L’analyse multiniveaux : avancées récentes et retombées anticipées pour l’étude des inégalités sociales et de santé - article ; n°2 ; vol.3, pg 187-195
9 pages
Français

L’analyse multiniveaux : avancées récentes et retombées anticipées pour l’étude des inégalités sociales et de santé - article ; n°2 ; vol.3, pg 187-195

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
9 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Santé, Société et Solidarité - Année 2004 - Volume 3 - Numéro 2 - Pages 187-195
The recent proliferation of studies on social and health inequalities helps to highlight the need to exploit a number of methodological and statistical advances in order to further develop knowledge in this area. The aim of this article is to promote the use of multilevel analysis in the study of social and health inequalities. More specifically, it involves describing a range of new applications for this type of analysis and explaining how the latter can contribute to the study of the processes underlying social and health inequalities. Thus, complex multilevel models of analysis are described. This description is accompanied by a review of recent writings that illustrate certain advanced applications of multilevel analysis. To conclude, the predictable repercussions of a judicious use of multilevel analysis are discussed.
L’essor récent des études sur les inégalités sociales et de santé permet de mettre en relief la nécessité d’exploiter certaines avancées méthodologiques et statistiques afin de contribuer à l’avancement des connaissances dans ce domaine. Cet article vise à promouvoir l’utilisation de l’analyse multiniveaux dans l’étude des inégalités sociales et de santé. Les objectifs spécifiques visent à décrire un éventail de nouvelles applications pour ce type d’analyse et d’expliquer comment celles-ci pourraient contribuer à l’étude des processus sous-jacents aux inégalités sociales et de santé. À cette fin, nous décrivons des modèles d’analyse multiniveaux complexes. Cette description est accompagnée d’une recension d’écrits récents qui illustrent certaines applications avancées de l’analyse multiniveaux. En conclusion, nous discutons des retombées prévisibles d’une utilisation judicieuse de l’analyse multiniveaux.
9 pages

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 85
Langue Français

Extrait

Outils et méthodes
L’analyse multiniveaux : avancées récentes et retombées anticipées pour l’étude des inégalités sociales et de santé
Lise Gauvin et Clément DassaQUÉBEC Professeurs titulaires au Département de médecine sociale et préventive et chercheurs au Groupe de recherche interdisciplinaire en santé (GRIS) de l’Université de Montréal et au Centre de recherche Léa-Roback sur les inégalités sociales de santé de Montréal
L’essor récent des études Résumé sur les inégalités sociales et de santé permet de mettre en relief la nécessité d’exploiter certaines avancées méthodologiques et statistiques afin de contribuer à l’avancement des connais-sances dans ce domaine. Cet article vise à promouvoir l’utilisation de l’analyse multi-niveaux dans l’étude des inégalités sociales et de santé. Les objectifs spécifiques visent à décrire un éventail de nouvelles applica-tions pour ce type d’analyse et d’expliquer comment celles-ci pourraient contribuer à l’étude des processus sous-jacents aux inéga-lités sociales et de santé. À cette fin, nous décrivons des modèles d’anal yse multi-niveaux complexes. Cette description est accompagnée d’une recension d’écrits récents qui illustrent certaines applications avancées de l’analyse multiniveaux. En conclusion, nous discutons des retombées prévisibles d’une utilisation judicieuse de l’analyse multiniveaux.
The recent proliferation of Abstract studies on social and health inequalities helps to highlight the need to exploit a number of methodological and statistical advances in order to further develop knowledge in this area. The aim of this article is to promote the use of multilevel analysis in the study of social and health inequalities. More specifically, it involves describing a range of new applica-tions for this type of analysis and explaining how the latter can contribute to the study of the processes underlying social and health inequal-ities. Thus, complex multilevel models of analysis are described. This description is accompanied by a review of recent writings that illustrate certain advanced applications of multilevel analysis. To conclude, the predictable reper-cussions of a judicious use of multilevel analysis are discussed.
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
187 N° 2, 2004
Outils et méthodes
essor des études sur les inégalités permet de mettre en relief certaines sociales et de santé (Evans, 2002) indiLvidus et des populations est fonction de avancées. On sait que la santé des déterminants sociaux situés à différents niveaux de l’écologie humaine (Smedley et Syme, 2001). Les chercheurs tentent de mieux saisir com-ment différents aspects de l’environnement physique, social, familial, organisationnel et communautaire interagissent avec les caracté-ristiques des individus pour produire des iné-galités de santé (Macintyre et Ellaway, 2000). Par ailleurs, certains auteurs (Robert, 1999) ont documenté le fait que les processus qui engendrent des inégalités de santé peuvent avoir leur origine dans les inégalités sociales individuelles (vulnérabilités individuelles) ou les milieux de vie (exposition à des agents térato-gènes). Les effets des inégalités sociales peu-vent être différenciés. Ainsi, les populations exposées à la défavorisation peuvent avoir une santé inférieure à celles qui n’y sont pas exposées. On pourrait aussi concevoir que la variabilité de l’état de santé d’une popula-tion exposée à la défavorisation est plus grande que la variabilité d’une population non expo-sée. L’étude des inégalités sociales et de leurs répercussions sur la santé des individus et des populations exige donc un traitement métho-dologique et statistique qui puisse saisir cette réalité complexe.
188 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
Finalement, les interventions en santé publique qui visent la réduction des inégalités sociales et de santé agissent tantôt sur des cibles au niveau des individus, tantôt sur des cibles au niveau des environnements, et tantôt sur des cibles à ces deux niveaux. L’évaluation d’interventions complexes a mis l’accent sur la nécessité de développer de nouveaux outils statistiques (Diez-Roux, 2000 ; Gauvinet al., 2001).
Un ensemble de techniques statistiques, alternativement appelées modèles linéaires hiérarchiques, modèles de régression à effets aléatoires, modèles multiniveaux, modèles mixtes et modèles bayesiens, offre aux chercheurs de puissants outils pour mieux aborder ces défis méthodologiques (Bryk et Raudenbush, 1992). Des descriptions de ces techniques ont été publiées et leur utilité dans l’étude des inégalités sociales et de santé a été mise en relief (Diez-Roux, 2000 ; Chaix
N° 2, 2004
et Chauvin, 2002). Afin de promouvoir davan-tage l’utilisation de l’analyse multiniveaux dans l’étude des inégalités sociales et de santé, cet article a pour objectif de décrire de nouvelles applications de l’analyse multiniveaux et d’expo-ser comment celles-ci pourraient contribuer à l’explication des processus sous-jacents aux inégalités sociales et de santé. À cette fin, nous décrirons l’éventail des modèles complexes qui peuvent être utilisés tout en les illustrant à l’aide d’applications avancées récemment publiées. Pour clore, nous discuterons de retombées précises pouvant être anticipées à la suite d’une utilisation judicieuse de l’analyse multiniveaux.
Multiniveaux : définitions conceptuelle, méthodologique et statistique
Le terme « multiniveaux » réfère à la présence de plateaux, d’échelons ou de couches. Il s’ensuit que d’un point de vue conceptuel, un modèle multiniveaux désigne un ensemble de prédictions ou d’explications qui s’étendent sur plusieurs unités d’analyse de systèmes vivants. Du point de vue méthodologique, une approche multiniveaux renvoie à la mesure ou à la manipulation de variables situées à plusieurs niveaux d’analyse de systèmes vivants. Du point de vue statistique, l’analyse multiniveaux réfère à un ensemble de techniques statistiques qui s’inscrit dans le cadre de la généralisation du modèle linéaire général et qui permet le trai-tement de données structurées hiérarchique-ment, c’est-à-dire qui proviennent de plusieurs unités d’analyse (Raudenbush et Bryk, 2002 ; Snijders et Bosker,1999). Typiquement, l’analyse multiniveaux permet d’estimer les sources de variance intra-unité et inter-unités à l’aide de la corrélation intraclasse, de déter-miner la présence d’effets aléatoires et de quantifier les effets fixes.
Exemples simples de l’application du modèle multiniveaux
Bien que les modèles mathématiques à la base de l’analyse multiniveaux aient été élaborés depuis près de trente ans, leur utilisation ne s’est généralisée qu’avec le développement de logi-ciels conviviaux et performants (mentionnons-en deux parmi les plus connus : MlWin, acces-sibleviawww.multilevel.ioe.ac.uk, et HLM, viawww.ssicentral.com). Alors que les toutes
Outils et méthodes
premières applications de ces méthodes portaient sur les déterminants du rendement scolaire, celles en santé ne sont apparues qu’à la fin des années 80 et prennent de plus en plus d’ampleur. Ainsi, à partir des nom-breux écrits qui mettaient en lumière la présence d’un gradient de santé en fonction du niveau de favorisation matérielle et sociale des individus (Evans, 2002), la question s’est posée de savoir si ce gradient pouvait en par-tie être expliqué par des variables associées à l’environnement (Pickett et Pearl, 2001). Au plan conceptuel, ce questionnement visait à mettre en lumière la viabilité de deux hypo-thèses explicatives (Macintyre et Ellaway, 2000). La première porte sur les explications compositionnelles qui suggèrent que les gra-dients de santé entre les populations s’expli-quent principalement par le fait que des gens qui ont des caractéristiques communes ont tendance à s’agglomérer dans les mêmes milieux de vie. Ainsi, les populations exposées à la défavorisation matérielle ont des profils de santé moins favorables car elles sont com-posées d’individus plus vulnérables. La seconde, de nature contextuelle, propose que les variations dans la santé des populations sont attribuables à des facteurs environ-nementaux (physiques ou sociaux) plutôt qu’à des variations dans les caractéristiques de la population. Selon cette hypothèse, les popu-lations ayant une santé plus précaire seraient celles exposées à des environnements moins favorables.
Au cours des quinze dernières années, on a donc assisté à une multitude d’applications de l’analyse multiniveaux (Diez-Roux, 2000). En particulier, on a souvent procédé à une reprise des analyses de données colligées. Dans un premier temps, on a apparié les gens à leur quartier de résidence, leur communauté ou municipalité, leur comté ou district électoral, leur province ou état respectifs. Ensuite, on a appliqué une analyse multiniveaux simple où les individus sont imbriqués dans un milieu de vie donné.
Une recension de 25 études récentes (Pickett et Pearl, 2001) indique que même si les variables individuelles expliquent une proportion importante de la variance de divers indicateurs de santé, on retrouve de façon systématique des effets de contexte. En parti-culier, des indicateurs de favorisation matérielle
et sociale au niveau du quartier de résidence sont associés à de meilleurs états de santé, et ce même après un contrôle des variations compo-sitionnelles. En général, les données démon-trent que la mortalité est inversement associée au statut socioéconomique du quartier alors que la longévité présente un lien inverse (Wilkinson, 1992). Certaines études démontrent que la proportion de personnes qui fument, qui sont sédentaires, qui rapportent une insatisfaction avec leur image corporelle, qui se perçoivent en mauvaise santé, qui adoptent des compor-tements dits délinquants et qui maintiennent de mauvaises habitudes alimentaires est plus élevée dans des milieux de vie défavorisés que dans des milieux plus favorisés (Berkman et Kawachi, 2000). Ces écrits sont d’autant plus remarquables qu’ils proviennent de différents pays : États-Unis, Australie, Pays Bas, Suède, Finlande, Canada pour ne nommer que ceux-là. Et bien que les études portent toutes à croire qu’il existe un gradient de santé qui dépend de variations de contexte, ces effets apparaissent davantage dans les endroits où les disparités sociales sont plus grandes, par exemple États-UnisvsPays Bas (Mackenbach, 2002). Actuellement, on se questionne sur l’interprétation de ces données et sur les stratégies à adopter pour mieux les exploiter (Diez-Roux, 2002, 2004 ; Oakes, 2004).
Applications avancées de l’analyse multiniveaux
Il semble que l’analyse multiniveaux soit bien implantée dans l’étude des inégalités sociales et de santé. Toutefois, il faut reconnaître que les applications existantes de l’analyse multi-niveaux n’exploitent qu’une petite partie du potentiel de la méthode.
Les modèles d’analyse à trois niveaux ou plus
La plupart des applications de l’analyse multi-niveaux correspondent au modèle statistique à deux niveaux où les gens sont imbriqués dans un milieu de vie donné. Toutefois, on pourrait s’intéresser à un nombre plus élevé de niveaux de structuration hiérarchique. Par exemple, les individus pourraient appartenir à des familles et celles-ci à des quartiers. De façon analogue, on pourrait imaginer une cohorte d’individus suivis longitudinalement, les mesures répétées étant imbriquées dans les individus et ensuite dans les quartiers de résidence. On serait alors
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
189 N° 2, 2004
190 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
Outils et méthodes
intéressé à décrire et à expliquer les profils de changement (Raudenbush, 2001) en fonction des caractéristiques des individus et de leur quartier.
C’est d’ailleurs une application de ce type qu’ont réalisée Pampalonet al.(1999) afin de mieux comprendre les déterminants de la per-ception de la santé au Québec. Ces auteurs ont procédé à une nouvelle analyse des données des enquêtes sociales et de santé de l’Institut de la statistique du Québec (www.stat.gouv.qc.ca) et ont appliqué un modèle d’analyse à quatre niveaux : les individus imbriqués dans les ménages, imbriqués dans les secteurs locaux imbriqués dans les régions sociosanitaires. Après avoir contrôlé pour des variables indi-viduelles (âge, sexe, habitudes de vie, édu-cation, revenu, soutien social), ils ont trouvé qu’il existait une variabilité entre les ménages et les secteurs locaux mais pas au niveau des régions. Cela porte à croire que pour la santé perçue, les effets de contexte seraient situés au niveau des environnements locaux et non 1 au niveau des grandes régions . Cette exten-sion du modèle d’analyse nous permet de mieux saisir la réalité complexe des inégalités sociales et de santé.
Les différents types de données
Dans la plupart des études existantes, les auteurs ont traité des données continues ou dichotomiques. Pour les données continues, on considère le modèle hiérarchique comme une généralisation du modèle linéaire général. Pour les données multiniveaux de type binaire, le modèle utilisé est une généralisa-tion du modèle logistique. Notons toutefois que les données relatives à plusieurs phéno-mènes d’inégalités sociales et de santé ne sont ni continues ni dichotomiques mais plutôt ordinales ou nominales. Par ailleurs, les données de type continu ne suivent pas tou-jours la distribution normale (postulée dans le modèle linéaire général usuel). Enfin, plusieurs phénomènes (criminalité, délin-quance) requièrent des distributions de type Poisson. Les modèles d’analyse multiniveaux peuvent être adaptés à tous ces types de don-nées (Raudenbush et Bryk, 2002).
L’« écométrie »
Une des applications les plus prometteuses de l’analyse multiniveaux (Diez-Roux, 2002, 2004) se rapporte à son application au dévelop-pement d’instruments de mesure des envi-ronnements. En particulier, Raudenbush et Sampson (1999a) soulignent que la pra-tique usuelle des chercheurs qui consiste à appliquer les méthodes psychométriques pour valider les mesures des environnements est, en fait, erronée. Jusqu’à présent, lorsque les chercheurs tentent d’obtenir des mesures de concepts se rapportant à des variables envi-ronnementales ou à des variables organisa-tionnelles, ils procèdent à l’agrégation d’une série d’items mesurant le concept étudié. De ce fait, on procède selon l’approche psycho-métrique usuelle où l’unité demesure initiale est l’individu. Bien qu’utile, ce type d’agré-gation mène à des biais tels que la sous-estimation des erreurs standards de mesure et tend à masquer des nuances conceptuelles qui peuvent être importantes. De plus, les variations attribuables à différentes sources pertinentes (items, évaluateurs) ne sont pas estimées et, de ce fait, sont souvent ignorées. Or, la construction des mesures des environ-nements produit des bases de données ayant une structure hiérarchique. En effet, les observations relatives à l’environnement sont souvent mesurées en demandant aux individus appartenant aux environnements d’intérêt de se prononcer sur la présence ou sur la qua-lité de différentes caractéristiques de l’environ-nement. On produit ainsi des bases de données hiérarchiques qui comportent des observations d’éléments imbriqués dans des observateurs qui sont eux-mêmes imbriqués dans des environ-nements. De telles situations se prêtent bien à l’analyse multiniveaux. Raudenbush et Sampson (1999a) ont élaboré des arguments en faveur du développement d’une nouvelle méthodologie qui permette d’obtenir des indices de validité et de fidélité adaptés à la nature « écologique » des mesures environne-mentales ou organisationnelles, «l’écométrie».
Plus spécifiquement, l’écométrie vise à développer des indices métrologiques pour les environnements ou les organisations qui
1. Bien entendu, il ne faut pas croire que cette affirmation réfute l’importance de politiques publiques pouvant s’appliquer à des régions entières. En effet, certains auteurs (Séguin et German, 2000) ont démontré que les politiques peuvent avoir pour effet de concentrer la pauvreté dans certains secteurs locaux. Ainsi, cette analyse multiniveaux révèle des inégalités qui se manifestent au niveau local. La question de savoir comment lutter contre ces inégalités nécessiterait une toute autre base de données.
N° 2, 2004
Outils et méthodes
reflètent bien la complexité de leurs struc-tures. L’écométrie est issue de l’intégration de trois méthodologies bien connues, soit la théorie de la généralisabilité, la théorie des réponses aux items (TRI ouItem-Response Theory) et les modèles statistiques d’analyses multiniveaux. La théorie de la généralisabilité consiste à expliciter les sources d’erreur qui affectent la précision de la mesure et à docu-menter leurs effets dans un contexte de recherche, mais aussi de prise de décision. L’application de la TRI permet d’encadrer le traitement des sources d’erreur et de ren-seigner le chercheur sur la précision de la mesure ainsi que sur les conditions optimales de son utilisation. La TRI modélise conjointe-ment le trait latent mesuré et les caractéristiques docimologiques des items qui servent à le mesurer. À l’aide d’une fonction logistique, on modélise la probabilité qu’une « bonne » réponse faite à un item est fonction de l’habileté du répondant, de la difficulté de l’item, de sa discrimination, voire d’une réponse au hasard. L’examen de « cartes » de difficulté permet d’évaluer si les items se répartissent selon une échelle graduée de difficulté ou bien si l’échelle comporte des « trous ». La TRI produit égale-ment des estimations de l’habileté des répon-dants et de la précision de ces mesures. Les modèles d’analyses multiniveaux, quant à eux, permettent d’examiner les sources de varia-bilité dans des données structurées de façon hiérarchique. De ce fait, ils permettent au chercheur de déterminer la distribution de variance entre les différents niveaux d’analyse et d’explorer l’association d’une variable dépen-dante avec des variables prédictives relevant de différents niveaux. L’intégration de ces trois méthodes à l’aide de l’écométrie permet au chercheur de réduire les biais qui caracté-risent présentement les mesures écologiques et d’obtenir ainsi de meilleures estimations de la validité et de la fidélité.
Dans une étude, possiblement la première de l’écométrie, Raudenbush et Sampson (1999a) ont colligé des données en observant le désordre physique et social dans 23 816 seg-ments de rues situés dans 80 quartiers de la ville de Chicago. Les observateurs circulaient en camionnette et filmaient les rues à l’aide d’appareils vidéos. Les vidéo-clips ont servi à coder la présence ou l’absence de 14 indicateurs de désordre physique (présence ou absence de mégots de cigarettes, de débris, de graffitis) et
de désordre social (présence ou absence de personnes qui flânent, de personnes qui se livrent au commerce de stupéfiants). Les ana-lyses écométriques ont permis de préciser la contribution de chaque item aux échelles globales et d’établir un profil différencié de la fidélité selon le niveau (élevée pour les quartiers et faibles pour les parties de rue). Elles ont également établi que des niveaux plus élevés de désordre physique et social étaient associés à la concentration de la pau-vreté et de la violence perçue. En somme, l’avènement récent de la méthodologie éco-métrique permet de mieux instrumenter l’étude des inégalités sociales et de santé et, de ce fait, d’en améliorer la validité.
Les modèles à classification croisée (cross-classified)
Jusqu’ici, nous n’avons discuté que de modèles qui permettent de traiter des données pure-ment hiérarchiques où chaque unité d’analyse d’un niveau inférieur est imbriquée dans une seule unité d’analyse de niveau supérieur. Or, plusieurs phénomènes pertinents aux inégalités sociales et de santé ne présentent pas cette caractéristique. Par exemple, des enfants qui résident dans un quartier peuvent fréquenter une école située dans un autre quartier. Ces enfants sont influencés à la fois par l’exposition aux caractéristiques des quartiers et aux carac-téristiques des écoles mais l’appartenance à l’école n’est pas strictement conditionnée par le quartier de résidence. Cette situation exige une méthodologie particulière qui permette de discerner les effets associés aux variables de quartier de ceux associés aux variables de l’insti-tution scolaire. De même, on pourrait imaginer des personnes qui utiliseraient les services de santé offerts soit dans des organisations situées dans leur quartier de résidence soit dans leur quartier de travail. Leur santé serait influencée par les services reçus à différents endroits ne présentant aucun lien hiérarchique entre eux.
L’extension du modèle d’analyse multi-niveaux qui permet l’analyse de ce type de données s’appelle le modèle à classification croisée (« cross-classified »). Les individus y sont imbriqués à la fois dans deux unités d’analyse (Raudenbush et Bryk, 2002). Une application récente de ce modèle, réalisée par Curtiset al.(2004), a établi que les gens qui avaient vécu dans des endroits caractérisés par une défavorisation matérielle élevée en
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
191 N° 2, 2004
192 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
Outils et méthodes
1939 présentaient des probabilités plus élevées d’avoir des maladies chroniques en 1981, et ce même après avoir contrôlé les caractéris-tiques du milieu de vie le plus récent. Cette avancée de l’analyse multiniveaux permet de traiter rigoureusement les influences des inéga-lités sociales à différents moments de la vie et constitue une approche qui pourrait s’avérer féconde.
Les modèles de médiation au niveau supérieur de la hiérarchie
Dans les sciences sociales comme en épidémio-logie, la recherche systématique de variables qui peuvent expliquer la relation entre deux variables fait partie intégrante de la conceptua-lisation et de la théorisation. Cette recherche de variables explicatives est dite recherche de variables médiatrices (en sciences sociales) ou intermédiaires (en épidémiologie). Plusieurs auteurs, dont Rothman et Greenland (2001), ont expliqué comment l’existence de liens avec des variables médiatrices pouvait être docu-mentée de façon statistique. Une des avancées récentes de l’analyse multiniveaux consiste à documenter l’effet de variables médiatrices ou intermédiaires sur les variables situées au niveau supérieur de la hiérarchie. Ainsi, Raudenbush et Sampson (1999b) ont étudié la question de savoir si la relation fréquemment observée aux États-Unis entre les caractéristiques sociodé-mographiques des habitants d’un endroit et la violence présente à ce même endroit pouvait s’expliquer par le contrôle social informel dans ces mêmes milieux de vie. À l’aide des données provenant du « Project on Human Development in C hicago Neighborhoods », ils ont proposé des façons de documenter l’effet de variables intermédiaires. Ainsi, dans un échantillon de 342 quartiers de Chicago, les auteurs ont examiné si les liens entre la concen-tration de la pauvreté, l’isolation ethnique et la proportion d’immigrants ainsi que la vio-lence perçue par les résidents s’expliquent par le contrôle social informel. L’application de l’analyse multiniveaux qui intègre l’examen d’effets indirect (lien entre les caractéristiques de la population et la violence perçueviale degré de contrôle social informel) et direct (lien direct entre ces mêmes variables en présence du contrôle social informel) permet de quantifier ces effets. En particulier, bien que la concentration de pauvreté, l’isolation
N° 2, 2004
ethnique et la proportion d’immigrants soient associées à la violence perçue, lorsque l’on procède au contrôle statistique du niveau de contrôle social informel, on constate que seule la concentration de pauvreté est asso-ciée à la violence perçue. Il n’y a plus de liens significatifs entre l’isolation ethnique, la propor-tion d’immigrants et la violence perçue. De plus, le lien entre le contrôle social informel et la violence perçue est très significatif : un meilleur contrôle social informel est associé à une plus faible violence perçue. Finalement, on constate que le lien entre la concentration de pauvreté et la violence perçue est partielle-ment expliqué par le niveau de contrôle social informel.
L’analyse multiniveaux et les autres techniques d’analyses avancées
Les analyses multiniveaux présentent des caractéristiques méthodologiques semblables à d’autres stratégies d’analyse utilisées dans la recherche psychosociale en santé (Leyland et Goldstein, 2001). Par exemple, les modèles multiniveaux présentent des liens avec la modé-lisation par équations structurales (SEM ou Structural Equation Modeling) qui, sous sa forme la plus générale, traduit des hypothèses causales (du type des modèles de médiation discutés ci-haut) en une série d’équations structurales qui relient les variables latentes à l’étude. Ces dernières sont mesurées à l’aide de variables observées définies à l’aide de modèles de mesure. L’ensemble des liens hypothétiques est capté par la matrice de variance-covariance des paramètres qui fait l’objet d’un test d’ajustement à l’aide de la matrice de variance-covariance des données. Des avancées récentes dans les logiciels spé-cialisés de la SEM, tel que Mplus de Muthén et Muthén (2002), permettent un traitement intégré d’un modèle causal selon une décom-position des sources de variation intra et interunités. De ce fait, l’intégration graduelle des techniques multiniveaux et de la modé-lisation structurale ouvre des avenues de développement intéressantes pour l’analyse écométrique (Rabe-Heskethet al.,2004). Les analyses multiniveaux peuvent aussi être adap-tées aux questions généralement posées dans le cadre d’analyses de survie (identification de déterminants variables et non variables qui prédisent la survie [temps jusqu’à la mortalité]).
Outils et méthodes
Finalement, mentionnons l’existence d’une classe spéciale de modèles de croissance qui peuvent être adaptés pour mieux comprendre la transition d’un état vers un autre (Collins et Sayer, 2001 ; Raudenbush, 2001).
Retombées anticipées
Les données permettant de comprendre les processus sous-jacents aux inégalités sociales et de santé et de les modifier proviennent de plusieurs unités d’analyse et mènent souvent à la création de bases de données à struc-ture hiérarchique. Dans ce contexte, l’analyse multiniveaux et ses avancées récentes offrent des outils statistiques qui permettent d’abor-der l’étude des inégalités sociales et de santé sous un nouvel angle. Bien que l’analyse multiniveaux suscite l’enthousiasme en santé publique (Diez-Roux, 2000; Subramanianet al., 2003), il existe toujours un certain nombre d’enjeux sur lesquels les méthodologues doivent se pencher (Courgeau, 2003). Un problème important porte sur la façon de conceptualiser les niveaux d’analyse. À notre avis, cet enjeu n’a pas encore trouvé de solution définitive et continuera de faire l’objet de discussions. Soulignons ici toutefois les cinq niveaux d’ana-lyse qui semblent préoccuper le plus les chercheurs (Gauvinet al.,mesures2001) : les répétées intra-sujets, les analyses inter-personnes, les petits groupes, les quartiers et les communautés.
Un deuxième enjeu porte sur l’interpré-tation des résultats de l’analyse multiniveaux, présentement objet de controverse (Lynch et al.,Diez-Roux, 2004).2004 ; 2003 ; Oakes, Loin d’être négatifs, ces échanges devraient clarifier les choix méthodologiques et d’inter-prétation et ainsi contribuer à assurer une plus grande validité à la recherche.
Par ailleurs, il est probable que les cher-cheurs voudront réviser leurs choix des unités de randomisation dans les études expéri-mentales. Ils devront aborder les questions
suivantes : « Sous quelles conditions et à partir de quelles unités d’analyse doit-on randomiser? La randomisation est-elle possible dans les études relatives à l’intervention sur les inéga-lités sociales et de santé ? Quand et comment procéder ? »
L’optimisation de la puissance des analyses multiniveaux constitue un autre problème. « Comment estimer la puissance dans le contexte d’une base de données à structure hiérarchique ? Est-il préférable de colliger de nombreuses données pour les unités inférieures et de limiter le nombre des unités supérieures ou, du point de vue de la puis-sance, est-il préférable de colliger peu d’unités inférieures dans un grand nombre d’unités supérieures ? Bref, comment détermine-t-on les tailles d’échantillon optimales dans le contexte d’une étude multiniveaux ? » À cette fin, il faut reconnaître que le calcul de la puissance dans le contexte de l’analyse multini-veaux est rendue plus complexe par la présence d’une corrélation intraclasse et par la varia-bilité des estimations des unités (Snijders et Bosker, 1999).
Conclusions et recommandations
En santé publique, l’analyse multiniveaux cons-titue un outil de recherche novateur et utile. Elle permet notamment un examen cohérent des liens entre les variables des différents niveaux d’analyses. Les chercheurs qui s’inté-ressent aux inégalités sociales et de santé conviendront facilement que ses caractéris-tiques pratiques et théoriques sont particuliè-rement bien adaptées à cette problématique. La disponibilité de ces nouvelles techniques d’analyse permettra vraisemblablement à la communauté des chercheurs de consolider sa base de connaissances relatives aux inégalités sociales et de santé et ainsi de promouvoir des politiques publiques scientifiquement fondées, justes et équitables.
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
193 N° 2, 2004
194 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
Outils et méthodes
Bibliographie Berkman L.F., Kawachi I. (éds.) (2000).Social Epidemiology, New York, Oxford University Press. Bryk T.A., Raudenbush S.W. (1992).Hierarchical linear models, Newbury Park, Sage. Chaix B., Chauvin P. (2002). La contribution de l’analyse multiniveaux dans l’analyse contextuelle dans le domaine de l’épidémiologie sociale : une recension des écrits,Revue d’épidémiologie et de santé publique: 489-99., 50 Collins L.M., Sayer A.G. (2001).New methods for the analysis of change, Washington, American Psychological Association. Courgeau D. (2003).Methodology and epistemology of multilevel analysis: Approaches from different social sciences, Boston, Kluwer Academic Press. Curtis S., Southall, H. Congdon, P. Dodgeon, B. (2004). Area effects on health variation over the life-course: analysis of the longitudinal study sample in Englamd using new data on area of residence in childhood,Social Science and Medicine: 57-74., 58 Diez-Roux A. (2000). Multilevel analysis in public health research,Annual review of Public Health: 171-92., 21 Diez-Roux A. (2002). Invited Commentary: Places, people, and health,American Journal of Epidmeiology: 516-19., 155 (6) Diez-Roux A. (2004). Estimating neighborhood health effects: the challenge of causal inference in a complex world,Social Science and Medicine, 58 (10) : 1953-60. Evans R. (2002).Interpreting and addressing inequalities in health: From Black to Acheson th to Blair to… ?.Lecture to the Office of Health Economics, London.7 Annual Gauvin L., Lévesque L., Richard L. (2001). Helping People Initiate and Maintain a More Active Lifestyle: A Public Health Framework for Studies of Physical Activity Promotion, inSinger R.N., Hausenblaus H., Janelle C. (éds.).Handbook of research on sport and nd exercise psychologyNew York, Wiley, 718-39.(2 edition), Leyland A.H., Goldstein H. (2001).Multilevel Modeling of Health Statistics, New York, Wiley. Lynch J., Harper S., Smith G.D. (2003). Commentary: Plugging leaks and repelling boarders – where to next for the SS income inequality?International Journal of Epidemiology:, 32 1029-36. Macintyre S., Ellaway A. (2000). Ecological approaches: Rediscovering the role of the physical and social environment,inBerkman, L.F., Kawachi, I. (éds.).Social Epidemiology. New York, Oxford University Press, 332-48. Mackenbach J.P. (2002). Income inequality and population health,British Medical Journal, 324 : 1-2. Muthén L.K., Muthén B.O. (2002).Mplus. Statistical Analysis with Latent Variables, Los Angeles, Muthén & Muthén. Oakes J.M. (2004). The (mis)estimation of neighborhood effects: causal inference for a practicable social epidemiology,Social Science and Medicine, 58 (10) : 1929-52. Pampalon R., Duncan C., Subramanian S.V., Jones K. (1999). Geographies of health perception in Québec: a multilevel perspective,Social Science and Medicine, 48 : 1483-90. Pickett K.E., Pearl M. (2001). Multilevel analyses of neighbourhood socioeconomic context and health outcomes: a critical review,Journal of Epidemiology and Community Health, 55 : 111-22. Rabe-Hesketh S., Skrondal A., Pickles A. (2004). Generalized multilevel structural equation modeling,Psychometrika,: 167-90.69 (2) Raudenbush S.W. (2001). Comparing personal trajectories and drawing causal inferences from longitudinal data,Annual Review of Psychology: 501-25., 52
N° 2, 2004
Outils et méthodes
Raudenbush S.W., Sampson R.J. (1999a). Ecometrics: Toward a science of assessing ecological settings, with application to the systematic social observations of neighborhoods,Sociological Methodology: 1-41., 29 (1)
Raudenbush S.W., Sampson R. (1999b). Assessing direct and indirect effects in multilevel designs with latent variables,Sociological Methods and Research: 123-53., 28
Raudenbush S.W., Bryk A. (2002).Hierarchical linear models: nd methodsNewbury Park, Sage.(2 edition),
Applications and data analysis
Robert S.A. (1999). Socioeconomic position and health: The independent contribution of community socioeconomic context,Annual Review of Sociology: 489-516., 25
Rothman K.J., Greenland S. (1998). & Wilkins.
Modern epidemiology, Philadelphia, Lippincott, Williams,
Séguin A.M., German A. (2000). The Social Sustainability of Montréal: A Local or a State Matter?inPolèse, M., Stren, R. (éds.).The Social Sustainability of Cities. Diversity and the Management of Change, Toronto, University of Toronto Press, 39-67.
Smedley B.D., Syme S.L. (éds.) (2001).Promoting health. Intervention strategies from social and behavioral research, Washington, National Academy Press.
Snijders T., Bosker R. (1999).Multilevel analysis: multilevel modeling, Thousand Oaks, Sage.
An introduction to basic and advanced
Subramanian S.V., Jones K., Duncan C. (2003). Multilevel methods for public health research,inKawachi, I., Berkman, L.F. (éds.).Neighborhoods and health, New York, Oxford University Press, 65-111.
Wilkinson R.G. (1992). Income distribution and life expectancy,British Medical Journal, 304 : 165-68.
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
195 N° 2, 2004
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents