Un lieu du roman médiéval : le verger - article ; n°1 ; vol.34, pg 7-23
18 pages
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1982 - Volume 34 - Numéro 1 - Pages 7-23
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 48
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Ernesta Caldarini
Un lieu du roman médiéval : le verger
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1982, N°34. pp. 7-23.
Citer ce document / Cite this document :
Caldarini Ernesta. Un lieu du roman médiéval : le verger. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises,
1982, N°34. pp. 7-23.
doi : 10.3406/caief.1982.2377
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1982_num_34_1_2377UN LIEU DU ROMAN MEDIEVAL :
LE VERGER
Communication de Mme Ernesta CALDARINI
(Turin)
au ХХХПГ Congrès de l'Association, le 21 juillet 1981.
Parmi les nombreuses descriptions de paysages de la
littérature narrative médiévale, celles qu'on rencontre dans
les relations des voyageurs frappent le lecteur d'aujourd'hui
par leur caractère ambigu. Comme l'intention avouée de
ces ouvrages n'est pas littéraire, mais documentaire, nous
nous attendons à des descriptions objectives. Et pourtant,
quand nous lisons les récits de ces explorateurs, nous sommes
contraints de constater avec étonnement, et même avec
quelque gêne, que, malgré leur indiscutable sincérité, ils ne
nous donnent pas une peinture fidèle des merveilleux pays
qu'ils visitent. Ceux qui, au seuil de l'âge moderne, décrivent
par exemple les forêts fabuleuses du Nouveau Monde dans
les comptes rendus de leurs expéditions au-delà de l'Atlan
tique, nous parlent certes de la végétation luxuriante et des
innombrables oiseaux multicolores qu'ils ont vus de leurs
propres yeux. Mais ces aspects d'un paysage réel s'organisent
dans la page descriptive selon un schéma littéraire bien connu :
celui du paysage idéal (1). En effet, tous les éléments typiques
(1) Voir L. Olschki, Storia letteraria délie scoperte geografické,
Firenze, 1937. Pour les traits distinctifs du paysage idéal, je renvoie
à E.R. Curtius, Rhetorische Naîurschilderung im Mittelàlter dans
« Romanische Forschungen », LVI, 1942, pp. 219-256, article repris
dans le ch. X de La littérature européenne et le Moyen-Age latin,
Paris, 1956, pp. 226-247. 8 ERNESTA CALDARINI
y figurent : le printemps éternel, les arbres et les plantes
chargés de fleurs et de fruits en toute saison, le chant des
oiseaux. Même le rossignol qui n'existait pas dans ces
régions lointaines, mais qui égayé, comme chacun sait, les
paysages printaniers inventés par les poètes de l'occident
médiéval, y fait son apparition. Christophe Colomb, entre
autres, croit de bonne foi avoir entendu sa voix mélodieuse.
Et la présence tout imaginaire du petit chanteur de nos
climats dans ces lieux de plaisance des tropiques est la
preuve irréfutable des stupéfiantes interférences entre les
souvenirs littéraires et l'observation directe de la réalité, qui
se produisent dans l'esprit, et surtout dans la parole, de ces
voyageurs le plus souvent presque illettrés (2).
En réalité, comme l'a montré Léonard Olschki (3), ces
hommes, pourtant mus par une curiosité réelle, sont fortement
conditionnés par leur culture, qui est encore toute médiévale.
Une culture dont l'un des traits les plus caractéristiques est
constitué justement par les rapports et les échanges entre
les inventions des poètes et les données de l'expérience qui
nous choquent dans les relations des voyageurs (4).
Ainsi, dans leurs navigations, ils portent toujours avec
eux l'idée ou plutôt le rêve du paradis terrestre. Convaincus
qu'il existe réellement quelque part dans le monde, ils croient
parfois, comme Juan Ponce de Léon, qu'ils l'ont finalement
retrouvé dans un archipel exotique, se hâtent bien
entendu de nommer « îles du paradis » (5).
(2) Cf. la lettre 15 fév.4 mars 1493 dans Raccolta di documenti e
studi pubblicata dalla R. Commissione Colombiana, Roma, 1892, I,
i, p. 123. L'erreur est, selon Olschki (op. cit., pp. 19-20), révélatrice.
(3) Op. cit., pp. 133-154. R. Mandrou voit dans « le mélange
étonnant, présenté par toute science, de vérités entrevues, d'erreurs
héritées, de chimères acceptées » l'une des caractéristiques du début
de l'âge moderne, (Introduction à la France moderne 1500-1640, Paris,
1974, p. 331).
(4) Voir E. Faral, Recherches sur les sources latines des contes et
romans courtois du Moyen Age, Paris, 1972, pp. 307-388 et E.R.
Curtius, La littérature européenne et le Moyen Age latin, pp. 226-228.
(5) Voir la relation du troisième voyage dans Raccolta di docu
menti e studi..., I, ii, p. 37 et, pour J. Ponce de Léon, Navarrete,
Viages y descubremientos de los Espaňoles desde fines del siglo XV,
Madrid, 1835-1839, III, p. 50. UN LIEU DU ROMAN MEDIEVAL : LE VERGER 9
De la même manière, dans le domaine de l'écriture, au
moment de fixer sur la page les impressions éprouvées devant
un lieu paradisiaque, il leur arrive de retrouver dans leur
mémoire l'image d'un beau paysage rencontré dans les livres,
dans les romans de chevalerie notamment, qui jouissaient
alors d'une vogue exceptionnelle et qui étaient sans aucun
doute parmi les rares lectures de ces esprits aventureux (6).
Mais la représentation littéraire de la nature qui se super
posait ainsi à la perception sensorielle, n'était pas non plus
une invention des romanciers du Moyen Age finissant. A leur
tour, ils l'héritaient de leurs prédécesseurs. En effet, même
quand ils ne se contentaient pas de dérimer et de remanier
d'anciens romans en vers ou de vieilles légendes chevale
resques, ces épigones empruntaient la matière et la forme
de leurs récits à la solide tradition narrative qui remontait
au xiť siècle.
Les premiers romans français, les romans courtois en vers
l'avaient inaugurée. Et ce sont leurs paysages qui ont donné
naissance à la description stéréotypée que les compilateurs
tardifs utilisent.
L'écart par rapport à la réalité qu'ils véhiculent et qui
passe dans les pages des imitateurs par le truchement du
cliché, avait été pourtant, à l'origine, un choix anti-réaliste
conscient.
Un des plus anciens beaux paysages de la littérature roma
nesque que nous connaissions est le jardin de Ligurge du
(6) Je pense en particulier à l'aventureux Amadis de Gaule qui a
connu un succès extraordinaire aux XVe et xvie siècles (H. Thomas,
Spanish and Portuguese Romances of Chivalry. The Revival of
Romance of Chivalry in the Spanish Peninsula and its Extension and
Influence abroad, Cambridge, 1920, pp. 35-64). Mais je pense aussi
aux rédactions en prose du Roman d'Alexandre, à L'histoire du
noble et très vaillant Alexandre le Grand notamment — traduction
de l'Historia de proeliis (P. Meyer, Alexandre le Grand dans la litt
érature française du Moyen Age, Paris, 1886, t. II, p. 182 et J. Storost,
Studien zum Alexandersage in der alien italienischen Literatur, Halle,
1935, pp. 305-310). Pour l'influence exercée par les romans de cheval
erie sur les navigateurs, voir L. Olschki, Storia letteraria délie
scoperte geografiche, pp. 46-55. 10 ERNESTA CALDARINI
Roman de Thèbes (7). Les Grecs, tourmentés par la soif
après une longue sécheresse, le rencontrent au milieu d'une
vallée sombre et pleine de mystère : « un val moût parfont
et moût périlleux ». Sous l'abri du mur solide « espez de
toutes pars » qui l'entoure, la richesse et la joie y régnent.
Toutes les plantes et toutes les épices qu'on peut imaginer
y poussent. La porte qui permet d'y accéder est d'ivoire
richement décoré. Une demoiselle, tout naturellement belle
et courtoise, s'y tient, assise à l'ombre d'un laurier, un enfant
riant dans ses bras.
Mais ce lieu de délices est menacé par le mal. Les Grecs
prient la demoiselle de leur indiquer ou ils pourront se
désaltérer et, pour les conduire à une source qu'elle connaît,
elle dépose l'enfant sur le pré, lui prépare un lit de fleurs
et d'herbes parfumées et l'abandonne tout seul dans le verger.
Et voilà que, pendant son absence, un serpent « de maie part »,
aux narines flambantes, sort de la forêt, pénètre dans le
jardin et tue l'enfant de sa morsure empoisonnée (8).
L'épisode vient de la Thébaïde de Stace qui a fourni,
comme on sait, le sujet du roman ; mais le verger

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