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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 21 |
EAN13 | 9782824711102 |
Langue | Français |
Extrait
P I ERRE LO T I
RAMU N T CHO
BI BEBO O KP I ERRE LO T I
RAMU N T CHO
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1110-2
BI BEBO OK
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V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.MAD AME V . D’ ABBADI E
A qui commença de m’initier au pays basque, en l’automne de 1891.
Hommage d’affectueux respect.
P I ERRE LO T I.
Ascain ( Basses-Py réné es). No v embr e 1896.
n
1Pr emièr e p artie
2CHAP I T RE I
, annonciateur s de l’automne , v enaient
d’app araîtr e en masse dans une b our rasque grise , fuyant la hauteL mer sous la menace des tour mentes pr o chaines. A l’ emb
ouchur e des rivièr es méridionales, de l’ A dour , de la Niv elle , de la Bidasso a
qui long e l’Esp agne , ils er raient au-dessus des e aux déjà fr oidies, v olant
bas, rasant de leur s ailes le mir oir des surfaces. Et leur s cris, à la tombé e
de la nuit d’ o ctobr e , semblaient sonner la demi-mort annuelle des plantes
épuisé es.
Sur les camp agnes p y réné ennes, toutes de br oussailles ou de grands
b ois, les mélancolies des soir s pluvieux d’ar rièr e-saison descendaient
lentement, env elopp antes comme des suair es, tandis que Ramuntcho ¹
cheminait p ar le sentier de mousse , sans br uit, chaussé de semelles de cordes,
souple et silencieux dans sa mar che de montagnard.
1. Ray mond, Ramon, Ramuntcho : le même nom.
3Ramuntcho Chapitr e I
Ramuntcho ar rivait à pie d de très loin, r emontait des régions qui av
oisinent la mer de Biscay e , v er s sa maison isolé e , qui était là-haut, dans
b e aucoup d’ ombr e , près de la fr ontièr e esp agnole .
A utour du jeune p assant solitair e , qui montait s i vite sans p eine et
dont la mar che en esp adrilles ne s’ entendait p as, des lointains, toujour s
plus pr ofonds, se cr eusaient de tous côtés, très estomp és de crépuscule et
de br ume .
L’automne , l’automne s’indiquait p artout. Les maïs, herbag es des
lieux bas, si magnifiquement v erts au printemps, étalaient des nuances
de p aille morte au fond des vallé es, et, sur tous les sommets, des hêtr es
et des chênes s’ effeuillaient. L’air était pr esque fr oid ; une humidité o
dorante sortait de la ter r e moussue , et, de temps à autr e , il tombait d’ en haut
quelque ondé e légèr e . On la sentait pr o che et ang oissante , cee saison des
nuag es et des longues pluies, qui r e vient chaque fois av e c son même air
d’amener l’épuisement définitif des sè v es et l’ir rémé diable mort, — mais
qui p asse comme toutes choses et qu’ on oublie , au suivant r enouv e au.
Partout, dans la mouillur e des feuilles jonchant la ter r e , dans la
mouillur e des herb es longues et couché es, il y avait des tristesses de fin,
de muees résignations aux dé comp ositions fé condes.
Mais l’automne , lor squ’il vient finir les plantes, n’app orte qu’une
sorte d’av ertissement lointain à l’homme un p eu plus durable , qui
résiste , lui, à plusieur s hiv er s et se laisse plusieur s fois leur r er au char me
des printemps. L’homme , p ar les soir s pluvieux d’ o ctobr e et de no v embr e ,
épr ouv e surtout l’instinctif désir de s’abriter au gîte , d’aller se ré chauffer
de vant l’âtr e , sous le toit que tant de millénair es amoncelés lui ont pr
ogr essiv ement appris à constr uir e . — Et Ramuntcho sentait s’é v eiller au
fond de soi-même les vieilles aspirations ancestrales v er s le fo y er basque
des camp agnes, le fo y er isolé , sans contact av e c les fo y er s v oisins ; il se
hâtait davantag e v ers le primitif logis, où l’aendait sa mèr e .
Çà et là , on les ap er ce vait au loin, indé cises dans le crépuscule , les
maisonnees basques, très distantes les unes des autr es, p oints blancs
ou grisâtr es, tantôt au fond de quelque g or g e enténébré e , tantôt sur
quelque contr efort des montagnes aux sommets p erdus dans le ciel
obscur ; pr esque néglig e ables, ces habitations humaines, dans l’ ensemble
immense et de plus en plus confus des choses ; néglig e ables et s’annihilant
4Ramuntcho Chapitr e I
même tout à fait, à cee heur e , de vant la majesté des solitudes et de
l’éter nelle natur e for estièr e .
Ramuntcho s’éle vait rapidement, leste , hardi et jeune , enfant encor e ,
cap able de jouer en r oute , comme s’amusent les p etits montagnards, av e c
un caillou, un r ose au, ou une branche que l’ on taille en mar chant. L’air se
faisait plus vif, les alentour s plus âpr es, et déjà ne s’ entendaient plus les
cris des courlis, leur s cris de p oulie r ouillé e , sur les rivièr es d’ en bas. Mais
Ramuntcho chantait l’une de ces plaintiv es chansons des vieux temps,
qui se transmeent encor e au fond des camp agnes p erdues, et sa naïv e
v oix s’ en allait dans la br ume ou la pluie , p ar mi les branches mouillé es
des chênes, sous le grand suair e toujour s plus sombr e de l’isolement, de
l’automne et du soir .
Pour r eg arder p asser , très loin au-dessous de lui, un char à b œufs, il
s’ar rêta un instant, p ensif. Le b ouvier qui menait le lent aelag e chantait
aussi ; p ar un sentier r o cailleux et mauvais, cela descendait dans un ravin
baigné d’une ombr e déjà no ctur ne .
Et bientôt cela disp ar ut à un tour nant, masqué tout à coup p ar des
arbr es, et comme é vanoui dans un g ouffr e . Alor s Ramuntcho sentit
l’étr einte d’une mélancolie subite , ine xpliqué e comme la plup art de ses
impr essions comple x es, et, p ar un g este habituel, tout en r epr enant sa
mar che moins alerte , il ramena en visièr e , sur ses y eux gris très vifs et
très doux, le r eb ord de son bér et de laine .
Pour quoi ? . . . ’ est-ce que cela p ouvait lui fair e , ce chariot, ce b
ouvier chanteur qu’il ne connaissait même p as ? . . . Évidemment rien. . .
Cep endant, de les av oir v us ainsi disp araîtr e p our aller se gîter , comme sans
doute chaque nuit, en quelque métairie isolé e dans un bas-fond, la
compréhension lui était v enue , plus e x acte , de ces humbles e xistences de p
aysans, aaché es à la ter r e et au champ natal, de ces vies humaines aussi
dép our v ues de joies que celles des bêtes de lab our , mais av e c des dé clins plus
pr olong és et plus lamentables. Et, en même temps, dans son esprit avait
p assé l’intuitiv e inquiétude des ailleurs , des mille choses autres que l’ on
p eut v oir ou fair e en ce monde et dont on p eut jouir ; un chaos de
demip ensé es tr oublantes, de r essouv enir s ataviques et de fantômes v enait
furtiv ement de s’indiquer , aux tréfonds de son âme d’ enfant sauvag e . . .
C’ est qu’il était, lui, Ramuntcho , un mélang e de deux races très
dif5Ramuntcho Chapitr e I
fér entes et de deux êtr es que sép araient l’un de l’autr e , si l’ on p eut dir e ,
un abîme de plusieur s g énérations. Cré é p ar la fantaisie triste d’un des
raffinés de nos temps de v ertig e , il avait été inscrit à sa naissance comme
« fils de pèr e inconnu » et ne p ortait d’autr e nom que celui de sa mèr e .
A ussi ne se sentait-il p as entièr ement p ar eil à ses comp agnons de jeux ou
de saines fatigues.
Silencieux p our un moment, il mar chait moins vite v er s son logis,
p ar les sentier s déserts ser p entant sur les hauteur s. En lui, le chaos des
choses autres , des ailleurs lumineux, des splendeur s ou des ép ouvantes