Un dernier rêve/Texte entier
5 pages
Français

Un dernier rêve/Texte entier

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
5 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Charles Augustin Sainte-Beuve : Les Consolations (Édition Poésies, 1863)
UN DERNIER RÊVE
Et pour jamais, pour ne plus revenir
Schubert, Barcarolle.
Jamais, ô jamais plus !
Madame Tastu.
Il fut court : il a commencé sur le plus vague et le plus tendre nuage de la poésie : il
a fini au plus aride et au plus désolé du désert à jamais illimité du cœur.
Au dedans tout, rien au dehors. Voici les seuls vestiges : on les a réunis, même les
moindres, comme on enfermerait quelques feuilles, quelques fleurs brisées, dans
une urne.
UN
DERNIER RÊVE
SONNET
TRADUIT d’UIILAND
Deux jeunes filles, là, sur la colline, au soir,
Sous le soleil couchant deux tiges élancées.
Légères, le front nu, comme sœurs enlacées,
S’appuyaient Tune à Tautre et venaient de s’asseoir.
L’une aux grands monts, au lac, éblouissant miroir,
Du bras droit faisait signe, et disait ses pensées ;
L’autre, vers riiorizon aux splendeurs abaissées,
De sa main gauche au front se couvrait, pour mieux voir.
Et moi qui les voyais toutes deux… et chacune.
Un moment j’eus désir : • Oh ! pourtant, près de Tune
Être assis ! » me disais-je ; et j’allais préférer.
340 UN DERNIER RÊVE.
Mais, regardant
encor les deux sœurs sous le charme,
Mon désir se confond, tout mon cœur se désarme :
« Non, ce serait péché que de les séparer ! >
SONNETS
A DEUX SŒURS
A MADEMOISELLK FRBOÉKIQITE
Pour quVn parole, en vers mélodieux,
De sa jeune âme à la forme si belle
Un cliant s’exhale, il lui faut, nous dit-elle, Tristesse au cœur et des pleurs ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 69
Langue Français

Extrait

Charles Augustin Sainte-Beuve : Les Consolations (Édition Poésies, 1863)
UN DERNIER RÊVE
Et pour jamais, pour ne plus revenir
Schubert,Barcarolle.
Jamais, ô jamais plus !
Madame Tastu.
Il fut court : il a commencé sur le plus vague et le plus tendre nuage de la poésie : il a fini au plus aride et au plus désolé du désert à jamais illimité du cœur. Au dedans tout, rien au dehors. Voici les seuls vestiges : on les a réunis, même les moindres, comme on enfermerait quelques feuilles, quelques fleurs brisées, dans une urne. UN DERNIER RÊVE SONNET TRADUIT d’UIILAND Deux jeunes filles, là, sur la colline, au soir, Sous le soleil couchant deux tiges élancées. Légères, le front nu, comme sœurs enlacées, S’appuyaient Tune à Tautre et venaient de s’asseoir. L’une aux grands monts, au lac, éblouissant miroir, Du bras droit faisait signe, et disait ses pensées ; L’autre, vers riiorizon aux splendeurs abaissées, De sa main gauche au front se couvrait, pour mieux voir. Et moi qui les voyais toutes deux… et chacune. Un moment j’eus désir : • Oh ! pourtant, près de Tune Être assis ! » me disais-je ; et j’allais préférer. 340 UN DERNIER RÊVE. Mais, regardant encor les deux sœurs sous le charme, Mon désir se confond, tout mon cœur se désarme : « Non, ce serait péché que de les séparer ! > SONNETS A DEUX SŒURS A MADEMOISELLK FRBOÉKIQITE Pour quVn parole, en vers mélodieux, De sa jeune âme à la forme si belle Un cliant s’exhale, il lui faut, nous dit-elle,
Tristesse au cœur et des pleurs dans ses yeux,
11 faut que Celle à qui l’azur des cieux Dés le i)erceau colora la prunelle. Et qui répand le bonheur autour d’elle. Ressente moins ce qu’on lui doit le mieux.
Oh ! s’il est vrai, sur sa lèvre si pure, Poésie, arrête ton murmure ; Vers et soupirs, n’en soulève plus un.
Comme une abeille encore ensommeillée
Que la rosée odorante a mouillée,
Dors au calice, ou ne sois qu’un parfuui !
> UN DERNIER RÊVE. 341 II A MADEMOISELLE ÉLlZA-WiLnELHINE Puisqu’à tout coup sa vive raillerie S’échappe et brille en jgai pétillement, Puisqu’un lutin de grâce et de féerie Toujours dérobe un coin de sentiment ; Puisqu’amusés par ce propos charmant, D’elle on ne voit ce qui rêve ou qui prie. Et qu’à tous yeux cette gaieté chérie Soir et matin fait un déguisement, Poésie, ouvre-nous le mystère ; Fais-lui trahir ce que son cœur veut taire, Ses hauts instincts, cette fois non railleurs. Quand vient la Nuit comme une sœur voilée. Et qu’en silence à la voûte étoilée Monte son rêve, et que tombent ses pleurs î SONNET J’ai fait le tour des choses de la vie ; J’ai bien erré dans le monde de Part ; Cherchant le beau, j’ai poussé le hasard Dans mes efforts la gi-àce s’est enfuie ! 542 UN DERNIER RÊVE. A bien des cœurs où la joie est ravie, J’ai demandé du bonheur, mais trop tard ! A maint orage, éclos sous un regard. J’ai dit : Renais, 6 flamme é\-anouie ! Et j’ai trouvé, bien las enfin et mûr, Que pour Fart même et sa beauté plus vive. n n’est rien tel qu’une grâce naïve ; Et u’enbonheur il n’est cliarmelus sûr.
Fleur plus divine aux gazons de la rive. Qu’un jeune cceur. embelli d’un front pur ! Paroles, vœux d’un oosur amoureux et timide, Redoublez de mystère et de soin caressant. Et près d’elle n’ayez d’aveux que dans l’accent ! Accent, redevenez plus tendre et plus limpide, Ému d’un pleur secret sous son charme innocent ! Regards, retrouvez vite et perdez Fétincelle ; Soyez^ en l’effleurant, chastes et purs comme elle : Car le pudique amour qui me tient cette fois. Cette fois pour toujours ! a pour unique choix La vierge de candeur, la jeune fille sainte. Le cœur enfant qui vient de s’éveiller, L’âme qu’il faut remplir sans lui faire de cniinte. Qu’il faut toucher sans la troubler ! UN DERNIER RÊVE. 345 On parlait de la mort : un ami n’était plus (1), Un ami comme un frère, un de ces cœurs élus Au sein de la famille, et dont les destinées Sans effort, sans retour, se sont d’abord données, On parlait de la mort, et le grave entretien Sur rhomme et son néant, sa misère et son rien. S’élevait par degrés ; on disait que la vie, A de fatales lois en naissant asservie. Ne brillait que par place et pour de courts instants ; Que tous ces mots du jour, superbes, éclatants, De progrès, de puissance et de grandeur humaine, N’étaient que flatterie, ostentation vaine ; Que, dés que la Nature aux extrêmes climats, Dans l’excès des soleils ou l’excès des frimas Se mêlait de régner, et comme un monstre immense, Accusant sourdement Teffort qui recommence. Hors d’elle déchaînait les soupirs ennemis Et remettait en jeu les germes endormis, Tout mourait ; et qu’alors Thomme chétif, malade. Ce nain précipité du ciel qu’il escalade, Ces générations de clameur et d’orgueil Jonchaient chaque pavé dans les cités en deuil, Comme ces moucherons nés d’un rayon d’automne. Et morts au soir serein, sitôt que l’air frissonne. Et lorsqu’on eut parlé presque avec désespoir, La vierge au front charmant, au simple et doux savoir. Comme pour corriger la vision funeste Éleva tout d’un coup sa parole modeste Qu’accompagnait si bien son tendre regard bleu. L’un de ces purs regards qui prouvent l’âme et Dieu ; (1) Un ami, officier distingué, mort des fièvres en Algérie. 341 UN DERNIER RÊYE. Elle dit, se pressant sur le bras de Tnieule : c De toutes choses donc Timmortelle et la seule, « C’est le coeur, et quand tout semblerait s’abimer, « 11 faut plus près toujoui^ se serrer et s’aimer. » A DEUX SOEURS
SUR DN EXEMPLAIRE PE LA MARIE DE BRIZEUX
— DAKS f !» CII.<CIII^ —
Lire des vers touchants, les lire d’un cœur pur, C’est prier, c’est pleurer, et le mal est moins dur.
(UN JOUR, QU’ON CROYAIT AVOIR TROUVÉ)
Il est trouvé le bonheur et le charme, L’Ange clément qui planait au berceau. L’être adoré, dans lenfance si beau. Que bien souvent nous cachait une larme. L’amour parfait et de tout temps rêvé, Il est trou\é ! Il est trouvé ce bien de tous les âges, Le fruit du cœur, le frais rameau d’espoir. Que dès douze ans je cherchais sans savoir Dans tous les bois, par les sentiers sauvages. Fie nid d’amour sous la mousse couvé. Il est Ironvéî ] UN DERNIER RÊVE. 3i5 Il est trouvé ce port que ma jeunesse A poursuivi sur les flots agités, Sous tous les vents et les feux irrités. Plaisirs moqueurs, qui me trompiez sans cesse < Le vrai signal, le bel astre levé, Il est trouvé ! Il est trouvé l’ombrage où Ton repose, Le droit chemin par le devoir tracé Qu’un doux printemps si tard recommence Borde pour moi de sa plus jeune rose. IjC calme sûr au cœur trop éprouvé, Il est trouvé ! Il est trouvé le bienfait de natuns Le sein aimant qu’un Dieu nous vient rouvrir, Ce qui permet de vivre et de mourir, Ce qui fait croire, espérer sans murmure, Et dire encor. même au terme arrivé : Il est trouvé ! Ne coulez plus, larmes de Poésie ; C’était un rêve, une dernière erreur ! Il n’est plus rien désormais dans la vie : Pleurs de rosée, il n’est plus une fleur. Que feriez-vous, larmes de Poésie ? >e coulez plus, larmes de la douleur ; Comprimez-vous, étouffez vos murmures, Comme le sang dans les pires blessures Coule au dedans et suffoque le cœur.
NOTE —— UN CANEVAS —— (Le rêve était détruit, avant que la pièce songée fût éclose.) ——
Tout le soir, le piano avait résonné sous des doigts mélodieux, et la jeune voix qui m’est sacrée y avait marié ses plus frais accents. On avait fini, on était levé pour sortir, quand je m’approchai du piano, et m’y asseyant je me mis à faire courir mes doigtsà fleur d’ivoire surtoutes les touches, mais comme Camille courait sur la cime des blés, sans presque les émouvoir, Sans tirer aucun son du blanc clavier sonore. Sa sœur aînée me vit, et s’approchant avec sourire : — « Essayez, me dit-elle ; qui sait ? les poëtes savent beaucoup d’instinct ; peut-être savez-vous jouer sans l’avoir appris. » — « Oh! je m’en garderai bien, dis-je ; j’aime mieux me figurer que je sais, et j’aime bien mieux pouvoir encore me dire :Peut-être…» Elle était là, elle entendit, et ajouta avec cette naïveté tine et charmante : « C’est ainsi de bien des choses, n’est-ce pas ? il vaut mieux ne pas essayer pour être sûr. » — « Oh ! ne me le dites pas, je le sais trop bien, lui répondis-je avec intention tendre et un long regard, je le sais trop et pour des choses dont on n’ose se dire ; Peut-être.» Elle comprit aussitôt et recula, et se réfugia à deux pas en arrière, toute rougissante, auprès de son père.
Piano, je ne t’entendrai jamais sans me rappeler sa parole, et jamais, jamais je n’essaierai de tirer de toi aucun son.
Toutes ces poésies qu’on vient de voir étant ainsi assemblées et la gerbe liée, ne suis-je pas autorisé à dire : « Aujourd’hui on me croit seulement un critique ; mais je n’ai pas quitté la poéie sans y avoir laissé tout mon aiguillon. »
FIN
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents