Le jardin polémique chez J.-J. Rousseau - article ; n°1 ; vol.34, pg 91-105
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1982 - Volume 34 - Numéro 1 - Pages 91-105
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 36
Langue Français

Extrait

Peter V. Conroy Jr.
Le jardin polémique chez J.-J. Rousseau
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1982, N°34. pp. 91-105.
Citer ce document / Cite this document :
Conroy Jr. Peter V. Le jardin polémique chez J.-J. Rousseau. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises,
1982, N°34. pp. 91-105.
doi : 10.3406/caief.1982.2382
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1982_num_34_1_2382JARDIN POLEMIQUE LE
CHEZ J.-J. ROUSSEAU
Communication de M. Peter V. CONROY Jr.
(Chicago)
au ХХХПГ Congrès de l'Association, le 21 juillet 1981.
Au dix-huitième siècle, tout jardin, soit « français » soit
« anglais », possède une certaine idéologie enracinée dans
sa forme et dans son style. Ecrivant sa Théorie de l'Art des
Jardins pendant le dernier quart du dix-huitième siècle, le
critique allemand Hirschfeld le dit clairement :
Lorsqu'ils [les jardins] ne sont pas simplement imités, mai»
qu'ils sont plantés suivant les propres idées d'une nation, ils
peuvent faire connoître son caractère, qui certainement s'y
peint. {...1 Le goût du joli et du spirituel qui s'allie si aisément
avec l'esprit de bagatelle, régnoit visiblement dans les anciens
jardins françois (1).
Ainsi le jardin à la française, dont les exemples les plus
représentatifs seraient sans doute Versailles et Vaux-le-
Vicomte, pourrait-il figurer le gouvernement centralisé et la
société hiérarchique qui l'ont produit. Leurs lignes droites
dominantes, leurs formes rigides et géométriques, leurs bornes
claires et tranchées, leur subordination de masses, de couleurs,
et de plantations dans un ordre imposé de l'extérieur, leurs
dessins floraux qui assemblent de nombreuses variétés de
fleurs sans jamais les mélanger, sans jamais les laisser pousser
hors de leur place : toutes ces caractéristiques reflètent la
(1) C.C.L. Hirschfeld, Théorie de l'Art des Jardins (Leipzig, 1779),
vol. I, p. 6. Traduit de l'allemand. 92 PETER V. CONROY JR.
mentalité, l'esprit, et l'ambiance de la société aristocratique de
l'Ancien Régime et surtout celle de la cour à Versailles. Il est
impossible d'imaginer que les cérémonies, le protocole, les
rites du grand et du petit lever se déroulent ailleurs que
dans le cadre des jardins de Versailles qui contiennent, en
plein air et dans leurs idiotismes horticoles, les éléments
architecturaux et sociaux qui se trouvent à l'intérieur du
château.
En contraste, le jardin à l'anglaise rejette le style et donc
l'idéologie du jardin français et, ce faisant, laisse percer la
vision d'une autre société et d'une autre façon de vivre.
Célébré pour sa valeur bourgeoise de retraite familiale, privée,
et compris comme l'expression personnelle de son propriét
aire, le jardin anglais refuse le rôle de symbole du roi et
de sa puissance que le jardin français remplit admirablement.
Dans le jardin paysagiste, la ligne droite cède à la ligne
ondoyante et sinueuse, tandis que la pièce d'eau artificielle et
géométrique fait place au lac irrégulier, d'apparence naturelle.
La fontaine monumentale et ses jets d'eau impressionnants
disparaissent en faveur de la cascade rustique, juste comme
la forêt touffue, informe, remplace les quinconces et les
bosquets réguliers et alignés. En suivant ces courbes douces
et ces sentiers sans but apparent, un promeneur dans un parc
anglais peut s'évader (en esprit, au moins), rêver, et surtout
se laisser aller aux touchantes émotions provoquées par ces
lieux. Les tombes que l'on trouve si souvent dans les jardins
anglais (celle de la mère ď Alexander Pope son jardin
à Twickenham, celle de Rousseau lui-même à Ermenonville
dans le jardin du marquis de Girardin) créent une ambiance
vague et mélancolique appropriée aux données physiques et
topographiques.
En France, la vague des jardins anglais commence à
déferler sur le pays pendant les années soixante, au moment
où Rousseau est en train de publier la Nouvelle Héloïse,
Du contrat social, et YEmile. Cette préférence accordée au
style paysagiste sur le style formel s'était imposée en Anglet
erre dès le début du siècle grâce aux écrivains comme LE JARDIN POLÉMIQUE CHEZ J.-J. ROUSSEAU 93
Alexander Pope (« Epistle to Lord Burlington ») et Joseph
Addison (plusieurs feuilles de son Spectator) (2). En France,
où la tradition de Le Nôtre était mieux répandue et mieux
appréciée, ce changement fut plus lent à venir. Et il pro
voqua, de part et d'autre, de vives querelles. Dans son chapitre
sur les « parcs anciens », c'est-à-dire les jardins à la française,
Claude Watelet les décrit ainsi :
Un parc est, en général, un vaste enclos environné de murs,
planté et distribué en massifs et en allées droites dans diffé
rentes directions symétriques, qui présentent, presque partout,
à peu près le même genre de spectacle (3).
Bien qu'il en soit une description assez exacte, ce passage
de Y Essai sur les jardins ne montre aucun enthousiasme pour
cette monotone symétrie. Et il cache, peut-être, un léger
dédain. Quelques pages plus loin, la critique implicite devient
explicite :
II en résulte que peu satisfait de leurs vastes et symmétriques
dimensions, on desire d'en sortir pour retrouver dans la
campagne ce désordre de la Nature qui plaît bien plus que la
régularité (4).
Bien sûr, le jardin paysagiste essayera de garder et d'imiter
ce « désordre » de la nature.
Un autre Français partisan des jardins anglais, Jean-Marie
Morel, a publié sa Théorie des en 1776, deux ans
après Y Essai de Watelet. Lui aussi, il attaque les abus et les
absurdités du jardin français :
[L'architecte] composa son Jardin comme une maison : il le
compartit en salles, en cabinets, en corridors ; il en forma les
divisions avec des murs de charmilles percés de portes, de
fenêtres, d'arcades, et leurs trumeaux furent chargés de tous
les ornements destinés aux édifices (5).
(2) « The Epistle to Lord Burlington » est connu aussi sous le
titre « Moral Essay IV ». Pope se prononce sur les jardins dans son
journal, The Guardian, n° 173. La feuille du Spectator la plus impor
tante est le numéro 477 ; voir aussi les numéros 158, 160, 414, 425
(3) Claude Watelet, Essai sur les jardins (Paris, 1774), p. 47.
(4) Ibid., p. 49.
(5) Jean-Marie Morel, Théorie des jardins (Paris, 1776), p. 6. 94 PETER V. CONROY JR.
S'appuyant sur cette confusion entre jardin et château,
deux domaines distincts qui doivent avoir, chacun, son. génie
particulier, Morel critique d'autres détails caractéristiques
du jardin français :
Par suite de cette fausse analogie, les Architectes donnèrent
à ces pièces, ainsi qu'à celles de leurs bâtimens, des formes
rondes, carrées, octogones : ils les décorèrent, comme un appar
tement, avec des vases, des niches, des guaines ; ils y logèrent
des statues, habitans insensibles bien dignes d'un si triste séjour ;
ils les meublèrent, comme des chambres, avec des tapisseries
de verdures, du treillage, des perspectives peintes, des lits, des
sièges de terre couverts de gazons ; ils édifièrent ainsi jusqu'à
des salles de théâtre, des dortoirs, et imaginèrent enfin le
minutieux labyrinthe (6).
Son mépris atteint même à l'élément principal du jardin
formel, l'axe central et sa perspective presque illimitée, ce
qui était la grande découverte de Le Nôtre :
Ils plantent au milieu de la maison, à angle droit de la façade,
sur une ligne qu'ils appellent l'axe principal, une allée longue
et étroite qui ne laisse entrevoir au-delà, que comme à travers
le tube d'une lunette, l'objet que le hazard y a placé, quel
qu'il soit. Tant pis pour le spectateur, si la ligne sacrée ne
présente, dans sa direction, rien qui l'intéresse ; il faut qu'il
regarde là et non ailleurs (7).
Ces deux architectes-paysagistes militants ne voient dans
le jardin formel qu'une symétrie monotone, une géométrie
sans art, et une froideur qui élimine toute émotion. Essayant
trop de suivre une esthétique étrangère, le jardin

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