L’immigration à l’école – Évolution des politiques scolaires d’intégration - article ; n°1 ; vol.4, pg 153-163
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Santé, Société et Solidarité - Année 2005 - Volume 4 - Numéro 1 - Pages 153-163
Tout au long du 20e siècle, l’école française a accueilli des enfants nés en France ou non, de parents étrangers, sans en avoir fait un problème particulier, sans faire de différence entre les élèves et sans que les élèves en fassent: c’était «l’indifférenciation laïque». Dans la période 1970-1980, de jeunes étrangers arrivent massivement, au moment même où le terme de «droit à la différence» semble supplanter le «modèle républicain». Depuis cette date, on peut relever une certaine confusion dans l’enseignement public entre ce qui peut relever de mesures spécifiques ou s’inscrire dans le droit commun. Aujourd’hui, aucune distinction ne peut être faite entre les élèves de 6 à 16 ans pour l’accès au service public de l’éducation. À partir de 1973, se généralisent des classes dites «d’adaptation» pour les primo arrivants non francophones de 12 à 16 ans. En 1986, sous le terme de «structures d’accueil», le dispositif est élargi au secondaire. De leur côté, les centres de formation et d’information pour la scolarisation des enfants de migrants (CEFISEM) favorisent alors une pédagogie «interculturelle» qui tend à isoler artificiellement les jeunes enfants. Tel est le cas de l’enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) dispensé par des maîtres étrangers, coupés des réalités françaises. En 2002, 1 917 classes d’accueil ont accueilli la majorité des 37 000 élèves nouveaux arrivants. Ces classes mettent en oeuvre des actions spécifiques qui, pour être cohérentes, doivent s’articuler avec le droit commun.
Throughout the 20th century, French schools have received children— born or not born in France— of foreign parents without viewing it as a special problem or making any distinction between the students and without the students making any distinction. This was a case of •lay undifferentiation”. During the 1970-1980 period, young foreigners were arriving en masse, at the very time when the term •right to be different” seemed to have replaced the •republican model”. Ever since, a degree of confusion can be observed in public education between what relates to specific measures and what comes under general law. Nowadays, no distinction can be made between 6 to 16 year-old students for access to the public education service. From 1973 onwards, the so-called •adjustment” classes were generalized for non-Francophone newcomers aged 12 to 16. In 1986, under the term •welcoming or preparatory structures”, this mechanism was broadened to secondary education. For their part, the CEFISEM (centres for training and information for the schooling of children of migrants) promoted an •intercultural” pedagogy that tended to artificially isolate young children. This is the case of ELCO, in which heritage languages and cultures are taught by foreign teachers, cut off from French realities. In 2002, 1917 welcoming classes took in the majority of 37,000 students/ newcomers. The classes implement specific actions which, to be coherent, must be articulated with the general law.
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Publié le 01 janvier 2005
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Langue Français

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L E S E N F A N T S D E M I G R A N T S E T LÉ C O L E
dossierImmigration et intégration
L’immigration à l’école – Évolution des politiques scolaires d’intégration
Marie Lazaridis– FRANCE Chargée de mission à la Direction de l’enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Alain Seksig– FRANCE Inspecteur au ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
e Tout au long du 20 siè-Résumé cle, l’école française a accueilli des enfants nés en France ou non, de parents étrangers, sans en avoir fait un problème particulier, sans faire de diffé-rence entre les élèves et sans que les élèves en fassent : c’était « l’indifférenciation laïque ». Dans la période 1970-1980, de jeunes étrangers arrivent massivement, au moment même où le terme de « droit à la différence » semble supplanter le « modèle républicain ». Depuis cette date, on peut relever une certaine confusion dans l’ensei-gnement public entre ce qui peut relever de mesures spécifiques ou s’inscrire dans le droit commun. Aujourd’hui, aucune dis-tinction ne peut être faite entre les élèves de 6 à 16 ans pour l’accès au service public de l’éducation. À partir de 1973, se géné-ralisent des classes dites « d’adaptation » pour lesprimoarrivants non francophones de 12 à 16 ans. En 1986, sous le terme de « structures d’accueil », le dispositif est élargi au secondaire. De leur côté, les cen-tres de formation et d’information pour la scolarisation des enfants de migrants (CEFISEM) favorisent alors une pédago-gie « interculturelle » qui tend à isoler arti-ficiellement les jeunes enfants. Tel est le cas de l’enseignement des langues et cul-tures d’origine (ELCO) dispensé par des maîtres étrangers, coupés des réalités françaises. En 2002, 1 917 classes d’accueil ont accueilli la majorité des 37 000 élèves nouveaux arrivants. Ces classes mettent en œuvre des actions spécifiques qui, pour être cohérentes, doivent s’articuler avec le droit commun.
Throughout the 20th cen-Abstract tury, French schools have received children—born or not born in France—of foreign parents without viewing it as a special problem or making any dis-tinction between the students and without the students making any distinction. This was a case of “lay undifferentiation”. During the 1970-1980 period, young foreigners were arriving en masse, at the very time when the term “right to be different” seemed to have replaced the “republican model”. Ever since, a degree of confusion can be observed in public education between what relates to specific measures and what comes under general law. Nowadays, no distinction can be made between 6 to 16 year-old students for access to the public education service. From 1973 onwards, the so-called “adjust-ment” classes were generalized for non-Francophone newcomers aged 12 to 16. In 1986, under the term “welcoming or prepara-tory structures”, this mechanism was broad-ened to secondary education. For their part, the CEFISEM (centres for training and information for the schooling of children of migrants) promoted an “intercultural” ped-agogy that tended to artificially isolate young children. This is the case of ELCO, in which heritage languages and cultures are taught by foreign teachers, cut off from French real-ities. In 2002, 1917 welcoming classes took in the majority of 37,000 students/newcomers. The classes implement specific actions which, to be coherent, must be articulated with the general law.
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e out au long du 20 siècle, l’école française a accueilli des enfants « prToblème » particulier. L’institution n’éta-nés, en France ou non, de parents étrangers, sans en avoir fait un blissait aucune différence entre les élèves, et ces derniers pas davantage. Dans un ouvrage paru en 2002, le philosophe Alain Pierrot écrit : Ceux dont l’expérience sociale et scolaire est postérieure aux années 1980 pourraient tenir pour évidente la perception « ethnique » des élèves entre eux, mais si je repense à l’école qui était la mienne il y a un peu plus d’une quarantaine d’années, je me souviens très précisément de tel ou tel camarade marocain, polonais, hongrois ou cambodgien mais il me semble que ni mes camarades ni moi n’avions la notion d’élève étranger ou immigré. Les étrangers existaient, certes, mais justement à l’étranger. Nos camarades, eux, n’étaient qu’accidentellement étrangers, individuellement, ils étaient tout ce que nous étions, c’est-à-dire des élèves de cette école et de ce quartier (…) Je ne crois pas être un cas isolé en ce qui concerne un autre aspect de l’évidence de cette indiffé-renciation laïque comme catégorie percep-tive : reconnaître plus tard au lycée comme juifs des patronymes aussi familiers que Lévy et Cohen, ne me venait pas à l’esprit spontanément et c’est fort tard que j’ai appris à le faire. À l’appui de ce témoignage individuel, on peut noter que l’absence de textes offi-ciels et d’éléments statistiques sont égale-ment des signes de cette « indifférenciation laïque », d’une volonté d’assimilation de fait des enfants étrangers, ignorant délibéré-ment toute démarche spécifique pour leur scolarisation. Mais il n’en a pas toujours été et il n’en sera pas toujours ainsi. La période de vingt cinq ans qui court de 1945 à 1970 se distingue en effet des pratiques qui pré-valaient avant-guerre et de celles qui vont émerger dans les années 70.
Assimilables ou inassimilables
Au cours des années 30, dans un climat latent de xénophobie et de racisme, les débats tour-nent en France autour du degré d’assimila-bilité des étrangers et de leurs enfants selon leur origine. Ces années ont été dominées
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par la figure et les travaux d’un démographe initialement formé à la géographie, Georges Mauco. En 1932, sa thèse de doctoratLes étrangers en France, leur rôle dans l’activité économiquel’institue rapidement comme le meilleur spécialiste des questions migra-toires. Il élabore la notion de degré d’assi-milation des migrants en fonction de leur origine nationale (Weil, 2002). Sur son « échelle d’assimilabilité », numérotée de 1 à 10, les Arabes, les Grecs et les Arméniens (à l’époque, ces deux derniers groupes étaient tous originaires de l’ancien empire ottoman) se retrouvent au bas de l’échelle, les Polo-nais et les Espagnols légèrement au-dessus, les Italiens, les Suisses et les Belges étant situés en première position.
D’une précision aussi minutieuse qu’extra-vagante (par exemple les Arabes sont « notés » 2,9, les Grecs 5,2 ; les Italiens 7,3, etc. ; la « note » suprême étant d’évidence réservée aux seuls « bons Français »), cette classifica-tion des étrangers selon leurs aptitudes « culturelles » à s’assimiler s’étend aux juifs. En disciple de Maurras, Georges Mauco justifie l’indésirabilité de ces derniers par « leur psychologie d’instables, doublés d’anxieux, de revendicateurs perpétuels ».
Après avoir travaillé, sous Vichy, à la revueL’ethnie française, il rejoint, fin 1944, la Résistance et va poursuivre, dès lors, ses travaux dans une veine similaire mais avec un renversement du discours qui sied mieux à l’esprit du moment. Il devient le chantre, au sein de l’école, du droit à la différence et fustige l’égalitarisme scolaire qui ignore les spécificités culturelles des enfants de migrants. Une inquiétude qui n’est pas éloi-gnée de son obsession de catégorisation d’avant-guerre.
Promoteur d’une approche psychologi-sante de la pédagogie, il alimente un cou-rant de pensée, notamment par ses publica-tions, où il souligne les difficultés des enfants de migrants à l’école – enfants susceptibles, méfiants, gauches – et dénonce dans le même temps l’inadaptation de l’école « qui ne tient pas suffisamment compte de la diversité d’origine, de la langue des élèves, de leur culture originelle, de leur passé eth-nique et de leurs conditions matérielles et sociofamiliales » (Pierrot, 2002).
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Ces affirmations font encore débat aujour-d’hui chez certains professionnels de l’édu-cation. La notion d’« inassimilabilité » des étrangers, en vogue avant-guerre, a été pro-gressivement remplacée par celle du droit à la différence ; une approche certes apparem-ment opposée, mais qui comporte encore le risque d’enfermer les enfants étrangers dans une spécificité radicale et, ce faisant, de légi-timer l’idée d’une intégration impossible.
Le « droit à la différence » et ses effets pervers Dans les années 70-80, l’école s’ouvre au plus grand nombre dans l’enseignement secondaire. Cette ouverture coïncide avec l’arrivée massive de jeunes étrangers, rendue possible par la politique du « regroupement familial », notamment dans les aggloméra-tions urbaines et, par ailleurs, avec l’émer-gence des notions de « droit à la différence » et de relativisme culturel. Dans ce contexte général où, pour les enseignants de la génération du « baby-boom », le modèle républicain ne semble plus aller de soi, des mesures spécifiques sont mises en œuvre, souvent à titre expéri-mental et pérennisées depuis : £ création de classes d’initiation au français pour élèves non francophones dans les premier et second degrés ; £ développement de l’enseignement de langues et cultures d’origine (ELCO), pris en charge par huit pays d’origine des immigrés, dans le cadre d’accords bilaté-raux avec la France (Algérie, Espagne, Italie, Maroc, Portugal, Tunisie, Turquie, Yougoslavie) ; £ ouverture de lieux de formation spécialisée pour enseignants : les centres de formation et d’information pour la scolarisation des enfants de migrants (CEFISEM) sont progressivement implantés dans la quasi-totalité des académies (les circonscriptions régionales de l’Éducation nationale). Au cours de ces quelques trente dernières années, des enseignants, des chercheurs et des « rapporteurs » ont parfois interrogé la pertinence d’une « spécialisation » des pro-blèmes, des structures, des contenus, des enseignants et de leur formation. Par leurs
travaux, ils ont mis au jour une certaine con-fusion entre ce qui peut relever de mesures spécifiques ou, au contraire, doit s’inscrire dans le droit commun ; entre ce que l’État peut et doit prendre en charge et ce qui res-sortit à l’initiative privée ; et enfin de ce qui, au sein des actions relevant de la responsa-bilité de l’État, revient en propre à l’école.
Il convient aujourd’hui de resituer dans une perspective historique la prise en compte de l’accueil des enfants des migrants par l’école, en préciser autant que faire se peut les étapes, en mesurer les errements sinon les erreurs, en tout cas la complexité, afin de mieux en éclairer l’actualité au regard des directives du ministère de l’Éducation nationale, notamment celles d’avril 2002.
Obligations communes et spécificités
L’égalité de principe entre tous les enfants, quelle que soit leur origine et celle de leurs parents, est au fondement de l’école de la République. La loi d’obligation scolaire du 28 mars 1882 vaut pour tous les enfants français comme pour tous les enfants de nationalité étrangère. Cette obligation com-mune n’exclut pas de concevoir certaines modalités particulières de scolarisation des enfants étrangers. Dès les années 20, des voix s’élèvent qui réclament la prise en compte de la spécificité linguistique de ces enfants tout en plaidant pour leur assimilation.
Comme le souligne Patrick Weil (2001), ce souci de respecter le droit commun, pour tous et chacun, s’accommode fort bien d’arrange-ments ponctuels d’état à état qui, notamment en ce qui concerne la France, maintiennent longtemps la politique migratoire dans le champ du ministère des Affaires étrangères.
Ainsi, la Troisième République n’hésitera-t-elle pas à conclure, peu de temps après la mise en œuvre des lois scolaires fondatrices du ministre Jules Ferry, des accords avec l’Italie et la Pologne permettant la création d’écoles dites « nationales ». Ces écoles pri-vées, ouvertes par le patronat industriel dans le nord et l’est de la France, n’enseignent que la langue des enfants de migrants polo-nais et italiens. Ces cours sont organisés, déjà, dans un souci de respecter les « cultures d’origine » et « afin de permettre que les
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enfants étrangers bénéficient d’un enseigne-ment totalement séparé de l’école publique ». Les travailleurs arrivaient ainsi en France avec leur famille, leur prêtre et leur instituteur. Certains enfants italiens et polonais ne sont jamais allés à l’école publique et, dès l’âge de quatorze ans, au terme de leur fréquen-tation des cours « nationaux », travaillaient à la mine (Weil, 2001).
L’instauration de l’enseignement des lan-gues et cultures d’origine (ELCO) dans les années 70 et 80 participera des mêmes hési-tations à penser la scolarisation des enfants de migrants comme partie intégrante de l’école française et relevant de sa seule légitimité.
Ces dernières années, le principe même de l’obligation scolaire a été parfois remis en question par le refus de certaines muni-cipalités – desquelles dépendent notam-ment l’inscription scolaire pour l’école maternelle et élémentaire – de scolariser des enfants de parents entrés sur le terri-toire français en dehors des voies légales et ne pouvant justifier de papiers en règle. Devant ces difficultés, le ministère de l’Éducation nationale a rappelé en 2002 qu’« en l’état actuel de la législation, aucune distinction ne peut être faite entre élèves de nationalité française et élèves de nationalité étrangère pour l’accès au service public de l’éducation. Rappelons, en effet, que l’ins-truction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, âgés de 6 à 16 ans, qu’ils soient français ou étrangers, dès l’instant où ils résident sur le territoire français. Il n’appar-tient pas au ministère de l’Éducation natio-nale de contrôler la régularité de la situation des élèves étrangers et de leurs parents au regard des règles régissant leur entrée et 1 leur séjour en France » .
Des classes d’initiation à la scolarisation des enfants issus de l’immigration : du parcours pédagogique à la spécificité culturelle
À partir de 1970, date de la première cir-culaire officialisant les classes d’initiation
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(CLIN) dans l’enseignement élémentaire, des dispositions particulières sont prises pour faciliter l’apprentissage du français pour les nouveaux arrivants. Dès 1965, des classes avaient été spontanément créées par des enseignants et il existait déjà cent clas-ses d’initiation expérimentales lors de la parution de cette première circulaire. Renvoyant alors au seul apprentissage de la langue française, la question de l’intégration scolaire occupe désormais la première place dans les préoccupations des enseignants.
Cette première circulaire est suivie, en 1973, de celle concernant « la scolarisation des enfants étrangers non francophones arrivant en France entre 12 et 16 ans ». Des classes dites « d’adaptation » se mettent en place dans les collèges. On en modifiera quelques années plus tard la dénomination pour enrayer la (coupable) confusion avec les « classes d’adaptation » déjà existantes et qui, relevant de l’éducation spécialisée, sco-larisent pour un temps limité des élèves d’écoles maternelles ou élémentaires en dif-ficulté d’apprentissage.
Ainsi, en 1986, une nouvelle circulaire réunit les deux degrés de scolarisation pri-maire et secondaire et adopte un titre plus explicite en soulignant la priorité en matière 2 d’apprentissage de la langue française . L’apparition du terme « structure d’accueil », préféré à celui de « classe d’adaptation », permet de souligner le caractère temporaire de la scolarisation dans ces classes. Cette circulaire introduit également une distinc-tion entre les élèves étrangers nouvellement arrivés en France et les élèves étrangers qui sont nés ou arrivés très tôt en France, et dont les difficultés, qu’il s’agisse d’une insuffisante maîtrise de la langue ou d’autres matières fondamentales, doivent être trai-tées dans le même cadre que les difficultés analogues des élèves français (Lazaridis, 2001). Si cette distinction paraît heureuse, le texte en induit malheureusement une autre, d’apparence anodine mais révélatrice, 3 entre élèves français et élèves étrangers . Elle souligne ainsi une difficulté à penser le rapport de ces élèves, d’origine étrangère
1. Modalités d’inscription et de scolarisation des élèves de nationalité étrangère des premier et second degrés ; o B.O. spécial, n 10 du 25 avril 2002. o o 2. Apprentissage du français pour les étrangers nouvellement arrivés en France, circulaire n 86-119 ; B.O. n 13 du 3 avril 1986. 3. Voir plus loin, citation d’Abdelmalek Sayad.
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par leurs parents voire grands-parents, autrement qu’en termes d’extériorité. C’est d’ailleurs ce que l’on a fini par récolter : dans plus d’un établissement, des profes-seurs témoignent de ce que nombre de leurs élèves revendiquent à ce point une identité originelle qu’ils en refusent de se considérer comme Français.
Or, quand paraît cette circulaire, en 1986, les nouveaux arrivants ne représentent envi-ron que 1 % des élèves de nationalité étran-gère scolarisés en France. À la fin des années 70, on estime à 12 000 le nombre d’élèves non francophones scolarisés dans le premier degré et à 9 622 dans le secondaire. À cette même époque, Pierre Grange, assistant péda-gogique au Centre de recherche et de diffu-sion du français (CREDIF), note que chaque année, 20 000 enfants d’âge scolaire arrivent en France sans connaître le français.
Cependant, nombre d’élèves nés et sco-larisés en France et qui pouvaient rencon-trer certaines difficultés ont été intégrés dans ces classes d’accueil au seul motif de leur nationalité. L’usage approximatif de la notion « d’élèves étrangers », allié à la con-viction que « leur vraie langue était leur langue maternelle », a fait en sorte que cer-tains élèves ont pu être considérés comme non-francophones alors qu’ils n’étaient en fait capables de s’exprimer qu’en français » (Pierrot, 2002).
Globalement, au cours de ces années 80, les questions de l’appartenance nationale, de la langue maternelle et de son impact sur l’apprentissage du français, voire sur les apprentissages scolaires, mais aussi de la représentation que l’on se faisait des diffi-cultés scolaires de ces élèves, prévalaient sur celle de l’expérience individuelle et sco-laire de l’élève en France.
En confondant dans une même approche les descendants de migrants nés en France et les nouveaux arrivants, l’école, comme d’autres institutions, a contribué à opacifier les débats sur l’intégration des immigrés et, partant, à en compliquer même le processus.
De la spécificité des élèves à la spécialisation des enseignants
L’histoire et l’évolution des missions des centres de formation et d’information sur
la scolarisation des enfants de migrants (CEFISEM) en sont une autre illustration. Créés en 1975 pour offrir une formation et des outils pédagogiques aux enseignants des classes d’accueil, ces centres sont très vite associés, dès leur création en 1981-1982, à la politique des zones d’éducation prioritaires (ZEP). En effet, l’un des critères retenus alors pour le classement d’un établissement en ZEP était son pourcentage d’élèves d’origine étrangère.
Cette démarche qui installe de manière manifeste et durable la question sociale à l’école (« donner plus à ceux qui ont moins ») va, pour ce qui est de la scolarisation des enfants de migrants, s’échouer sur les rives du relativisme culturel. Principale consé-quence : ici, la réalité sociale, celle de ces familles majoritairement d’extraction popu-laire, passe progressivement au second plan tandis qu’on installe ces élèves du système scolaire français dans une situation d’éter-nels étrangers.
Dans le contexte de ces années 80, les CEFISEM vont rapidement consacrer l’essentiel de leur action à la question de l’intégration des générations nées en France de parents étrangers. C’est sur ces généra-tions, plus nombreuses que les nouveaux arrivants, que vont se focaliser les débats sur l’intégration.
Cette confusion a longtemps eu pour effet pernicieux d’induire l’idée qu’à l’endroit de « ces élèves-là », fatalement en échec sco-laire, il fallait mettre en œuvre une pédago-gie particulière, fortement mâtinée d’action culturelle, en l’espèce rebaptisée « intercul-turelle ». Et on a pu en effet constater, tout au long des années 80, un formidable déve-loppement de l’action culturelle dans les ZEP, notamment destinée à favoriser l’expression des différentes cultures.
Aujourd’hui, forts de ces années d’expé-rience (ou d’expérimentation), nous savons que les intentions les plus généreuses peu-vent aboutir à des effets stigmatisants et marginaliser davantage ceux que l’on sou-haite « valoriser ». Quand la représentation folklorisée tient lieu, en classe, d’approche d’autres cultures, quand, sous couvert de respect des différences, on verse dans « l’assignation à résidence culturelle » d’élèves
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ramenés à leur seule condition « d’enfants porteurs de cultures d’origines différentes », quand cette insistance sur les différences s’opère sans souci de relever d’abord ce qui doit rassembler et les valeurs qui, d’une cul-ture à une autre, se ressemblent, on peut en effet se demander si en cela l’école joue bien son rôle et si, au bout du compte, on ne contribue pas ainsi à accentuer les discrimi-nations au lieu de les combattre. En 1985, Jacques Berque, islamologue, professeur au Collège de France, dénonçait dans son rapport au ministre de l’Éducation nationalela confusion qui règne sur la sco-larisation des enfants dits étrangers, d’ori-gine étrangère, immigrés ou migrantset constatait queles classes d’accueil (étaient) d’abord perçues comme des classes culturelles et non pédagogiques. On peut légitimement se demander si cette perception ne s’est pas étendue aux classes ordinaires qui, dans certains établis-sements, accueillent un nombre important d’enfants nés en France de parents étrangers. Il est certain en tout cas qu’elle a contribué à la marginalisation des CEFISEM. Pierre Giolitto, inspecteur général de l’Éducation nationale, auteur d’un rapport de synthèse en 1986 sur ces centres de formation, cons-tatait que ceux-ci étaient « un monde à part, une structure étanche, close sur elle-même, superposée aux structures existantes sans s’y intégrer de façon organique».
L’enseignement des langues et cultures d’origine
Élaboré à compter de 1973 (premier accord signé avec le Portugal), l’enseignement de langues et cultures d’origine (ELCO) est pris en charge par huit pays d’origine des immigrés dans le cadre d’accords bilatéraux établis avec la France.
Les ELCO sont dispensés par des maîtres nommés et rétribués par les pays d’origine. Plus de 2 000 d’entre eux sont présents dans les années 80 ; ils n’étaient plus que 926 pendant l’année scolaire 2000-2001. En 1998, une note de la Direction de l’enseigne-ment scolaire du ministère de l’Éducation
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nationale soulignait que moins d’un élève sur cinq potentiellement concernés fré-quentait les ELCO.
Depuis longtemps, de toutes parts, les ELCO font l’objet de critiques : de la part de parents, de syndicats, d’associations, d’enseignants et parfois même de ceux qui les enseignent eux-mêmes, et jusqu’aux rap-ports de l’Inspection générale du ministère de l’Éducation nationale et les rapports offi-ciels qui ont ponctué les débats de ces vingt dernières années sur l’intégration des immi-grés en France : les rapports Berque (1985), Hannoun (1987), Hessel (1988) et, en ce qui concerne la seule Éducation nationale, le 4 rapport d’André Hussenet .
Dans son rapport déjà cité, Jacques Berque émettait les plus vives réserves sur la cohérence de cette disposition avec la politique d’intégration. La principale cri-tique qu’il leur adressait était que les ELCO confondaient l’enseignement de la langue nationale du pays d’origine avec celle du milieu familial et social des enfants […] dans lequel la langue d’origine a elle-même évolué ou même parfois disparu, parce que l’immigration est ancienne ou l’insertion dans la société française profonde. Les con-tenus d’enseignementignorent les phéno-mènes migratoires et les transformations culturelles qui en découlent pour les indivi-dus et les groupes sociaux ; ils sont ainsi, si l’on peut dire, désactualisés et délocalisés (Berque, 1985).
Initialement conçu dans la perspective du retour des familles immigrées au pays d’origine, les ELCO contrarient, en effet, la politique d’intégration à l’école et ignorent délibérément le propre projet majoritaire des « enfants de l’immigration ». Renverse-ment d’optique : leur désir d’insertion dans la société d’origine qu’évoquent les circu-laires officielles est bel et bien devenu celui de l’insertion sociale et du plein exercice de leur citoyenneté dans une France qui, pour la plupart d’entre eux, les a vus naître et grandir.
Réservés aux seuls enfants ressortissants des dits pays, parfois organisés pendant le temps scolaire et privant ainsi ces élèves
4. Hussenet A., Une politique scolaire de l’intégration, rapport non publié. Dans un dossier commun paru en sep-tembre 1991, À l’école, l’intégration, les revues Hommes et Migrations (n° 1146) et Cahiers pédagogiques (n° 296) en ont repris de larges extraits.
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d’une partie des activités de leur classe, les ELCO marginalisent ceux à qui ils s’adressent. De même, ils dévalorisent l’étude et la pratique des langues concer-nées en les maintenant dans un statut parti-culier et minoré, au lieu de leur reconnaître celui de langues vivantes et, pour au moins trois d’entre elles (l’Arabe, l’Espagnol et le Portugais), celui de langue de communica-tion internationale.
En avril 2000, André Hussenet, auteur du rapport qui avait clairement énoncé la nécessité de revoir le bien-fondé des ELCO, devenait directeur-adjoint du cabi-net de Jack Lang, ministre de l’Éducation nationale. Le 22 mai 2001, le ministre indi-quait pour la première fois, en ces termes, la voie nouvelle qu’il souhaitait tracer :
Il me semble que le plan de développement des langues vivantes étrangères à l’école élémentaire, que j’ai souhaité mettre en œuvre, offre une occasion sans précédent de donner à ces langues une place plus importante encore, plus conforme à leur rôle de langues de communication et de cul-ture, en concernant un plus grand nombre d’élèves. Installer ces langues dans le con-5 cert des langues vivantes I, II et III contri-buera à leur donner un statut plus affirmé dans le système éducatif français.
Si le temps a manqué pour engager réelle-ment une réforme en ce sens, au moins une tentative pour penser et organiser différem-ment ces cours de langues a-t-elle été ici esquissée.
Disposition singulière entre toutes, les enseignements de langues et cultures d’ori-gine illustrent, comme nous l’avons vu et depuis de (trop) nombreuses années, les ambiguïtés et contradictions d’une politique spécifique.
À leur suite, une manière d’obsession identitaire semble, par endroit, s’être empa-rée de l’école. Au nom de la lutte contre « l’ethnocentrisme » réel ou supposé de l’école française, on a voulu faire toute sa place, à l’école, à la pluralité des identités ou encore à l’affirmation singulière d’identités plurielles,
au risque de perdre de vue l’identité de l’école publique elle-même.
En effet, son objectif n’a jamais été de conforter des petits bretons, berrichons, auvergnats, espagnols ou polonais, dans la reproduction obligée de leur langue et cul-ture d’origine, mais d’en faire des citoyens français à part entière.
Au cours d’une de nos conversations, le regretté Abdelmalek Sayad, sociologue, auteur de nombreux ouvrages sur l’immi-6 gration , devait, en une formule fulgurante, éblouissante de concision et de profondeur, nous dire :Le foulard était déjà dans l’ELCO. Il faisait ici référence au foulard dit isla-mique et sans doute au risque de fragmen-tation communautariste de l’école et de la société françaises. Dans une contribution au rapport Berque, il devait aussi définir le rapport à celles-ci des « enfants de l’immigra-tion » :Enfants d’étrangers, peut-être, enfants étrangers à la société française, assurément non ; et plus assurément encore, élèves fran-çais en tant qu’élèves de l’école française.
Les ancêtres des élèves
Expression emblématique de cet « ethno-centrisme », formule archétypique depuis longtemps pourtant remisée au magasin des souvenirs, « nos ancêtres, les Gaulois » fait encore aujourd’hui l’objet d’un procès récur-rent. Il est, bien sûr, aisé de railler le propos. Toutefois, s’il n’est dans l’intention de per-sonne de la remettre au goût du jour, au moins est-il permis d’entendre ceux qui n’en donnent pas nécessairement une interpréta-tion négative sinon méprisante. Ainsi, dans un article paru en 1991, Edgar Morin écrit-il :
Fils d’immigré, c’est à l’école et à travers l’histoire de France que s’est effectué en moi un processus d’identification mentale. Je me suis identifié à la personne France, j’ai souf-fert de ses souffrances historiques, j’ai joui de ses victoires, j’ai adoré ses héros, j’ai assi-milé cette substance qui me permettait d’être en elle, à elle, parce qu’elle intégrait à soi non seulement ce qui est divers et étranger, mais ce qui est universel. Dans ce sens, le « nos ancêtres les Gaulois » que l’on a fait
5. Première, seconde ou troisième langue vivante, enseignée au collège ou au lycée. 6. Voir notammentL’immigration ou les paradoxes de l’altérité, Éditions universitaires De Boeck – Bruxelles, 1991 ouLa double absence, Seuil, 1999. Il est décédé en 1998.
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ânonner aux petits africains ne doit pas être vu seulement dans sa stupidité. Ces Gaulois mythiques sont des hommes libres qui résis-tent à l’invasion romaine, mais qui accep-tent la culturisation dans un Empire devenu universaliste après l’édit de Caracalla. Dans la francisation, les enfants reçoivent de bons ancêtres, qui leur parlent de liberté et d’intégration, c’est-à-dire de leur devenir de citoyens français.
Plus récemment, intervenant dans le cadre des Entretiens Nathan, Souleymane Bachir Diagne (2002), professeur de philosophie à l’Université de Dakar, déclarait :
Il est certain que depuis quarante ans, nous n’appartenons plus à la République fran-çaise. Pourtant, d’une certaine manière il s’agit toujours de la même école et de la même conception de la République. Nous ne disons plus « nos ancêtres les Gaulois », mais vous non plus, et je me demande d’ailleurs si quelqu’un l’a jamais véritablement dit. C’est parce que l’école de la République exige que tout le monde reçoive le même enseignement que les Gaulois sont, non pas vos ancêtres, encore moins les miens, mais avant tous les ancêtres des écoliers.
La construction d’une mémoire collective, scolairement partagée, politiquement et his-toriquement assumée, s’appuie également sur la démarche que l’historien Gérard Noiriel (1988) énonçait ainsi il y a quinze ans :
Expliquer ce que la France d’aujourd’hui doit à l’immigration, c’est donner à des millions d’habitants de ce pays la possibilité de situer leur histoire personnelle dans la « grande » histoire de la Nation française, afin qu’elle y ait une place légitime.
Inscrire l’histoire de l’immigration dans une histoire collective, dans l’histoire natio-nale, c’est également admettre que les enfants de migrants, de même que l’ensemble des élèves, puissent s’en saisir et l’appréhender dans toute sa complexité sociale et cultu-relle, en ne négligeant pas ses moments de gloire (sa participation à la Résistance et à la libération de l’Europe, son apport dans les luttes syndicales et les combats politiques, ses atouts culturels et sociaux), trop souvent oubliés au profit d’un discours misérabiliste dont l’étroitesse de vue n’accouche que de la victimisation et de la condescendance.
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C’est également permettre que la recher-che historique, qui se développe depuis une vingtaine d’années, puisse, à travers sa transcription dans les programmes scolaires, réévaluer la mémoire familiale au regard de l’histoire collective.
L’enjeu est de taille. Admettre que l’immi-gration n’est pas le tout de la mémoire fami-liale des enfants de migrants, c’est aussi les autoriser à s’ancrer dans une généalogie plu-tôt que dans leur seule origine (qui les limite à n’être que des enfants issus de l’immigra-tion ou des enfants d’origine étrangère), et comme nous l’énoncions il y a un an dans le projet de création d’un Centre national de l’histoire et des cultures de l’immigration, c’est aussi […]les aider à acquérir les élé-ments d’une histoire globale, sans écarter l’histoire et les contextes plus spécifiques des différentes vagues migratoires. Cela pour éviter de les enfermer dans des parti-cularismes et leur permettre de choisir ainsi librement, à partir d’une histoire collective de l’immigration, des éléments de reconnais-sance qui ne sont pas forcément ceux que l’on pourrait imaginer pour eux a priori (Yazami, Schwartz, 2002).
De nouveaux « nouveaux arrivants » La fin des années 90 voit s’amplifier l’arrivée massive de jeunes nouveaux arrivants, sou-vent en âge limite de l’obligation scolaire (16 ans). Parallèlement, le thème de la dis-crimination domine dans les débats. Les réalités « de terrain » et le contexte idéolo-gique conduisent à clarifier – ou à recher-cher la clarification – des problématiques et des objectifs de l’école en la matière. Et d’abord à se poser la question de savoir pré-cisément « de qui parlons-nous ? », tant il est vrai que, comme l’écrivait Lucien Febvre, faire l’histoire des mots, c’est déjà introduire le doute dans les évidences de tous les jours. En 1997, une étude de la Direction de l’évaluation et de la prospective (DEP) du ministère de l’Éducation nationale sur la scolarité des enfants étrangers ou issus de l’immigration mettait en évidence qu’à caté-gories sociales et professionnelles égales, les parcours scolaires étaient pour ces derniers, identiques, à l’école et au collège, à ceux des
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autres élèves, sauf pour ceux qui avaient connu une scolarisation partielle à l’étranger. Cette étude soulignait, en outre, la propen-sion du système scolaire français à les orien-ter massivement dans les classes d’éducation spécialisées, opérant ainsi une confusion entre la méconnaissance du français et un faible potentiel scolaire et intellectuel.
À la rentrée 2002, on comptait 37 000 élè-ves nouveaux arrivants (DPD, 2002), ce qui correspond à une augmentation de 22,6 % par rapport à la rentrée 2001 où ils étaient 30 220. Avec les entrées en cours d’année scolaire, au total, pour 2001-2002, près de 40 000 élèves nouveaux arrivants ont été intégrés. S’ils représentent seulement 0,32 % des élèves au niveau national, leur scola-risation constitue un enjeu de taille pour mesurer la capacité d’intégration et d’adap-tation de l’école.
Les questions que l’on perçoit à la marge d’un système sont, à bien des égards, celles qui peuvent parfois mettre le plus en évi-dence les logiques et les dysfonctionnements de celui-ci. Ainsi, la manière dont l’école conduit la scolarisation des nouveaux arri-vants permet de mesurer les atouts et les faiblesses du système éducatif. Le ministère a souhaité évaluer ce dispositif à la fois dans son fonctionnement au sein de l’institution et dans les contenus d’enseignement dispensés dans les classes.
Un enjeu pour les nouveaux arrivants : habiter une langue pour habiter un pays
L’évaluation devait porter en premier lieu sur la notion d’apprentissage de la langue française qui demeure la clé de tous les savoirs. Fallait-il continuer à confondre les difficultés scolaires rencontrées par des élèves nés et scolarisés en France et descen-dants de migrants avec la mise à niveau linguistique des élèves nouvellement arri-vés en France ? De nombreuses études ont récemment montré que la notion de lan-gue maternelle est à utiliser avec précau-tion concernant les enfants nés en France de parents locuteurs d’une langue étran-gère (Bouziri, 2002). En effet, ces enfants apprennent le plus souvent simultanément les deux langues.
Pour les élèves nouvellement arrivés en France et qui ont été scolarisés dans le pays d’origine, la poursuite, à l’école française, de l’apprentissage de la langue première de scolarisation comme langue vivante demeure un atout pour leur réussite scolaire, qu’il est nécessaire de leur offrir le plus souvent pos-sible. Lors des journées consacrées à la sco-larisation des nouveaux arrivants, en mai 2001, le ministre de l’Éducation nationale soulignait […]qu’il n’est pas possible de ne pas reconnaître à l’élève le droit de tirer béné-fice de ses atouts linguistiques et ce d’autant que la France aura de plus en plus besoin de jeunes aux compétences linguistiques affir-mées dans des langues diversifiées. […]La priorité pour les nouveaux arrivants est de tout mettre en œuvre pour qu’ils acquièrent une maîtrise rapide et solide de la langue française. Ce qui les rassemble, c’est d’être accueillis dans une langue qu’ils ne parlent pas. Cet accès à la connaissance de la langue de la société d’accueil est le premier principe d’hospitalité que celle-ci se doit d’offrir à l’étranger qui arrive(Lang, 2001).
La langue de l’école, langue commune, est avant tout enseignée dans sa forme écrite. Elle connaît bien sûr des usages variés selon les disciplines enseignées. Il faut donc pou-voir donner accès à cette variété au nouvel arrivant. C’est tout l’enjeu dufrançais langue seconde,dénomination désormais préférée à celle defrançais langue étrangèreparce qu’elle « vise précisément à démarquer cer-tains contextes linguistiques, éducatifs et culturels de l’ensemble des situations dans le monde où le français a le statut de langue étrangère et s’enseigne comme tel » (Chiss, 2003). Acquérir les automatismes langagiers tout en découvrant la langue française en situation scolaire, c’est cette maîtrise des différents registres de la langue qui peut parfois poser les plus grandes difficultés aux élèves concernés.
Pour des actions spécifiques chevillées au droit commun
Ainsi, les actions spécifiques, comme la remise à niveau dans la langue française, ne valent que si elles s’inscrivent dans une cohérence pédagogique avec l’enseigne-ment dispensé dans les classes ordinaires et si elles prennent en compte l’ensemble des
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compétences des élèves, notamment dans les disciplines scientifiques. C’est à cette articulation qu’il convient d’apporter la plus grande attention. Cela passe notamment par la formation, non seulement des enseignants des classes d’accueil, mais aussi, dans toute la mesure du possible, des enseignants des classes du cursus ordinaire. L’intégration de ces élèves ne saurait en effet constituer « le sacerdoce » de quelques-uns. Loin de dédouaner les autres de tout engagement, cette intégration exige une définition et une compréhension collective des voies et des moyens pour y parvenir. Elle appelle un effort et une volonté partagés. À intervalle régulier, la question fait débat dans tel éta-blissement, dans telle académie. Ainsi, un incident survenu dans un collège en Seine St-Denis au cours de l’année scolaire 2002-2003 nous rappelle-t-il que les résistances en la matière sont encore fortes : la seule perspective d’une implantation d’une classe d’accueil dans l’établissement avait soulevé un tollé de la part de l’équipe enseignante et des élèves, rejetant « les non-francophones », comme ils sont souvent nommés, au rang « d’étrangers d’entre les étrangers ».
Il est, à n’en pas douter, nécessaire d’impli-quer davantage des classes du cursus ordi-naire au processus de scolarisation des nouveaux arrivants. Cela passe par la défini-tion rigoureuse des tâches de chacun, par la distinction entre ce qui relève d’actions spé-cifiques et ce qui ressortit au droit commun. Encore, lorsqu’elles s’imposent, ces actions
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spécifiques doivent-elles être soigneusement articulées, pensées et conduites en cohé-rence avec celles qui sont communes à tous. 7 Les nouvelles orientations du ministère encouragent à réfléchir précisément à cet équilibre délicat et nécessaire à toute poli-tique d’intégration, à assumer la responsabi-lité propre de l’école en la matière, loin des confusions qui l’ont longtemps encombrée, tant il est vrai que, comme le disait le phi-losophe et homme d’État Francis Bacon, la vérité survit plus aisément à l’erreur qu’à la confusion. Plus que tout autre institution, l’école a parfois cristallisé les contradictions qui ont traversé les discours mais aussi les politi-ques publiques dans le domaine de l’immi-gration. Elle a parfois contribué, malgré elle, à pérenniser des problématiques qui ne se sont pas toujours révélées pertinentes sur le terrain. Le souci des « spécificités culturelles », en prenant le pas sur les préoccupations d’ordre scolaire et pédagogique, a favorisé l’émergence de ce que l’on nomme à pré-sent des dérives communautaristes qui, d’année en année, gagnent du terrain. Il faut aujourd’hui y répondre clairement et fermement. À l’heure où le sens de la laïcité est à nouveau convoqué dans le débat public, l’exigence de clarté et cohérence s’impose de manière singulièrement vive, dans l’intérêt commun des élèves, de leurs parents et des enseignants.
Bibliographie Berque J. (1985).L’immigration à l’école de la République. Rapport au ministre de l’Éducation nationale, CNDP, La Documentation française, août. Bouziri R. (2002). Pratiques langagières urbaines, Les deux langues maternelles des jeunes o français d’origine maghrébines,CNDP- Ville-École-Intégration, n 130, septembre. o Chiss J.L. (2003). Enseigner le français langue seconde,Journal des instituteurs1565,, n Nathan, février, 59. Diagne S.B. (2002). Les entretiens Nathan, Actes XII : Les promesses de l’école,inBentolila A. (dir.),Pour que l’école continue à croire en sa propre promesse, Nathan, 57. Hannoun M. (1987).L’Homme est l’espérance de l’Homme. Rapport au secrétaire d’État chargé des Droits de l’Homme. La Documentation française, Paris, novembre.
7. Voir les circulaires du 25 avril 2002, déjà citées.
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Hessel S. (dir.) (1988).le devoir d’insertion. Rapport du Commissariat géné-Immigrations : ral au Plan, La Documentation française, Paris. Lang, J. (2001). Discours d’ouverture,inLa scolarisation des élèves nouvellement arrivés en o France,CNDP- Ville-École-Intégration, Hors série n 3, octobre. Lazaridis M. (2001). La scolarisation des enfants de migrants entre intégration républicaine o et structures spécifiques,CNDP-Ville-École-intégration125, juin, 198., n Morin, E. (1991). La francisation à l’épreuve. Pour continuer d’intégrer, il faut préserver la France républicaine et universaliste,Le Monde, 5 juillet. MJENR (2002).Enquête de la Direction de la programmation et du développement, octobre. Noiriel G. (1988).Le creuset français,Seuil. Pierrot A. (2002).Grammaire française de l’intégration ou jeux de langages et mythologie, Éditions Fabert, Paris, 87-8. Pierrot A. (2002). Mauco et ses frères ou les ambiguïtés de « l’assimilation », 74-80. Weil P. (2001). L’immigration dans l’espace national et européen : état des lieux et réponses politiques,inLa scolarisation des élèves nouvellement arrivés en France,CNDP- Ville-o École-Intégration3, octobre., Hors série n Weil P. (2002).?Qu’est ce qu’un français , Grasset, 86. Yazami D.E., Schwartz R. (2001).Contribution au rapport pour la création d’un Centre natio-nal de l’histoire et des cultures de l’immigration, remis au Premier ministre, 22 novembre.
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