Quasi Stoner

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• Publié par: motorevue
• Publié le: 05 juin 2012
• Nombre de lectures: 10
• Langue: Français

Extrait

Quasi Stoner

Le public ignore souvent le désespoir d'être vainqueur. Si la spirale positive de la victoire est une adrénaline savoureuse, elle passe sous silence une autre spirale, plus sournoise, qui ligote l'esprit de nos athlètes. Conquérir un titre n'est pas la chose la plus difficile, nous disent la plupart d'entre eux. Le plus dur est de le garder. Mais les sportifs ont-ils le choix ? Un autre choix de vie que celui de gagner encore, et encore, de gagner pour rester debout sans perdre pied ? Au cours du dernier Grand Prix de France moto, Casey Stoner, champion du monde MotoGP a fait le choix. Lui qui connaît mieux que , personne le prix à payer pour gagner, après avoir délaissé l'Australie et mis en jeu les économies de ses parents pour imposer son talent au sport moto, se risque désormais à la plus lourde des victoires. Celle de choisir son destin. Aller jusqu'au bout de son talent, du don que l'on a reçu de la vie, est une preuve de courage et de loyauté. Mais ne pas se laisser emprisonner par ce don est un coup de maître, « un coup de génie » a même commenté Hervé Poncharal. En tout cas, c'est bien un camouflet infligé à la vie. La décision du puriste australien, rendue publique au Mans, a fait l'effet d'un séisme sur le microcosme des GP Mais les vainqueurs sont tristes : ils emportent . jusqu'après la fête la solitude de leur besogne sacerdotale, l'ennuyeuse routine du champion qui s'échine à ne pas perdre la face, terrorisé par la peur des lendemains qui déchantent. C'est souvent par une frayeur viscérale du retour à la vie « normale » que les athlètes s'acharnent à toute force à demeurer sur scène quand leur temps est passé. Bashung parlait de « la faiblesse des tout puissants ». Arrêter, c'est une petite mort, disent souvent les sportifs. En réalité, ils minimisent eux-mêmes la portée d'une fin de carrière. Ils essaient de se convaincre que la grande mort, elle, est pour plus tard, tandis que les paillettes de leur existence retombent déjà sur les planches. Il faut une sacrée dose de cran pour jeter aux orties le lustre dans lequel on baigne. Ou tout simplement une force puisée aux racines de la vie, une échelle clairvoyante des valeurs. Extraterrestre du sport moto, pépite au parcours météorite, il paraît logique que Stoner conserve une ligne de conduite en dehors des sentiers battus au moment de tirer sa révérence.

Les réactions de son milieu sont à la mesure de la soudaineté de l'événement. Pris d'incompréhension, beaucoup lui reprochent de cracher dans la soupe et prédisent déjà son retour pour 2014. Ce sont les mêmes qui avaient mis le doute sur sa prise de recul en 2009 pour raisons de santé, arguant à l'époque je ne sais quelle faiblesse psychologique. Eux aussi suivent une routine dont ils n'imaginent pas qu'on puisse se passer pour vivre. Et ce sont eux les faibles qui courbent l'échine face à la force du prodige. Et comment ne pas être d'accord avec Stoner lorsqu'il évoque certaines dérives de son sport, et notamment la mascarade des CRT, cette catégorie qui cache la misère d'un sport populaire et spectaculaire, mais qui a du mal à gérer les intérêts de ses fondamentaux. Comment expliquer à des néophytes ce que signifie le classement : « 1er des CRT » ? Comme si en Formule 1, on bouchait les trous de la grille de départ avec des Lamborghini du commerce adaptées en monoplaces ! Stoner est un seigneur qui ne laisse à personne le soin de choisir sa propre destinée. Pour que sa légende perdure, on ne peut que lui souhaiter de tourner définitivement le dos à son art sur les clameurs d'un troisième titre mondial. Et de se passer du labeur d'être ligoté par le devoir d'empiler les titres pour rester dans la lumière.

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