Crying Star, Partie 1
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Crying Star, Partie 1

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Description

« Engagez-vous sous la fière bannière de la Coalition ! Vengez vos proches tombés au combat contre le vil soldat d’Europa ! Défendez votre colonie, ne les laissez pas tomber, ils comptent sur vous ! »
Persée est un jeune homme qui a eu la chance de vivre sur une planète tranquille, où la troisième guerre des colonies n’est qu’un vague écho. Son rêve n’est pas de pulvériser un ennemi qu’il voit tout au plus comme un distant voisin agité, mais de voler, de piloter. Se rapprocher des étoiles et se sentir enfin libre.
Mais la réalisation de ce rêve va déchirer son confortable cocon de principe, et l’obliger à faire face à la réalité de son monde.

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Publié par
Publié le 24 avril 2016
Nombre de lectures 30
EAN13 9781310713538
Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

Crying Star, Partie 1
Kane Banway
1. L’engagement
« La guerre n’est qu’une putain surévaluée. Elle tente les jeunes hommes, fait pleurer de rage les femmes abandonnées, elle coûte horriblement cher, et une fois entre ses cuisses, on réalise que c’est dégueulasse. Surtout quand l’humanité entière est déjà passée par là. » Général Perakos, cinquième armée de la Coalition, 1154 PGS (Post Grand Saut ). L’affiche représentait un soldat, poing sur les hanches, torse bombé, sourire aux lèvres, campé devant une planète et un fond étoilé. En sous-titre : «Un seul soldat peut changer le cours des choses, soyez ce soldat. Combattez Europa !» Sous l’image tachée d’humidité, trois bureaux aux pieds rouillés étaient plantés dans le sol boueux d’une allée marchande. Des hommes s’attelaient à écrire les noms des volontaires à une séance « d’information et découverte citoyenne». Si les fonctionnaires chargés des listes étaient couverts de vieilles vestes chauffantes électriques, ce n’était pas le cas de ceux qui attendaient leur tour. Les files d’attente étaient longues, parsemées de toussotements, de coups de pieds frappant le sol pour tenter de se réchauffer. Autour d’eux, les bâtiments trapus des premières années coloniales, autrefois d’un blanc éclatant, n’affichaient plus qu’un gris sale strié de fissures et de pierres éclatées dues au gel brutal des nuits à moins quarante degrés. Le fonctionnaire laissa passer derrière lui une jeune femme, qui s’engouffra prestement sous l’arche sombre d’une ancienne salle de cinéma, puis releva son regard vers son client suivant. — Bonjour. Une seconde. L’homme tira sur le câble de sa veste chauffante. La vieille rallonge rafistolée au scotch fendillé grésilla de protestation. Il se tourna enfin vers le jeune homme qui se tenait patiemment, emmitouflé dans une veste trempée et glacée. — Temps de chien. Prénom, âge, ville d’origine et motivations. La future recrue serra ses lèvres gelées pendant un instant avant de répondre. — Persée, 19 ans. Né ici. Je veux dire, Saint-Thésus. Je veux piloter. L’homme eut un petit rire en tapotant le prénom sur son clavier. — Persée ?… Ça change de tout les Zeus et autre Hadès qu’on croise en ce moment… Saleté de mode. Vos parents ont bien choisi ! Approchez-vous du petit micro là, et parlez clairement pour répondre à la question suivante : Êtes-vous conscient qu’il s’agit d’une projection d’information, diffusée par le réseau militaire et ne contient en aucun cas un aperçu réaliste de la vie de soldat ? — Oui, bredouilla Persée toujours frigorifié. Le recruteur se pencha légèrement en avant et lui chuchota. — Dites clairement « oui, je le comprends ». Sinon on va encore avoir ces foutues associations moralisatrices de merde sur le dos. Persée hocha la tête et répéta, plus fortement et au complet : — Oui, je le comprends et j’accepte d’y assister. — Parfait jeune homme. Passez derrière le rideau et installez-vous au chaud avec les autres. Persée s’engouffra dans le hall chauffé, non sans un regard vers la vieille affiche de recrutement qui datait d’après lui de la première ou seconde guerre coloniale. Il découvrit une ancienne salle de cinéma vaguement nettoyée pour l’occasion, l’écran encore masqué par un
grand rideau écarlate tacheté de moisissures grisâtres. Il se souvint d’une salle identique à celle-ci, en aussi mauvais état, sur la colonie voisine de St-Petersbourg. Son père à ses côtés lui avait fait découvrir des restaurations de films datant d’un autre millénaire. C’était là qu’il s’était découvert une passion pour la simple idée de voler. S’élever dans les airs et au-delà. Son désir de glisser dans le vide entre les étoiles. Puis, l’envie de s’évader du caillou familial et carcéral qu’était devenu Saint-Thésus pour lui. Il se glissa entre deux rangées pleines et visa le premier fauteuil disponible en bord de couloir. Persée salua son voisin de droite d’un vague signe de la main. Ce dernier hocha la tête en retour. Il avait un visage ouvert et sympathique, doublé d’une carrure impressionnante. Même assis, il avait à peine besoin de lever les yeux pour regarder le jeune homme. Il leva sa main vers Persée qui la serra en ayant l’impression de tenter de tenir un tractopelle entre ses doigts. — Je suis Hérios. Et toi ? — Persée … futur volontaire ? — Bordel que oui, j’attends ça depuis deux hivers. Marre de me les geler ici alors que je rêve de déboiter du moche depuis que je sais marcher…. Et toi ? — Je vise la case pilote, répondit Persée avec un sourire gêné. Hérios siffla, impressionné. — T’es au courant qu’il faut au moins avoir un cerveau pour viser au-dessus de la case « troufion » ? — Il paraît... mais je suis sûr d’avoir un ou deux grains entre les oreilles, ça devrait suffire… répondit Persée en s’installant. Hérios éclata de rire assénant un amical coup de poing dans l’épaule de Persée. Ce dernier dut se retenir de frotter son membre endolori pour sauver les apparences. — Bon courage à nous, c’est aussi ce que je vise, déclara Hérios en croisant ses larges mains derrière la tête. Ma seule préparation c’est le meilleur score du cloud à Hunter 8… Mais je dois y arriver… car il paraît que les plus belles filles visent aussi la case pilote ! Les autres finissent… Hérios avança sa mâchoire qu’il avait déjà assez carrée, et mima la tenue d’un volant de poids lourd imaginaire. Un rire partagé et quelques échanges firent passer l’attente plus rapidement. Persée apprit qu’Hérios n’habitait pas à Saint-Thésus, mais s’y trouvait pour un travail saisonnier dans les champs, dans l’espoir de voir le bureau de recrutement apparaître dans son périmètre immédiat. Le jeune homme fut brutalement délaissé par son nouveau compagnon quand une fille s’installa à droite du géant. Persée en profita pour jeter un œil à la salle, presque pleine d’hommes et de femmes, ayant en commun une grande agitation. D’autres personnes entraient encore dans la salle quand les lumières du plafond se mirent à clignoter annonçant le début de la séance. Le niveau sonore des conversations s’enfla d’impatience. Les responsables du recrutement entrèrent à leur tour puis fermèrent les portes derrières eux. Persée tourna son attention vers le rideau rouge qui trembla avant de s’ouvrir sur un bel écran blanc immaculé, au grand plaisir nostalgique de Persée. Les lumières s’éteignirent et une musique orchestrale envahit la salle, puissante, réduisant au silence le public. Un drapeau de la Coalition apparut, un aigle en plein vol, sur fond rouge et blanc. Le symbole flotta devant eux pendant quelques secondes avant d’être progressivement remplacé par une petite fille dans un champ, grignotant un brin d’herbe, surplombée d’un ciel bleu sans défaut. L’image se resserra sur son petit visage. Elle ôta son
brin d’herbe de la bouche et tendit sa petite main potelée vers la caméra avec un sourire espiègle. La musique devint guillerette, simple, entraînante. Des bras enlacèrent tendrement la petite, et ce qui devait être sa très jeune mère ou sa sœur apparut à l’écran. Une belle jeune femme, à la petite robe d’été suffisamment déboutonnée en haut et fendue en bas pour provoquer des sifflements enjoués dans la salle. Les cheveux permanentés lâchés en cascades sur ses épaules dénudées achevaient de compléter un tableau séduisant. Dans la salle, des cris et des remarques fusèrent, pour la plupart basés sur l’idée de « s’occuper de maman ». La voisine d’Hérios n’était pas en reste niveau suggestions salaces. Hérios se tourna vers Persée, l’air dépité : — Elle joue pas pour la bonne équipe. Damned… La caméra recula brutalement, pour apercevoir le champ dans lequel la petite et sa jolie maman se trouvaient, puis le pays verdoyant, le continent, et enfin la planète. Sphère gracieuse, verte et bleutée, presque similaire à la Terre telle que montrée dans les livres d’instruction, entourée de son écrin d’étoiles brillantes. Le petit accompagnement sonore devint de moins en moins audible, jusqu’à ne plus être qu’un écho lointain. À cet instant, une ombre massive apparut avec un bourdonnement sourd en bas de l’écran et masqua la planète. Des reflets métalliques dévoilèrent le corps d’un navire de guerre d’Europa, aux flancs hérissés de canons. Dans la salle, des huées s’élevèrent, des cris de haine, des poings dressés. Persée ne réagit pas, il n’avait nulle envie de dresser le poing face à un écran de projection, mais il n’était pas insensible aux réactions de la salle. À l’image, l’ombre recouvrit la totalité de la planète, avant de sortir par le haut du cadre. Derrière elle, la jolie sphère bicolore s’était transformée en nuances de rouges et de noir. Une musique tragique s’éleva à mesure que la caméra fit le chemin inverse, les ramenant dans ce qui restait de cette planète, offrant la vision d’un ciel étouffé par les nuages de cendres et d’un horizon en flammes. Des claquements d’armes à feu et des cris hystériques s’élevèrent en sourdine, pendant que la musique connut son apogée mélancolique quand le plan bascula vers le sol, dévoilant uniquement les mains de la petite fille et de sa mère gisant dans la terre, immobiles, souillées d’un sang écarlate sur leur peau blanche, cadavérique. Une série d’images d’archive se succédèrent, accompagnées d’un claquement sec à chaque apparition de nouvelles scènes. Des images de corps abandonnés, de colonnes entières de populations emplissant les routes, trainant leurs bagages, des hommes hébétés, des armes à la main, courant pour se mettre à l’abri des bombardements. Des vues d’un cockpit de chasseur, manoeuvrant pour filer en rase-motte le long d’un cuirassé ennemi, en plein vide spatial. Une explosion silencieuse emplie l’image, rapidement remplacée par un« Allons-nous les laisser faire ?» flamboyant. Avant d’enchaîner sur un «Rejoignez l’armée de la Coalition !» L’écran s’éteignit et les lumières se rallumèrent. Un homme monta sur l’estrade. Il portait l’uniforme, des décorations par dizaines sur son revers. Il avait le visage buriné, creusé, les cheveux coupés courts, mêlant l’argenté et le blanc sous le projecteur. Il se contenta de parcourir la salle d’un regard presque paternel derrière de petites lunettes métalliques, ses yeux jaugeant son public. Le silence s’installa immédiatement. — Bonjour. Je suis le major Drenberg. Certains pourraient dire que ce que vous venez de voir n’est qu’un montage. Une œuvre de fiction. Laissez-moi vous dire la vérité : en effet, ces images sont un ramassis de foutaises. La vérité des combats contre Europa est toute autre. Elle est bien pire. Mille fois pire. Mais les types qui pondent ce genre de films savent qu’on ne vend pas du patriotisme en montrant l’horreur dans le détail. Juste ce qu’il faut pour exciter les
puceaux de la salle avant de passer aux choses sérieuses. Vous savez, le papier bleu, votre signature. Et hop, vous l’avez dans le cul. La salle eut un petit rire, et le major Drenberg eut un sourire en hochant la tête. Il s’approcha du bord de l’estrade et s’accroupit, comme pour parler aux premiers rangs. Il ôta ses lunettes et le sourire s’effaça. Persée nota que le personnel qui s’était occupé de faire rentrer les gens affichait des mines atterrées en entendant le discours de l’homme sur scène. Il n‘était visiblement pas prévu au programme que le major Drenberg se mette à cracher sur le contenu du film. — Mais vous… Vous qui avez choisi d’être assis dans cette salle, avec pour certains l’espoir de partir avec moi pour le camp d’entraînement. Vous, plus que quiconque, devez savoir la vérité. Il se releva et arpenta la scène, ses lunettes à la main, mais ses yeux sautaient d’un point à un autre de la salle, la couvant d’un regard intense. — Certains sont venus ici pour être des héros. D’autres parce qu’un de leurs proches ont été tués par l’ennemi. D’autres encore pour donner un sens à leur foutue vie de civil ou simplement pour se barrer de ce caillou trop froid. Cela m’est égal. Dans un cas comme dans l’autre, vous aurez les tripes de votre ennemi plein les mains. Et j’ai besoin de savoir qu’une fois ce moment venu, vous n’irez pas vomir dans votre casque ou sur votre pupitre. Le major Drenberg haussa le ton, ses mains ponctuant ses propos de poings fermés. — Que vous n’irez pas vous poser dix mille questions sur le bien-fondé de notre combat ! J’ai besoin d’hommes et de femmes qui ont compris que l’Ennemi nous vole. Que l’Ennemi tue et asservit par dizaines des mondes qui ont été colonisés, terraformés, domptés par un dur labeur qui se compte parfois en trentaines d’années ! L’Ennemi tue vos proches et se repait de votre colère en riant de vous. L’Ennemi invoque des lois et de la paperasse pour dire qu’il a de bonnes raisons d’agir ainsi. Des raisons qui, selon lui, justifient pleinement de violer ce qui lui tombe sous la main, et de voler le travail de toute une vie par la force. Voilà contre qui nous avons un devoir de répondre : Stop ! Le major fit une pause pour reprendre son souffle. Le public ressemblait à une mer agitée, attendant le premier coup de tonnerre pour se jeter en vague furieuse sur le premier quidam. Persée ne put réprimer ce sentiment d’exaltation qu’il partageait avec le reste de la salle. Oui, il fallait que cela s’arrête, c’était une évidence. Les images et son discours n’offraient pas d’autre solution que l’arrêt de ces horreurs. Devant lui, quelqu’un s’adressa à un ami avec un rire : — Ouaip, enfin on en a piqué aussi, des planètes… C’est kif-kif… Hérios, le géant aux côtés de Persée, referma ses poings sur ses genoux comme pour se retenir de frapper le siège devant lui. Il s’avança lentement et parla, mais les mots étaient emprunts d’une telle haine contenue que Persée se sentit mal à l’aise. — Ma sœur est morte sur Centauri. Ils les ont déplacés comme des chiens et ils l’ont abattue parce qu’elle n’avançait pas assez vite. Elle avait huit ans. Si tu penses que l’ennemi ne mérite pas ce qui va lui arriver, dégage. T’as rien à foutre là. Le concerné se tourna, blafard, et secoua la tête en balbutiant quelques mots d’excuse. Le voisin de Persée ne rajouta rien, se contentant de le foudroyer du regard et de se rassoir simplement au fond de son siège. Le Major avait repris sa tirade. — Europa est l’Ennemi. Europa mérite une vengeance rapide, brutale, et sans pitié pour
les crimes qui ont été commis. Mais surtout, surtout, la Coalition a besoin devouspour stopper l’avancée de cet ennemi. Êtes-vous prêts à vous salir les mains ? Êtes-vous prêts à donner votre vie pour défendre celle d’autrui ? Êtes-vous prêts à faire sentir à l’ennemi la forme de votre botte quand vous lui écraserez la figure avec ? La salle hurla un « oui » bestial à toutes les questions. Un peu plus fort à chaque fois. Persée se leva avec les autres lorsque le Major demanda leur vie. Non par conviction personnelle, mais parce que la salle entière s’était transformée en un organisme unique, tendu vers une seule idée : vaincre l’Ennemi. Lui faire payer, au centuple si possible, ses méfaits. Et Persée ne pouvait lutter contre cette déferlante de volonté vengeresse qui noyait toute autre pensée. Hérios, debout lui aussi, hurlait son accord et passa son bras autour des épaules de sa voisine et de celles de Persée, puis avec un sourire qui frôlait la démence, se mit à crier « Oui !» de plus belle. Quand le Major les salua en quittant la salle, ce fut sous les acclamations et les applaudissements. Les recruteurs eurent du mal à rétablir un semblant de calme pour faire remplir les formulaires d’engagement. Très peu des personnes présentes repartirent sans leur feuille bleue cochée, signée et tamponnée. En se dirigeant vers les bureaux, Persée croisa celui qui avait offensé son voisin. Sans surprise, il sortait directement, tête basse. Par curiosité, il l’interpella et l’interrogea. Celui-ci secoua la tête, mais regarda prudemment autour de lui avant de répondre. Il chercha Hérios des yeux, et rassuré de le voir à distance, s’autorisa à répondre. — Ça fait quoi, la seconde ? Non, la troisième guerre des colonies ? Un ou deux siècles à se taper dessus ? Depuis le temps, on ne sait même plus qui a volé qui en premier… leur imprimer notre botte sur la tronche, ouaip, tu parles d’une solution… Ils ont sûrement les mêmes films en face, sauf que dedans, c’est nous les monstres. Il souhaita bon courage à Persée et s’éloigna, pâle et tête basse. Le jeune homme hésita un bref instant à faire la queue à son tour pour s’engager. Il se sentait mal à l’aise, tel un traître au milieu d’un groupe soudé par une même haine, née de la souffrance d’une tragédie vécue plus ou moins récemment. Ses parents étaient bien vivants et il n’avait aucun proche mort des mains d’Europa. Peut-être un arrière-arrière grand-père à la rigueur. Il s’était convaincu que combattre l’ennemi décrit dans les spots publicitaires était la raison principale de sa présence ici. Que sa présence dans les rangs de l’armée lui permettrait de faire quelque chose, devenir quelqu’un. Mais ce qu’il voulait par-dessus tout, n’était pas tant faire la guerre que de piloter. Contrôler une de ces merveilleuses machines qui lui permettrait de voler, frôler des planètes autrement qu’en simulation à la maison. Piloter autre chose qu’un engin de trente-deux tonnes servant à casser des cailloux gris et dont la vitesse de pointe était celle d’un cafard au galop. Piloter était son rêve depuis le jour où le rideau rouge s’était écarté sur un écran comme celui-ci, et lui avait dévoilé l’immensité de l’espace. Mais le discours du major avait touché une fibre en lui qu’il ne pouvait ignorer. Il était question de faire son devoir, de protéger autrui, de participer à quelque chose de plus grand que soi. D’empêcher qu’une telle chose ne se produise sur sa propre planète natale, elle même une colonie des premiers siècles après le Grand Saut. Et surtout, le major avait éveillé en lui un sentiment qui lui était étranger jusqu’à aujourd’hui : de la colère. Persée repartit avec sa feuille bleue d’engagement, son rêve coché au stylo noir. « Pilote ».
2. Résnltats
«Tout le monde aime faire la part du bien et du mal. Et tout le monde aime être du côté de la raison et de la justice. Mais quand un conflit dure depuis si longtemps, il est absolument impossible qu’aucun des deux camps n’ait commis des exactions condamnables tant par la raison que par la justice.» Tanis Marek, diplomate de la Coalition à la chambre de la Paix, 1223 PGS. — Vous avez dix minutes pour répondre aux questions. Faites de votre mieux, soyez honnête. Sortez de votre alcôve une fois l’interrogation terminée, n’essayez pas de partir avec la tablette. Persée avait facilement retrouvé Hérios dans la foule de candidats. Ils s’étaient salués, puis avaient échangé quelques banalités pour évacuer la peur de ne pas être admis. L’échec à ce test signifiait une affectation en académie terrestre pour l’infanterie. Hérios confia à Persée qu’il accepterait son « destin », mais qu’il aurait tout de même préféré « bombarder ces salauds » de là-haut, tout comme les escadrilles d’Europa avaient bombardé sa colonie avant de l’envahir. Quand l’instructeur donna les recommandations, ils se souhaitèrent mutuellement bonne chance et pénétrèrent dans leurs alcôves. Persée découvrit la tablette dressée devant lui, fixée à un bras mécanique. Les murs de plastique orange n’occultaient pas les toussotements, reniflements stressés et exclamations de dépit des autres prétendants. Il activa le début du test, et les questions défilèrent. Réponses par vrai ou faux, connaissances générales, quelques dates, des exercices de logique et de réflexes. Persée fit de son mieux, en sachant qu’il n’avait pas vraiment brillé. La dernière question était un test d’écriture, mais quand le clavier virtuel apparut à l’écran, il était sur le côté, à la verticale. Persée tenta de le faire pivoter sans succès, et la cabine était trop étroite pour se mettre de travers. Il entendit un craquement métallique dans l’alcôve à côté de lui. Celle d’Hérios. Il ne put retenir un sourire en devinant la solution appliquée par le géant. Pour sa part, il se contenta de se pencher sous la tablette et d’observer le mécanisme. Une simple goupille maintenait le bras articulé dans cette position. Il l’ôta et fit pivoter la machine. Il répondit à la dernière question, et posa la goupille sur l’écran affichant la mention « test terminé ». Dix minutes plus tard, les prétendants pilotes furent réunis dans une salle où l’instructeur leur demanda de patienter le temps que les résultats soient compilés par l’ordinateur et que les données de leur dossier personnel soient prises en compte par un jury. Ensuite seulement, les résultats seraient imprimés puis affichés à l’extérieur. — J’ai dû arracher le bras de son étagère, déclara Hérios avec un sourire. — Il y avait une goupille qui le tenait dans le mauvais sens, fallait l’enlever, espèce de bourrin… lui répondit Persée avec le même sourire. Le géant lui asséna une claque dans le dos. — On s’en cogne, l’important, c’est qu’on ait respecté les consignes : on n’est pas parti avec… Tu penses que c’était un test ? Persée hocha la tête. Il entendit d’autres personnes donner leurs solutions à la dernière question : se mettre sur le côté en rentrant le ventre, taper le texte en penchant la tête, enlever la fameuse goupille. Hérios avait à priori été le seul à arracher le bras articulé, ce qui augmenta
sa fierté, même s’il glissa un mot à Persée, quelques instants avant qu’on ne les autorise à sortir voir les résultats. — J’aurais peut-être pas dû dézinguer le truc, tu crois que ça peut être fatal pour ma demande de pilote ? — Aucune idée, mais je pense que tu vas le découvrir dans quelques secondes. Ils se dirigèrent vers les tableaux d’affichage, et durent patienter quelques instants avant de les atteindre, au milieu des exclamations de joie et des démonstrations de rage. Persée chercha son nom, et sentit son cœur battre la chamade quand il vit le mot « Pilote» en face. Il chercha Hérios des yeux, trouva le géant qui relisait une ligne plusieurs fois de suite. Le géant se tourna vers lui, le visage inexpressif, avant d’exploser. — J’y suis ! Ils m’ont pris ! hurla-t-il en laissant son soulagement exploser en de grands cris et une violente accolade quasi mortelle avec Persée. S’ensuivit un grand nombre de hurlements de joie et un des élèves d’inviter tout le monde dans un bar à proximité. Persée ne suivit pas le mouvement. Les « recalés » étaient encore au tableau, relisant la ligne « Infanterie » au lieu de « Pilote ». La déception était visible. Hérios qui avait emboité le pas au reste des futurs pilotes s’arrêta en voyant que son camarade ne le suivait pas. Persée se mit à crier à l’intention des « recalés ». — Hey, venez aussi, on fera tous partie de la même armée, non ? harangua Persée. Et le but restera le même… — Ouaip ! surenchérit Hérios qui était revenu sur ses pas. Et l’autre guignol a promis un coup à boire à tout le monde, alors faut en profiter ! et fêter le jour où la Coalition a embauché les meilleurs pour foutre notre botte au cul d’Europa ! Une petite troupe se forma autour des deux futurs pilotes, et ensemble ils rejoignirent le groupe principal. « Le guignol » qui avait promis le coup à boire voulut protester, mais Hérios prit un air extrêmement triste et secoua lentement sa tête négativement. Il dépassait la foule des élèves d’une tête et demie, et quand il atteignit le généreux pourvoyeur de boissons, celui-ci ne put que hausser les épaules avec un soupir. — Tournée générale, merci à lui ! hurla Hérios. T’es qui au fait ? Peu importe, je suis ton serviteur… — Je suis Céphée. Et inutile d’agiter ta main devant mon nez, mes promesses, je les tiens. Et celle des autres aussi. Persée qui était à proximité entendit ces derniers mots et ne put s’empêcher de remarquer la citation. — Maréchal Pétain, 1941. C’est pas vraiment une référence, tu sais... — Ah ? J’ai vu ça dans un film. Le bonhomme est oublié, la phrase est restée. Tu veux ton coup à boire ou juste me regarder pendant que je paie l’addition de tes potes ? Persée eut un sourire et haussa les épaules. Quand le bar le plus proche fut envahi et rempli de bavardages, il prit une bouteille et un verre sur le comptoir. Il leva son verre plein et hurla pour couvrir le brouhaha des conversations. — Bravo à nous, et que la chance soit avec nous ! À la Coalition ! Tous levèrent leur verre — ou leur bouteille déjà entamée - et répétèrent en chœur : « À la Coalition ! ». Persée fut rejoint par Hérios qui traina Céphée avec lui. — Non seulement il a le portefeuille plein le bougre, mais lui aussi vient de Pernord, mon caillou trop froid à moi ! Et moi qui croyais qu’on était trois à vivre là-bas, moi, mon chien, et ma
grosse b… — Je viens du sud de la colonie, précisa Céphée en interrompant le géant qui ricanait à son propre humour. Ils viennent de finir de terraformer cette partie, mais c’est à peine habitable. On passe plus de temps à réparer les chaudières qu’à cultiver les champs. — Ici aussi, la terraformation vient de se terminer, répondit Persée en hochant la tête. Ce quartier du moins. Mes parents ont eu du mal à payer les derniers impôts pour financer la phase finale. On aurait tous préféré vivre sur l’autre versant de la planète, c’est colonisé depuis un siècle déjà. Mais trop cher. Céphée hocha la tête, Hérios s’exclama : — Marrant hein, comme tout coûte toujours la peau des fesses. Et que les boîtes de terraforming nous colle une triple amende pour le moindre retard de paiement, mais quand il s’agit de montrer des résultats potables c’est toujours plein d’excuses et de petites lignes comportant les termes « n’est pas tenu responsable de… » Hérios secoua la tête, puis la bouteille pour en consulter le niveau trop plein qu’il corrigea en deux gorgées. — D’ailleurs Céphée, si tu viens de mon caillou, comment ça se fait que tu sois aussi riche ? Parce que là tu vas douiller sévère, mon ami… Le concerné haussa les épaules, visiblement embarrassé. — En réalité, notre colonie d’origine était Centauri. Mais après l’occupation par Europa, nous avons fui jusqu’à Pernord. Mon père est maintenant l’administrateur en second de la colonie, il a une bonne réputation et ce bar appartient à un ami à lui. Je paye rien en fait. — Il te gratte le dos aujourd’hui et demain ton paternel lui vendra des épices pour moins cher qu’au voisin ? s’amusa Hérios. — C’est l’idée. Hérios eut un sourire et, prenant un air faussement menaçant : — Tu sais, mon père déteste les administrateurs, car à cause d’eux ses récoltes se vendent mal, en raison du favoritisme qu’il dit... — T’as l’intention de me prendre en otage et de faire chanter mon paternel ? demanda Céphée tranquillement. — Est-ce que j’ai une tête d’agriculteur en colère ? plaisanta le géant. — Et puis, difficile d’en vouloir à quelqu’un qui nous offre une véritable bière blonde… ajouta Persée. Céphée eut un regard de gratitude. Il avait visiblement eu peur d’être mal jugé. Hérios, qui avait bien compris le malaise de Céphée, tendit sa bouteille au centre de la table : — Peu importe d’où on vient : on recommence tout, dans le ciel. Persée et Céphée eurent un sourire et entrechoquèrent leur verre avec la bouteille du géant.
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