Revue internationale de droit comparé - Année 2007 - Volume 59 - Numéro 3 - Pages 617-643 Since the former century, the right to vote is no more considered as a privilege attributed discretionnarily by Parliaments. It is a fundamental right, the base of a democratic society as affirmed by several constitutionnal and supreme courts. It cannot be arbitrarily and blindly denied. This articles deals with the disenfranchisement of inmates, felons and formers felons through decisions of several courts which faced the question of inmates right to vote last years. They have all underscored the great consequence to warrant inmates fundamental rights in a democracy. These sentences enhanced the debate on objectives of punishment and requirements of citizenship in a modern democracy. Depuis le siècle dernier, le droit de vote n’est plus considéré comme un simple privilège dont l’attribution est décidée par les seuls Parlements nationaux. Il s’agit d’un droit fondamental situé à la base de toute société démocratique comme l’ont affirmé plusieurs cours constitutionnelles et cours suprêmes. Il ne peut pas être refusé de façon générale et arbitraire. Cet article aborde la question de la suppression du droit de vote des détenus, des condamnés et anciens condamnés à travers l’analyse des décisions de plusieurs juridictions devant lesquelles la question du droit de vote des détenus s’est posée ces dernières années. Chacune d’entre elles a souligné la nécessité de garantir les droits fondamentaux des personnes placées en détention dans une démocratie. Ces décisions relancent le débat sur les objectifs de la peine et les exigences liées à la qualité de citoyen dans une démocratie moderne. 27 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
LE DROIT DE VOTE DES DÉTENUS EN DROITS CANADIEN, SUD-AFRICAIN ET CONVENTIONNEL EUROPÉEN
Marthe FATIN-ROUGE STÉFANINI∗ Depuis le siècle dernier, le droit de vote nest plus considéré comme un simple privilège dont lattribution est décidée par les seuls Parlements nationaux. Il sagit dun droit fondamental situé à la base de toute société démocratique comme lont affirmé plusieurs cours constitutionnelles et cours suprêmes. Il ne peut pas être refusé de façon générale et arbitraire. Cet article aborde la question de la suppression du droit de vote des détenus, des condamnés et anciens condamnés à travers lanalyse des décisions de plusieurs juridictions devant lesquelles la question du droit de vote des détenus sest posée ces dernières années. Chacune dentre elles a souligné la nécessité de garantir les droits fondamentaux des personnes placées en détention dans une démocratie. Ces décisions relancent le débat sur les objectifs de la peine et les exigences liées à la qualité de citoyen dans une démocratie moderne. Since the former century, the right to vote is no more considered as a privilege attributed discretionnarily by Parliaments. It is a fundamental right, the base of a democratic society as affirmed by several constitutionnal and supreme courts. It cannot be arbitrarily and blindly denied. This articles deals with the disenfranchisement of inmates, felons and formers felons through decisions of several courts which faced the question of inmates right to vote last years. They have all underscored the great consequence to warrant inmates fundamental rights in a democracy. These sentences enhanced the debate on objectives of punishment and requirements of citizenship in a modern democracy.∗Chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique, GERJC Institut Louis Favoreu UMR 6201.
618 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 3-2007
Chaque année des rapports paraissent pour dénoncer les conditions de détention dans les prisons et, partant, pour sinsurger contre le non-respect des droits fondamentaux des personnes incarcérées, que ce soit en France ou à létranger1. La surpopulation carcérale, le manque de moyens, dhygiène, les carences dans laccès aux soins, les violences, lorsque les conditions même de vie quotidienne dans les prisons sont jugées sévèrement, il peut paraître bien futile de sintéresser au droit de vote des détenus ; lutilisation de ce droit apparaissant même comme un « luxe » au regard des bilans négatifs dressés quant à la violation des droits fondamentaux les plus essentiels. Pourtant, le droit de vote est aussi un droit fondamental : un droit fondamental du citoyen, lÉtat définissant la qualité de citoyen et les conditions dexercice de ce droit fondamental. Mais parce quil a longtemps été appréhendé comme un privilège, laccès à ce droit pour les détenus est assez mal perçu par lopinion publique. Les personnes incarcérées font, en effet, partie dune minorité particulièrement impopulaire et cette perception rend la prise de décision politique et les progrès en la matière difficiles. A ce propos, Robert Badinter soulignait en 2000 que lidée qui prévaut dans la société est que « la prison est un lieu fait pour souffrir » et que la situation dun détenu ne peut être meilleure que celle dun petit travailleur2. Lindividu détenu est avant tout considéré par la majorité de lopinion publique comme une personne ayant commis une infraction ; la peine de prison est son châtiment. Pourtant, de nos jours, dans la plupart des démocraties, il est établi que les droits fondamentaux des personnes incarcérées ne peuvent être limités que pour des raisons liées à lordre public ou aux ditions de détention3 con . 1 prendre lexemple de la France, les rapports sont nombreux, soit quils constatent les Pour progrès à faire, soit quils dénoncent les atteintes aux droits fondamentaux des personnes incarcérées. Peuvent être cités, par exemple : L. MERMAZ et J. FLOCH, « Rapport sur la situation des prisons en France »,Les documents dinformation de lAssemblée nationale, n° 2521, 2000, 893 p. ; J.-J. HYEST et G.-P. CABANEL, « Rapport sur les conditions de détention dans les prisons françaises »,Les rapports du Sénat ;, n° 449, 2000, 775 p.Garde et réinsertion la gestion des : prisonspublic thématique », Cour des comptes, 2006 ; A. GIL-ROBLES, « Rapport sur, « Rapport le respect effectif des droits de lHomme en France », Conseil de lEurope, février 2006 ; « Conditions de détention et réinsertion : les défis des prisons françaises », La Documentation française, 2006. (Tous ces rapports sont accessibles en ligne). V. également : Office international des prisons (OIP), « Rapport de 2005 sur les conditions de détention en France »; Conseil de lEurope,Politique pénale en Europe, La Documentation française, 2005, 226 p. 2social ne supporte pas que les détenus vivent mieux que la catégorie sociale la Le corps « plus défavorisée de la société », Audition à lAssemblée Nationale, 23 mars 2000. 3 Cf. Linstitutionen français notamment O. DE SCHUTTER et D. KAMINSKI, « du droit pénitentiaire. Enjeux de la reconnaissance de droits fondamentaux aux détenus », La pensée juridiqueLGDJ, 2002, 308 p. ; P. PÉDRON,, Bruxelles, Bruylant, Paris, La prison et les droits de lHomme, Paris, LGDJ, 1995, 131 p. ; A. SPIELMANN, « Les détenus et leurs droits (de lhomme) »,Les droits de lHomme au seuil du IIIe Millénaire,Mélanges offerts en lhonneur de Pierre Lambert, 2000, Bruxelles, Bruylant, pp. 777-788 ; pour une analyse de la problématique en