Figures et choses qui passaient
144 pages
Français

Figures et choses qui passaient

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Description

«Ce que je vais écrire est pour ceux qui, dans les cimetières, contemplant quelque fosse à peine fermée que les premiers bouquets blancs recouvrent encore, se sont sentis tenaillés jusqu'au fond et déchirés, au souvenir de petits yeux candides, éteints là sous la terre affreuse... Oh ! l'énigme déroutante et sombre, que la mort des petits enfants !... Pourquoi ceux-là, au lieu de nous, qui avons fini et qui, si volontiers, accepterions de partir ?... Ou plutôt, pourquoi étaient-ils venus, alors, puisqu'ils devaient s'en retourner si vite après avoir subi l'inique châtiment d'une agonie ?... Devant leurs tombes blanches, notre raison et notre coeur se débattent, en détresse révoltée, au milieu de ténèbres...»

Informations

Publié par
Nombre de lectures 16
EAN13 9782824710907
Langue Français

Extrait

P I ERRE LO T I
F IGU RES ET CHOSES
QU I P ASSAI EN T
BI BEBO O KP I ERRE LO T I
F IGU RES ET CHOSES
QU I P ASSAI EN T
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1090-7
BI BEBO OK
w w w .bib eb o ok.comLicence
Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.F IGU RES ET CHOSES
QU I P ASSAI EN T
1CHAP I T RE I
P ASSA GE D’EN F AN T
5 dé cembr e 1894.
   vais é crir e est p our ceux qui, dans les cimetièr es,
contemplant quelque fosse à p eine fer mé e que les pr emier s b ouquetsC blancs r e couv r ent encor e , se sont sentis tenaillés jusqu’au fond
et dé chirés, au souv enir de p etits y eux candides, éteints là sous la ter r e
affr euse . . .
Oh  ! l’énigme dér outante et sombr e , que la mort des p etits enfants  !. . .
Pour quoi ceux-là , au lieu de nous, qui av ons fini et qui, si v olontier s,
accepterions de p artir  ? . . . Ou plutôt, p our quoi étaient-ils v enus, alor s,
puisqu’ils de vaient s’ en r etour ner si vite après av oir subi l’inique
châtiment d’une ag onie  ? . . . D e vant leur s tomb es blanches, notr e raison et
notr e cœur se débaent, en détr esse ré v olté e , au milieu de ténèbr es. . .
††
2Figur es et choses qui p assaient Chapitr e I
Le p etit êtr e délicieux, dont je v oudrais pr olong er un p eu la mémoir e
en p arlant de lui, était le fils unique de Sylv estr e , — un domestique à nous
qui est de v enu, après dix anné es, pr esque quelqu’un de la famille .
Il n’avait v u que deux fois les étés de la ter r e . Ses che v eux de soie
jaune , comme on en met aux p oup é es, se p artag e aient en drôles de p
etites mè ches, r eb elles aux coiffur es. Son teint était comme celui des r oses
de Beng ale , ses traits comme ceux des ang es  ; il avait une p etite b ouche
toujour s ouv erte , au-dessus d’un menton un p eu r entrant qui lui donnait
une naïv eté adorable . D’ailleur s, le plus jo y eux des inno cents bébés, tout
au b onheur nouv e au d’ e xister , de r espir er , de se mouv oir  ; plein de vie et
de santé fraîche  ; p otelé , musclé comme les Amour s p aïens.
Mais son char me surtout était dans ses y eux, de grands y eux bleus
assez enfoncés sous l’ar cade du fr ont, des y eux de candeur , de confiance
et aussi de continuel étonnement de vant toutes les choses de ce monde . . .
††
A Paris, ce matin gris de dé cembr e , dans une chambr e d’hôtel
quelconque , sans nouv elles depuis quatr e jour s, ar rivant d’un v o yag e du Nord,
j’ ouv r e au hasard une de mes ler es prises à la p oste r estante . — Et elle
commence ainsi  : « Hier au soir , à huit heur es, cet amour de p etit Rog er
mourait dans d’affr euses souffrances. Nous le pleur ons tous, et Sylv estr e
fait une pitié pr ofonde . . . »
. . . D’ab ord, je tour ne sur place et je mar che , vite , comme sous la
p oussé e et l’ e x asp ération d’une douleur phy sique . . . Ensuite , je r epr ends
la ler e , p our continuer de sav oir  : c’ est le cr oup , qui l’a emp orté en
quelques heur es, au milieu de l’affolement de ceux qui le soignaient. . .
Je mar che encor e , détaillant sans sav oir p our quoi les objets, les
laideur s de cee chambr e , r ep oussant du pie d des choses qui m’ entrav ent
p our p asser , — le temps de bien compr endr e l’ine x orable ré alité de c e que
je viens de lir e , et puis, tout à coup , un nuag e , je n’y v ois plus — et je
pleur e . . .
L’idé e ne m’était jamais v enue que ce p etit Rog er p ouvait mourir . . . Et
puis, non, je ne cr o yais p as qu’il avait pris tant de place en moi, ce p etit-là ,
je ne p ouvais p as cr oir e que je l’aimais tant  !. . . Est-ce qu’ on sait d’ailleur s
p our quoi on aime tel p etit êtr e qui ne v ous est rien, plutôt que tel autr e
qui v ous touche de plus près  : c’ est quelque chose qui va des y eux dans
3Figur es et choses qui p assaient Chapitr e I
les y eux, qui vient de la toute p etite âme candide et neuv e , p our p énétr er
doucement jusqu’au fond de la vôtr e , lassé e et mor ne . . .
††
D ans ce même cour rier , une dépê che , qui aendait aussi depuis deux
jour s à la p oste r estante  : « Je suis dans la p eine . Notr e p etit Rog er mort.
— SY LV EST RE. »
Maintenant je r eg arde les dates. T out cela est déjà d’avant-hier  ! D onc,
on l’ emp ortera au cimetièr e ce soir , et il est tr op tard, je n’ai aucune p
ossibilité d’ar riv er , aucun mo y en humain de r e v oir la chèr e p etite figur e ,
même rigide et pâlie . . .
††
Rog er Couë c, c’était le titr e qu’il se donnait à lui-même quand on lui
demandait  : «  Comment t’app elles-tu  ? » ( Couë c, une abré viation à lui
du nom de son pèr e , qui est un nom de Br etagne aux r udes consonances
de granit.) and il pr ononçait ce Couë c, il était comique si g entiment,
qu’ on le lui faisait toujour s r e dir e — et, de r etr ouv er aujourd’hui ce p etit
mot enfantin, de le ré entendr e en souv enir , me fait mal affr eusement.
††
Ici, à Paris, où je de vais m’ar rêter , j’avais mille choses à fair e , tant de
r endez-v ous ar rang és  ; des amis comptaient sur moi p our des dîner s, des
g ens m’aendaient p our régler des questions imp ortantes. . . Rien de tout
cela n’ e xiste plus  ; sans seulement m’inquiéter de les av ertir , je v eux au
plus vite m’ en aller , r entr er chez moi, dans ma maison — où p ourtant va
manquer p our toujour s cee p etite fleur qui était Rog er Couë c.
Mais je n’ai de train p ossible p our m’ emmener que ce soir et, p endant
tout un long jour désolé , il va falloir aendr e dans cee chambr e , ou bien
er r er dans les r ues  ; au milieu d’ambiances indiffér entes ou hostiles, êtr e
sombr e et seul, en ré v olte outré e et sans esp oir contr e la cr uauté stupide
de la mort, qui fer me de tels p etits y eux, qui fauche de tels p etits ang es
p our les coucher dans son char nier . . .
††
« Je suis dans la p eine . Notr e p etit Rog er mort. » T andis que les heur es
suiv ent leur mar che lente , je fais comme une r e v ue de cee e xistence de
deux étés — chaque instant qui vient, après la stup eur pr emièr e , martelant
en moi plus pr ofondément la notion que c’ est à tout jamais fini. . .
4Figur es et choses qui p assaient Chapitr e I
Oh  ! sa p etite v oix dans la cour de notr e maison, quand je p assais
de vant le logis de ses p ar ents et qu’il v oulait me suiv r e  : « Messieu  !
messieu  ! » ( Pour lui, monsieur était mon nom.) Et ensuite son p etit tr
oinement jo y eux der rièr e moi, p our me r ejoindr e . . . Fini et glacé , tout cela  !. . .
En souv enir , il me ré app araît surtout av e c une certaine r ob e de
molleton r ose , qui fut son costume de tous les jour s p endant cee fin de saison,
et une cravate « La V allièr e » blanche , br o dé e à chaque b out d’une fleur
chinoise , qu’il p ortait g énéralement sens de vant der rièr e , la r osee dans
le dos, sous les p etites mè ches de ses che v eux jaunes. . . Mon Dieu, v oici
que cela me dé chir e le cœur à me fair e pleur er encor e , de p enser à cee
p etite cravate tour né e à r eb our s, r etombant sur le dos de cee r ob e r ose . . .
††
Il était très vif, ce p etit Rog er , et cep endant

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