The Project Gutenberg EBook of Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier (2/2), by Jeanne
Françoise Julie Adélaïde Bernard Récamier
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Title: Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier (2/2)
Author: Jeanne Françoise Julie Adélaïde Bernard Récamier
Editor: Amélie Lenormant
Release Date: August 18, 2008 [EBook #26352]
Language: French
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SOUVENIRS ET CORRESPONDANCE TIRÉS DES
PAPIERS DE MADAME RÉCAMIER
Je regarde comme une chose bonne en soi que vous soyez aimée et appréciée lorsque vous ne serez
plus.
(Lettre de BALLANCHE, t. I, p. 312.)
DEUXIÈME ÉDITION
TOME SECOND
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
1860LIVRE V
La mise à exécution des principes posés à Vérone par les souverains alliés, relativement à l'Italie et surtout à l'Espagne,
amena dans le conseil des ministres à Paris un dissentiment profond. Le duc Mathieu de Montmorency voulait que la
déclaration de la France fût conforme à celle des autres puissances, et insistait sur le rappel immédiat de notre
ambassadeur à Madrid. M. de Villèle était d'avis d'appuyer, sans doute, par des remontrances énergiques les
déclarations étrangères, mais il entendait que M. de Lagarde, notre ministre, restât encore en Espagne.
Nous ne prétendons pas, au point de vue de la mémoire d'une femme, écrire l'histoire de la Restauration; mais on a
beaucoup discuté les motifs de la sortie du ministère de M. de Montmorency, et de l'entrée de M. de Chateaubriand aux
affaires, et l'on a très-diversement apprécié la conduite des trois personnes les plus directement intéressées dans le
débat. M. de Villèle a rencontré des apologistes ardents et exclusifs: nous ne saurions accepter des éloges qu'il a reçus,
que ce qui ne peut légitimement nuire aux deux amis de Mme Récamier, Mathieu de Montmorency et M. de
Chateaubriand.
L'antagonisme même de ces deux hommes d'État s'explique sans qu'on soit obligé d'avoir recours à des interprétations
malicieuses ou subalternes. Il est très-certain que M. de Villèle ne voulait auprès de lui aucun homme qu'une supériorité,
de quelque espèce qu'elle fut, put rendre prépondérant. L'importance que donnaient à M. de Montmorency son rang, son
nom, la considération qu'inspirait son caractère, lui fit d'abord ombrage; toutefois, lorsque M. de Montmorency partit
pour Vienne afin d'y concerter l'action de la France avec celle des souverains alliés, il n'était nullement question de
donner au ministre des finances la présidence du conseil. C'est en Autriche seulement que M. de Montmorency apprit
cette marque éclatante de faveur accordée par le roi à M. de Villèle.
J'en trouve la preuve dans une lettre de M. de Montmorency à la vicomtesse sa femme, en date de Vienne du 15
septembre 1822.
Il s'exprime ainsi:
«Chère amie, hier et aujourd'hui se sont passés très-bien au milieu d'une horrible presse d'affaires et
d'une audience de l'empereur Alexandre dont j'ai été fort content.
«Voilà donc la nouvelle positive de la présidence qui m'est apportée par le duc de Rauzan. J'ai fait bonne
mine, surtout vis-à-vis des étrangers. Mais j'en suis peu content, sans tomber dans les exagérations
auxquelles ma mère et d'autres se livreront.
«J'en écris en toute franchise à Villèle, à Sosthènes dont j'ai huit pages d'explications, et j'ai même placé
quelques mots respectueux au roi. On se doit à soi-même quelque chose.»
On le voit donc, lorsque le ministre des affaires étrangères revint du congrès à Paris, et qu'il s'éleva entre lui et le
nouveau président du conseil un dissentiment politique, il existait déjà entre eux un refroidissement, résultat inévitable de
l'impression que M. de Montmorency avait dû recevoir de la manière dont M. de Villèle avait profité de l'absence de son
collègue pour se faire donner le premier rang dans le conseil.
J'ajoute, une fois pour toutes, que lorsque dans les lettres, soit de M. de Chateaubriand, soit de M. de Montmorency, il
est question de Sosthènes ou de Sosthènes et de ses amis, cela doit presque constamment désigner l'influence de
Mme du Cayla avec laquelle M. le vicomte Sosthènes de La Rochefoucauld était intimement lié, et dont M. de Villèle
s'est beaucoup servi.
Mathieu de Montmorency, fidèle aux convictions de sa vie, n'hésitait pas à lier la politique de la France envers l'Espagne
avec les intérêts des puissances qui avaient fait le congrès de Vérone. L'ascendant, facile à comprendre, qu'avait pris
sur lui l'empereur Alexandre, donnait une couleur presque russe à ses projets.
M. de Villèle, entouré des gens d'affaires, étranger d'ailleurs aux grandes considérations de la politique générale, cédait
à la mauvaise humeur du cabinet de Saint-James, et se maintenait sans scrupule dans une position favorable à
l'Angleterre.
Le conseil fut plusieurs jours indécis entre ces deux opinions également animées. Enfin le 25 décembre, après une
longue séance tenue malgré la solennité de la fête de Noël, le duc Mathieu de Montmorency, n'ayant pu amener à son
sentiment la majorité du conseil, crut devoir se démettre du portefeuille des affaires étrangères.
M. de Chateaubriand, avec une supériorité de coup d'oeil incontestable, avait entrevu entre les deux tendances
opposées une direction française. De Vérone même, il écrivait à Mme Récamier: «J'ai bien souffert ici, mais j'ai
triomphé. L'Italie sera libre, et j'ai pour l'Espagne une idée qui peut tout arranger, si elle est suivie.» Il trouvait bon que
l'on intervînt en Espagne, mais pour le compte de la France, avec indifférence pour les menaces de l'Angleterre, et avec
fierté à l'égard des puissances qui auraient voulu faire de notre pays l'instrument de leurs résolutions.
Quand M. de Montmorency se fut retiré, il est probable que M. de Villèle n'aperçut pas la vraie nature des plans de M. de
Chateaubriand; il se peut que celui-ci n'ait pas jugé à propos de les lui faire entièrement connaître. Mais après l'entrée
de M. de Chateaubriand dans le cabinet, la position réciproque des deux ministres s'éclaircit. M. de Villèle, entraînéd'abord par l'ascendant de son collègue, ne dut pas voir, sans un sentiment d'amertume, sa propre perspicacité mise en
défaut, et c'est cette blessure secrète, trop aisément envenimée par la répugnance constante du roi Louis XVIII pour M.
de Chateaubriand, qui explique surtout l'explosion fatale dont les conséquences préparèrent la chute de la monarchie.
Il est facile de deviner combien les agitations du conseil des ministres et la question de politique générale, qui tenait
alors l'opinion publique dans l'attente, devaient donner d'anxiété à Mme Récamier et avait de gravité pour elle.
Les deux hommes dans la personne desquels les deux nuances du parti royaliste, unanimes dans leur but, rendre au roi
d'Espagne sa liberté, s'étaient en quelque sorte incarnées, se trouvaient être l'un le plus ancien, le plus dévoué, le plus
fidèle de ses amis, l'autre celui que l'admiration de Mme