Balzac, l'homme et l'oeuvre

André Le Breton

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Extrait

M. GASTOxN BOISSIER
SECRETAIRE PERPETUE!, DE I, A CADEM I FRANÇAISEE
Son ancien élève de VEcole Normale,
A. L. B.BALZAC
L'HOMME ET L'ŒUVRE
CHAPITRE I
L'HOMME
*.20 mai 1799Balzac est né le
à Tours, mais ses parents n'étaient pointIl est né
de la Touraine, et hii-nièmc n'y a passé queoriginaires
années sa vie. 11 appartient moins àles premières de
du Centre, dont la saine raison, l'équilibreces provinces
et le sens de la mesure sont les qualitésintellectuel
qu'au pays de son père, au Languedoc.caractéristiques,
jaillissante et triviale, par sa fougue, saPar sa verve
mobilité d'esprit et ses perpétuelles illusions, Balzac est
lui Français du Midi.
Après 1830, il a fait précéder son nom d'une parti-
cule, il a signé : Honoré de Balzac, et pour prouver
qui! en avait le droit il a écrit toute une préface, celle
du J,ys dans la vallée. A l'en croire, il serait issu d'une
Sur sa naissance, son nom, sa famille, voir Honoré de1.
Bfilznc, par M. Edmond lîiré.
BALZAC. 12 BALZAC
€ vieille famille gauloise d'où sont sortis les tl'Hnlrai-
desgues », et le Trésor Charles parlerait (ruii monastère
«fondé au V siècle par ses ancêtres aux environs de la
petite ville de Balzac ». Mais les actes de Tètat civil sont
« vieilledes documents plus silrs «ju'une préface. La
» famille defamille gauloise n'était en réalité qu'une
paysans fixée au hameau de la Nougaïrié, dans le Tarn,
etet dont le nom est tour à tour écrit Halsa, lîalsas
Baissa dans les archives paroissiales du wiii'' siècle.
L'orthographe actuelledu nom date de Bernard Balzac,
père du romancier.
dil lilsBernard Balzac, que son extrait de baptême
du < laboureur » Baissa et tilleul de villageois « illettrés »,
avait reçu de l'instruction, et il était homme de loi
quand la Bévolution éclata. Avait-il été « secrétaire du
Grand Conseil sous Louis XV », comme le prétend son
lils, ou « avocat au Conseil sous Louis XVI ». comnie le
veut sa lille? Rien ne le prouve : s'il eut porté un de ces
deux titres, il figurerait dans les Almanachs royaux,
lesquels ne font de lui nulle mention. Il figure, en
revanche, avec son titred'homme de loi dans VAlmanach
national de 1793, il figure môme deux fois : d'abordy
parmi les officiers municipaux, et, plus loin, parmi les
membres du Conseil général de la Commune, section
des Droits de l'homme. Ceci ne s'accorde guère avec ce
que ses enfants nous disent de son royalisme incorrup-
tible. Il est probable qu'il n'aimait pas beaucoup à rap-
pelerdevanteux sesjoursd'ivresse républicaine,ou peut-
être prétendait-il, peut-être même croyait-il à distance
n'avoir coilîé le bonnet rouge en 93 que pour mieux
servir la cause de la royauté. 11 n'avait pas dû être, en
tout cas, un bien farouche révolutionnaire. La tradition
de famille est qu'il se rendit suspect à Robespierre enSL HOMME
guillotine quelques malheu-essayant de soustraire à la
reux « qu'il eût péri si un conventionnelci-devant », et
de amis l'eût envoyer à la frontière, à l'arméeses ne fait
du Nord, mission d'organiser le service des vivres.avec
Attaché lors l'administration de la guerre, ildès à
fdle d'unépousa en 1797, à Paris, la de ses chefs,
Laure Sallambier, trente-deux ans plus jeunede que
lui. L'année il était nommé à Tours, ilsuivante, où
remplit 1804 1812 les fonctionsde à d'administrateur
de l'hospice général.
Ce fils de paysans était un homme robuste. Il contait
que dans sa jeunesse, clerc chez un procureur et prié
de découper une perdrix à la table de son patron, du
premier coup de couteau il avait tranché la perdrix,
fendu le plat, coupé la nappe, et entamé le bois de la
table. Il avait quatre-vingt-trois ans lorsqu'il mourut,
« ».en 1829, par accident Il devait à son origine méri-
dionale une gaieté bavarde et hâbleuse que l'âge ne put
tarir : « Papa est bien portant, écrit Balzac en 1822;
tout à Iheure il a manqué me faire étoulTer de rire par
ses saillies ». C'étaitun esprit vif, original, mais vantard,
chimérique et mal équilibré. La légende de la vieille
famille gauloise et des prétendus documents découverts
dans le Trésor des Charles est de son invention, et sur
ce point la préface du Lys dans la vallée n'est qu'un écho
renforcé de ses gasconnades. Il était fécond en récits
inexacts, en projets irréalisables, et en théories saugre-
nues dont quelques-unes ont passé dans les œuvres de
son fils'. Un rêve enchanta et soutint sa longue vieil-
lesse. Il avait placé jadis une partie de sa fortune dans
la tontine Lafarge. Son rèvc, son idée fi.xe, était de sur-
1. Lettres à l'Etrangère, p. 317; Balzac, par M"" Surville.4 BALZAC
vivre aux autres actionnaires et de partager alors avec
l'Hlat rininuMise capilal de la tontine. Il comptait;y il
avait « calcuh'' » que sa vie devait aller à cent etans
glus; déjà il croyait tenir les millions qui hantaient sa
pensée et dansaient devant ses yeux. Au demeurant, un
aimablemonomane, le pnMuiermonomane que Halzac ait
—rencontrédans la vie, lui qui a fini par en voir partout.
M™« Bernard Balzac, née en ITTS, n'est morlo (jnrn
18b3, trois ans après son fils, à «pii elle eut la doulcui' de
fermer les yeux. Parisienne, petite femme active et ner-
veuse, tracassière, irritable, mais d'un dévouement sans
bornes et que les siens soumirent à de rudes épreuves,
elle avait plus de bon sens, plus de sens pi-atique (|ne
son mari, et eidre eux, assurément, les dilT^Tences
étaient assez grandes. On a cru pouvoir expliqn«*r par
là les contradictions que présente le génie de Balzac.
On a dit : voilà la double origine et la doid)le nafuie,
le Languedoc et Paris, l'imagination et l'instinct réa-
liste : « Le père et la mère prolongent les disparates
'.du ménage dans le cerveau contrasté de leur enl'anl »
L'explication est séduisante, et peut contenir une part
de vérité. Je ne sais cependant si ces délicats problèmes
d'hérédité comportent des solutions si nettes, si rigou-
reuses: l'Ame d'un homme, et surtout d'un homme de
génie, est quelque chose de plus que l'addition et la
combinaison de deux Ames. Ne nous exagérons |)as,
ded'ailleurs, le contraste entre les parents Balzac.
Il ressort de ses lettres et avec pleine évidence que,
mettre ses comptes,pour de l'ordre dans j)our ])ayer
pour ses intérêts etses dettes, sauvegarder son hon-
neur, mère débrouiller parmi lessa apprit à se chiffres
1. Balzac imprimeur, par MM. Ilanotaux et Vicaire.