Lettre à une dame galante, qui vouloit devenir dévote
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Charles de Saint-ÉvremondŒuvres mêléesLettre à une dame galante, qui vouloit devenir dévoteLETTRE À UNE DAME GALANTE, QUI VOULOIT DEVENIR DÉVOTE.(1684.)À ce que j’apprends, Madame, vous voulez devenir dévote, et j’en rends grâces àDieu, de tout mon cœur : ayant plus besoin, dans nos entretiens, de la pureté dessentiments que vous allez avoir, que de ceux qui pourroient vous être inspirés, dansle commerce des hommes. Je vous conjure donc, comme intéressé avec le ciel, deprendre une dévotion véritable : et, pour rendre votre conversion telle que je la veux,il sera bon de vous dépeindre celle de nos dames, telle qu’elle est, afin que vouspuissiez éviter les défauts qui l’accompagnent.Leur pénitence ordinaire, à ce que j’ai pu observer, est moins un repentir de leurspéchés, qu’un regret de leurs plaisirs : en quoi elles sont trompées elles-mêmes,pleurant amoureusement ce qu’elles n’ont plus, quand elles croient pleurersaintement ce qu’elles ont fait.Ces beautés usées qui se donnent à Dieu, pensent avoir éteint de vieilles ardeurs,qui cherchent secrètement à se rallumer ; et leur amour, n’ayant fait que changerd’objet, elles gardent, pour leurs dernières souffrances, les mêmes soupirs et lesmêmes larmes, qui ont exprimé leurs vieux tourments. Elles n’ont rien perdu despremiers troubles du cœur amoureux : des craintes, des saisissements, destransports ; elles n’ont rien perdu de ses plus chers mouvements : des tendresdésirs, des tristesses délicates et ...

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Charles de Saint-Évremond Œuvres mêlées Lettre à une dame galante, qui vouloit devenir dévote
LETTRE À UNE DAME GALANTE, QUIVOULOIT DEVENIR DÉVOTE. (1684.)
À ce que j’apprends, Madame, vous voulez devenir dévote, et j’en rends grâces à Dieu, de tout mon cœur : ayant plus besoin, dans nos entretiens, de la pureté des sentiments que vous allez avoir, que de ceux qui pourroient vous être inspirés, dans le commerce des hommes. Je vous conjure donc, comme intéressé avec le ciel, de prendre une dévotion véritable : et, pour rendre votre conversion telle que je la veux, il sera bon de vous dépeindre celle de nos dames, telle qu’elle est, afin que vous puissiez éviter les défauts qui l’accompagnent.
Leur pénitence ordinaire, à ce que j’ai pu observer, est moins un repentir de leurs péchés, qu’un regret de leurs plaisirs : en quoi elles sont trompées elles-mêmes, pleurant amoureusement ce qu’elles n’ont plus, quand elles croient pleurer saintement ce qu’elles ont fait.
Ces beautés usées qui se donnent à Dieu, pensent avoir éteint de vieilles ardeurs, qui cherchent secrètement à se rallumer ; et leur amour, n’ayant fait que changer d’objet, elles gardent, pour leurs dernières souffrances, les mêmes soupirs et les mêmes larmes, qui ont exprimé leurs vieux tourments. Elles n’ont rien perdu des premiers troubles du cœur amoureux : des craintes, des saisissements, des transports ; elles n’ont rien perdu de ses plus chers mouvements : des tendres désirs, des tristesses délicates et des langueurs précieuses. Quand elles étoient jeunes, elles sacrifioient des amants : n’en ayant plus à sacrifier, elles se sacrifient elles-mêmes ; la nouvelle convertie fait un sacrifice à Dieu de l’ancienne voluptueuse.
J’en ai connu qui faisoient entrer, dans leur conversion, le plaisir du changement : j’en ai connu qui, se dévouant à Dieu, goûtoient une joie malicieuse, de l’infidélité qu’elles pensoient faire aux hommes.
Il y en a qui renoncent au monde, par un esprit de vengeance, contre le monde qui les a quittées : il y en a qui mêlent à ce détachement leur vanité naturelle ; et la même gloire qui leur a fait quitter des courtisans pour le prince, les flatte secrètement de savoir mépriser le prince pour Dieu.
Pour quelques-unes, Dieu est un nouvel amant, qui les console de celui qu’elles ont perdu : en quelques autres, la dévotion est un dessein d’intérêt, et le mystère d’une nouvelle conduite.
Vous en verrez de sombres et de retirées, qui préfèrent les Tartufes aux galants bien faits, quelquefois par le goût d’une volupté obscure. Quelquefois, elles veulent s’élever au ciel de bonne foi, et leur foiblesse les fait reposer, en chemin, avec les directeurs qui les conduisent. La dévotion a quelque chose de tendre, pour Dieu, qui peut retourner aisément à quelque chose d’amoureux, pour les hommes.
J’oubliois à vous parler de certaines femmes retirées, qui se donnent à Dieu, en apparence, pour être moins à une mère, ou à un mari. Il y en a de cent façons différentes, et fort peu où ne paroisse le caractère de la femme, soit dans leur humeur, soit dans leur amour.
Pour bien juger du mérite des dévotes, il ne faut pas tant considérer ce qu’elles veulent faire pour Dieu, que ce que Dieu veut qu’elles fassent. Car, dans la vérité, toutes les mortifications qu’elles se donnent, de leur propre mouvement, sont autant d’effets agréables de leur fantaisie ; et une femme est assez bien payée, en ce monde, à qui on permet de faire ce qui lui plaît. Il faut voir comment elles se comportent, dans les choses que Dieu exige de leur soumission ; et quand elles auront de la règle dans les mœurs, de la modestie dans le commerce, de la patience dans les injures : alors, je serai satisfait de leur dévotion, par leur conduite.
Il est assez de dévotes passionnées, qui pensent avoir l’ardeur d’un beau zèle ; il en est peu qui se possèdent sagement, dans une bonne et solide piété : il en est assez qui sauroient mourir pour Dieu, par les sentiments de l’amour. Il y en a peu qui veuillent vivre selon ses lois, avec de l’ordre et de la raison. Attendez tout de leur ferveur, où il se mêle du dérèglement : n’espérez presque rien d’une dévotion, où elles ont besoin d’égalité, de sagesse, et de retenue.
Profitez, Madame, de l’erreur des autres ; et, voulant aujourd’hui vous donner à Dieu, faites moins entrer dans votre dévotion ce que vous aimez, que ce qui lui plaît. Si vous n’y prenez garde, votre cœur lui portera ses mouvements, au lieu de recevoir ses impressions ; et vous serez toute à vous, quand vous penserez être toute à lui.
Ce n’est pas qu’il ne puisse y avoir un saint et heureux ajustement, entre ses volontés et les vôtres. Vous pouvez aimer ce qu’il aime : vous pouvez désirer ce qu’il désire ; mais nous faisons ordinairement, par une douce et secrète impulsion, ce que nous désirons de nous-mêmes ; et c’est ce qui doit nous rendre plus attentifs, et plus appliqués, à toujours agir par la considération de ce qu’il veut.
Mais, pour cela, Madame, ne vous assujettissez pas à la conduite de ces directeurs, qui vous font entrer en certaines délicatesses de spiritualité, que vous n’entendez point, et qu’ils n’entendent pas, le plus souvent. Les volontés de Dieu ne sont pas si cachées, qu’elles ne se découvrent à ceux qui les veulent suivre. Presque en toutes, vous aurez moins besoin de lumière, que de soumission. Celles qui ont du rapport avec nos désirs, sont nettement entendues et agréablement suivies ; celles qui choquent nos inclinations, s’expliquent assez : mais la nature y répugne, et l’âme indocile se défend de leur impression.
Je traite, avec vous, plus sérieusement que je n’avois pensé ; et, pour finir plus salutairement encore, je désirerois deux choses de vous, dans la dévotion nouvelle où vous vous engagez présentement. La première est, que vous preniez garde de ne porter pas à Dieu votre amour, comme une passion inutile, à qui vous voulez donner de l’occupation. La seconde, que vous ne déguisiez jamais vos animosités, sous une apparence de zèle ; et ne persécutiez pas ceux à qui vous voulez du mal, sous un faux prétexte de piété.
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