LE CODE PARENTAL
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Description

Dans un futur proche où la loi martiale a été instaurée partout dans le monde, les parents et tous ceux en devenir sont soumis à un nouveau code de conduite en matière d'éducation des enfants.

Informations

Publié par
Publié le 14 octobre 2019
Nombre de lectures 4
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

 Ugo Lemasson  LE CODE PARENTAL  Roman
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Pour Julie et Nala. 1
 I  Survivants
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15 décembre 2112 Zone pavillonnaire 666  Pavillon 12 Un froid polaire s'était abattu depuis dix jours avec des températures avoisinant les moins vingt degrés. Posté devant la fenêtre du salon, Pierre observait les rares passants qui osaient encore s'aventurer dehors. Noël approchait, et pourtant, plus personne ne sortait. Ou presque. Il aperçut soudain à gauche un homme, la trentaine, presque trop emmitouflé, tenant deux gros sacs dans chaque main, luttant désespérément contre les rafales de vent qui s'abattaient sur lui sans discontinuer.  Surgit une jeune femme sur la droite. Elle marchait rapidement, tête baissée. Le couvre feu, sûrement. Il était bientôt vingt heures et elle avait peur ; peur de ne pas être à l'heure, peur de perdre des points sur son permis parental.!Encore une amende, non merci  ruminait-elle sans prendre conscience qu'elle venait de heurter l'homme sans s'excuser. Elle aurait du s'arrêter tout de suite, se 3
retourner, dire au moins pardon. Elle aurait pu. Mais elle marcha prestement jusqu'à son pavillon. Fière. Inébranlable. Chacun sa merde, devait-elle penser. L'homme ne s'était pas arrêté, il n'avait même pas sourcillé. Il avait poursuivi sa marche. Lui aussi avait d’autres chats à fouetter.  Pierre repensa à hier soir. A ce bruit de sirène tonitruant quil’avaitsorti d'une nuit sans rêve.  *  Pierre regarda sa montre : « Putain ! Trois heures du matin ! Ça va être comme ça tous les soirs ? » lâcha-t-il sans se soucier d'Anna qui dormait juste à côté.  Il bondit furieusement du lit vers la fenêtre et regarda à travers le store vénitien. Il reconnut aussitôt, stationnée juste en face et sirène hurlante, une voiture banalisée du Contrôle Parental.Encore un gosse qu'on arrache à ses parents, songea-t-il, en découvrant les pavillons tous allumés, chacun profitant du spectacle ; à la dérobée. A moins qu'il ne fût déjà terminé. Deux jeunes 4
contrôleurs parentaux quittaient hâtivement le pavillon avec un homme menotté au milieu, en pyjama, pieds nus, comme si on l'avait arraché du lit quelques minutes plus tôt. L'homme ne semblait pas comprendre ce qui lui arrivait ou n'avait-il pas encore eu le temps d'émerger ; il avançait, sans résistance, jusqu'à la voiture. L'un des contrôleurs ouvrit la porte arrière du véhicule. L'homme se retourna vers la femme et l'enfant postés sur le seuil de la porte d'entrée du pavillon. Il voulu dire quelque chose mais se ravisa. La femme était abattue ; anéantie. Mais l’enfant, un jeune garçond’une dizaine d’années,adoptait une toute autre attitude. Il avait les bras croisés ; et souriait. Son regard accrocha soudain celui de Pierre qui recula aussitôt,mal à l’aise. Quelques secondes passèrent, jusqu’à ce qu’une pulsionirrésistible le pousse à tirer vivement sur le store vénitien. La voiture disparaissait sans bruit tandis que la femmes’étaitentre temps effondrée par terre et larmoyait, balançant d’avant en arrière telle une pleureuse antique. L'enfant campait la même position et regardait toujours en direction de Pierre à qui il offrit commepour parachever son œuvresadique,
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son plus beau sourire. Un sourire radieux, pleines dents ; un sourire victorieux, et des yeux pétillant d'une ardeur machiavélique. Pierre lâcha le store qui claqua comme une guillotine. Fin du spectacle.  Il retourna s'allonger auprès d'Anna qui commençait à émerger. « Que se passe-t-il ? » laissa-t-elle échapper encore ensommeillée. « Rien, chérie. Rendors-toi. » répondit machinalement Pierre. Comme les nuits avaient tendance à se répéter, il avait trouvé une formule un peu expéditive, mais ô combien efficace. Anna se rendormit aussitôt ; sans résister.  Lui savait qu'il ne se rendormirait pas. Il resterait là, comme ça, les yeux bien ouverts, à fixer le plafond ; et à ruminer. Une délation ! Encore une. La routine, quoi ! C'est leur pêché mignon. Leur petite friandise. Ils appellent jour et nuit les Centrales pour leur raconter des foutaises. Et vlan ! Un point en moins sur le permis, et cent cinquante euros d’amende! C'est comme un jeu pour eux ! Sauf qu'ils ne jouent pas avec leur peluche, mais avec nos vies, bon Dieu !
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 L'enfant du pavillon d'en face, ce petit garçon enjoué et plein de vie que Pierre avait pourtant vu maintes et maintes fois jouer avec son père avec un enthousiasme sincère, un plaisir manifeste, cet enfant-là, à son tour, avait mal tourné. A moins que le père ne fusse vraiment coupable,mais Pierre n’y songeaun seul instant au pas vu de la mère ; ravagée ; inconsolable. Personne ne saura la vérité hormisla mère et l’enfant. L’enfant dontl’expression diabolique resterait gravée dans la tête de Pierre, polluant encore plus sa mémoire, occasionnant d'autres nuits blanches, d'autres rêves tourmentés. A cela lui faudrait-il ajouter l'image de cette femme ébranlée ; dont les cris insoutenables, la plainte désespérée, annonçaient déjà un chagrin incommensurable. Pierre n’?avait-il pas sciemment omis la réalité Jusqu’à ce qu’ellevienne lui rappeler qu'il allait bientôt être père, lui aussi ?  Ils n'avaient pas les moyens de s'offrir un tel luxe ; on leur avait offert les clefs du pavillon sur un plateau doré. Ils n’en crurentpas leurs yeux quand on leur annonça la nouvelle, aussi avaient-ils saisi cette chance sans 7
tergiverser. Ils savaient quel’on n’édifiait quasiment plus de zones pavillonnaires, et les besaces qui étaient autrefois pleines à craquer étaientaujourd’hui désespérément vides. Ils avaient dit oui sans hésiter.  Mais il y avait une contrepartie. La mère resterait en observation jusqu'à ce que sa grossesse arrive à son terme.C’était écrit ainsi sur le contrat que Pierre et Anna avaient signé huit mois plus tôt ; il n’y avait rien d’autre de précisé. Tous les examens médicaux qui suivirent étaient venus se greffersous forme d’avenants, et tout refus d’ysouscrire était synonyme d’abandon. Une manœuvredes plus indélicates qui avait poussé bien des parents à de vives protestations. D’autresabandonnèrent en cours de route, incapables de supporter un protocole aussi astreignant. Il fallait suivre aveuglément ce cérémonial infernal ou abandonner tout désir d’enfant.Pierre et Anna avaient choisi malgré tout de poursuivre. Coûte que coûte.  Ils ne comptaient donc plus leurs allées et venues à l'Hôpital Central ; ce ballet incessant et ininterrompu de médecins, d'infirmières,d’aides-soignants, tout ce 8
battement d'ailes était, aux dires des médecins, une pure formalité. Comme si la redondance des prises de sang, palpations, frottis, scannerset autres monitorings fœtal n'avaient pas de quoi laisser n'importe qui perplexe, sinon suspicieux. Pierre n'avait pas tardé à l'exprimer de vive voix. « C'est scandaleux! C’estl'acharnement de thérapeutique, ce que vous faites ! »avait-il hurlé dans les oreilles d'un jeune interne un mois seulement après le début de la prise en charge d'Anna. L'interne, très calmement, lui avait répondu que la meilleure des précautions invitait à plus de prudence ; ils n'avaient pas à s'inquiéter, le corps médical faisait tout le nécessaire afin que l'enfant à venir se porte au mieux et arrive dans les meilleurs conditions. Un discours bien huilé et sans émotion qui n’étonna même pas Pierre. « Et la mère, dans tout ça ? » avait-il aussitôt dégainé. « Mais la mère se porte très bien,vous n’avez qu’à lui! »  demander avait alors répondud’unair hautain et suffisant le jeune interne avant de tourner les talons et de pénétrer prestement dans une autre chambre. Pierre n'en exigea pas davantage et ne fit plus jamais fait part de ses impressions.
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Il avait bien compris que le mutisme ambiant laissait un immense flou, et toute demanded’explicationrencontrait un mur en béton armé ou un puits sans fond. Les médecins, infirmiers, sages-femmes, tous semblaient savoir précisément commentmanœuvrerpour bien noyer le poisson ; Pierre en était réduit à attendre, et espérer qu'il n'y ait aucune complication. Il était déjà sidéré par la capacité d'Anna à surmonter toutes ces épreuves sans jamais se plaindre, sans que cela ne suscite en elle le moindre soupçon, la moindre interrogation. Si ! Une fois. Elle lui avait confié un matin, en toute innocence, que le corps médical en faisait peut-être trop, mais que leurs intentions étaient si louables que l'on ne pouvait exprimer devant pareille dévotion que gratitude et soumission. Pierre resta souvent sans voix ; interdit ; mais il savait aussiqu’Anna pouvait feindre la naïveté pour mieux se protéger.Elle restera droite, fière, et obéissante, tant que dans ses yeux rayonnera de mille feux ce furieux désir d'enfanter,se rassurait-ilautant qu’il enviait cette force tranquille qui lui manquait à lui si cruellement.10
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