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ENTREPRISES
Le concept d’industrie et sa mesur e :
origines, limites et perspectives
Une application à l’étude des mutations
industrielles
Da vid Flacher * et J acques P elletan **
Les nomenclatures actuelles sont-elles adaptées à l’étude des mutations industrielles ? À
cette question, nous répondons que, si les éclairages fournis par les statistiques nationa-
les sont indéniables, la construction des nomenclatures ne permet pas de segmenter les
activités de façon homogène et d’en déduire un périmètre industriel sur lequel s’appuyer
pour l’analyse économique des mutations récentes. En effet, nous montrons d’abord que
les fondements historiques des nomenclatures restent largement attachés à une histoire,
celle de la révolution industrielle, dans laquelle l’industrie était notamment synonyme
de progrès technique et de création d’emploi. Alors que de profonds changements, à la
fois techniques et organisationnels, sont intervenus depuis plus de vingt ans, l’article
souligne alors l’importance de repenser les contours de l’industrie en tenant compte à
la fois de son hétérogénéité et de la nécessité de considérer les activités industrielles à
périmètre constant. Nous soulignons, de ce point de vue, les principales diffi cultés qui se
posent aux nomenclaturistes et aux économistes. Nous proposons alors trois approches
correspondant à trois défi nitions et à trois interrogations essentielles de l’économiste.
Nous illustrons enfi n empiriquement notre approche, en appliquant ces défi nitions sur la
période 1978-2003, et proposons des pistes d’approfondissement de ces recherches.
* CEPN (CNRS UMR 7115), Université Paris XIII – Mél : david@fl acher
** CREA, Université Paris IX-Dauphine – Mél : jacques_pelletan@hotmail.com
Nous tenons à r emercier tout particulièrement Emile Bruneau, Daniel Darmon, Daniel Dewavrin, Frédéric Lainé, Michel Lacroix, Jean-
Hervé Lorenzi, André Vanoli et Michel Volle ainsi que les deux rapporteurs anonymes pour et leurs conseils.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 405/406, 2007 13 a question de la « désindustrialisation » travaux économiques dépend donc de la ques-
tion que les économistes se posent en utilisant Lest au cœur de l’actualité : pour certains,
les nomenclatures.la mondialisation, comme les mutations des
techniques ou de la demande, seraient à l’ori-
Dans la première par tie de cet article, nous gine d’un affaiblissement de la valeur ajoutée et
montrons les raisons des divergences qui peu-de l’emploi industriels, alors que d’autres, sans
vent exister entre les besoins des économistes et nier le phénomène, le relativisent et soulignent
les nomenclatures disponibles. Nous soulignons sa complexité (Fontagné et Lorenzi, 2005 ;
d’abord la dimension historique qui préside à Datar, 2004 ; Mouhoud, 2006). Entre peurs des
la construction des nomenclatures et le déca-citoyens, craintes des dirigeants et interrogations
lage qui peut exister entre les nomenclatures et des économistes, les statistiques sont souvent
les mutations industrielles qui nous intéressent
considérées comme porteuses d’une certaine
aujourd’hui. Nous soulignons ensuite les prin-
objectivité et d’un éclairage utile concernant les
cipales diffi cultés qui se posent aux nomencla-
mutations à l’œuvre depuis 30 ans.
turistes et aux économistes pour appréhender
l’hétérogénéité de l’industrie et son périmètre. Les nomenclatures et les données statistiques
Dans la deuxième partie de l’article, nous four-sont-elles effectivement en mesure de rendre
nissons des perspectives méthodologiques pour compte des mutations industrielles à l’œuvre
l’analyse des mutations industrielles. Pour ce aujourd’hui ? Les données sur lesquelles repose
faire, nous proposons d’une part trois appro-l’essentiel des analyses économiques sont-elles
ches, fonctions des problématiques privilégiées. adaptées aux questions des économistes et, plus
Ces approches correspondent à trois défi nitions généralement, des citoyens et des décideurs
et à trois interrogations essentielles de l’écono-publics ?
miste. Nous illustrons d’autre part empirique-
ment l’intérêt que représente notre approche en Les éclairages per mis par les statistiques natio-
appliquant ces défi nitions sur la période 1978-nales sont indéniables, à condition d’en cerner
2003 et proposons des pistes d’approfondisse-les limites et d’en tenir compte pour affi ner
ment de ces recherches.l’analyse. De notre point de vue, deux questions
de fond se posent aux économistes lorsqu’ils
utilisent les statistiques nationales : la qualité de
la mesure et la pertinence des regroupements. Les nomenclatur es sont-elles
La première touche à la construction même de adaptées à l’étude des mutations
la nomenclature, à la collecte des données et à
industrielles ?leur comparabilité dans le temps et dans l’es-
pace. La seconde est liée à la supposition que
out au long de l’histoire, la conception de la conception de l’industrie retenue par l’éco- T l’industrie (vocable d’origine latine apparu nomiste recoupe celle du statisticien, ce qui
een Occident au XV siècle) a évolué entraî-n’est pas garanti a priori : l’établissement d’une
nant des modifi cations dans les nomenclatures. nomenclature est en effet inséparable « d’un
Ainsi, les premières défi nitions ne recouvrent moment historique qui fournit la défi nition de
pas l’acception actuelle : pour le dictionnaire l’objet, le matériel linguistique, la fi nalité de
de Trévoux (1743), l’industrie apparaît comme l’étude » (Guibert et al. , 1971, p. 26).
« dextérité, invention, adresse ». Nous étions
Or, l’objet industriel s’est profondément modi- ainsi en présence d’une qualité plutôt que d’un
fi é depuis au moins vingt ans, d’un point de secteur. Et, si c’est cette opération (physique),
vue technologique ou organisationnel (Artus, consistant à transformer les matières premières,
2001). La notion de mutation n’est certes pas que l’on a nommée « industrie », c’est précisé-
quelque chose de nouveau au sein de la sphère ment parce qu’elle mettait en jeu l’inventivité
industrielle – c’est peut-être même sa caracté- humaine et l’esprit industrieux. Avant de se
ristique première. Comme le rappelle Landes fi xer, la défi nition a évolué selon un processus
(2000), elle est fondamentalement attachée à relativement long et chaotique.
l’utilisation de nouvelles matières premières,
de nouvelles techniques et de nouvelles orga-
nisations du travail. Elle est aussi attachée au La g enèse du concept d’industrie
développement de nouveaux produits et à des souligne la diffi culté à la cerner
transformations sociales, parfois dures et sou- par les nomenclatures
vent complexes. C’est précisément pourquoi les
nomenclatures industrielles se sont modifi ées On trouv e ainsi en 1707, avant la première
si vite au cours de l’Histoire. La pertinence des industrialisation, mais à une période où les
14 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 405/406, 2007échanges de produits agricoles et manufacturés approches. On parla alors du critère « d’asso-
se multiplient, un découpage de l’économie en ciation », tendant à grouper sous un même agré-
trois secteurs lorsque Vauban propose de faire gat les activités fréquemment associées au sein
peser une dîme royale sur les terres, les com- des entreprises. Nous verrons plus en détail, par
merces et « l’industrie ». On trouve également la suite, que les méthodes françaises actuelles
echez William Petty, dès la fi n du XVII siècle, s’appuient encore sur une combinaison des cri-
l’évocation de mutations qui rappellent en par- tères déjà évoqués.
tie celles que nous vivons aujourd’hui et qui
suggère également un découpage de l’économie À l’évidence, la prem