La médecine du travail au Québec : une pratique de santé publique - article ; n°2 ; vol.5, pg 15-21
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Santé, Société et Solidarité - Année 2006 - Volume 5 - Numéro 2 - Pages 15-21
In Quebec, occupational medicine focuses mainly on prevention and aims at improving workplaces. Occupational health services are part of the public health organization. The practice of selecting workers through pre-placement physical examination has been totally left aside and periodic medical surveillance is used only when tests meet the requirements of evidence-based medicine and serve preventive goals. It must be ensured that the course of illnesses can be changed before workers are submitted to screening tests or medical surveillance. The community health approach adopted in Quebec has proved its worth. Nevertheless, after more than 25 years, most workers and workplaces are not benefiting from the health services to which they are entitled; today, less than 25% of workers are able to enjoy every right they thought they had won long ago. Moreover, the political will has disappeared long ago. The development and survival of occupational health services and occupational medicine as part of public health practice are closely related to workers’ ability to have their rights respected and to the will of the nation to fulfill its promises.
Toute jeune, la pratique de la médecine du travail au Québec est délibérément axée sur la prévention et sur l’assainissement des milieux de travail. Les médecins de santé publique du réseau public de santé québécois en sont les artisans et ils ont résolument abandonné la sélection des travailleurs au moyen de l’attestation médicale de l’aptitude. La surveillance périodique de la santé des travailleurs n’est exercée que lorsqu’il existe des preuves suffisantes de sa pertinence et de sa nécessité pour prévenir des atteintes à la santé et infléchir efficacement le cours des maladies. Même si cette approche est efficace, peu nombreux sont les travailleurs et les milieux de travail qui en bénéficient. La volonté politique qui a présidé à la réforme avant-gardiste adoptée par le Québec en 1980 s’est vite estompée, de sorte que les trois quarts des travailleurs du Québec sont encore privés de l’accès à des services de santé au travail indépendants et de qualité que leur octroie pourtant la loi depuis plus de vingt-cinq ans. Le développement des services de santé au travail a été rapidement stoppé alors que les effectifs n’avaient pas encore atteint le quart de la taille prévue. Depuis quinze ans, le nombre de médecins disponibles ne cesse de décroître et la survie du modèle québécois est loin d’être assurée puisqu’elle est soumise aux mêmes forces qui réussissent à priver tant de travailleurs de leurs droits pendant si longtemps.
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Publié le 01 janvier 2006
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L’ÉVOLUTION DE LA MÉDECINE DU TRAVAIL ENFRANCE ET DE LA SANTÉ AU TRAVAIL AUQUÉBEC
dossierSanté et travail
La médecine du travail au Québec: une pratique de santé publique
Robert PlanteQUÉBEC Médecin-conseil, Direction régionale de santé publique de l’Outaouais
Toute jeune, la pratique Résumé de la médecine du tra-vail au Québec est délibérément axée sur la prévention et sur l’assainissement des milieux de travail. Les médecins de santé publique du réseau public de santé québé-cois en sont les artisans et ils ont résolument abandonné la sélection des travailleurs au moyen de l’attestation médicale de l’apti-tude. La surveillance périodique de la santé des travailleurs n’est exercée que lorsqu’il existe des preuves suffisantes de sa perti-nence et de sa nécessité pour prévenir des atteintes à la santé et infléchir efficacement le cours des maladies. Même si cette approche est efficace, peu nombreux sont les travailleurs et les milieux de travail qui en bénéficient. La volonté politique qui a présidé à la réforme avant-gardiste adoptée par le Québec en 1980 s’est vite estompée, de sorte que les trois quarts des travailleurs du Québec sont encore privés de l’accès à des services de santé au travail indépendants et de qualité que leur octroiepourtant la loi depuis plus de vingt-cinq ans.Le développement des services de santé au travail a été rapide-ment stoppé alors que les effectifs n’avaient pas encore atteint le quart de la taille prévue. Depuis quinze ans, le nombre de médecins disponibles ne cesse de décroî-tre et la survie du modèle québécois est loin d’être assurée puisqu’elle est soumise aux mêmes forces qui réussissent à priver tant de travailleurs de leurs droits pendant si longtemps.
Luc BhérerQUÉBEC Médecin-conseil, Direction régionale de santé publique de la Capitale-Nationale
In Quebec, occupational Abstract medicine focuses mainly on prevention and aims at improving work-places. Occupational health services are part of the public health organization. The practice of selecting workers through pre-placement physical examination has been totally left aside and periodic medical surveillance is used only when tests meet the requirements of evidence-based medicine and serve preven-tive goals. It must be ensured that the course of illnesses can be changed before workers are submitted to screening tests or medical surveillance. The community health approach adopted in Quebec has proved its worth. Neverthe-less, after more than 25 years, most workers and workplaces are not benefiting from the health services to which they are entitled; today, less than 25% of workers are able to enjoy every right they thought they had won long ago. Moreover, the political will has disappeared long ago. The development and survival of occupational health services and occupational medicine as part of public health practice are closely related to workers’ abil-ity to have their rights respected and to the will of the nation to fulfill its promises.
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n 1979, au cours du premier mandat du Parti québécois, une blit lEes règles de fonctionnement paritaire du réforme majeure de la Loi sur la santé et la sécurité du travail éta-nouvel organisme responsable d’appliquer ladite loi, laquelle consacre l’importance de la prévention primaire et crée un ensemble de services de santé au travail intégré au réseau de santé publique. Cet organisme, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), assume les responsabilités liées à la prévention, à l’inspection, à l’indem-nisation et àla réadaptation des lésions professionnelles. On y regroupe tous les ser-vices d’inspection auparavant éparpillés; seuls les services de santé échappent au con-trôle direct de la CSST puisqu’ils sont confiés au réseau de la santé publique déjà mis en place dans toutes les régions du Québec. Aujourd’hui, 18 directeurs de santé publique sont responsables d’assurer les services de santé au travail et 65 centres de santé et de services sociaux sont mandataires pour éla-borer des programmes de santé particuliers à chacun. Le personnel affecté à la santé au 1 travail comprend des médecins (65 ETC) et d’autres effectifs (622 ETC) tel que du per-sonnel infirmier, des techniciens en hygiène du travail, des hygiénistes, des conseillers en recherche, des coordonnateurs, dessecré-taires et aussi des techniciens en informatique, des adjoints ou des ergonomes, par exemple. Selon le ministre du Travail de l’époque, influencé sans doute par la jeune et dyna-mique organisation de santé communautaire, les services de santé au travail devaient « êtreégalement conçus, et même prioritaire-ment, selon une approche de santé publique» (Gouvernement du Québec, 1978).
Une approche de santé publique
Le parti pris pour l’approche de santé publique a été fortement influencé par les travaux du Comité d’étude sur la salubrité dans l’industrie de l’amiante (1976) qui défen-dait l’amélioration des conditions de travail, l’élimination des dangers à la source et la population. Ce comité d’étude était en fait une
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commission d’enquête instituée par le gouver-nement à la suite de revendications ouvrières liées à de graves incidents résultant de con-duites répréhensibles de certains employeurs et de médecins d’entreprise. Les syndicats dénonçaient depuis quelques années des situations où, par suite de très importantes expositions professionnelles tolérées par les services d’inspection gouvernementaux, de nombreux travailleurs avaient développé des pathologies graves (amiantose, saturnisme et intoxication à l’arsine) dont les manifes-tations initiales n’avaient pas été rapportées ni dénoncées par les médecins d’entreprise. Pour leur défense, ces derniers ont avancé que les mineurs eux-mêmes, dans le cas de l’amiante du moins, demandaient que leur inaptitude ne soit pas déclarée pour ne pas devenir à la merci des insuffisances des systèmes d’indemnisation des accidentés du travail et de protection sociale; il semble que cette situation ne soit pas survenue qu’au Québec.
Le choix de confier au réseau public de santé la responsabilité d’encadrer les ser-vices de santé au travail découlait donc, entre autres, de la méfiance des travailleurs à l’égard des médecins d’entreprise et de l’implication de certains directeurs de santé publique qui considéraient que la protection des travailleurs faisait partie de leur mandat et qui avaient permis de mettre au jour ces maladies professionnelles jusqu’alors camou-flées. Àpartir dece moment, on distingue nettement, au Québec, la pratique de santé au travail telle qu’elle est administrée par les médecins et autres professionnels du réseau de santé publique dans le cadre de l’appli-cation de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et la médecine de gestion assurée le plus souvent par des médecins regroupés dans des cliniques privées pour offrir leurs services à plusieurs entreprises ou salariés par de très grosses entreprises.
Le rôle du médecin 2 responsable
L’objectif de la loi québécoise est clair: « l’éliminationà la source même des dan-gers pourla santé, la sécurité et l’intégrité
1. Équivalenttemps complet. 2. C’estainsi que la loi nomme le médecin qui accompagne, avec les autres professionnels de la santé du réseau de santé publique, les comités de santé et de sécurité paritaires que nous appellerons «comité de santé et de sécurité».
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3 physique des travailleurs». L’approche médi-cale individuellea été délaissée au profit d’une approche de santé publique qui s’attaque d’emblée aux risques des milieux de travail et qui se base prioritairement sur un mode formel de relations et de commu-nications avec ces milieux.
Les équipes de santé au travail du réseau de santé public comme les médecins res-ponsables se consacrent donc avant tout à l’identification des dangers et à l’appréciation du risque ainsi qu’au partage de l’informa-tion avec les travailleurs et les employeurs, afin de susciter, d’accompagner et de sou-tenir le processus paritaire permettant de protéger adéquatement les travailleurs et de trouver les moyens les plus appropriés pour résoudre les problèmes. Bien informés et supportés par des services de santé compé-tents et indépendants, les employeurs et les travailleurstrouveront, ensemble, les meilleures façons d’assainir les milieux de travail et d’éliminer les dangers à la source s’ils sont encadrés par une réglementation appropriée ;telle est la prémisse principale sur laquelle repose la Loi sur la santé et la sécurité du travail.
Concrètement, le médecin responsable visite régulièrement les milieux de travail avant de définir un programme de santé dont les fondements reposent sur l’analyse des conditions de travail, incluant une évaluation environnementale, ainsi que sur l’évaluation de l’organisation des premiers secours et des premiers soins. La collaboration des autres professionnels de l’équipe, des tech-niciens en hygiène du travail et du personnel infirmier se révèle ici indispensable; il en va de même, et surtout, pendant toute la démarche d’accompagnement du milieu de travail qui en découle. Les données de cette évaluation sont présentées aux membres du comité de santé et de sécurité de l’entre-prise pour les informer, mais aussi pour en approuver les résultats et l’interprétation. Tous les problèmes perçus par les travailleurs ou l’employeur sans être ressortis au cours de cette évaluation sont aussi discutés et des prioritésd’action sont ensuite établies par le comité de santé et de sécurité. Une
proposition de programme de santé permet de préciser les problèmes auxquels l’entre-prise convient de s’attaquer, les correctifs qui devront être apportés, la contribution de chacune des parties, incluant les membres de l’équipe de santé au travail, et l’échéan-cier. Le calendrier des activités d’information, des activités de surveillance médicale lors-que celle-ci est pertinente, de même que les recommandations particulières concernant l’organisation des premiers secours et des premiers soins sont aussi précisés.
La loi indique explicitement que le pro-gramme de santé doit prévoir «les mesures visant à identifier et à évaluer les caracté-ristiques de santé nécessaires à l’exécution d’un travail, les mesures visant à identifier les caractéristiques de chaque travailleur de l’établissement afin de faciliter son affecta-tion à des tâches qui correspondent à ses aptitudes et de prévenir toute atteinte à sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ainsi que les mesures de surveillance médi-cale du travailleur en vue de la prévention et du dépistage précoce de toute atteinte à la santé pouvant être provoquée ou aggra-4 vée par le travail». Toutefois, ces activités sont accomplies uniquement lorsqu’elles sont jugées pertinentes et efficaces sur le plan de la prévention. De fait, aucun examen d’embauche n’est effectué par les services de santé au travail. Occasionnellement, les caractéristiques de santé d’un travailleur qui revient au travail à la suite d’un problème de santé pouvant avoir occasionné quelques limitations seront évaluées pour faciliter son affectation à des tâches correspondant à ses aptitudes. Parfois, certaines activités de sur-veillance médicale, mais surtout biologique, sont mises en place lorsqu’il existe des outils valables permettant d’intervenir pour pré-venir le développement ou la manifestation de problèmes de santé – ce qui est malheu-reusement encore rare –, ou, dans le cas des audiogrammes, pour favoriser l’accès à des services de réadaptation. Les examens de santé prévus par règlement sont effec-tués dans le cadre du programme de santé; cependant, après analyse de leur pertinence et de leur efficacité, des actions ont été entamées pour que les règlements qui n’ont
3. L.R.Q.,chapitre S-2.1, article 2. 4. L.R.Q.,chapitre S-2.1, article 113, paragraphes 3, 4 et 5.
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aucune vertu préventive mais qui conduisent à des gestes de discrimination inutiles ou mal 5 fondés soientabrogés et que de nouveaux ne voient pas le jour.
Cette démarche par programme de santé favorise la prise en charge par le milieu de travail ainsi que la diminution, voire même l’élimination, des dangers. Les travailleurs reçoivent l’information appropriée concer-nant les dangers qui existent dans leur milieu de travail et les effets, souvent à long terme, sur leur santé. Ils collaborent à la mise en œuvre des mécanismes formels et fonctionnels leur permettant de participer à la gestion des risques. Dans les cas où ces dispositifs ne fonctionnent pas et où il existe des dangers qui le justifient, «le médecin responsable doit signaler à la Commission, à l’employeur, aux travailleurs, à l’association accréditée, au comité de santé et de sécu-rité et au directeur de santé publique toute déficience dans les conditions de santé, de sécurité ou de salubrité susceptible de néces-6 siter une mesure de prévention». Ce devoir permet de mobiliser les autorités compéten-tes et d’enclencher les mécanismes plus coercitifs que la loi invite à exercer au besoin. De plus, le médecin responsable, ou la per-sonne qu’il désigne, a accès, à toute heure du jour ou de la nuit, à un lieu de travail et il peut se faire accompagner d’un expert. Il a égalementaccès à toutes les informa-tions nécessaires à l’accomplissement de ses fonctions.
Le modèle québécois ne va pas sans problèmes
Un complément nécessaire sur le plan médical
Quelques études l’ont confirmé (Berthelette, 2002) :l’approche par programme retenue par les services de santé québécois fonc-tionne en général très bien dans les milieux de travail et elle est efficace. Mieux que
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l’examen médical de chaque sujet, elle per-met tant de se concentrer sur les composantes de l’organisation du travail susceptibles de provoquer des problèmes que de conserver une distance par rapport à des situations particulières. Cela offre un intérêt certain pour la qualité de la relation avec les orga-nisations paritaires dans l’entreprise, surtout, comme c’est régulièrement le cas, lorsque des travailleurs présentent des problèmes non caractérisés dont l’étiologie peut facile-ment être multifactorielle et pour lesquels faire la distinction entre le travail et ce qui se situe hors travail ne va pas nécessairement de soi pour le clinicien ou peut susciter des litiges. Cette démarche du clinicien demeure pourtant importante et quelques services de consultation spécialisés en médecine du travail ont été établisdans le réseau de santé publique. Cependant,dans le cadre de tels services, un médecin n’évalue pas le cas d’employés des entreprises dont il est le médecin responsable comme l’y invite le code de déontologie des médecins pour évi-ter les conflits d’intérêts.
Un développement et un financement incertains
Malgré toutes ses qualités, le système de santé au travail québécois se heurte à de sérieuses résistances institutionnelles et poli-tiques qui, après avoir compromis son déve-loppement, mènent progressivement à son essoufflement. En effet, le développement des services de santé au travail dépend de la CSST et il n’est pas à l’abri des luttes poli-tiques qui jalonnent constamment l’univers du monde du travail.
Depuis l’adoption de la loi, en 1980, seuls les droits généraux s’appliquent à tous les travailleurs du Québec. Pour le reste, la CSST avait planifié une application progres-sive touchant un regroupement de secteurs 7 d’activité économique à la fois, puis des articles de lois régissant l’organisation des comités de santé et de sécurité paritaires au sein des entreprises; viendraient ensuite la
5. Iln’est pas possible ici de développer plus longuement cette importante question, mais les lecteurs intéres-sés peuvent consulter l’article intitulé «Les examens médicaux systématiques en rapport avec le travail: ser-os vent-ils vraiment à la prévention? »,publié dansLes archives des maladies professionnelles7 et, vol. 64, n 8, décembre 2003, p. 502-509. 6. L.R.Q.,chapitre S-2.1, article 123. 7. Lesentreprises des différents secteurs d’activité ont été divisées en six groupes qui devaient successivement, un groupe par année, être soumis à l’application de tous les articles de la loi. On présumait qu’après six ans au plus, tous les travailleurs bénéficieraient de la loi qui avait été adoptée pour protéger leur santé.
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désignation d’un représentant à la préven-tion, l’élaboration et l’application d’un programme de prévention auquel s’inté-grerait le programme de santé puis, enfin, l’accès à un médecin responsable et aux ser-vices del’équipe de santé au travail dont ce médecin fait partie. C’est donc au fil de la progression de la mise en application de la loi aux entreprises des divers secteurs éco-nomiques que les services de santé au travail se développeraient.
À défaut de pouvoir diriger directement les services de santé au travail, la CSST con-serve ce puissant outil de contrôle qu’est l’allocation des budgets. Or, si le paritarisme fonctionne bien dans les entreprises et s’il a permis certaines avancées intéressantes au conseil d’administration (CA) de la CSST, il n’a pas encore eu pour résultat la mise en place des mécanismes de protection des tra-vailleurs pourtant prévus par la loi. Bien qu’ils détiennent la moitié des sièges du CA de la CSST, les syndicats n’ont pas réussi à faire implanter toutes les dispositions d’une loi visant à protéger la santé des travailleurs et travailleuses qui est adoptée depuis plus de vingt-cinqans. Aujourd’hui, seules les entreprises des trois premiers «groupes prioritaires »sont soumises à toutes les dispo-sitions de la loi ; cela représente un peu plus de 20% des entreprises et environ 25% des travailleurs. Les entreprises qui embauchent beaucoup de femmes échappent en plus grand nombre à plusieurs obligations: 85% des travailleuses ne bénéficient pas encore de toutes les protections et de tous les ser-vices prévus par la loi. Le gouvernement n’a pas l’air pressé d’intervenir pour faire res-pecter la loi et peut toujours se justifier en prétendant qu’employeurs et syndicats sem-blent bien s’accommoder de cette inertie puisqu’ils n’adoptent pas les règlements qui relèvent de la compétence du CA de la CSST où ils siègent; évidemment, certaines de ces dispositions impliqueraient des dépenses pour l’État employeur…
La CSST a ainsi complètement bloqué le développement des services de santé au tra-vail et empêché le réseau planifié d’atteindre sa maturité; au surplus, liés qu’ils sont par leur contrat avec la CSST, les directeurs de santé publique ne dénoncent que du bout des lèvres cette situation anormale, privant la
majorité des travailleurs des mesures prévues pour protéger leur santé et prévenir les maladies professionnelles. Alors que les effec-tifs médicaux en santé au travail ne cessent de diminuer (de100 à 65 ETC), la popu-lation de travailleurs au Québec est passée de 2 762 500 en 1984 à 3 685 900 en 2004 (Centre d’étude sur l’emploi et la techno-logie, 2005). Par ailleurs, compte tenu qu’il a été convenu que ce sont les employeurs, par l’entremise de la CSST, qui doivent assumer l’ensemble des coûts de l’applica-tion de la Loi sur la santé et la sécurité au travail,le ministère de la Santé et des Services sociaux ne se sent pas autorisé à accroître les budgets destinés à cette fin et il ne dispose pas des budgets nécessaires pour le faire.
Une indépendance mise à l’épreuve
Une pratique de la santé au travail qui n’exploite pas comme outil premier l’exa-men ou la visite médicale mais qui souligne plutôt les limites et les dangers de ces exa-mens, qui ne peuvent que très rarement prévoir l’aptitude mais servent plutôt à déqualifier les travailleurs, suscite beaucoup d’étonnement et de mécontentement. Il est d’autant plus difficile de défendre cette ligne de conduite que tous les documents de référence en médecine du travail, qu’ils soient états-uniens ou français, font systéma-tiquement la promotion de tests biologiques et d’examens médicaux. La question n’est pas de savoir s’il faut faire des examens, mais uniquement de les choisir. Aucune démonstration de leur pertinence ni de leur efficacité n’est nécessaire car elles vont de soi. Les responsables syndicaux ou patro-naux ont beaucoup plus de difficulté que les travailleurs à accepter les pratiques que nousavons adoptées et ils exercent parfois des pressions pour que ces derniers soient soumis à des tests de dépistage ou à la sur-veillance médicale. Notamment, sous pré-texte de protéger la santé des travailleurs des mines et carrières, et faisant fi des expli-cations fournies par tous les organismes de santé publique sur les limites de ces exa-mens, le CA de la CSST a adopté, en 1995, un règlement qui instaurait le «certificat de santé pulmonaire» et qui limite les droits des
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8 travailleurs .Paradoxalement, ce règlement a été adopté à l’époque où, en France, on faisait le cuisant constat de l’impuissance des médecins du travail à utiliser les résultats de tels examens pour prévenir le développe-ment des cancers, des mésothéliomes ou même de l’amiantose chez les travailleurs exposés à l’amiante.
Plus récemment, recevant l’avis de l’Ins-titut national de santé publique du Québec sur la surveillance médicale des travailleurs exposés au béryllium, les membres du CA de la CSST manifestaient leur mécontentement et exerçaient d’incessantes pressions pour en faire modifier les conclusions.
e n c a d r é
Les médecins du travail au Québec
L’ÉVOLUTION DE LA MÉDECINE DU TRAVAIL ENFRANCE ET DE LA SANTÉ AU TRAVAIL AUQUÉBEC
Non seulement les directeurs de santé publique sont-ils liés par contrat à la CSST, mais le financement de tous leurs effectifs professionnels de santé publique en santé au travail dépend de cette commission. Même si ce n’est pas la crainte d’être privées de financement qui explique le surprenant silence des autorités de santé publique du Québec devant le fait que les trois quarts des travailleurs ne bénéficient pas encore des mécanismes de prévention ni des ser-vices du réseau public de santé, comment les travailleurs concernés peuvent-ils en être certain? Dans tous les autres domaines d’intervention, l’autonomie des directeurs de santépublique est totale et on a jugé
£Au Q uébec, les médecins du travail sont intégrés dans le réseau de santé publique. £ On compte actuellement 1 médecin pour 62 000 travailleurs (ou 1 pour 11 000 si l’on ne tient compte que des salariés des entreprises des groupes prioritaires couverts par la loi, ce qui laisse 3 300 000 salariés sans services d’un médecin du travail) au lieu des proportions prévues de 1 pour 4 500 ou 1 pour 9 000, selon les secteurs d’activité. £Ils ont une approche de santé publique. £ Ils doivent visiter régulièrement les lieux de travail et prendre connaissance des informations néces-saires à l’accomplissement de leurs fonctions; ils ont accès, à toute heure du jour ou de la nuit, à un lieu de travail et ils peuvent se faire accompagner d’un expert. £ Ils définissent des programmes de santé centrés avant tout sur l’élimination des expositions professionnelles. £Ils utilisent l’informationcomme outil d’intervention premier. aux travailleurs et la formation £ Ils ne font pas d’évaluation de l’aptitude des travailleurs. £ Ils ne font aucun examen d’embauche. £ Ils doivent soumettre les travailleurs aux examens prévus par quelques règlements, mais ils remettent en question et cherchent à faire disparaître plusieurs de ces obligations qui ne contribuent pas à la protection de la santé des travailleurs. £ Ils déterminent, dans chaque programme de santé, les éléments de surveillance médicale ou biologique pertinents, lorsqu’il est indiqué de le faire. £ Ils participent activement à l’application du droit de retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite. £Tout en respectant le caractère confidentiel du dossier médical et des procédés industriels, ils doivent signaler à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à l’employeur, aux travailleurs, à l’association accréditée, au comité de santé et de sécurité ainsi qu’au directeur de santé publique toute déficience dans les conditions de santé, de sécurité ou de salubrité susceptible de nécessiter une mesure de prévention. £ Ils doivent informer le travailleur de toute situation l’exposant à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ainsi que de toute altération à sa santé. £ Ils agissent aussi à titre de consultant auprès du médecin traitant dans le cadre d’une mesure de pré-vention particulière visant les travailleuses enceintes.
8. Article3 du Règlement sur les examens de santé pulmonaire des travailleurs des mines (L.R.Q., chap. S-2.1, r. 10-01): «L’employeur ne peut embaucher un travailleur aux fins de lui faire exécuter un travail visé à l’article 2 à moins que ce dernier, conformément au présent règlement, n’ait subi un examen de santé pulmonaire de préembauche et ne détienne un certificat de santé pulmonaire.»
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primordial d’éviter tout conflit d’intérêts ainsi que toute apparence de conflit d’inté-rêts. Il aurait sans doute été plus sage de respecter cette règle en santé au travail.
Conclusion La médecine du travail a de grands défis à relever dont le premier, et non le moindre, est de définir son champ d’intervention à l’abri des pressions politiques ou réglementaires. Le fait que l’État ait un rôle incontourna-ble à jouer pour édicter et faire appliquer les lois du travail, incluant celles qui doivent protéger la santé des travailleurs, ne justi-fie pasen soi qu’il soit habilité à définir le
contenu du champ professionnel médical. Même si l’histoire est différente dans cha-cun des pays, il est souhaitable, voire même impératif, que les médecins du travail d’ici comme d’ailleurs, définissent eux-mêmes et ensemble ce que sera l’avenir de la méde-cine du travail en développant la maîtrise de la profession et son contenu à la lumière des meilleures connaissances existantes. Il faut développer, bien sûr, l’art d’entendre la parole des travailleurs et des employeurs, mais aussi les habiletés permettant d’influen-cer l’assainissement des conditions de travail. La mission première de la médecine du tra-vail ne devrait-elle pas être la prévention et la protection de la santé des travailleurs?
Bibliographie Berthelette D. (2002). Les déterminants de l’implantation et des résultats des programmes de santé et de sécurité du travail,inHarrisson D., Legendre C. (sous la direction de), Santé, sécurité et transformation du travail: Réflexions et recherches sur le risque profes-sionnel, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université du Québec, 107-128. Beaudry R., Lagacé G., Jukau L. (1976).Rapport final: Comité d’étude sur la salubrité dans l’industrie de l’amiante, vol. 2 (S-197), Québec, Comité d’étude sur la salubrité dans l’industrie de l’amiante,XX397. Centre d’étude sur l’emploi et la technologie (2005).:Les chiffres clés de l’emploi au Québec édition 2005, Montréal, Direction des affaires publiques et des communications, Emploi-Québec. Gouvernement du Québec (1978).québécoise de la: PolitiqueSanté et sécurité au travail santé et de la sécurité des travailleurs, Québec, Éditeur officiel du Québec, 238.
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