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Publié par | COMMUNICATIONS |
Publié le | 01 janvier 1996 |
Nombre de lectures | 15 |
Langue | Français |
Extrait
Mme Eliane Escoubas
Barthes phénoménologue ?
In: Communications, 63, 1996. pp. 101-111.
Citer ce document / Cite this document :
Escoubas Eliane . Barthes phénoménologue ?. In: Communications, 63, 1996. pp. 101-111.
doi : 10.3406/comm.1996.1959
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1996_num_63_1_1959Eliane Escoubas
Barthes phénoménologue ?
pour Nicole Loraux
La question est sans doute étrange. Mais je partirai d'un simple constat :
Barthes place l'un de ses derniers textes, La Chambre claire, sous l'autor
ité de Sartre, en dédiant ce livre « à l'Imaginaire de Sartre ». Dans ce
même livre, on trouve fréquemment une terminologie phénoménolog
ique : non seulement le terme même de « phénoménologie », mais aussi
ceux de « noème » et d'« épokhè » (ce dernier terme, notamment, dans
Le Plaisir du texte) . Ailleurs, dans le texte intitulé Y Imagination du signe,
Barthes cite Merleau-Ponty.
Ce sont là des indications fragiles, à partir desquelles je voudrais poser
la question, en amont de La Chambre claire : y a-t-il place, chez Barthes
une'
pour visée phénoménologique ? Y a-t-il place, chez Barthes, pour
quelque chose comme le « phénomène » au sens de la phénoménologie ?
Autrement dit : une sémiotique et une phénoménologie sont-elles compat
ibles ? Peut-on jouer sur les deux tableaux ? Ou plutôt : y a-t-il un point
où les deux tableaux peuvent se rencontrer ? Mon hypothèse est que cela
se passerait au croisement du statut du « signe » et du statut de la
« chose ». La question serait : qu'est-ce qu'une chose pour Barthes ?, où
et comment une chose est-elle pour Barthes autre chose que le simple
réfèrent d'un signe ? Il s'agirait donc de rechercher les lieux du texte, les
processus où la « chose » barthésienne (s'il y a quelque chose comme une
« chose » chez Barthes) se démarque du réfèrent : il s'agirait de rechercher
où la « chose » excède le réfèrent. Cela reviendrait à poser la question
générale du statut de l'expérience chez Barthes.
A partir de ma question (y a-t-il une visée phénoménologique chez
Barthes ?) et de mon hypothèse (c'est au croisement du statut du « signe »
101 Éliane Escoubas
et du statut de la « chose » qu'il faut se placer), je ferai deux remarques,
avant de commencer l'analyse :
1) S'il y a une place, dans les textes de Barthes, pour le « phénomène »
au sens de la phénoménologie, il faut chercher plutôt une place en creux,
dans les manques ou les glissements du texte, dans les « éclipses » du
texte. Le « phénomène » pourrait s'y présenter sous un autre nom, une
autre appellation : ce serait en quelque sorte un « phénomène » déguisé.
Mieux encore : il ne s'agirait peut-être pas d'une transposition par laquelle
le « phénomène » pourrait être lu dans le texte barthésien, mais plutôt
du repérage d'une région d'incertitude, où il y aurait du jeu dans le texte,
où il y aurait une faille dans le texte barthésien. Où apparaîtrait énigma-
tiquement ce que Barthes lui-même désigne comme quelque chose de
l'ordre du « supplément ».
2) Ce repérage des « éclipses » du texte, à la recherche du « supplé
ment », c'est du côté des questions concernant l'image et l'imagination
qu'on peut l'effectuer de façon privilégiée. L'image est chez Barthes le
lieu privilégié du « supplément » - de la structure d'excès et du supplé
ment, où paradoxalement nous trouverons le statut de la « chose » bar-
thésienne. C'est aussi, pour le lecteur, le lieu privilégié des « éclipses » du
texte. Si donc l'image est au centre d'un possible rapport, chez Barthes,
entre la sémiotique et la phénoménologie, il n'est alors pas incompréhens
ible que La Chambre claire soit placée sous l'autorité de L'Imaginaire
de Sartre. Mais les textes que je voudrais interroger sont justement les
textes antérieurs à La Chambre claire. Ce sont : « Rhétorique de l'image »
(1964), « Le troisième sens » (1970) et L'Empire des signes (1970), enfin
« Arcimboldo » (1978). Ces textes ne forment pas un corpus unifié. La
stratégie de lecture et d'écriture de Barthes s'est beaucoup déplacée et
modifiée de l'un à l'autre. Ces déplacements et ces modifications peuvent
être analysés, selon moi, comme . des réajustements « phénoménolog
iques » effectués par Barthes lui-même.
*
* *
Avant de commencer l'analyse de ces textes de Barthes et des déplace
ments qui ont lieu en eux et entre eux, je voudrais énoncer les traits
déterminants du sens du « phénomène » dans la phénoménologie : chez
Husserl, Heidegger et Merleau-Ponty.
De Husserl, je retiendrai deux formulations :
— Dans L'Idée de la phénoménologie (1907) : « La est
la science générale des essences » — à laquelle fait écho le mot d'ordre
bien connu de « retour aux choses mêmes » dans les Idées directrices pour
102 Barthes phénoménologue ?
une phénoménologie. Je noterai, en bref, une quasi-équivalence entre les
« essences » au sens husserlien, les « choses mêmes » et les « phéno
mènes » - ce sont les modes de l'apparaître, ce que Husserl nomme ailleurs
l'« objet dans son comment » (das Objekt im Wie), lequel n'a rien à voir
avec la « chose en soi » : c'est en quelque sorte le contraire de la « chose
en soi » ; c'est bien plutôt le monde commun du sujet et de l'objet, le
mode d'être antérieur à la séparation du sujet et de l'objet (proche déjà
de ce que Merleau-Ponty désignera comme le « pré-réflexif »).
- La seconde formulation husserlienne que je vais retenir est celle de
Vépokhè ou de la réduction phénoménologique — la mise entre parenthèses
ou hors circuit, la suspension des conditions empiriques de l'apparaître.
Cette « neutralisation » (le terme est de Husserl) des conditions empir
iques donne à l'expérience ou à l'apparaître le statut du « transcendan-
tal ». Mieux encore : cette neutralisation par Yépokhè ou la réduction,
Husserl l'apparente aussi au processus de l'imagination. Dans la 5e leçon
de L'Idée de la phénoménologie, Husserl décrit l'imagination comme le
moment de la suspension des conditions empiriques d'existence de l'objet,
à l'opposé du souvenir, qui, lui, n'est souvenir qu'à condition de maintenir
son ancrage spatio-temporel. Au contraire, l'image n'est image qu'à
condition que soient « neutralisées » les conditions spatio-temporelles de
sa production et de son objet. L'imagination est donc un processus très
proche de la réduction.
De Heidegger, je retiendrai, sans entrer dans le détail, la détermination
du « phénomène » qu'on trouve au paragraphe 7 de Être et Temps, où
Heidegger élabore le sens de la « phénoménologie » à partir du terme
même, dans ses composantes grecques : phainomenon et logos. On peut
ici articuler trois sens du « phénomène » :
- le phénomène au sens du « se montrer » : le « manifeste » ;
- l'apparence (Schein) : ce qui se montre comme ce qu'il n'est pas, le
« semblant » ;
- l'apparition ou l'apparaître (Erscheinung) : ce qui, ne se montrant
pas, s'annonce par quelque chose qui se montre.
De ces déterminations husserliennes et heideggériennes du « phéno
mène » je trouve confirmation chez Merleau-Ponty, notamment dans
l'avant-propos de la Phénoménologie de la perception. Je cite :
La phénoménologie est une philosophie transcendantale qui met en
suspens pour les comprendre les affirmations de l'attitude naturelle.
Mais c'est aussi une philosophie pour laquelle le monde est toujours
déjà-là avant la réflexion, comme une présence inaliénable... Revenir
aux choses mêmes, c'est revenir à ce monde avant la co