Mobilité intergénérationnelle du patrimoine en France aux XIXe et XXe siècles
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L’augmentation rapide des inégalités constatée dans la plupart des pays développés depuis 25 ans s’inscrit dans une durée plus longue : en France, les inégalités salariales sont restées globalement stables durant le XXe siècle, alors que les inégalités de capital ont diminué à la suite des guerres et de la crise de 1929, avant d’augmenter récemment. Cependant, le constat sur l’inégalité doit être complété par une analyse de la mobilité. Or, de ce point de vue, les travaux récents montrent que la mobilité en Europe, aussi bien sociale (par catégories professionnelles) qu’en termes de revenus, est proche de celle observée aux États-Unis. L’utilisation d’une base de données historiques françaises, individuelles et familiales, permet d’analyser la mobilité intergénérationnelle du patrimoine au XIXe et au début du XXe siècle. Cette longue période est marquée par des changements structurels importants : industrialisation, extension du salariat, autonomie professionnelle croissante des femmes, ainsi que par des chocs conjoncturels et politiques. La mobilité intergénérationnelle du patrimoine, en se restreignant à la population qui laisse une succession d’une génération à l’autre, est proche de la mobilité en termes de revenus, estimée dans les années récentes. Cependant, cette apparente stabilité va de pair avec une variation au cours du temps: la mobilité diminue pendant la Belle Époque (1895-1913) avant d’augmenter après la Première Guerre mondiale. En outre, se dessine une hétérogénéité entre riches et pauvres : les mécanismes de reproduction sociale se renforcent au sein des petites fortunes, sans doute liés à la transmission du capital éducatif, alors que dans le haut de la distribution, les richesses s’érodent après la Première Guerre mondiale, sous l’action conjointe de la guerre, de l’inflation et de la fiscalité.

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Langue Français

Extrait

REVENUS
Mobilité intergénérationnelle
du patrimoine en France
e eaux XIX et XX siècles
Jérôme Bourdieu, Gilles Postel-Vinay et Akiko Suwa-Eisenmann*
L’augmentation rapide des inégalités constatée dans la plupart des pays développés
depuis 25 ans s’inscrit dans une durée plus longue : en France, les inégalités salariales
esont restées globalement stables durant le XX siècle, alors que les inégalités de capital
ont diminué à la suite des guerres et de la crise de 1929, avant d’augmenter récemment.
Cependant, le constat sur l’inégalité doit être complété par une analyse de la mobilité.
Or, de ce point de vue, les travaux récents montrent que la mobilité en europe, aussi bien
sociale (par catégories professionnelles) qu’en termes de revenus, est proche de celle
qui est observée aux États-Unis. L’utilisation d’une base de données historiques fran-
çaises, individuelles et familiales, permet d’analyser la mobilité intergénérationnelle du
e epatrimoine au XIX et au début du XX siècle. Cette longue période est marquée par des
changements structurels importants : industrialisation, extension du salariat, autonomie
professionnelle croissante des femmes, ainsi que par des chocs conjoncturels et politi-
ques. La mobilité intergénérationnelle du patrimoine, en se restreignant à la population
qui laisse une succession d’une génération à l’autre, est proche de la mobilité en termes
de revenus, estimée dans les années récentes. Cependant, cette apparente stabilité va de
pair avec une variation au cours du temps : la mobilité diminue pendant la Belle Époque
(1895-1913) avant d’augmenter après la Première Guerre mondiale. En outre, se dessine
une hétérogénéité entre riches et pauvres : les mécanismes de reproduction sociale se
renforcent au sein des petites fortunes, sans doute liés à la transmission du capital édu-
catif, alors que dans le haut de la distribution, les richesses s’érodent après la Première
Guerre mondiale, sous l’action conjointe de la guerre, de l’infl ation et de la fi scalité.
* Les auteurs sont chercheurs au Laboratoire d’Économie Appliquée de l’Inra, à l’École d’Économie de Paris. Gilles
Postel-Vinay est directeur d’études à l’EHESS.
Nous remercions Charlotte Coutand qui gère la base TRA-Patrimoine au LEA, et Lionel Kesztenbaum pour ses discus-
sions et conseils pour le calcul des indices de mobilité.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 417-418, 2008 173’augmentation rapide des inégalités à se réfère aux travaux des sociologues. Ainsi, à Llaquelle on assiste depuis 25 ans dans la en juger par un ouvrage de référence comme
plupart des pays développés s’inscrit dans une celui d’Erikson et Golthorpe (1992), la mobilité
durée plus longue (Atkinson, 2007). Ainsi, dans sociale aux États-Unis dans la seconde moitié
ele cas de la France, les travaux récents prennent du XX siècle ne semble pas si éloignée de celle
en compte des évolutions qui jouent sur l’en- qu’on observe en europe. La mobilité intergé-
esemble du XX siècle. D’un côté, les inégali- nérationnelle est mesurée en comparant la pro-
tés salariales restent remarquablement stables fession du père à celle du fi ls, ce qui suppose
pendant toute cette période. De l’autre, Thomas à la fois d’établir des comparaisons entre des
Piketty (2001, p. 50) montre que la part des groupes de professions dont les contours chan-
revenus fi nanciers est toujours croissante avec gent au cours du temps et de faire abstraction de
le revenu mais que ces revenus ne constituent l’hétérogénéité à l’intérieur de ces groupes.
une part signifi cative du revenu total (plus de
Les économistes, quant à eux, tendent à privi-15 %) que pour le dernier centile où se concen-
légier une approche en termes de mobilité de tre la richesse fi nancière. De plus, « la part des
revenu. Les travaux qui portent sur la mobilité revenus du capital dans le revenu des ménages
e économique aboutissent néanmoins à des résul-[…] a suivi au cours du XX siècle une « courbe
tats qui ne contredisent pas ceux des sociolo-en U », avec un creux au milieu du siècle et une
gues. On y reviendra plus loin. Solon (2002) forte augmentation en fi n de siècle lui permet-
conclut que la mobilité des revenus est à peu tant de retrouver le niveau élevé qui était le sien
près la même en europe et aux États-Unis.avant la Première Guerre mondiale ».
Une autre approche consiste à comparer non les Pour autant, si inégale soit-elle, on dira d’une
revenus mais la situation patrimoniale des parents société dans laquelle la situation des parents ne
et des enfants, tant la capacité des familles à prédétermine pas celles des enfants et où cha-
transmettre la richesse économique de géné-cun, loin de se voir assigner sa place dès son
ration en génération semble au cœur même du entrée sur le marché du travail, garde à tout
mécanisme de reproduction sociale. C’est dans moment un avenir largement ouvert, qu’elle est
cette optique que se sont multipliés les travaux beaucoup moins inégalitaire que celle où tout
sur la transmission des patrimoines, d’abord en est fi gé une fois pour toutes et de génération en
Angleterre et aux États-Unis, en privilégiant génération. Dans une société vraiment mobile,
les grandes fortunes (Harbury, 1962 ; Menchik, le destin du fi ls ne dépendrait pas de la situation
1979) puis, plus récemment, en France, en s’in-du père. Étendue au cours de la vie, une mobi-
téressant également à ceux qui ne laissent aucun lité parfaite conduirait chacun à expérimenter
patrimoine (Bourdieu et al., 2001 ; Arrondel et tous les métiers et à traverser toutes les strates
Grange, 2004). Nous avons pris ici un parti inter-de la société, si différentes et inégales soient-
médiaire en étudiant la mobilité de l’ensemble elles, durant sa trajectoire professionnelle.
formé par les parents et les enfants qui détien-
nent un patrimoine, si faible soit-il, entre 1820 Depuis Marx et Tocqueville, les États-Unis et
et 1939. Un tel choix exclut certes ceux qui ne ses self-made men ont été constitués en sym-
laissent rien ou dont les enfants ne laissent rien, boles d’une société mobile par opposition à la
groupe dont l’importance dans la population
vieille europe des hiérarchies fi gées et transmi-
française tend à s’accroître dans la période que
ses de père en fi ls. Cette représentation est si
nous considérons (1). En revanche, il a l’avan-
forte que, depuis Sombart qui, dès 1906, faisait
tage de centrer l’analyse sur la population qui a
de la croyance dans la possibilité d’une ascen-
réussi à transmettre un patrimoine fi nancier, quel
sion sociale ouverte à tous un facteur de la fai-
1qu’il soit, à ses descendants.
blesse du mouvement ouvrier aux États-Unis,
jusqu’aux travaux d’économie politique récents À la différence de la présente étude, la plupart
d’Alesina et Glaeser (2004) ou Piketty (1995), des travaux portant sur la mobilité économique
elle est considérée moins comme un trait objec- choisissent de n’aborder que la période récente.
tif que comme un rapport au monde profondé- Pour autant, quand ils concluent que la mobilité
ment différent qui expliquerait des attitudes très
contrastées en europe et aux États-Unis vis-à-
1. Bourdieu et al. 2003 montr ent que la distribution de la richesse vis des politiques de redistribution.
se caractérise par un accroissement du nombre des patrimoines
nuls et une augmentation des inégalités entre les patrimoines
epositifs jusqu’au début du XX siècle, les deux tendances s’in-Les études empiriques qui s’efforcent de mesu-
versant dans l’entre-deux-guerres. De même, la mobilité profes-rer la mobilité offrent pourtant un diagnostic
sionnelle atteint son plus haut niveau avant la guerre de 1914
beaucoup moins tranché. C’est le cas si l’on pour décliner par la suite.
174 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 417-418, 2008est plus ou m

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