Revue internationale de droit comparé - Année 2005 - Volume 57 - Numéro 4 - Pages 993-1013 La doctrine dominante admet volontiers une convergence politique de «laïcité ouverte» en Europe. Pourtant, sur le plan financier, le principe de libre exercice des cultes, prolongement de la liberté de conscience et de pensée, met à la charge de l’Ėtat un certain nombre d’ «obligations positives», même dans un régime de séparation et même si l’Ėtat ne subventionne pas officiellement les cultes (financement d’aumôneries et de cours d’instruction religieuse, régime fiscal et domanial favorable…). C’est pourquoi il convient d’affirmer une absence de «modèles» d’Ėtat finançant les communautés religieuses. Les systèmes respectifs de financement des communautés religieuses découlent en effet d’une reconnaissance politique et sociale, inscrite dans l’histoire de chaque Ėtat. The prevailing doctrine willingly acknowledges a political convergence of «laïcité ouverte» («open secularism») in Europe. From a financial standpoint however, the principle of free exercise of religions, which is the extension of the freedom of conscience and thought, puts the responsibility of various «positive obligations» on the State, even in a system of separation (of the Church and the State) and even if the State does not officially subsidise the worships (funding of chaplaincies and religious education lessons, advantageous fiscal and public systems, etc.). We therefore have to assert that there is a lack of “models” of States financing religious communities. The respective financing systems of religious communities result from a political and social acknowledgment, written in the history of each State. 21 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
ÉTATS ET RELIGIONS EN EUROPE PERSPECTIVES FINANCIÈRES Jean-François BOUDET ∗ La doctrine dominante admet volontiers une convergence politique de « laïcité ouverte » en Europe. Pourtant, sur le plan financier, le principe de libre exercice des cultes, prolongement de la liberté de conscience et de pensée, met à la charge de l Ė tat un certain nombre d « obligations positives » , même dans un régime de séparation et même si l Ė tat ne subventionne pas officiellement les cultes (financement daumôneries et de cours dinstruction religieuse, régime fiscal et domanial favorable). Cest pourquoi il convient daffirmer une absence de « modèles » d Ė tat finançant les communautés religieuses. Les systèmes respectifs de financement des communautés religieuses découlent en effet dune reconnaissance politique et sociale, inscrite dans lhistoire de chaque Ė tat. The prevailing doctrine willingly acknowledges a political convergence of « laïcité ouverte » (« open secularism ») in Europe. From a financial standpoint however, the principle of free exercise of religions, which is the extension of the freedom of conscience and thought, puts the responsibility of various « positive obligations » on the State, even in a system of separation (of the Church and the State) and even if the State does not officially subsidise the worships (funding of chaplaincies and religious education lessons, advantageous fiscal and public systems, etc.). We therefore have to assert that there is a lack of models of States financing religious communities. The respective financing systems of religious communities result from a political and social acknowledgment, written in the history of each State. Il ne faudrait pas que les faits nouveaux qui relancent le débat et le ramènent au premier rang de lactualité des croyances nouvelles, lirruption de lIslam, lélargissement du débat à léchelle du continent européen suscitent un retour à ∗ Docteur en droit, ATER à la Faculté de droit de Cergy-Pontoise.
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une conception première de la laïcité et fassent perdre à la société française le bénéfice dune évolution positive. Ce nest pas dans la régression vers un état archaïque que peut se trouver la réponse aux nouveaux défis, mais dans linvention de solutions originales et généreuses autant quintelligentes. René REMOND 1 Les derniers débats suscités en France par la question séculaire dune certaine laïcité à la Française 2 , sur la présence du crucifix dans les écoles 4 italiennes 3 et allemandes ou encore plus largement sur la question constitutionnelle dun héritage spirituel européen 5 , montrent encore une fois toute lambiguïté de la relation historique, immatérielle et politique entre le pouvoir spirituel et temporel. La séparation des Églises et de lÉtat voulue par le législateur français en 1905 impliquerait théoriquement linterdiction de toute subvention publique en faveur dune communauté religieuse 6 . Cest sur ce fondement que le Conseil dÉtat refuse en principe toutes subventions publiques
1 « Cent ans de laïcité française », Études , janv. 2004, p. 66. 2 Débats suscités autour de la loi n° 2004-228 encadrant , en application du principe de laïcité, le port des signes ou termes manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, JORF , 17 mars 2004, p. 5190. V. aussi C. DURAND-PRINBORGNE, « La loi sur la laïcité, une volonté politique au centre des débats de société », AJDA , 2004, p. 704 et V. FABRE-ALIBERT, « La loi française du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port des signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics : vers un pacte social laïque ? », RTDH, 2004, p. 575. La gravité du sujet a conduit le Président de lassemblée à considérer la discussion parlementaire sous une forme originale de débats rassemblant quelques cent quarante-huit députés. V. Assemblée nationale, « Laïcité : Le débat à lAssemblée nationale », Séances publiques du 3 au 10 févr. 2004, Première lecture, 2004. V. également « Les religions menacent-elles la République ? », Dossier, Le Monde des religions , janv.-févr. 2004, p. 34. Sur lapplication de la loi, V. O. DORD, « Laïcité à lécole : lobscure clarté de la circulaire Fillon du 18 mai 2004 », AJDA , 2004, p. 1523 ; G. KOUBI, « Linterprétation administrative de la loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux dans les établissements scolaires, commentaire de la circulaire », JCP Adm. , 2004, p. 844 ; CE, 8 oct. 2004, Union française pour la cohésion nationale, AJDA, 2005, note F. ROLIN. 3 C. PAUTI, « Laffaire du crucifix dans les écoles italiennes », AJDA, 2004, p. 746. 4 A. LE GOFF, La neutralité religieuse de lÉtat et lécole publique en France et en Allemagne , Th., Paris I, 2003. Plus généralement, V. T. RAMBAUD, Le principe de séparation des cultes et de lÉtat en droit public comparé : analyse des régimes français et allemand , th. Paris II, 2003 ; Paris, LGDJ, 2004. 5 R. REMOND, Religion et société en Europe. Essai sur la sécularisation des sociétés européennes aux XIXe et XXe siècles (1789-1998) , coll. « Faire lEurope », Paris, Le Seuil, 1998 ; J. LE GOFF, LEurope est-elle née au Moyen-Age ?, coll. « faire lEurope », Paris, Le Seuil, , 2003 ; et plus spéc., R. MEDHI, « LUnion européenne et le fait religieux. Eléments du débat constitutionnel », RFDC , avr./juin 2003, p. 227 ou J-L. CLERGERIE, « La place de la religion dans la future Constitution européenne », RDP , 2004, p. 739. 6 Art. 2 de la loi sur la Séparation des Églises et de lÉtat, du 9 déc. 1905, JORF, 11 déc. 1905.