Sur l analyse différentielle des juriscultures - article ; n°4 ; vol.51, pg 1053-1071
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Description

Revue internationale de droit comparé - Année 1999 - Volume 51 - Numéro 4 - Pages 1053-1071
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 53
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Pierre Legrand
Sur l'analyse différentielle des juriscultures
In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 51 N°4, Octobre-décembre 1999. pp. 1053-1071.
Citer ce document / Cite this document :
Legrand Pierre. Sur l'analyse différentielle des juriscultures. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 51 N°4, Octobre-
décembre 1999. pp. 1053-1071.
doi : 10.3406/ridc.1999.18198
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ridc_0035-3337_1999_num_51_4_18198R.I.D.C. 4-1999
SUR L'ANALYSE DIFFÉRENTIELLE
DES JURISCULTURES
Pierre LEGRAND
1. « II faut répéter que là fonction de touriste de la connaissance se
conforme à des lois de surface qui capitulent devant les premières
rigueurs »-1. A l'heure actuelle, il reste permis de dire que le comparatiste
menace le plus souvent l'accomplissement de la comparaison. Parce qu'il
se complaît parmi les formes arrêtées du droit, il l'empêche d'obtenir son
aire 2.
2. Dès lors que la relation d'un comparatiste au droit étranger est
médiate, la comparaison des droits ne peut faire l'économie d'une méditat
ion sur ce qui l'abîme, à savoir le cercle herméneutique. Il faut, par
exemple, réfléchir aux obligations que fait au comparatiste le statut de
l'autre «je »existant comme virtualité inexplorée du soi (Y alter ego),
lequel, au-delà de l'étrange contingence qu'il constitue comme objet
d'étude, va jusqu'à s'inscrire dans l'immanence à chaque fois que le
monde du comparatiste se révèle à ce comparatiste même comme un autre (c'est-à-dire comme un monde qui est autre pour l'autre «je»)3.
* Professeur titulaire de la chaire de culture juridique comparée à l'université de Tilburg
et professeur associé à l'Université Lille 2. Je reprends, en les complétant, certains des
thèmes que j'ai développés dans Le droit comparé, Paris, PUF, 1999 et Fragments on
Law-as-Culture, Deventer (Pays-Bas), Tjeenk Willink, 1999, pp. 117-31. Ici encore, mes
remerciements 1 René CHAR, vont à Recherche Véronique de Montémont la base et du sommet, dans Œuvres complètes, Paris,
Gallimard, 1983, p. 741 [d'abord publié en 1971].
2 Je ne dépare pas cette formulation lapidaire en montrant des exceptions à tel ou tel
autre titre. V. ainsi Pierre LEGRAND, « Questions à Rodolfo Sacco », Revue internationale
de droit comparé, 1995, pp. 943-71 ; Id., «John Henry Merryman and Comparative Legal
Studies : A Dialogue», Al American Journal of Comparative Law 3 (1999). J'enrichirai
cette brève liste.
3 Les anthropologues contemporains se laissent spontanément interpeller par cette dyna
mique. V. ainsi Mondher KILANI, L'invention de l 'autre, Lausanne, Payot, 1994. 1054 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARE 4-1999
3. La comparaison des droits est ce mode discursif en effet existant
pour lequel il n'y a pas de matériau à lui étranger qui ne soit bon, voire il n'y a de bon qu'étranger.
4. Au contraire du reportage sur un droit étranger (trop souvent le
facile refuge de la plus maladroite effusion se voulant à la mode), au
contraire aussi d'un projet qui tendrait à harmoniser ou unifier des droits,
la comparaison des droits implique qu'on étudie des droits (deux ou trois,
tout au plus), qu'on les tienne pour ainsi dire devant soi dans l'écart de
la distance et de la différence qui les séparent nécessairement (puisqu'il
y a des droits), qu'on les explique (démarche qui, quoique prétendument
constative, sera toujours marquée par l'expression de la subjectivité) et,
surtout, qu'on les justifie — qu'on prenne leur parti — en les inscrivant
dans leur gangue culturelle, donc en rendant compte de la structure gigogne
du droit qui appelle une vision comprehensive ouverte sur une dimension
de profondeur, une perception en abyme. Soit cette pensée de Saint-John
Perse dans un poème consacré à Georges Braque, où l'auteur montre que
dans la contemplation poétique une chose entre en rapport avec le monde
lui-même comme horizon ultime : « Nous connaissons l'histoire de ce
Conquérant Mongol, ravisseur d'un oiseau sur son nid, et du nid sur son
arbre, qui ramenait avec l'oiseau, et son nid et son chant, tout l'arbre
natal lui-même, pris à son lieu, avec son peuple de racines, sa motte de
terre et sa marge de terroir, tout son lambeau de "territoire" foncier
évocateur de friche, de province, de contrée et d'empire... »4.
5. Force est de reconnaître que la règle accapare presque tout le
champ de la vision comparatiste, de l'agir comparatiste. La comparaison
ne sait qu'elle, d'un savoir qui n'est même plus un savoir, d'un savoir
machinal, qui tôt se perd dans l'habitude hâtivement fonctionnelle flouée
par des certitudes ancrées l'immobilité apparente des formes fixes.
Mais qu'en serait-il d'un autre et plus profond savoir qui saurait la règle
comme ce qu'elle est : sur fond d'absence, d'une absence qui la pose et
seule lui donne consistance de présent et, lui donnant d'être présente,
pour une part infinie aussi l'habite ? Quelle autre approche plus radicale
serait celle qui intégrerait dans l'épreuve du présent celle de l'absence
qui le fonde ? « Figure porte absence et présence », enseigne Pascal 5.
Comment donc reconnaître, dans le présent même, cette dimension oubliée,
plus haute et plus forte que la présence manifeste ? Que le comparatiste
ouvre comme une faille dans le présent qui ne lui suffît plus et s'engage
dans la brèche. Il n'a son lieu que là, n'est lui-même que dans son élan,
sa fuite.
4 SAINT-JOHN PERSE, Oiseaux, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1989,
p. 412 [d'abord publié en 1963]. Cf. Paul VALÉRY, Variété, dans Œuvres, sous la dir. de
Jean HYTIER, 1. 1, Paris, Gallimard, 1957, p. 1363, qui écrit qu'une « sensation d'univers »
caractérise 5 Biaise l'expérience PASCAL, poétique Pensées, [d'abord sous la dir. publié de Philippe en 1928]. SELLIER, Paris, Bordas, 1991,
fragment 296, p. 277 [d'abord publié, à titre posthume, en 1670]. P. LEGRAND : ANALYSE DIFFÉRENTIELLE DES JURISCULTURES 1055
6. L'autre approche de la règle reconnaît cette fragilité inhérente à
la règle comme règle. Elle ne se laisse pas distraire par ses prestiges, qui
sont grands. La ruse de la règle est d'abord qu'elle nous éblouit. Elle
donne le change avec adresse, comme souvent ce qui est menacé. Car
la règle est fugace. Comparer, ou se soustraire à son emprise et voir que
la face de la règle tournée vers soi dans l'accoutumance n'est qu'un point
de départi infléchir vers la mise en cohérence de la matrice explicative,
vers l'engagement au discernement de la variabilité.
7. Le dire du comparatiste ne peut s'en tenir a la règle comme elle
se donne, comme elle lui résiste. Son dire, quand il est vraiment dire,
montre un non- vu encore de la règle. Il dit la règle comme présente aussi
en son esquive. Il dit, en fin de compte, ce qui de soi n'apparaît pas.
Mais qui n'apparaît pas dans ce qui apparaît, l'invisible étant dans le
visible, l'inconnu dans le connu. Ne pas sanctionner une apparence sans
plus, mais débusquer Vaparance — usage ancien du mot alors autrement
écrit qui désignait l'aspect riche, opulent de la chose6. Car le monde
n'est pour le dire, qu'il le pressente ou non, qu'un invisible qui est. Le
monde a lieu dans Taparance. Le monde appelle au dire et nous échappe
pourtant, incernable. Et le dire, même le plus simple, ne cherche jamais
qu'à suspendre cette dérobade dans son insuffisance efficace. Le dire est
braqué sur de l'inconnu en suspens.
8. Le droit — d'autres phénomènes aussi — se distingue par sa
participation à une tradition qui constitue un horizon, c'est-à-dire une
structure pré-individuelle métastable intériorisée, structurée et structurante
(au sens où elle devient une disposition mentale, une disposition profonde
qui oriente le rapport à soi) 7. Dès lors, chaque individu dans le droit est
marqué par une socialisation qui fait qu'il n'est pas complètement maître
de sa pensée et de ses actions. Le comparatiste doit réhabiliter la tradition,
qui ne s'épuise jamais dans ce que l'on connaît, comme processus de

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