Paris sous les vagues, Chapitre III
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Paris sous les vagues, Chapitre III

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Description

Paris, quelques décennies plus tard. La montée des eaux a poussé des millions d'européens à se déplacer vers des agglomérations plus continentales, formant des bidonvilles temporaires depuis plus de trente ans. Un des plus grands est celui de Paris qui se répand sur la moitié de la ville, abritant violences, maladies et mafias. Comment survivre dans un tel environnement? Que vaut la vie quand demain n'existe plus?

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Publié le 28 juillet 2011
Nombre de lectures 152
Langue Français

Extrait

[TAPEZ LE NOM DE LA SOCIÉTÉ]
Paris sous les vagues
Chapitre III
Tancrède Bouglé
Chapitre III
Une caverne sombre aux sonorités dub. Une vibration, un rythme lourd qui rebondit
sur les parois humides. Il est là, assis par terre à côté de moi. Je suis allongé sur un
drap blanc. Un crâne aux grands yeux vides me regarde fixement sur le mur d’en
face. Un feu glacé parcourt mes veines. La fièvre me brule et j’ai l’impression que
mon flanc est baigné dans l’acide. Des fumerolles autour de ma tête laissent
s’échapper une douce odeur. Il lève doucement sa main et me fait fumer sa
médecine. Mon corps s’alourdit, la caverne se disloque, les murs s’écartent et je vois
le ciel bleu.
Mon corps me brule encore. J’ouvre les yeux et le crâne est toujours là, son sourire
éternel me renvoyant sa paix en pleine face. Il n’a pas l’air de vouloir s’en aller. Il
caquète en permanence, un bruit constant dans ma tête. Il ne s’arrêtera pas. C’est
moi l’intrus, moi qui viens le déranger dans sa demeure de pierre. Je me laisse
aspirer par le vide de sens yeux. Il est là aussi parfois, je le sens, Il attend que je me
réveille. J’espère ne pas Le décevoir.
Je me sens un peu mieux. Toujours les bougies autour de moi et le crâne aux
grandes orbites noires au fond d’une alcôve de calcaire blanc qui contraste avec le
plafond couvert de suie. Tout autour ils me regardent tous, désespérés de me voir
revenir à la vie, tellement avides d’accueillir un nouveau camarade. Un mur entier de
vanités formant un couloir se prolongeant dans l’obscurité à droite comme à gauche,
la lumière des chandelles s’y perdant jusqu’à transformer ces squelettes riants en
fantômes lugubres. La pièce où je suis semble bien entretenue, à l’évidence
quelqu’un s’occupait de moi. Je n’ai plus l’impression d’être enfermé dans ma propre
tête, pris dans un nuage de plomb. Prenant appui sur la terre battue, je réussis à me
lever malgré la vive douleur que me fait ressentir mon flanc, comme un second
poignard.
Au fond du couloir une lueur m’attire. Une autre pièce ? Des bruits s’en échappent.
La lumière au bout du tunnel ? Je m’attendais honnêtement à moins d’attente et à un
meilleur standing. Enfin bon, si je suis dans le dernier couloir autant aller voir. Avec
un peu de chance on se souviendra de moi, mort au champ d’honneur, petite frappe
morte en quête de sens. Peut-être deviendrais-je un symbole comme Major Tom et
que ma mort sera honorée comme la fin des émeutes et l’avènement d’un nouvel
ordre dans la Zone sous le son des trompettes et les tapis rouges. Mon corps exposé
en public comme Lénine en son temps. Qui sait, peut-être même une statue ? Ou
plus probablement, Lui et quelques autres écraseront une larme jusqu’à la prochaine
cuite et rien ne changera les mêmes cafés exploseront les mêmes ambulances
blindées viendront y répandre leurs regards pleins de désespoir ou peut-être
arrêteront-ils de venir ; pourquoi nous soigner ? Pour qu’on ressorte dans la rue
rouvrir nos plaies sous la lame d’un quelconque mouvement, pour subir l’ire d’un
quelconque seigneur local ? Autant nous laisser crever sur le pavé, ça ira plus vite.
Nous laisser mourir pour des idées d’accord mais de mort lente.
Bon, ça ne sert à rien de tergiverser, mort pour mort autant y aller.
Pas de bruit à part un grésillement, l’écho d’une voix grave, intermittente, faisant
vibrer mes tympans tant elle est basse. Une vibration, une pause, une vibration, une
pause. Je reconnais ce rythme, ce débit de parole qui semble s’accorder aux
tremblements de la bougie, aux résonances de la terre, aux battements du cœur de
la ville. Tous les habitants de la Zone le reconnaitraient. Toujours la même voix, jour
après jour, année après année, une fréquence toujours changeante.
Je me rapproche de la lumière. Mon ventre me tire, chaque pas est une douleur.
Quatorze pas jusqu’à l’autre pièce, quatorze raisons pour ma blessure de se
déchirer. Je prends une grande inspiration.
Un pas.
Deux pas.
Je supporte mieux que prévu. Mon flanc me lance quand même. La lumière est plus
vive. Il n’y a pas de doute possible sur la voix, la pierre fait rebondir les paroles de la
radio et les fait tournoyer autour de moi comme une sarabande de démons venus me
tenter. Toujours ce rythme sépulcrale, si posé, si immuable. Toujours la liste, depuis
des années, la liste des morts, de ceux tombés dans la Zone, le sang versé pour
apaiser la ville ou tout simplement ceux que la misère a emporté. Chaque nom l’un
après l’autre comme une interminable ligne de cadavre, un immense charnier porté
par les ondes. Vais-je y entendre mon nom ? La radio ne s’est jamais trompée.
Appuyé aux crânes j’attends.
Allez ! Cite-moi qu’on en finisse !
Les pénombres retombent sur le couloir à mesure que j’attends la délivrance. La
radio parle. Un courant d’air soulève un peu la poussière du sol. Quelque part une
goutte d’eau s’écrase sur la roche. J’entends presque les squelettes rire de mon
impatience, un concert de vent dans les orbites vides et de mâchoires qui claquent
comme une foule me criant de continuer, jusqu’au bout, plus que quelques pas. Une
autre goutte tombe, ma respiration remplit le silence.
Un souffle régulier émane de la lumière sous l’écho grave de la danse macabre.
A chacune de mes stations la pièce se découvre un peu plus. La voix s’efface à
mesure que la fréquence change doucement. Elle reviendra un autre jour, d’autres
noms. Ne reste que le grésillement et cette respiration.
Une petite cave, pas plus de quelques mètres de profondeur. Une forme se découpe
dans l’ombre de la bougie, contre le mur du fond, recroquevillée dans des
couvertures sales sur une litière de draps un jour blancs. Une femme. Je
m’agenouille à côté d’elle. Son front est brûlant et ses lèvres craquelées. Ses
cheveux bruns trempés de sueur forment une auréole autour de sa tête comme les
images de martyrs que les missionnaires nous distribuaient quand nous étions
encore enfant, il y a bien longtemps, des années avant qu’Il n’arrive, quand la ville
gardait ses secrets.
Elle aurait pu être belle si elle avait grandi sous des cieux plus cléments. Ca se
voyait, elle portait les stigmates de la Zone, les bras recouverts de cicatrices, le teint
terreux des fumées, les pommettes saillantes d’années de malnutrition. On aurait pu
voir cette lueur dans ses yeux si elle les avait ouvert, cette étincelle de non-espoir et
de rage de vivre, la sensation de limites tellement ressenties, celles qui pourtant
nous ouvraient tant de possibilités, cette envie de s’échapper de ce cercueil gris et
miséreux tout en sachant qu’on ne pourrait survivre en dehors. J’avais les mêmes
yeux, Franck aussi, Tom aussi. Il est le seul à voir au-delà, à avoir toutes les
couleurs du monde dans Son regard.
Un battement après l'autre la vie semble sortir de cette carcasse et nourrir les
crânes. Rien ne sert de rester ici à pleurer ce qui aurait pu être.
Le couloir se poursuit de l'autre coté, une suite de salles souvent vides, parfois un
tas de chiffon ensanglanté respire doucement. Quelques bruits par moment, ici un
groupe tente d'extraire une balle d'un corps brisé, image fugace du dehors,
éclaboussure de violence dans ce monde de calme.
Je erre dans des enfilades de couloirs sans trop savoir où je vais, les murs
chancelant sous l'effet des antalgiques, baigné dans le brouillard médicamenteux
auquel se mêle les bruits de la ville et de ses entrailles, le craquement de la pierre, la
lointaine vibration d'un tuyau ou les infra basses d'un moteur au dessus du sol, tous
ces sons traversant les crânes et la terre, descendant par les bouches d'égouts, nos
perceptions comme des milliers de mains remontant les échelles et les cheminées
d'aération pour contempler l'extérieur et sa folie bien à l'abri derrière des grilles
scellées.
Plus loin, plus profond.
Je me dissous dans les viscères de la Zone, dans ses allées souterraines
encombrées de gravats et de déchets où prospèrent les rats, des milliers d'entre eux
grouillant dans l'ombre et l'humidité, une masse indénombrable attendant son heure,
le moment final où nous aurons enfin réussi à en finir et qu'enfin ils remonteront à la
lumière pour prendre la place qui leur revient de droit.
De galerie en galerie je finis par déboucher sur ce qui semble être un égout. Une
large voute de pierre illuminée par endroit par de vieilles lampes qui projettent des
ombres usées sur les flots immondes qui passent au sol dans un bruit de torrent
charriant les flots immondes qui emportent dans les profondeurs les souvenirs du
soleil et de l'air pur.
L'atmosphère est viciée ici, je suis obligée de me couvrir le visage pour me donner
l'illusion de la respiration. L'eau semble venir de nul part pour se perdre dans les
ténèbres, autant continuer, peut-être y ais-je ma place après tout.
Je ne sais pas depuis combien de temps j’y marche. D’autres galeries, d’autres Styx
viennent se mêler à la masse mouvante. De temps en temps au loin il me semble
apercevoir une lumière accompagnée d’une rumeur semblant chercher quelque
chose comme si la ville avait senti mon intrusion en son sein, un kyste indésirable
venu se loger dans une veine.
Parfois, des renforcements dans le mur. J’eus la surprise d’en trouver des
aménagés. Je savais que les tunnels étaient habités mais je ne pensais pas que des
gens habitaient si profondément. Certains en avaient tout simplement eu assez de
sortir des abris après les Grandes Paniques et s’étaient installés pour de bon, faisant
pousser ce qu’ils pouvaient et ne revenant à la surface qu’en cas d’absolue
nécessité. Ils étaient faciles à reconnaître, boueux et pâles avec leurs grands sacs
de ravitaillement.
Au bout d’une génération ils avaient fini par former un peuple à part avec ses
coutumes et sa culture. Somme tout on savait assez peu de choses sur eux.
Aux premières heures de ma descente j’avais entendu des cris, des appels au fond
des galeries. D’un revers de la main je les avais ignoré, à quoi bon après tout? Si je
n’étais pas mort cette fois je le serai la fois d’après ou la fois suivante si je suis
suffisamment chanceux, je préfère encore choisir mon moment et disparaître dans
les viscères de la Zone, qu’on m’oublie ou qu’on fasse de moi un mythe, une légende
urbaine, le fantôme qui hantait les égouts, toujours mieux qu’être un fantôme dans sa
vie, n’être que l’ombre d’une existence et mourir sans rien avoir accompli, courir
dans les rues dans l’attente d’une balle perdue ou d’un coup de couteau trop bien
placé et entre les deux tenter d’oublier à quel point ça serait préférable à vieillir dans
la Zone, ah ! s’enivrer en permanence, jouir à en crever, un long suicide le sourire
aux lèvres, une belle course vers la mort, qu’elle vienne le plus tard possible cette
divine pute, le plus tard possible mais bien avant la déchéance, pitié, restons-en à la
décadence !
Plus je m’enfonce plus je vois ces petites cases creusées dans le béton. Parfois
fermées par un rideau lourd de crasse elles semblent habitées. Une petite lampe qui
éclaire un vieux matelas troué couvert de tâches d’humidité, de trous bruns sombres
et d’une couverture de la même étoffe que le rideau. Les tuyaux rouillés qui courent
le long des murs laissent échapper une eau polluée qui dessine des formes
hallucinées à travers la moisissure des murs pourris qui semble vouloir la digérer. A
un pendant, un masque à gaz et une arme à feu nettoyée régulièrement. Pas de
chauffage dans cette cave qui pue la mort. Même la lumière de la diode est pâle
comme un macchabée, crue comme une charogne révélant chaque fissure, chaque
brèche dans les tuyaux comme autant de veines éclatées, la ville blessée au plus
profond de sa chair, une multitude d’ulcères pourrissants.
Je monte des escaliers ruisselants, je descends des échelles rouillées au bout des
tunnels sans fin entrecoupés de grilles massives et dans le lointain ces bruits de
nuées, un bourdonnement intermittent, métal contre métal, rumeur du vent dans les
puits d’aération et d’autres bruits que je ne parviens pas à identifier.
La fatigue me gagne, je me trouve un coin sec et m’y endors aussitôt.
Un souffle lourd à côté de moi.
Sans bouger j’entrouvre les yeux. Une créature étrange accroupie à côté de moi,
deux grands yeux vides et plats braqués sur moi.
Des bouts de cuir cousus forment une capuche et une sorte de manteau aux
lambeaux pendants. De grandes bottes de caoutchouc renforcées d’acier et à la
main une lanterne à manivelle.
Je lève le bras et la créature s’enfuit. Cauchemar, je me rendors.
Je me réveille tout à fait. Ma blessure n’a pas apprécié l’humidité et me tire à chaque
mouvement. Qu’importe, je serais bien incapable de sortir d’ici de toute façon. Dans
la poussière du sol à côté de moi des traces de pas récentes, ce n’était donc pas une
illusion. Il y a bien des gens qui habitent ces galeries.
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