Fromont jeune et Risler aîné
160 pages
Français

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Description

Sidonie Chèbe et Risler l'aîné viennent de se marier. Pourquoi m'a-t-elle épousé, moi qui ne suis ni beau ni très futé (mais riche et bien placé dans la société) se demande le marié. L'air de triomphe de Sidonie quand elle prend possession de sa nouvelle demeure laisse préjuger de l'avenir. En effet, Sidonie, issue d'une famille pauvre, a toujours envié les riches, et en particulier la famille Fromont, qui possède une usine. À une époque, elle a réussi à se rapprocher de cette famille, en devenant amie avec Claire. Puis elle est tombée amoureuse de l'héritier de la famille, Georges Fromont. Mais celui-ci a fini par épouser Claire, sous la pression de famille. Avec Risler l'aîné, Sidonie essaye de se rapprocher de cette bonne société qui la fascine tant. Mais vivre près de cette bonne société, ne veut pas dire en faire partie, Sidonie l'apprendra vite à ses dépens...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 13
EAN13 9782824700854
Langue Français

Extrait

Alphonse Daudet
Fromont jeune et Risler aîné
bibebookAlphonse Daudet
Fromont jeune et Risler aîné
Un texte du domaine public.
Une édition libre.
bibebook
www.bibebook.comPartie 1
q1
Chapitre
UNE NOCE CHEZ VEFOUR
adame Chèbe !
– Mon garçon…
– Je suis content…MC’était bien la vingtième fois de la journée que le brave Risler disait qu’il était
content, et toujours du même air attendri et paisible, avec la même voix lente, sourde,
profonde, cette voix qu’étreint l’émotion et qui n’ose pas parler trop haut de peur de se
briser tout à coup dans les larmes.
Pour rien au monde, Risler n’aurait voulu pleurer en ce moment, – voyez-vous ce marié
s’attendrissant en plein repas de noces ! – Pourtant il en avait bien envie. Son bonheur
l’étouffait, le tenait par la gorge, empêchait les mots de sortir. Tout ce qu’il pouvait faire,
c’était de murmurer de temps en temps avec un petit tremblement de lèvres : « Je suis
content… Je suis content… »
Il avait de quoi l’être, en effet. Depuis le matin, le pauvre homme se croyait emporté par un
de ces rêves magnifiques dont on craint de se réveiller subitement, les yeux éblouis : mais
son rêve, à lui, ne semblait jamais devoir finir. Cela avait commencé à cinq heures du matin,
et à dix heures du soir, dix heures très précises à l’horloge de Véfour, cela durait encore…
Que de choses dans cette journée, et comme les moindres détails lui restaient présents ! Il se
voyait au petit jour, arpentant sa chambre de vieux garçon dans une joie mêlée d’impatience,
la barbe déjà faite, l’habit passé, deux paires de gants blancs en poche… Maintenant voici les
voitures de gala, et dans la première là-bas, celle qui a des chevaux blancs, des guides
blanches, une doublure de damas jaune, la parure de la mariée s’apercevant comme un
nuage… Puis l’entrée à l’église, deux par deux, toujours le petit nuage blanc en tête, flottant,
léger, éblouissant… L’orgue, le suisse, le sermon du curé, les cierges éclairant des bijoux, des
toilettes de printemps… et cette poussée de monde à la sacristie, le petit nuage blanc, perdu,
noyé, entouré, embrassé, pendant que le marié distribue des poignées de mains à tout le haut
commerce parisien venu là pour lui faire honneur… Et le grand coup d’orgue de la fin, plus
solennel à cause de la porte de l’église large ouverte qui fait participer la rue entière à la
cérémonie de famille, les sons passant le porche en même temps que le cortège, les
exclamations du quartier, une brunisseuse en grand tablier de lustrine disant tout haut : « Le
marié n’est pas beau, mais la mariée est crânement gentille… » C’est cela qui vous rend fier
quand on est le marié…
Ensuite le déjeuner à la fabrique, dans un atelier orné de tentures et de fleurs, la promenade
au Bois, une concession faite à la belle-mère, madame Chèbe, qui, en sa qualité de petite
bourgeoise parisienne, n’aurait pas cru sa fille mariée sans un tour de lac ni une visite à la
cascade… Puis la rentrée pour le dîner, pendant que les lumières s’allumaient sur le
boulevard, où les gens se retournaient pour voir passer la noce, une vraie noce cossue, menée
au train de ses chevaux de louage jusqu’à l’escalier de Véfour.
Il en était là de son rêve. A cette heure, engourdi de fatigue et de bien-être, le bon Risler
regardait vaguement cette immense table de quatre-vingts couverts, terminée aux deux boutspar un fer à cheval, surmontée de visages souriants et connus, où il lui semblait voir son
bonheur reflété dans tous les yeux. On arrivait à la fin du dîner. La houle des conversations
particulières flottait tout autour de la table. Il y avait des profils tournés l’un vers l’autre,
des manches d’habit noir derrière des corbeilles d’asclépias, une mine rieuse d’enfant
audessus d’une glace aux fruits, et le dessert au niveau des visages entourait toute la nappe de
gaieté, de couleurs, de lumières.
Oh ! oui, Risler était content. A part son frère Frantz, tous ceux qu’il aimait se trouvaient là.
D’abord, en face de lui, Sidonie, hier la petite Sidonie, aujourd’hui sa femme. Pour dîner, elle
avait quitté son voile ; elle était sortie de son nuage. A présent, de la robe de soie toute
blanche et unie montait un joli visage d’un blanc plus mat et plus doux, et la couronne de
cheveux – au-dessous de l’autre couronne si correctement tressée – vous avait des révoltes
de vie, des reflets de petites plumes ne demandant qu’à s’envoler. Mais les maris ne voient
pas ces choses-là.
Après Sidonie et Frantz, ce que Risler aimait le plus au monde, c’était madame Georges
Fromont, celle qu’il appelait « madame Chorche », la femme de son associé, la fille de défunt
Fromont, son ancien patron et son dieu. Il l’avait mise près de lui, et dans sa façon de lui
parler on sentait de la tendresse et de la déférence. C’était une toute jeune femme, à peu près
du même âge que Sidonie, mais d’une beauté plus correcte, plus tranquille. Elle causait peu,
dépaysée dans ce monde mêlé, s’efforçant pourtant d’y paraître aimable.
De l’autre côté de Risler se tenait madame Chèbe, la mère de la mariée, qui rayonnait,
éclatait dans sa robe de satin vert luisante comme un bouclier. Depuis le matin, toutes les
pensées de la bonne femme étaient aussi brillantes que cette robe de teinte emblématique. A
tout moment elle se disait à elle-même : « Ma fille épouse Fromont jeune et Risler aîné de la
rue des Vieilles-Haudriettes !… » Car, dans son esprit, ce n’était pas Risler aîné seul que sa
fille épousait, c’était toute l’enseigne de la maison, cette raison sociale fameuse dans le
commerce de Paris ; et chaque fois qu’elle constatait cet événement glorieux, madame Chèbe
se tenait encore plus droite, tendant la soie du bouclier à la faire craquer.
Quel contraste avec l’attitude de M Chèbe, placé quelques chaises plus loin ! En ménage,
généralement, les mêmes causes produisent des effets tout à fait différents Ce petit homme
au grand front d’utopiste, poli, bosselé et vide comme une houle de jardin, avait l’air aussi
furieux que sa femme était rayonnante. Cela ne le changeait pas, du reste, car M. Chèbe
rageait tout le long de l’année. Ce soir-là, pourtant, il n’avait pas sa mine piteuse et fanée
d’habitude, ni ce large paletot flottant dont les poches ressortaient gonflées par des
échantillons d’huile, de vin, de truffes, de vinaigre, selon qu’il plaçait l’une ou l’autre de ces
marchandises. Son habit noir, magnifique et neuf, faisait pendant à la robe verte, mais
malheureusement ses pensées étaient de la couleur de son habit… Pourquoi ne l’avait-on pas
mis près de la mariée, comme c’était son droit ? Pourquoi avait-on donné sa place à Fromont
jeune ?… Et le vieux Gardinois, le grand-père des Fromont, qu’est-ce qu’il faisait près de
Sidonie ?… Ah ! voilà ! Tout aux Fromont et rien aux Chèbe. Et ces gens-là s’étonnent qu’on
fasse des révolutions !…
Heureusement que, pour épancher sa bile, l’enragé petit homme avait près de lui son ami
Delobelle, vieux comédien en retrait d’emploi, qui l’écoutait avec sa physionomie placide et
majestueuse des grands jours. On a beau être éloigné du théâtre depuis quinze ans par la
mauvaise volonté des directeurs, on trouve encore, quand il faut, des attitudes scéniques
appropriées aux événements. C’est ainsi que, ce soir-là, Delobelle avait sa tête des jours de
noces, mine demi-sérieuse, demi-souriante, condescendante aux petites gens, à la fois aisée
et solennelle. On eût dit qu’il assistait, en vue de toute une salle de spectacle, à un festin de
premier acte autour de mets en carton, et il avait d’autant plus l’air de jouer un rôle, ce
fantastique Delobelle, que, comptant bien qu’on utiliserait son talent dans la soirée,
mentalement, depuis qu’on était à table, il repassait les plus beaux morceaux de son
répertoire, ce qui donnait à sa figure une expression vague, factice, détachée, cet air
faussement attentif du comédien en scène, feignant d’écouter ce qu’on lui dit, mais ne
pensant tout le temps qu’à sa réplique.Chose singulière, la mariée, elle aussi, avait un peu de cette expression. Sur ce jeune et joli
visage, que le bonheur animait sans l’épanouir, une préoccupation secrète apparaissait ; et,
par moments, comme si elle s’était parlé à elle-même, le frétillement d’un sourire passait au
coin de sa lèvre. C’est av

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