Alexandre le Grand dans les romans français du Moyen Âge. Un héros de la démesure - article ; n°1 ; vol.112, pg 51-63
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Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age - Année 2000 - Volume 112 - Numéro 1 - Pages 51-63
Laurence Harf-Lancner, Alexandre le Grand dans les romans français du Moyen Âge: le châtiment de la démesure, p. 51-63. Toute la littérature consacrée à Alexandre le Grand, dans l'Occident médiéval, se trouve confrontée au problème de l'intégration d'un héros païen à une mythologie chrétienne. La littérature cléricale tend à présenter en Alexandre un tyran puni de son orgueil. Dans la littérature narrative profane en langue vemaculaire, le Macédonien suscite à l'évidence une véritable fascination, mais celle-ci s'attache plutôt à un héros ambigu, ambivalent, dont l'«inachèvement» se traduit par une faille: la démesure. La quête éperdue des limites du monde, sur les pas d'Hercule, l'ancêtre mythique, dessine à coup sûr les contours d'un destin romanesque. L'Alexandre médiéval est le premier héros de roman de la littérature française.
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 65
Langue Français

Extrait

Laurence Harf-Lancner
Alexandre le Grand dans les romans français du Moyen Âge. Un
héros de la démesure
In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 112, N°1. 2000. pp. 51-63.
Résumé
Laurence Harf-Lancner, Alexandre le Grand dans les romans français du Moyen Âge: le châtiment de la démesure, p. 51-63.
Toute la littérature consacrée à Alexandre le Grand, dans l'Occident médiéval, se trouve confrontée au problème de l'intégration
d'un héros païen à une mythologie chrétienne. La littérature cléricale tend à présenter en Alexandre un tyran puni de son orgueil.
Dans la littérature narrative profane en langue vernaculaire, le Macédonien suscite à l'évidence une véritable fascination, mais
celle-ci s'attache plutôt à un héros ambigu, ambivalent, dont l'«inachèvement» se traduit par une faille: la démesure. La quête
éperdue des limites du monde, sur les pas d'Hercule, l'ancêtre mythique, dessine à coup sûr les contours d'un destin
romanesque. L'Alexandre médiéval est le premier héros de roman de la littérature française.
Citer ce document / Cite this document :
Harf-Lancner Laurence. Alexandre le Grand dans les romans français du Moyen Âge. Un héros de la démesure. In: Mélanges
de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 112, N°1. 2000. pp. 51-63.
doi : 10.3406/mefr.2000.3748
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9883_2000_num_112_1_3748LAURENCE HARF-LANCNER
ALEXANDRE LE GRAND
DANS LES ROMANS FRANÇAIS DU MOYEN ÂGE
UN HÉROS DE LA DÉMESURE
La littérature consacrée à Alexandre dans l'Occident médiéval dépasse
largement le cadre romanesque. Pour rendre compte du mythe, il faudrait
s'attacher à l'ensemble des textes, romanesques, historiques et philoso
phiques, en latin et en langue vernaculaire. Mais tous sont confrontés au
même problème, celui de l'intégration d'un héros païen à une pensée chré
tienne.
Selon George Cary, l'interprétation du héros antique varie selon le type
de texte qui lui est consacré1. Les diverses facettes du mythe dans l'Oc
cident médiéval seraient représentées par quatre types de textes :
- les textes philosophico-politiques (tels les miroirs des princes) s'i
ntéressent à Alexandre du point de vue de la morale politique;
- les textes théologiques glosent les allusions de l'Ancien Testament
(Livre de Daniel, premier Livre des Maccabées)2',
- les prédicateurs retiennent de la biographie d'Alexandre, pour leurs
recueils d'exempla, des anecdotes propres à une leçon édifiante (telles l'his
toire du pirate Dionidès ou celle du philosophe cynique Diogene);
- enfin les textes profanes, représentés par la littérature narrative, en
latin et en français, consacrée à Alexandre du XIIe au XVe siècle, remod
èlent l'image légendaire du conquérant pour en faire une incarnation de
l'idéal chevaleresque. Ainsi s'opposeraient une vision cléricale critique, re
présentée par les trois premiers types de textes, et une vision profane posi-
1 G. Cary, The Medieval Alexander, Cambridge, 1956, p. 79 et suiv.
2 Dans le Livre de Daniel (8, 5-8 et 11, 4), il est le bouc venu d'Occident qui tue le
bélier perse mais dont le «royaume sera brisé et partagé aux quatre vents du ciel».
Dans le premier Livre des Maccabées (1, 3-5), il est le conquérant devant qui la terre
se tait : «Le cœur d'Alexandre s'exalta et s'enfla d'orgueil; il rassembla une armée
très puissante, soumit provinces, nations, dynastes et en fit ses tributaires. Après ce
la il dut s'aliter et connut qu'il allait mourir» (trad, de la Bible de Jérusalem).
MEFRM - 112 - 2000 - 1, p. 51-63. 52 LAURENCE HARF-LANCNER
tive, dans la littérature narrative : dans la première, Alexandre serait un ty
ran païen puni de son orgueil, dans l'autre un héros qui incarne les valeurs
monarchiques, chevaleresques et courtoises (en particulier la largesse).
Cette opposition demande à être nuancée. La condamnation d'A
lexandre n'est pas uniforme dans les textes didactiques, et surtout la glorif
ication du héros, dans les textes profanes, n'est pas sans mélange. Au
Moyen Âge comme dans l'Antiquité s'opposent une «légende noire» et une
«légende rose», que les romanciers médiévaux conjuguent pour restituer le
mythe dans toute son ambivalence3. La fascination que suscite Alexandre
s'attache à un héros ambigu, dont «l'inachèvement» se traduit par une
faille, la démesure, qui le mènera à la mort4.
Dans l'imaginaire de l'Occident médiéval, la démesure, très proche de
l'hybrìs grecque, définit celui qui se rend coupable d'outrage (ultraticum),
c'est à dire celui qui veut aller au-delà des bornes fixées par Dieu à sa
créature. Dès les premiers témoignages littéraires, le Macédonien est pré
senté comme possédé par cet orgueil démesuré qui pousse les mortels,
pour leur malheur, à vouloir rivaliser avec les dieux. Le Pseudo-Callis-
thène, texte fondateur de tous les Romans d'Alexandre, mentionne à
maintes reprises le pothos d'Alexandre, ce désir de découverte qui le
pousse à «voir la fin de la terre» et qui lui vaut des reproches de la part de
ses amis et des avertissements divins5. Au cours du voyage en Inde, un oi
seau reproche ainsi au héros sa démesure en ces termes : «Alexandre,
cesse donc désormais de te poser en rival des dieux, retourne-t'en vers ta
propre demeure, et renonce à monter témérairement à l'assaut des che
mins du ciel6!»
Les clercs ne connaissent cependant le roman grec qu'à travers ses
adaptations latines (celle de Julius Valerius et YHistoria de preliis), qui ef
facent ces mentions pour donner du héros une image uniformément rose.
Dans XHistoria de preliis par exemple, Alexandre, successeur de Darius, re-
3 P. Vidal-Naquet, Les Alexandres, préface à C. Grell et C. Michel, L'École des
princes ou Alexandre disgracié, Paris, 1988, p. 17.
4 Dans une thèse soutenue récemment, C. Gaullier-Bougassas a vu la principale
faille du personnage romanesque d'Alexandre dans son «roman familial» et princ
ipalement dans sa bâtardise. Selon la tradition issue du Pseudo-Callisthène, le héros
est en effet le fils de l'enchanteur Nectanébo, qui se fait passer auprès d'Olympias
pour le dieu Ammon : Les Romans d'Alexandre : aux frontières de l'épique et du r
omanesque, Paris, 1998.
5 Pseudo-Callisthène, Le Roman d'Alexandre, trad. G. Bounouré et B. Serret, Par
is, 1992, II 37, 4, p. 79; II 40, 1 p. 85; II 41,11, p. 87; P. Goukowski, Alexandre, dans
É. Will, C. Mossé, P. Goukowski (éd.), Le monde grec et l'Orient, Paris, 1975, p. 326.
6III, 28, 7, p. 113. Voir également p. 85, 87. ALEXANDRE DANS LES ROMANS FRANÇAIS 53
fuse le culte que veulent lui rendre les Perses, prêts à l'adorer comme un
dieu, dans un discours plein de mesure et d'humilité qui est traduit mot
pour mot dans le Roman d'Alexandre en prose au XIIIe siècle :
«Ne me vœilliés mie honourer ne aorer comme dieu, car je sui corruptibles et
morteus comme vous, si n'afiert pas que vous me comptés a dieu7».
Jean Wauquelin reprend le même discours au XVe siècle, dans son Hist
oire du bon roy Alixandre, composée avant 1448 pour Jean de Bourgogne,
comte d'Étampes :
«Ha! bonnes gens, a nous n'afiert point ne n'apartient ceste reverence, car nous
sommes morteulz et corruptibles comme vous, et de vous a nous n'y a point
de diference tant que a le creation de nature ne point ne doibt estre a homme
atribués l'onneur qui est dewue a Dieu8».
Les clercs découvrent la démesure du héros dans l'Histoire d'A
lexandre de Quinte-Curce, qui stigmatise l'orgueil grandissant du roi de
Macédoine, pris au piège de sa gloire et perdant peu à peu toute mesure.
Ainsi quand Alexandre capture la famille de Darius et la traite avec bont
é, Quinte-Curce salue la maîtrise de soi (continentia animi) du roi et dé
plore qu'elle ait peu à peu été supplantée par la superbe et la violence
(superbia atque ira) :
Vraiment si Alexandre avait pu garder jusqu'au terme de sa vie cette maît
rise de soi, je l'estimerais plus heureu

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