trompettes d’une ouverture classique interprétée de temps à autre par son Orphéon.    5  
Décidément il en revenait toujours à l’Orphéon et à la question sans réponse qui ne manquait pas de le courroucer.  La musique ayant de nouveau cessé aussi brusquement qu’elle était de nouveau survenue, René prit le parti de l’ignorer, de faire de même avec la question qui l’agaçait et il s’efforça de penser à des choses agréables afin de retrouver plus facilement le sommeil.  Mais que pouvait-il trouver de plus agréable que la vision de son Orphéon, avec ses musiciens portant jaquette et chapeau haut-de-forme, distingués comme des gentlemen d’un temps hélas révolu où fleurissaient dans tous les jardins publics les kiosques à musique faisant le bonheur des promeneurs ?  Que pouvait-il trouver de plus agréable que ces mélodies d’avant -guerre dont les rythmes se déclinaient avec harmonie, sans brutalité dans leur exécution mais avec ce soupçon d’accent suranné qui transcende l’âme du moins mélomane des auditoires ?   Du haut des soixante quinze années de son acte de naissance, René ne comprenait pas comment ses concitoyens avaient pu en arriver à rester vissés durant les journées dominicales devant leur poste de télévision ou, pire, coincés dans les embouteillages autoroutiers des allers -retours de campagne ! Il regrettait amèrement que les insipides concerts de rap et les abrutissantes rave-parties de disque-jockey aient détrôné les mélodieux défilés de tambours fifres et trompettes de son enfance.  Il se mit à rêver au retour à la mode des Harmonies, Loyales et autres Orphéons, donc bien évidemment du sien dont il avait su jusqu’à ce jour assumer seul la survie ( note de l’éditeur : lauteur ne fait que retraduire pour le lecteur le sentiment de René  ) malgré les difficultés pour lui trouver des occasions de se produire en public.  Sur le point de se rendormir pour de bon, René crut entendre une nouvelle fois la curieuse mélodie nocturne qui l’avait intrigué. Mais bercé par la béatitude provoquée par la vision idyllique de son Orphéon, il l’ignora superbement et plongea dans un profond sommeil.   
                    CHAPITRE 4     Le Stade de France était plein à craquer, une foule nombreuse ayant pris d’assaut plus de trois heures auparavant les places assises de l’ensemble des gradins car le spectacle était gratuit, financé en co-partenariat par la Région de l’Île -de-France et les Municipalités de Paris et de Saint-Germain-en-Laye réunies pour l’occasion.   Au beau milieu de la pelouse se dressait une imposante scène circulaire tournante, montée sur un complexe mécanisme de manège, qui allait permettre à chacun des spectateurs de voir successivement de dos, de profil et de face les musiciens pendant qu’ils joueraient.   Ces derniers n’étaient pas encore entrés en scène et le public s’impatientait en scandant d’une seule voix « l’Orphéon, l’Orphéon, l’Orphéon  », manifestant ainsi son désir d’écouter sans plus attendre la célèbre formation musicale.  Dans la loge réservée aux artistes située sous les gradins, René était particulièrement ému ; que ’ ait il pas dû faire depuis toutes ces années pour que son Orphéon arrive à se produire dans n av -cette arène prestigieuse ne fût-ce que le temps de cet unique concert venant couronner tous ses efforts !  Qu’il était loin le temps des petites prestations accordées avec parcimonie par des amis élus locaux ou présidents d’associations ! Qu’il était loin le temps où il lui fallait téléphoner à chacun des musiciens pour l’encourager à participer aux répétitions ! Qu’il était loin le temps où il ne pouvait jamais prévoir d’avance le nombre de ceux d’entre eux qui accepteraient de venir à une sortie programmée !  Il faut reconnaître que René n’avait pas failli à la tâche  :                 sous sa férule, les membres de l’Orphéon s’étaient disciplinés, ne ratant plus une n o urs instruments  seule réunion, arrivant à l’heure, ’ ubliant plus tantôt leurs costumes tantôt le                 sous sa direction orchestrale, leur jeu s’était considérablement amélioré, n’émettant plus de fausses notes, respectant le rythme et la mélodie sans aucun à -peu-près ni improvisation mal-venue                  sous sa présidence, les médias et organisateurs de spectacle avaient pu trouver un interlocuteur hors-pair sachant valoriser le savoir-faire de l’Orphéon et combler leurs espérances.  Malgré son émotion René entreprit de vérifier posément une à une les tenues vestimentaires de ses musiciens, l’allure de certains ( toujours les mêmes ) laissant généralement à désirer ce qui ne devait pas l’être pour une manifestation de cette importance. Mais pour une fois, il n’y trouva rien à redire tellement ses musiciens étaient conscients de la gravité du moment : aucune chemise ne dépassait des pantalons, aucune cravate n’était nouée de travers, aucun haut -de-forme n’était posé de guingois, aucun bouton ne manquait aux jaquettes ; on pouvait presque se mirer dans les chaussures et le cuivre des instruments rutilait comme « louis d’or neuf » .      7
La clameur de la foule réclamant de plus en plus fort la venue sur scène de l’Orphéon fit comprendre à René qu’il était maintenant temps d’y aller. Il ordonna aux musiciens de se mettre en rang, deux par deux, suivant leur ordre habituel, et sur un signe de tête fit démarrer le défilé.  Pour des raisons purement techniques ( l’absence d’amplification sonore en dehors de la scène), le défilé s’effectua sans jeu musical, chacun s’appliquant à marcher au rythme imposé par René qui s’était placé seul en tête comme il se doit à tout Chef d’Orchestre.   De toute façon personne n’aurait pu entendre, en cet instant, la musique devant l’ampleur de l’ovation du public qui s’était spontanément levé pour mieux applaudir des deux mains l’ trée en des musiciens.  Sitôt montés sur scène, ils se regroupèrent par chapitres, attendant que René prenne le micro pour les annonces et présentations d’usage et que la clameur de la foule s’estompe.   Il leur fallut toutefois attendre un certain temps car, sous l’emprise de l’émotion, René avait commencé à parler sans ouvrir son micro et la foule ne pouvant entendre ce qu’il disait ne s’était pas rendu-compte que le spectacle allait commencer.  S’apercevant de son oubli René voulut réparer immédiatement son erreur, mais dans sa précipitation il laissa choir ouvert son micro qui, en guise de protestation, émit un perçant sifflement de larsen mettant ainsi fin sur le champ à l’ovation du public.   Retrouvant à la fois sa dignité et sa superbe, René crut devoir se lancer dans un discours à la limite de la flagornerie sur les mérites de la Région d’Isle de France et des Municipalités de Paris et de Saint-Germain-en-Laye organisatrices du concert, discours dont le public ne comprit heureusement apparemment rien n’étant venu que pour écouter, sans bourse délier, cette musique surannée d’un âge révolu dont les médias n’avaient cessé de parler depuis deux semaines dans le but de remplir pour cette unique représentation le gigantesque Stade de France.  Son discours n’étant pas été suivi des applaudissements qu’il en attendait, René n’hésita qu’un court instant pour donner à ses musiciens l’ordre de démarrer le premier morceau qu’il avait spécialement choisi compte tenu du caractère grandiose du concert, bien qu’il ne fût pas l’un des plus couramment joués par l’ Orphéon.   Il s’agissait, en effet, de l’ouverture de la célèbre mélodie des «  Trompettes d’ Arihâ  » , plus connue sous le nom de « Trompettes de Jéricho ».
                                                           CHAPITRE 5     L’ordre de René de démarrer le premier morceau du concert intervint alors que la plupart de ses musiciens attendaient les applaudissements du public après le discours d’ouverture. Ces derniers n’arrivant pas en raison de l’incompréhension de l’auditoire pour l’allocution alambiquée de René concernant les prétendus mérites des institutions publiques organisatrices du concert, l’ouverture des Trompettes d’Arihâ eut à cet instant sur l’enthousiasme du public le même effet que les trompettes des Hébreux sur les murs de Jéricho au XIIIe siècle av. J. -C. !  D’abord estomaqués par les couacs disgracieux s’échappant des instruments des musiciens commençant à jouer dans le plus grand des désordres en essayant de se rattraper les uns les autres, les spectateurs eurent à choisir entre un éclat de rire général ou une fureur contenue de s’être déplacés pour un bien lamentable concert.   Leur hésitation fut, hélas, de courte durée ; une pluie de bouteilles se mit à survoler immédiatement les gradins, arrosant au passage nombre d’entre eux et se répandant sur le sol de la pelouse centrale sans toutefois parvenir à atteindre la scène.  Heureusement pour René et son Orphéon , les responsables patentés du Stade de France n autorisaient (et n’autorisent toujours) que la détention et la vente sur place de boissons non alcoolisées en bouteilles plastiques ouvertes afin de réduire leurs poids lors de leurs jets par les supporters durant les matchs sportifs ; pour le concert de l‘ Orphéon ils avaient maintenu ( par précaution ? ) cette mesure de sécurité . Quelques bouteilles seulement réussirent à atterrir sur la scène sans pour autant provoquer de dommages aux musiciens ou, pire, à leurs instruments.  Devant cette réprobation générale, toute la superbe de René s’effondra d’un seul coup !   Comment son Orphéon avait-il pu se montrer si peu à la hauteur en cette occasion si solennelle et si importante pour lui et pour lui-même ( note de l’éditeur  : lui = René ; lui-même = lOrphéon ).  Après toutes leurs répétitions, leurs prestations antérieures ô combien réussies devant des publics souvent peu enclins à la bienveillance, comment ses musiciens étaient -ils parvenus à ne produire qu’une telle cacophonie irrespectueuse des efforts qu’il avait si patiemment effectués durant toutes ces années ? Comment avaient -ils pu lui faire cela à lui, leur Président -chef d’Orchestre ?   Ne les avait-il pas entourés de la plus grande des attentions pour ne pas dire de plus grande des affections ? Ne les avait-il pas choyés jour après jour, supportant tous leurs caprices afin que s’épanouisse l’Orphéon ? Ne les avait -il pas bichonnés en les comblant de bonne chair et de bon vin à chacune de leurs sorties ?  Sans penser une seconde à se remettre lui-même en cause devant cette piteuse ouverture musicale, René n’attribua qu’à ses musiciens la fureur que l’Orphéon venait de déclencher parmi la foule des spectateurs.  9  
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