Les Enquêtes de Monsieur Proust, Pierre-Yves Leprince - Extrait
22 pages
Français

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Description

Celui qui écrivit À la recherche du temps perdu aimait les énigmes. J’eus, très jeune, la chance d’en résoudre une pour lui. Les réponses l’intéressaient moins que les recherches, le temps de ce qu ’il appellerait toujours «nos secrètes enquêtes» commença néanmoins. Quand il voulait me parler de l’une d’entre elles, ou m’interroger sur celles qui étaient devenues mon métier grâce à lui, Monsieur Proust me téléphonait ou m’envoyait un billet (pour moi comme pour Céleste Albaret, l’ange gar- dien de ses dernières années, Marcel Proust demeura tou- jours Monsieur Proust). Je répondais en venant, mon nom n’est cité nulle part, aucun témoignage, aucune correspondance, aucune biogra- phie ne prouvent la vérité de ce que je vais raconter, si long- temps après. Je ne demande pas qu ’on me croie, j’espère seulement faire connaître quelques-uns des moments que l’écrivain célèbre passa en compagnie de l’un de ces inconnus du petitpeuple qui firent partie desa vie.

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Publié le 04 novembre 2014
Nombre de lectures 18
Langue Français

Extrait

L E S E N Q U Ê T E S D E M O N S I E U R
P R O U S T
PIERREYVES LEPRINCE
L E S E N Q U Ê T E S D E M O N S I E U R P R O U S T r o m a n
G A L L I M A R D
©Éditions Gallimard, 2014.
Paris, ledécembre
Celui qui écrivitÀ la recherche du temps perduaimait les énigmes. Jeus, très jeune, la chance den résoudre une pour lui. Les réponses lintéressaient moins que les recherches, le temps de ce qunos secrètesil appellerait toujours « enquêtes » commença néanmoins. Quand il voulait me parler de lune dentre elles, ou minterroger sur celles qui étaient devenues mon métier grâce à lui, Monsieur Proust me téléphonait ou menvoyait un billet (pour moi comme pour Céleste Albaret, lange gar dien de ses dernières années, Marcel Proust demeura tou jours Monsieur Proust). Je répondais en venant, mon nom nest cité nulle part, aucun témoignage, aucune correspondance, aucune biogra phie ne prouvent la vérité de ce que je vais raconter, si long temps après. Je ne demande pas quon me croie, jespère seulement faire connaître quelquesuns des moments que lécrivain célèbre passa en compagnie de lun de ces inconnus du petit peuple qui firent partie de sa vie.
Ils ont peu témoigné, je suis sans doute le dernier dentre eux à pouvoir le faire. Jaimerais revivre des heures de bon heur inoublié et les partager, je commence aujourdhui, le temps me presse (dans deux ans, si je vis encore, jen aurai cent !).
P R E M I È R E R E N C O N T R E A V E C M O N S I E U R P R O U S T
Lorsquun écrivain me chargea de retrouver un carnet perdu, indispensable à un livre quil voulait écrire, je navais presque rien lu. Né dans une famille pauvre, javais quitté lécole après le certificat détudes afin de gagner ma vie, pour moi comme pour la plupart des gens du peuple, au début du e siècle, le seul écrivain était Victor Hugo. Abandonnée par mon père, enceinte de moi, ma mère navait dautre famille que son père. Il aimait nous lire des passages desChâtiments, il nous décrivait le cercueil du poète, accompagné par les Parisiens jusquà lArc de triomphe, trois années avant ma naissance. Je savais par cœurLes Pauvres Gens, je pleurais tout seul quand je me récitais ces vers, mon expérience littéraire sarrêtait là. Jétais de très petite taille mais actif et serviable, on fai sait confiance à mon air denfance, on me donna vite de petites courses à faire dans Paris, ma ville natale. Comme beaucoup de garçons pauvres de lépoque, je devins coursier. Mon grandpère mourut, ma mère rencontra un homme qui habitait Versailles, il lui proposa dy vivre avec lui. Sans être bon il nétait pas méchant, il possédait une petite maison
dont il me permit doccuper la mansarde. Javais seize ans, je dus chercher du travail dans une nouvelle ville. Le hasard de mes courses me fit connaître des personnes qui me donnèrent du travail, le portier dun hôtel de la ville, connu pour son luxe ancien et sa proximité avec le Château, me prit en affection. Portier en second, il travaillait plutôt la nuit. Nayant plus personne à ces heureslà pour faire une course, il me donnait souvent la pièce pour aller chercher un fiacre, porter des messages tardifs, une lettre urgente, rappor ter la réponse. Je passais donc devant lhôtel des Réservoirs en fin de journée, chaque fois que je le pouvais. Un dimanche de novembre, japerçois le petit Monsieur Massimo devant le porche (dorigine italienne, ce portier se prénommait Massimo, mais il était si petit, presque aussi petit que moi, que le Directeur lappelait « le Signor Minimo »). Il me fait signe dentrer, nous nous parlons dans la cour. Le Signor Minimo est pressé, il espère que je résoudrai un problème qui secoue son gros petit corps et trouble sa pauvre tête, dans laquelle se mélangent litalien et le français (jigno rais que lon fait souvent sonner la finale des mots, en italien, je me demandais donc pourquoi ce monsieur mettait tant de mots au féminin, pourquoi, dans sa bouche, les clients mâles devenaient des clientes et moi « oune garçonne », mais je lécoutais sans poser de questions, javais besoin de gagner ma vie). Nous avons ici, depuis des mois, oune cliente, une mon sieur de la capitale qui est venu se mettre en présidence à Versailles parce quil cherche un nouveauappartamentoà Paris, comprendstu, mone garçonne ? Je compris que présidence voulait dire résidence etappar tamento, appartement, je fis oui de la tête, le portier pour suivit.

Ce cliente est très riche, très généreuse mais très triste, il a perdu une personne qui est morte. Des fois, il reçoit des personnes de la haute à lhôtel mais il sort presque jamais. Il dort le jour, il est sur les pieds la nuit, faut pas faire de rumeur, pas toucher ses affaires, même pas nettoyer sa chambre, il a des domestiques à lui. Quand il les envoie à Paris soccuper de son nouveau appartement, toutes les per sonnes du personnel de lhôtel deviennent martelles, on sait jamais ce quil veut, si ça continue comme ça, il finira par nous faire tourner en barrique,capisci, tu comprends ? Je compris que barrique voulait dire bourrique, comme « martelles », marteaux, et refis oui de la tête (en ce début du e siècle les petites gens disaient toujours oui à tout). Il y a pas beaucoup de personnel à lhôtel en ce moment hivernal dhiver, lescameriere(femmes de chambre), les gar çonnes et les grooms ont les jambes en cotone à force de monter et descendre les escales, cette monsieur a perdu un cornet depuis deux jours, il crie « Retrouvez mon cornet, Monsieur Massimo, ou je meurs sur le campe ! », il faut retrouver ce cornet au plus preste. Je crus comprendre que ce client était un vieux monsieur sourd qui avait perdu le cornet acoustique dont il avait besoin pour entendre, sinon il mourrait surlechamp, japprouvai une fois de plus en silence, Massimo continua. Tu fais des courses pour la maisonBâtard et Fils, enquêtes en tout genre, son travail est de savoir ce quon sait pas, tu es maline comme une singe, tu dois savoir comment on fait pour retrouver des causes perdues, retrouve ce cornet au plus preste, sinon je tourne folle et nous perdons notre meilleur cliente, il nous donne des manches que tu te figures pasSans être malin comme un singe, je compris que folle voulait dire fou et je savais déjà que manches voulaient dire

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