Objet culturel
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Description

OBJET CULTUREL Ce soir-là, je me trouvais devant une magnifique librairie, avec une luxueuse vitrine illuminée et de rares livres présentés sur leurs socles, un peu à la manière des bijoux et des parures que l’on admire dans les joailleries de la Place Vendôme. J’avais eu beaucoup de difficulté à la trouver, c’était la dernière à proposer de véritables livres avec une couverture cartonnée et un certain nombre de pages recouvertes de signes imprimés. Parmi les quatre livres présentés, trônait sur un piédestal recouvert de velours rouge un ouvrage sans doute d’importance majeure vu le nombre de spots braqués sur lui et la banderole dorée indiquant : « Le dernier livre de Stéphane de Villetord, celui que tout homme intelligent se doit d’avoir lu... » Un peu intimidé par une telle présentation, à une époque où l’on trouvait des visiolivres partout et de vrais livres quasiment nulle part, je me décidais à rentrer dans ce magasin si select. Moquette épaisse, lumière tamisée, musique d’ambiance, fauteuils profonds, une sorte de compromis entre le musée et la maison de haute couture. Quelques messieurs d’âge mûr, sans doute de grands professeurs ou des bibliophiles experts, consultaient les ouvrages qui étaient présentés un par casier, la couverture tournée vers l’extérieur. Les plus précieux étaient même enfermés dans des vitrines aux parois de verre blindé. Une hôtesse vêtue d’un tailleur bleu s’avança vers moi en me demandant : « Puis-je vous aider ?

Informations

Publié par
Publié le 19 janvier 2013
Nombre de lectures 365
Langue Français

Extrait

OBJET CULTUREL
Ce soir-là, je me trouvais devant une magnifique librairie,
avec une luxueuse vitrine illuminée et de rares livres présentés
sur leurs socles, un peu à la manière des bijoux et des parures
que l’on admire dans les joailleries de la Place Vendôme.
J’avais eu beaucoup de difficulté à la trouver, c’était la dernière
à proposer de véritables livres avec une couverture cartonnée et
un certain nombre de pages recouvertes de signes imprimés.
Parmi les quatre livres présentés, trônait sur un piédestal
recouvert de velours rouge un ouvrage sans doute d’importance
majeure vu le nombre de spots braqués sur lui et la banderole
dorée indiquant : « Le dernier livre de Stéphane de Villetord,
celui que tout homme intelligent se doit d’avoir lu... »
Un peu intimidé par une telle présentation, à une époque où
l’on trouvait des visiolivres partout et de vrais livres quasiment
nulle part, je me décidais à rentrer dans ce magasin si select.
Moquette épaisse, lumière tamisée, musique d’ambiance,
fauteuils profonds, une sorte de compromis entre le musée et la
maison de haute couture.
Quelques messieurs d’âge mûr, sans doute de grands
professeurs ou des bibliophiles experts, consultaient les
ouvrages qui étaient présentés un par casier, la couverture
tournée vers l’extérieur. Les plus précieux étaient même
enfermés dans des vitrines aux parois de verre blindé.
Une hôtesse vêtue d’un tailleur bleu s’avança vers moi en
me demandant : « Puis-je vous aider ? »
- Oui, lui répondis-je. Je viens de remarquer le livre de
Monsieur de Villetord dans votre vitrine...
- Excellent choix, Monsieur. C’est le livre du moment, celui
qu’il faut absolument avoir lu ! Et comme par enchantement, elle m’en présente un
exemplaire en me demandant de l’examiner tranquillement. La
quatrième de couverture m’intrigue. « Le livre fondamental
pour notre époque déboussolée... Une réflexion totalement
nouvelle sur l’absurde... L’actualité brutale d’une pensée
décapante... L’oeuvre inégalée d’un penseur exceptionnel… Le
poète du vacillement, de l’incertitude et de l’incommunicable à
l’apogée de son art... ». Avec des éloges aussi dithyrambiques
on ne peut qu’avoir envie d’acheter l’ouvrage.
Comme je le fais toujours, j’ouvre le livre au hasard et j’en
lis quelques lignes. Ou plutôt j’essaie sans vraiment y arriver.
Des mots, par centaines, par milliers, des phrases qui me
semblent obscures, absconses. Je n’y comprends rien. Je me
demande même si tout cela a un sens, si l’auteur a voulu
transmettre quelque chose ou s’il a simplement souhaité se
faire plaisir. Sans doute se comprend-il ? Moi, je n’y arrive pas.
La charmante hôtesse blonde revient vers moi...
- Il est excellent, n’est-ce pas? L’ouvrage est publié chez
Gallirion... Savez-vous que c’est le tout dernier grand éditeur
du pays ? Il publie six livres par an. Certains titres, comme
celui-ci, atteignent jusqu’à mille exemplaires !
- L’ennui, c’est que je n’ai pas très bien compris le peu que
je viens d’en lire...
- C’est normal, au début avec les grands auteurs, on peut
avoir un peu de difficulté, mais en s’accrochant, on finit par
entrer dans le livre.
- J’ai bien l’impression que moi, je ne vais pas y arriver du
tout. Je n’ai pas fait beaucoup d’études. Je travaille toute la
journée et il ne me reste que la nuit pour me cultiver...
- Dans ce cas, c’est tout à fait ce qu’il vous faut. C’est un
ouvrage très complet à la fois philosophique, littéraire et
poétique. Vous verrez, vous ne serez pas déçu. Le tout est de ne
pas vous décourager à la première difficulté...
- Vous savez, je n’ai eu que 35 au test de Warchild, alors je suis loin d’être une lumière. J’ai même l’impression qu’il doit
falloir au moins 90 ou 100 pour avoir une chance de
comprendre..
- Evidemment, reprit-elle, songeuse. 35 au Warchild... Eh
bien, c’est prévu. L’éditeur propose un livre
d’accompagnement et de décryptage qui vous permettra de tout
appréhender sans difficulté.
C’était proposé si gentiment et avec un si charmant sourire
que j’acceptais. Quelle ne fut pas surprise quand elle
m’annonça la somme à régler pour les deux ouvrages : 1350
dolros !
- Mais, il y en a pour une fortune, m’écriais-je.
- Oui, le livre a beaucoup augmenté ces temps-ci. C’est dû
au prix du papier qui a explosé depuis le choc de la filière bois,
aux tirages de plus en plus réduits et surtout au monopole de la
maison Gallirion.
- C’est vraiment trop cher pour moi, avouais-je piteusement.
Je n’ai que l’allocation de solidarité pour vivre...
- L’objet culturel « livre sur papier » devient un véritable
produit de luxe. Quelque chose de rare, d’excessivement
recherché. Et ce qui est rare est cher. Pourquoi croyez-vous que
nous mettons certains in-quarto sous vitrine de protection ?
- J’essaie simplement d’acquérir un peu de culture et ce
n’est pas facile. Les bibliothèques papier ont disparu au profit
des bibliothèques sur support digital et ce n’est pas la même
chose du tout. Rien que du spectaculaire ou du divertissement.
Moi, je voulais commencer ma rééducation par la philosophie...
- Dans ce cas, Monsieur, il faut faire cet indispensable effort
financier.
Quand on aime, on ne compte pas. J’avais déjà deux vrais
livres à la maison, celui-ci serait mon troisième et mon plus
précieux. Un véritable embryon de bibliothèque.
- Je suis sûre que vous ne regretterez pas votre décision,
ajouta-t-elle en faisant passer ma carte de paiement devant un lecteur laser. Au revoir, Monsieur et bonne lecture ! Je vous ai
ajouté une petite plaquette de mots croisés à titre
d’échantillon... Ne me remerciez pas, c’est offert juste pour
vous donner un avant goût du véritable recueil qui compte plus
de 1000 pages avec reliure pleine peau...
Elle devait parler d’un ouvrage-vedette de l’éditeur, un de
ceux qui avaient droit à la vitrine individuelle, aux drapés de
velours rouge ou vert et aux spots entrecroisés. A peine de
retour chez moi, je me mis au décryptage. J’en perdis l’appétit
et le sommeil à m’échiner sur ces pages, ces phrases
amphigouriques, ce salmigondis imbuvable, ces notes de
plusieurs pages, ces addenda censés éclairer les méandres
d’une pensée labyrinthique et ténébreuse. Le livre
d’accompagnement, au lieu de m’aider à comprendre,
m’enfonçait un peu plus à chaque page dans les marécages
insalubres de l’incompréhension. De deux choses l’une : ou
j’étais crétin ou Monsieur de Villetord se moquait du monde.
Ou les deux. Ou rien de tout cela. En tout cas, l’auteur, son
interprète et moi, nous ne nous comprenions pas. Sans doute
parlions-nous des langages différents. M’étant accordé une
semaine pour entrer dans le bouquin et n’y étant toujours pas
parvenu, je me présentais à nouveau dans la librairie de luxe.
L’hôtesse blonde n’était plus là. Ce fut une brune qui me reçut
avec un grand sourire.
- Qu’y a-t-il pour votre service ?
- Je vous rapporte « Code Léonard » ainsi que son livre
d’explications « Code Léonard décrypté ». Ca ne me convient
pas du tout...
- Ah, oui ... C’est du Villetord. C’est un peu particulier...
- Serait-il possible que vous me le repreniez ou que vous me
l’échangiez ?
- Je suis désolée, Monsieur, mais la maison ne reprend pas
les ouvrages vendus ! Nous ne commercialisons que du neuf…
- C’est qu’ils m’ont coûté fort cher et que ça m’aurait arrangé si vous me les aviez remboursés...
- Ce n’est pas possible, répondit-elle. Voyez sur le marché
de l’occasion. Du Villetord de cette qualité, en vélin 90 g
entièrement piqué main avec couverture ski vertex, vous
trouverez facilement un amateur...
- Vous croyez ? lançais-je dubitatif.
- En tout cas, en neuf, ça ne reste pas. « Code Léonard » e

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