Biographie universelle ancienne et moderne/MICHAUD (Joseph-François)
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Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843Tome 28 page 206 à 214MICHAUD (Joseph-François)MICHAUD (Joseph-François), de la même famille que Hugues Michaud de Corcelles (voy. plus loin), s’est fait comme historien,comme poète et journaliste, une réputation non moins grande que celle de son deuxième trisaïeul comme homme d’Etat. Il naquit aubourg d’Albens, en Savoie, le 19 juin 1767 (et non en 1769, ainsi que l’ont dit quelques biographes). Son père, qui avait fait sesétudes à l’école militaire de Turin, et qui se destinait à la profession des armes, fut forcé de s’expatrier momentanément par suite[1]d’une étourderie de jeune homme (1) bien excusée par la sensibilité généreuse qu’elle attestait. Fixé et marié en France, près deBourg en Bresse, il avait gardé ses propriétés en Savoie où était sa famille, et où il revint encore souvent lui-même. S’étant établinotaire et commissaire à Terrier, dans là province de Bresse, il était en voie de faire une assez belle fortune, quand une mortprématurée l’ayant frappé, il laissa une veuve chargée, avec peu de bien, d’une nombreuse famille dont Joseph Michaud était l’aîné.Ses deux frères et lui n’en reçurent pas moins une bonne éducation au collège de Bourg, qui longtemps avait été aux mains desjésuites, et qui, confié depuis leur suppression à des prêtres séculiers moins expérimentés et moins sérieux, n’avait pas encoreperdu toutes leurs traditions. Joseph Michaud fut un excellent rhétoricien : son style ...

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Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 Tome 28 page 206 à 214
MICHAUD (Joseph-François)
MICHAUD (Joseph-François), de la même famille que Hugues Michaud de Corcelles (voy. plusloin), s’est fait comme historien, comme poète et journaliste, une réputation non moins grande que celle de son deuxième trisaïeul comme homme d’Etat. Il naquit au bourg d’Albens, en Savoie, le 19 juin 1767 (et non en 1769, ainsi que l’ont dit quelques biographes). Son père, qui avait fait ses études à l’école militaire de Turin, et qui se destinait à la profession des armes, fut forcé de s’expatrier momentanément par suite [1] d’une étourderie de jeune homme (1)bien excusée par la sensibilité généreuse qu’elle attestait. Fixé et marié en France, près de Bourg en Bresse, il avait gardé ses propriétés en Savoie où était sa famille, et où il revint encore souvent lui-même. S’étant établi notaire et commissaire à Terrier, dans là province de Bresse, il était en voie de faire une assez belle fortune, quand une mort prématurée l’ayant frappé, il laissa une veuve chargée, avec peu de bien, d’une nombreuse famille dont Joseph Michaud était l’aîné. Ses deux frères et lui n’en reçurent pas moins une bonne éducation au collège de Bourg, qui longtemps avait été aux mains des jésuites, et qui, confié depuis leur suppression à des prêtres séculiers moins expérimentés et moins sérieux, n’avait pas encore perdu toutes leurs traditions. Joseph Michaud fut un excellent rhétoricien : son style avait l’abondance, la solennité semi-poétique si recommandées par les professeurs aux élèves ; il composait des vers français avec facilité. Ses études terminées, ce qui eut lieu en 1786, il fallut, après une excursion au mont Blanc et sur d’autres points de la Savoie, penser à choisir un état. La modicité des ressources maternelles lui fit adopter le commerce : il entra dans une maison de librairie de Lyon, attiré sans doute vers cette branche de trafic par l’affinité du libraire et de l’homme de lettres. Il était encore dans cette ville quand la comtesse Fanny de Beauharnais y passa en 1790, retournant à Paris. Il ne faut pas demander si l’apparition d’une femme riche, brillante, en crédit, aimant à se poser protectrice des lettres et à produire les jeunes talents, excita là verve des versificateurs lyonnais. Michaud fut un de ceux qui adressèrent leurs rimes à la grande dame, et il eut le bonheur de les voir accueillies. Assuré de trouver sous ses auspices à Paris une position analogue à ses goûts, il la suivit dans la capitale, où bientôt il publia quelques opuscules qu’il semble avoir eus en portefeuille, et où il ne tarda pas à devenir un des collaborateurs de Cerisier, qui rédigeait laGazette universelle, et d’Esménard, rédacteur duPostillon de la guerre. Ces deux journaux, on le sait, étaient dans le sens de la cour, qui en subventionnait la rédaction, et ils soutenaient le système politique dit des Feuillants. Lafayette alors marchait d’accord avec le cabinet de Louis XVI. Ces circonstances donnèrent à Joseph Michaud l’idée de demander et d’obtenir pour son frère Louis-Gabriel (voy. l’article suivant), qui se trouvait comme officier à l’armée de Lafayette, un emploi dans l’état-major de ce général. Ainsi placé à la source des nouvelles, Michaud jeune eût fourni sans se déranger, aux rédacteurs duPostillon de la guerre, un bulletin presque officiel des opérations de l’armée. Tout était arrangé et convenu à cet égard quand survinrent la révolution du 10 août 1792 et la fuite de Lafayette. Les malencontreux collaborateurs du journal constitutionnel se cachèrent leurs bureaux furent envahis par la populace, bouleversés et pillés. On y trouva une lettre de Lafayette qui fut, aux yeux des pouvoirs de l’époque, une nouvelle preuve d’intelligences coupables, qui acheva de compromettre Joseph Michaud.Au bout de quelque temps cependant, c’est-à-dire après la fin des massacres de septembre et quand la convention constituée ne s’occupa guère que de Louis XVI, il osa reparaître, mais il crut prudent de ne pas parler avec la même franchise que par le passé. On l’a même accusé de palinodie, parce que dans un petit poëme de dix pages, Ermenonville, ou le tombeau de Jean-Jacques, il prodigua des louanges à l’auteur du Contrat social. Mais ces louanges sont encore plus littéraires que politiques, et pour apprécier son langage dans cette pièce et quelques autres phrases qu’un examen minutieux ferait retrouver dans ce qu’il a pu écrire alors, il est juste de faire la part des nécessités qu’avaient à subir tous les écrivains politiques, et plus particulièrement ceux qui, comme Michaud, avaient manifesté des opinions royalistes. La feuille à laquelle il travaillait alors était leCourrier républicainde Poncelin, laquelle n’avait guère de républicain que le nom, et qui, après comme avant les journées de thermidor, était classée au moins comme très suspecte par les meneurs révolutionnaires. Toute cette époque, qui a été appelée l’époque de la terreur, fut réellement pour Michaud un temps d’anxiété, de très grands périls ; et l’on ne peut pas douter qu’il n’ait vu avec une extrême joie la chute de Robespierre au 9 thermidor. Il concourut dès lors à la rédaction de plusieurs journaux royalistes, entre autres à celle de laGazette française, avec Fiévée et Poncelin. Ce ne fut qu’en 1795 qu’il s’associa avec Rippert et Riche à la rédaction et à la propriété de laQuotidienne. M. de Coutouli, fondateur de ce journal, avait péri sur l’échafaud en 1794 (1) [2] . Michaud et Riche lui donnèrent une grande impulsion de royalisme. Ce fut à la même époque que la fille de Louis XVI ayant obtenu sa délivrance pour se rendre en Autriche, Michaud composa avec Beaulieu un petit volume de félicitations, qu’il dédia à cette princesse, sous le nom d’Adieux à Madame, et qu’il signa du nom originaire de sa famille, parM. d’Albens. Peu de temps après, le triomphe de la convention, au 13 vendémiaire, le força de fuir, et il se réfugia chez Poncelin, dans une maison de campagne que celui-ci possédait aux environs de Chartres. Mais Bourdon de l’Oise, en mission dans ce pays, les eut bientôt découverts, et Poncelin s’étant échappé, il s’en vengea sur Michaud, qu’il fit ramener à Paris à pied entre deux gendarmes à cheval, auxquels il était recommandé de ne pas le ménager, et, dans le cas où la fatigue ralentirait un peu son pas, de le faire avancer à coups de plat de sabre. Ces braves gens n’obéirent pas à la dernière partie de l’ordre ; mais ils ne l’en conduisirent pas moins à Paris, où bientôt l’affaire s’instruisit. Elle devenait fort mauvaise. En vain des amis sollicitaient un député de l’Ain, Gauthier, alors membre du comité de sûreté générale, quand un stratagème très adroitement exécuté par Giguet mit la surveillance des gendarmes en défaut, et permit [3] à Michaud une évasion qui lui sauva la vie (2). Il était grand temps : le conseil militaire devant lequel il devait paraître, l’instruction terminée, le condamnait ; à mort le lendemain (27 octobre), comme convaincu d’avoir, par un journal, constamment « provoqué à la révolte et au rétablissement de la royauté ; » et il n’est guère probable que sa présence aux débats eût empêché la sentence d’être rendue. Pour Giguet, il fut retenu prisonnier à peu près un mois, et ne laissa pas durant ce temps de courir un risque assez grave ; enfin pourtant il recouvra sa liberté. Le directoire suivit d’abord une marche plus conciliatrice que les gouvernements qui l’avaient, précédé. Michaud lui-même put sortir de sa retraite, et il parvint à faire purger sa contumace environ un an après l’époque de sa condamnation (octobre 1796). Il n’avait pas attendu ce moment pour reprendre sa collaboration à laQuotidiennequi de jour en jour comptait un nombre plus grand de lecteurs, le parti royaliste devenant à chaque instant plus nombreux. La hardiesse, peu calculée peut-être, dont plus d’une fois il avait donné des preuves, ne pouvait que s’accroître sous un gouvernement faible et divisé. Dusaulchoy, rédacteur duBatave, trouva en lui un défenseur à la barre des tribunaux, bien qu’il ne maniât pas aisément la parole dans une lutte sérieuse. La dispute de Chénier et de Louvet lui inspira quelque temps après la satire intituléePetite dispute entre deux grands hommes. Il signait ses articles, qui le plus souvent passaient l’extrême-limite du franc parler que pouvait supporter le
directoire ; à tel point qu’on peut lire dans le Moniteur une lettre de Mallet du Pan, qui invite le jeune rédacteur à s’abriter sous l’anonyme, de peur qu’il ne lui en mésarrivât. Michaud n’eut point égard à l’avis, et un temps se passa sans qu’il eût à répondre des attaques et chicanes de détail dirigées contre la révolution ; mais le jour vint où il faillit encore payer le tout. Ce fut après le 18 fructidor (4 septembre 1797). Le lendemain de ce coup d’Etat, qui ajourna les espérances des clichiens et de tant d’autres, il fut compris dans les listes de déportation, communes du reste à tous-les chefs de journaux en opposition au parti vainqueur. Ce qu’il y eut d’assez bizarre dans cette nouvelle proscription, c’est que Bourdon de l’Oise y fut inscrit comme Michaud, et que, moins heureux, il ne put se soustraire à la déportation. Forcé de se tenir caché tant que végéta le directoire, Michaud ne cessa pas d’habiter les délicieux rivages de l’Ain qu’il a chantés avec tant de vérité et de raison dans sonPrintemps d’un proscrit. C’est là qu’il ébaucha les premiers vers de ce poëme, achevé et publié quatre ans plus tard. Enfin la chute du directoire par la révolution du 18 brumaire lui permit de revenir à Paris, où il espérait bien reprendre ses travaux de journaliste royaliste jusqu’à une restauration que beaucoup de personnes croyaient prochaine ; mais entouré d’hommes qui savaient le vrai des affaires, il sut bientôt que si Bonaparte, pensait à relever le trône, ce n’était pas pour y faire monter un Bourbon ; et d’autre part les coups mesurés, mais fermes, que le nouveau maître porta aux journaux lui prouvèrent que désormais le journalisme ne pourrait plus se jouer quotidiennement du pouvoir, il se le tint pour dit lorsque, après, après avoir risqué deux petits pamphlets, lesAdieux à Bonaparte (c’est-à-direà sa gloire) en 1799, puis en 1800 les Derniers adieux à Bonaparte victorieux, composés l’un et l’autre par l’ordre de Louis XVIII, il se vit jeter par la police dans la prison [4] du Temple, où il eut pour compagnons d’infortune Rivarol le jeune, Bourmont, Fiévée, etc. (1). Décidé dès lors, et surtout après la victoire de Marengo et la paix presque générale de Lunéville qui consolidait provisoirement l’état de choses né du 18 brumaire, à ne plus faire d’opposition qu’en silence et avec la circonspection voulue, il chercha des ressources dans la littérature proprement dite et dans le commerce d’imprimerie et de librairie. Associé à son frère et à Giguet, il commença par uneHistoire de l’empire de Mysore sous Hyder-Aly et sous Typpoo-Saïb, 1801. Peu de temps après (1803) parut lePrintemps d’un proscritqui, quelque peu de vigueur que nous puissions lui trouver, sembla encore fort hostile soit aux coryphées, soit aux héritiers de la révolution, mais qui jouit d’un grand succès, tant à cause des élégants vers descriptifs dont il était rempli que parce qu’une situation réelle et grave l’avait inspiré, et aussi parce qu’en dépit de tout, l’éclat du règne qui commençait sous le nom de consulat pour continuer sous celui d’empire, l’esprit d’opposition semblait loin d’être éteint. Ce poëme fut même honorablement mentionné dans le rapport de l’Institut sur les prix décennaux qu’avait annoncés Bonaparte, mais qu’il n’osa pas délivrer parce que la plus grande partie des ouvrages qui les méritaient le mieux, tels que les poèmes de Delille et lePrintemps d’un proscrit, étaient empreints d’un esprit contre-révolutionnaire. En collaboration avec Alphonse de Beauchamp, Giraud, son frère et quelques autres, Michaud publia en 1806 uneBiographie moderne, ou Dictionnaire des hommes qui se sont fait un nom en Europe depuis 1789, qu’on peut regarder comme la première de ces biographies des contemporains qui se sont tant multipliées depuis sous des titres et des masques divers. Cette édition, portant la rubrique de Leipsick, mais qui sortait réellement des presses de Giguet et Michaud, fut promptement répandue à bon nombre d’exemplaires ; mais la police eut encore le temps d’en saisir une assez grande quantité. Michaud passa ensuite plusieurs années à peu près sans rien faire qui pût accroître son renom ou qu’on pût regarder comme véritablement littéraire, car nous ne saurions donner ce titre aux notes qu’il rédigea soit pour la traduction desBucoliquespar M. de Langeac, soit pour les six derniers livres de l’Enéide traduitepar Delille, notes dont le docte commentaire de La Cerda et la riche mémoire du traducteur lui fournissaient en grande partie les éléments, et où il n’y a guère de personnel à Michaud qu’une admiration vive et très vraie pour le poète latin. Nous n’osons pas citer comme un grand titre à sa louange leTableau historique des trois premières croisades, qu’il plaça comme introduction en tête du tome 1er deMathilde. Nous nous bornerons à dire que le style de Michaud a de l’élégance, du nombre, de la pureté, de l’harmonie. ; que celui de madame Cottin, au contraire, manque ordinairement de ces qualités ; que sa diction est le plus souvent lâche, âpre, verbeuse, inélégante et lourde ; que sa phrase ne coule pas ; qu’elle manque, autant que tous les romanciers français du temps, de couleur locale ; qu’elle peint à faux ou gauchement, et toujours sous la préoccupation d’idées plus ou moins modernes, les mœurs des vieilles époques ; et tandis que ses idées sont plus jeunes de trois ou quatre siècles que celui qu’il s’agit de décrire, ses formes sont surannées ; et, qu’on le note bien, nulle part ces défauts ne sont plus saillants que dansMathilde! Eh bien, en dépit de toutes ses fautes graves, madame Cottin mérite un haut rang parmi les grands artistes, parce qu’elle sait développer avec une magnifique vérité les passions humaines, depuis le moment où elles commencent à poindre, inaperçues et faciles encore à comprimer, jusqu’à celui où, grandissant comme irrésistiblement par degrés, elles s’emparent de toute l’existence ; parce qu’à mesure qu’elles envahissent le cœur pétri par elles, elle leur prête un langage plus plein, plus vrai, plus accentué, plus énergique ; parce qu’alors dans son récit, dans son dialogue, elle s’efface complètement et s’élève sans le chercher à l’éloquence, au pathétique les plus sublimes. Ni ces qualités ni des qualités équivalentes ne se rencontrent dans l’esquisse de Michaud, composée trop rapidement et sans qu’il pensât au grand ouvrage dont elle était le germe. C’est en entendant vanter ce morceau, c’est en relisant les tableaux tracés par l’auteur deMathildequ’il conçut l’idée de se faire l’historien des croisades. C’était un beau et riche sujet, et qu’on pouvait regarder comme absolument neuf à cette époque. Il lui suffit de s’annoncer comme ayant dessein de le traitera fond, pour qu’il se fît d’avance une réputation d’historien et dès ce moment il acquit plus de consistance littéraire, ses prétentions à l’Académie française semblèrent plus rationnelles. Toutefois avant d’atteindre à l’immortel fauteuil, il eut le temps d’achever son premier volume qui parut en 1811, et d’en mettre sous presse un second en 1813, lequel, du resté, fut accueilli favorablement comme son aîné. Mais ce ne fut pas tout : il fallut encore, pour obtenir en quelque sorte son laissez-passer de l’empereur, qu’il consentît à célébrer, ainsi que tant d’autres, ce que l’on nommait la quatrième dynastie française. Reprenant le cadre un peu, usé des prophéties, il imagina en 1810, lors du mariage de Napoléon avec Marie-Louise, de faire prédire cette union par Virgile dans son Fragment d’un treizième livre de l’Enéide; puis, quand la naissance d’un fils sembla rendre inébranlable le trône de celui qui se prétendait le successeur de Charlemagne, il salua cet événement par desStances sur la naissance du roi de Rome(1811). Cette espèce de palinodie, que plus tard les ennemis de Michaud exploitèrent avec beaucoup de fracas, ne fut-elle qu’une simple concession au désir qu’il avait de prendre place à l’Institut et à la nécessité où tout homme de lettres un peu célèbre était alors de brûler son grain d’encens aux pieds du dieu ? ou bien commençait-il à désespérer de la cause des Bourbons et pensait-il sérieusement à se rapprocher des nouveaux hôtes des Tuileries ? Nous inclinons pour la première hypothèse ; d’une part, Fontanes, par ordre de Napoléon, avait plus d’une fois fait des offres à Michaud qui, les déclina toujours ; et même on lui prête à cette occasion [5] une repartie fort spirituelle (1). Quoi qu’il en puisse être, après plusieurs candidatures moins heureuses et surtout appuyé par Etienne, qui jouissait du plus grand crédit auprès du gouvernement impérial, il parvint à remplacer, le 5 août 1813, Cailhava de l’Estendoux. Il venait de fonder, conjointement avec son frère, laBiographie universelle, dont en quelques années le renom devait être européen, et à laquelle il a fourni divers articles des premiers volumes. C’est tandis que ces publications, encore peu lucratives, se débattaient contre les difficultés inhérentes à tout début, que Napoléon balançait la fortune par sa campagne d’Allemagne, puis par celle de France, mais chaque jour faisait un pas vers sa ruine. Michaud suivit de cœur ces grands événements, hâtant de ses
vœux le retour des Bourbons, avec lesquels il avait en longtemps des correspondances secrètes. Ce qu’il y a de certain, c’est que la restauration le compta parmi ses amis les plus ardents. Il réimprima sesAdieux à Bonaparteet sesDerniers adieux; et s’associant avec Rippert, il ressuscita laQuotidiennequi d’abord n’eut pas un grand succès, mais qui commençait à voir grossir le chiffre de, ses abonnés lorsque le retour de l’île d’Elbe vint remettre en question le sort de la France, et surtout les destinées de la maison de Bourbon. Michaud avait vu son dévouement apprécié de l’auguste famille ; il avait été présenté à Louis XVIII et aux princes ; regardé comme ayant participé, ce qui n’était point vrai, à l’impression de la fameuseDéclaration de l’empereur Alexandre du31 mars, impression fort périlleuse à ce moment, il avait été nommé d’emblée officier de la Légion d’honneur le 19 août 1814 ; puis il avait reçu d’assez bonnes gratifications pour rétablir la Quotidienne. Plus tard, il fit obtenir à Beaulieu, son collaborateur pour le petit volume desAdieux à Madame, une pension sur la cassette du roi, et à sa sollicitation, Chéron, son ami, avait reçu le privilège du Mercure de Francevingt mille francs, pour relever cette aînée des Revues et Recueils hebdomadaires. La position de J. avec Michaud était donc fort bonne, lorsque Napoléon revint de l’île d’Elbe au mois de mars 1815. Le voyant approcher de Paris, il prit le chemin de l’Angleterre avec son ami Chéron ; mais ils n’allèrent que jusqu’à Boulogne, et revinrent presque aussitôt. Michaud annonça alors, par une lettre dans les journaux, qu’il s’était enrôlé comme garde du corps du roi, et que cependant il voulait rester responsable de la rédaction de laQuotidienne, qui avait pris un ton d’hostilité très énergique contre Napoléon. Mais la lutte ne fut pas longue. Dès que le triomphe de Napoléon parut certain, Michaud quitta de nouveau Paris et se rendit dans le département de l’Ain, où il se tint caché jusqu’au retour de Louis XVIII, tandis que la Quotidienne, métamorphosée en Feuille du jour, « méritait beaucoup mieux, dit Villenave, d’être intituléeFeuille de la veille, car elle n’était plus rédigée qu’avec des ciseaux et ne contenait que des rognures du Moniteur et d’autres journaux inoffensifs. » Michaud eut alors le désagrément de recevoir duNain jaunequelques coups d’épingle dont il ne pouvait prendre sa revanche. Le burlesque journal avait imaginé de le créer, sous le nom deMicaldus, grand maître de l’ordre des Eteignoirs, mauvaise plaisanterie qui se perpétua longtemps après la seconde rentrée des Bourbons. Ce qui est remarquable et bien caractéristique, c’est que ces grossières attaques étaient dirigées contre Michaud par des hommes dont plus tard il fit ses amis et ses collaborateurs. On conçoit avec combien d’empressement il vit se terminer un épisode qui avait failli devenir long. Il en manifesta sa joie sur-le-champ par une petite brochure qu’il intitula l’Histoire des Quinze semaines, ou le Dernier règne de Bonaparte, 1815, in-8°. Cet opuscule eut un grand succès ; vingt-sept éditions s’enlevèrent en peu de mois. Du reste, il avait cessé à cette époque d’être l’associé de son frère ; dès 1813, il avait vendu sa part dans l’imprimerie, et plus tard, se sentant peu de goût pour le travail biographique, voulant d’ailleurs se livrer tout entier à l’histoire des croisades, il vendit aussi sa part d’une librairie dont laBiographie universelleformait la plus forte portion. En 1815, il fut nommé député du département de l’Ain. L’élection n’était peut-être pas tout à fait régulière ; Michaud n’avait jamais songé à se faire naturaliser Français ; on eût dit qu’un instinct secret lui montrait en perspective les Etats sardes comme l’asile de ses derniers jours. Il emprunta donc, pour suppléer à ce qui lui manquait de ce côté, les actes de son frère. Mais ce que la complaisance d’aucun ami ne pouvait lui donner, c’était une de ces voix qui dominent les assemblées délibérantes ou du moins une de ces voix qu’on écoute : c’était du talent oratoire ; autre chose est le talent d’écrire, autre chose est celui de parler en présence d’une assemblée. Michaud déposa (11 décembre 1815) une proposition tendant à voter des remercîments à tous ceux qui avaient « défendu le roi et la royauté lors de la fatale révolution du 20 mars et durant l’interrègne, » proposition qui fut renvoyée à une commission mais qui, sur le rapport de Bonaîd, fut repoussée par l’ordre du jour (9 janvier 1816) motivé « sur ce que, la grande majorité des Français s’étant montrée fidèle, la France ne pouvait mentionner tous ceux qui avaient fait leur devoir pendant l’interrègne. » Michaud parla aussi sur le projet d’organisation des collèges électoraux dont il demanda l’ajournement, et dans la discussion du projet de loi relatif aux traitements et au cumul. Il fut aussi membre de la commission chargée du rapport sur la proposition de supprimer en totalité les pensions des prêtres mariés ou apostats (9 janvier 1816). C’est à ces deux ou trois discours qu’il fit lire par ses amis, sa voix étant trop faible pour qu’on l’entendît, que se bornèrent ses travaux législatifs ; et après la clôture de la session, il ne fut point réélu. L’ordonnance du 5 septembre était intervenue d’une des sessions à l’autre, et l’on sait avec quelle vivacité laQuotidiennefit la guerre au système dont cette mesure fut le prélude, et quel rang prit dès lors cette feuille parmi celles qui s’étaient consacrées à la défense de la monarchie des Bourbons. Michaud était l’âme de cette opposition, et l’on ne peut nier qu’il n’y ait mis de l’énergie et du courage. On distingue quatre phases dans l’existence de cette feuille, depuis la deuxième restauration jusqu’à la révolution de juillet : 1e les quatre ans et demi jusqu’à la chute du ministère Decazes (pendant les deux tiers de cet intervalle, laQuotidienneêtre et fut fort opposée à la marche du gouvernement) ; les trois ans dut jusqu’à la guerre d’Espagne et jusqu’à l’ordonnance d’Andujar, laQuotidienne, au contraire, ou fut d’accord avec les divers ministères ou, si elle se montra plus avancée dans le sens royaliste, n’en vint pas à une rupture complète (c’est alors qu’il fut nommé lecteur du roi aux appointements de 3,000 francs, avec dispense expresse de jamais remplir ses fonctions) ; les quatre années qui suivirent, c’est-à-dire jusqu’à la chute du ministère Villèie, laQuotidiennefut une des feuilles qui firent la guerre la plus vive et la plus funeste au président du conseil ; 4° enfin les trois dernières années de Charles X. C’est pendant la troisième peut-être que l’animosité contre la Quotidienne monta au point le plus élevé. Dès 1819, cependant, elle avait été comprise dans un grand plan de suppression ou d’achat des journaux gênants. On en offrit cinq cent mille francs aux propriétaires du journal et notamment à Michaud, qui n’accepta point. « Monseigneur, répondit-il à l’excellence qui le sollicitait,-il n’y aurait qu’une chose pour laquelle je pourrais être tenté de vendre laQuotidienne, ce serait un peu de santé. Si vous pouviez m’en donner, je me laisserais corrompre. » On ne saurait douter que le ministère Villèie ne soit revenu plus d’une fois à la charge ; et quand enfin, par suite de l’affaiblissement toujours croissant de sa santé, Michaud, sexagénaire, se défit de la plus grande partie de ses actions à laQuotidienne, ce fut pour les céder à un autre lui-même, à M. de Laurentie. Tout en s’occupant beaucoup de laQuotidienne, il avait trouvé le temps de participer au recueil desLettres champenoises, qui parurent de 1817 à 1824, et il avait achevé sonHistoire des croisades, dont il fit paraître le tome 3 en 1817, les tomes 4 et S en 1822, avec la Bibliothèque des croisades. Mais, quoique l’ouvrage se fut débité avec assez de rapidité pour qu’il pût se faire beaucoup d’illusions, l’auteur eut le mérite de comprendre qu’il fallait au moins le retoucher profondément. Deux causes au reste y contribuèrent. D’abord beaucoup de ses lecteurs ecclésiastiques et royalistes s’étaient plaints de ce que trop souyent, malgré son but bien évident de revenir sur les jugements exagérés et tranchants des adeptes de la philosophie au 18e siècle, il eût accumulé dans les détails des épithètes, des appréciations voltairiennes. Ensuite, bien des trésors qui étaient restés ignorés de Mjchauçl, ou dont il avait méconnu l’importance tandis qu’il écrivait, se révélèrent à lui quand il recueillit de la main de collaborateurs spéciaux et habiles, particulièrement de M. Reinaud, son confrère à l’Institut, les matériaux de sa Bibliographie des croisades. Tout préoccupé aussi du mérite littéraire et poétique, et frappé de la couleur locale de Scott plus qu’il ne convient à un historien de se laisser éblouir par les charmes d’un ouvrage d’imagination, importuné peut-être d’entendre répéter qu’il y avait plus de vérité dans les tableaux des romans de madame Cottin que dans les récits de son Histoire ; importuné aussi du mérite descriptif, bien autrement frappant, de l’Itinéraire de Paris à Jérusalem etdesMartyrs, il se laissa mettre en tête que, pour refondre son ouvrage et lui donner ce qui lui manquait, la première et la grande condition était de voir la terre sainte.
Malheureusement ce n’est pas à soixante ans qu’il faut aller chercher des impressions pour les faire partager aux autres. Sans contredit, les organisations intellectuelles vigoureuses peuvent encore à cet âge gagner en idées, en puissance rationnelle, en vigueur des facultés comparatives mais il est irrévocablement passé l’âge où l’on sent et où l’on force autrui à sentir. Si vingt- cinq ans auparavant, au temps de madame Cottin et surtout en compagnie de madame Cottin, Michaud eût été voir cette terre et le ciel d’Orient, si pittoresques déjà matériellement et si chargés de souvenirs, à la bonne heure ; mais en 1829, il était trop tard. Cependant Michaud était trop bien_placé dans le monde littéraire et royaliste, pour que tout ce qui se rapportait à un remaniement de ses Croisadesn’eût certain retentissement et ne reçût un favorable accueil. Le roi Charles X sourit lui-même à ce projet de pèlerinage, et lui fît donner vingt-cinq mille francs pour l’effectuer. Il partit au commencement de 1830, ne se doutant pas qu’au retour il trouverait la branche cadette des Bourbons sur le trône à la place de la branche aînée. Tandis qu’il allait chercher en Orient le reflet des événements du passé, c’est en Occident qu’avaient lieu les soudaines catastrophes, les brusques révolutions qui menacèrent de bouleverser l’Europe. S’il sentit des impressions à l’aspect de Jérusalem, ce durent être bien moins celles de la ville sainte que celles qui lui arrivaient de France. Pour comble de chagrin, il perdit alors la plus grande partie de sa fortune deux cent mille francs), qu’il avait confiée trop légèrement à des mains peu sûres. Toutefois, il lui restait toujours à peu près le nécessaire, et il n’aurait eu aucun besoin de travailler pour avoir une existence honorable et aisée, si diverses personnes qui l’entouraient n’eussent considérablement accru les frais de sa maison, C’est à leur instigation sans doute qu’en dépit de ses projets il fit, de sa nouvelle édition desCroisades, une affaire plus mercantile que littéraire, mais qui en définitive fut peu productive pour lui et sans avantage pour le perfectionnement de l’ouvrage. G’est aussi dans ce temps-là-que, par des motifs à peu près pareils, il décora de son nom une réimpression de l’ouvrage du président Hénault, suivie d’une continuation de ce livre depuis la mort de Louis XIV jusqu’à la révolution de 1830, et qu’il fit le même honneur à uneCollection de mémoires pour servir à l’Histoire de France, en volumes grand in-8°, dans laquelle nous savons par son propre aveu que sa part de travail fut à peu près nulle. Il faut avouer qu’à cette époque Michaud n’était plus que l’ombre de lui- même : sa santé de plus en plus déplorable l’avait réduit à ne plus paraître aux séances de l’Académie française, et il passait des mois entiers sans écrire un seul mot, ce qui n’empêcha pas qu’il fût nommé, en 1837, membre de l’Académie des inscriptions. En ce moment les médecins vantaient au pauvre malade les eaux de Pise : Michaud partit pour l’Italie, accompagné de sa femme et de M. Poujoulat, qui déjà l’avait suivi en Orient et qui depuis huit ans n’avait cessé de s’associer à ses travaux, à ses projets et à son nom. Ce voyage procura quelque soulagement à Michaud, et probablement il eût pu vivre assez longtemps au doux soleil d’Italie. Il n’avait pas besoin à cet effet de rester en Toscane : les Etats sardes lui étaient ouverts ; le roi Charles-Albert, qui déjà l’avait nommé chevalier de son ordre du Mérite civil (ordre réservé aux Sardes seuls), qui était jaloux avec raison de revendiquer pour [6] son royaume la célébrité d’un homme né son sujet, de parents fort honorables (1)et qui avait reçu Michaud, à Gênes, de la façon la plus gracieuse lorsqu’il se rendait à Pisé, avait daigné lui dire : « Vous allez chercher bien loin la santé ; mais nous avons ici, à une lieue de Gênes, à Pelli, des eaux qui ont toutes les vertus de celles de Pise. » Puis, en le laissant partir, il avait ajouté ces paroles si affectueuses : « J’espère qu’à votre retour, vous me dédommagerez à Turin. » Non-seulement ce langage si fait pour séduire ne put persuader à Michaud de s’arrêter à Pelli, il ne sembla pas même se souvenir qu’en revenant il devait passer par Turin. Par des motifs que nous ne pouvons apprécier, on lui fit entreprendre un voyage beaucoup plus pénible que n’eût été celui du Piémont. Il traversa les Apennins au milieu de l’hiver et se rendit à Rome, où il fut présenté au pape qui le reçut très bien. Mais sa santé allait toujours déclinant, et il avait peu fait pour la rétablir. A peine avait-il eu le temps de prendre quelques bains de Pise, lorsqu’on le ramena de la Péninsule par le même chemin qu’il y était allé. Cette fois, il ne s’arrêta pas même à Gênes, et vint droit à Passy, où il avait fixé depuis longtemps son habitation. Il ne tarda point à s’y éteindre. Sa mort eut lieu le 30 septembre 1839. Ses restes reposent dans le cimetière de Passy, où un monument lui a été élevé par une souscription. Il ne laissait point d’enfants d’un mariage qu’il avait contracté à l’âge de quarante-deux ans. Sa femme, qui en avait alors à peine seize, lui a survécu et s’est remariée en 1842. Michaud était renommé parmi tous les hommes d’esprit pour le talent de causer, On lui prête une infinité de mots heureux et piquants. Cependant les mots heureux dont on lui fait honneur n’ont pas toujours la vivacité, la vigueur qui rappellent l’auteur deCandide ou celui duPetit dictionnaire des grands hommes. Il avait quelque chose de fin, de littéraire, de parfaitement académique, mais aussi quelque chose de pâle et d’indécis ; l’énergie vraie et simple, cette énergie manquait à sa conversation comme à ses écrits. Nous pensons au reste que ces dérogations à ce qui était sa nature véritable provenaient souvent de ses entours et des idées qu’il entendait sans cesse émettre par eux, et contre lesquelles ne réagissait point son caractère. De là l’empire trop complet qu’il laissa prendre aux gens dont il s’était entouré, et qui pour la plupart en politique et en morale pensaient et agissaient tout autrement que1 lui. Et cette apparente abnégation, ce laissèr-aller qu’aucuns ont appelé bourbonien, amena autour de lui, sous la restauration, une foule de gens qui l’encensaient pour utiliser en leur faveur son crédit auprès du gouvernement et sa toute-puissance à la Quotidienne. Il redoutait les hommes francs et qui ont une valeur par eux-mêmes, ne les admettant qu’en apparence à l’intimité ; et jamais, quoiqu’il aimât à être nommé lela Fontaine du journalisme, il ne pensait à la seconde fable du bonhomme. Il était bien bas déjà quand un de ceux qui s’étaient le plus prosternés devant son génie se met à dire à l’un des visiteurs admis auprès de lui pour la dernière fois : « Avec sa faiblesse, pas une trace d’affaiblissement intellectuel ; toute jours la même facilité d’expression, toujours la même lucidité.... » Ces mots réveillent Michaud ; il s’agite, se dresse sur son séant : « Oui ! oui ! toujours le même, toujours !... » dit-il d’une voix défaillante, et il retombe sur l’oreiller. Cet effort avait augmenté sa faiblesse ; ce furent ses dernières paroles. - On a de Michaud : 1° en fait d’œuvres poétiques : 1.le Printemps d’un proscrit(en 6 chants) ; 2° l’Enlèvement de Proserpine(en 3 chants) ; 3. et 4. le Fragment d’un trei-zième chant de l’Enéide, 1810, et lesStances au roi de Rome, 1811 ; 5. laPetite dispute entre deux grands hommes(Louvet et Chénier), 1797 ; 6.Epître à madame Adèle de***, pour l’inviter à se livrer aux charmes de la mélancolie ; 7. Tableau d’une auberge. Ces cinq derniers morceaux ne sont que des poésies fugitives. Les deux pièces en l’honneur de la dynastie Napoléon ont été imprimées à part ; on peut aussi les lire dans le recueil intitulél'Hymen et la Naissance. L’Epîtreet leTableause trouvent, avec l’Enlèvement de Proserpine, à la suite de la 5e édition duPrintemps d’un proscrit, et y précèdent divers morceaux en prose dont les plus importants sont les troisLettres à Delille sur le sentiment de la pitié etuneLettre à un philosophe sur les préjugés. De tous les genres poétiques, celui où Michaud est le plus à l’aise, c’est le genre descriptif. SonPrintemps d’un proscrit est sans contredit un des ouvrages poétiques les plus remarquables de l’époque ; on y trouve des imitations très heureuses des anciens et surtout de Virgile. Cet ouvrage figurait honorablement dans les rapports sur les prix décennaux ; mais Garat l’en fit écarter, parce que composé, dit-il, en faveur des proscrits, il tendait à d’autres proscriptions. Cette opinion est d’autant moins juste que, dans tout son pëme, Michaud n’exprime que des sentiments d’humanité et de tendresse. On peut dire qu’il le composa dans le meilleur temps de son talent et de ses sentiments. Toutes les pensées en sont douces, affectueuses ; on regrette seulement de n’y pas trouver le nom de plusieurs de ses amis, surtout celui de Giguet, qui avait joué un rôle si honorable dans ses proscriptions. On lui a quelquefois reproché cette omission, à quoi il répondait froidement que le nom de Giguet n’était point poétique. Du reste, il serait tout à fait injuste de ne pas reconnaître que les vers duPrintemps d’un proscritne sont guère au-dessous de ceux de Delille, et, à vrai
dire, si on les trouvait mêlés dans un même ouvrage, on serait embarrassé de les distinguer, tant il en imite habilement et naturellement l’allure, la forme, les coupes, le ton, la couleur. A notre avis aucun des poètes, nombreux alors, qui marchaient aussi sur les pas de Delille, ne l’a ainsi reproduit à s’y méprendre. Nous savons même que plus d’une fois l’auteur desJardinss’en montra jaloux. C’était une faiblesse de ce grand poëte, et souvent on le vit par ce motif accueillir les plus médiocres versificateurs, tandis qu’il repoussait tous ceux dont le talent pouvait être comparé au sien. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il n’accueillit jamais très bien J. Michaud, qu’il ne le vit guère que par suite des rapports indispensables de l’auteur et de la maison de librairie qui l’éditait, et que, dans toutes les historiettes ou J. Michaud aimait plus tard à se mettre en scène avec Delille, comme ayant été son familier, il substituait son nom à celui de son frère, qui avait connu Delille longtemps avant lui et qui n’avait point de prétention qui pût le blesser. Nous ajouterons à cette revue des œuvres poétiques de Michaud qu’il a fait un grand nombre de vers de société, ‘fort bien tournés et très spirituels, qui eussent formé un très joli recueil, mais qui sont probablement à jamais perdus, parce que tous les efforts des personnes dont il s’était entouré dans les dernières années de sa vie tendaient à lui faire oublier ce qui avait concouru aux succès, au honneur de sa jeunesse, et que lui-même alors, se croyant appelé à de plus hautes destinées, n’aimait point qu’on lui en rappelât le souvenir. Ce fut lui qui composa, en sur laMort d’une grande dame (larépublique) et sur l’expédition d’Egypte, des couplets satiriques qui furent répétés dans toute la France. Nous n’en citerons qu’un seul :
Que de lauriers tombés dans l’eau, Et que de fortunes perdues !. Que d’hommes courent au tombeau, Pour porter Bonaparte aux nues ! Ce héros vaut son pesant d’or ; En France, personne n’en doute : Mais il vaudrait bien plus encor, S’il valait tout ce qu’il nous coûte.
Histoire des croisades, Paris, 1811-22, 5 vol. in-8° ; plus 2 vol. de bibliographie sous le titre deBibliothèque des croisades; la 6e édition a paru en 1840 et après sa mort ; la bibliographie s’y compose de 4 volumes. Michaud en donnant cet ouvrage au public a rendu un vrai service, parce qu’il n’existait rien d’étendu ni de très soigné sur les croisades, et qu’il a en quelque sorte donné le signal d’une réaction. Toutefois il ne faudrait pas s’exagérer sa part dans une révolution qui se préparait visiblement, à la faveur du calme dont le règne de Napoléon fit jouir la France pendant douze ans et qui, dès 1815, se manifesta indépendamment de cet ouvrage avec la plus grande énergie. Ensuite, en abordant l’histoire, Michaud fut trop exclusivement préoccupé des idées poétiques, littéraires et politiques du temps. Ce livre est, au reste, son premier titre de gloire dans la postérité ; et l’on peut dire, sans exagération, que c’est un des ouvrages historiques les plus estimables qu’ait produits notre époque. Pendant plus de vingt ans, il y consacra tous ses moments ; souvent même il se fit aider très utilement dans les recherches les plus pénibles. MM. Reinaud, Pillet, d’autres encore le secondèrent de leur savoir et de leurs travaux dans plusieurs parties de ce grand édifice ; le 4e volume de laBibliothèque des croisades aété rédigé par M. Reinaud. C’est ainsi qu’à chaque nouvelle édition Michaud défit presque entièrement son premier ouvrage. Du reste, visant toujours à l’effet, il soignait beaucoup plus son style que ses pensées. Il appartient à l’école de ceux qui semblent voir dans l’histoire une branche de la rhétorique. La critique, la profondeur des vues lui manquent parfois. Les ressorts qui meuvent l’homme, les masses et les gouvernements, les ressorts particuliers à l’époque qu’il décrit, le jeu mutuel de tous ces éléments, il ne les connaît point assez. On lui a reproché aussi d’avoir trop sacrifié dans ses récits au faux esprit philosophique du 18e siècle et de n’avoir même, dans ses dernières éditions, corrigé que superficiellement la couleur voltairienne. On regrette enfin que les autorités ne soient jamais indiquées dans le corps de l’ouvrage. Quelques pièces justificatives à la fin des volumes et les deux ou quatre tomes de laBibliothèque des croisades, voilà ce qui en tient lieu, Ceci est bien, et la bibliographie est sans contredit très utile et très bien faite, mais nous aimerions mieux qu’il eût fondu avec art dans son récit tous les documents, qu’il se fût savamment et convenablement inspiré de chacun. C’est la tâche de l’historien, bien plus haute que celle du bibliographe. L’histoire et la bibliographie, comme elles s’offrent dans le recueil de Michaud, sont deux moitiés incomplètes juxtaposées, mais non fondues. 3° (En partie avec la collaboration de M. Poujoulat),Correspondance d’Orient, 1837, 7 vol. in-8°. C’est une série de lettres censées écrites d’Italie, de Constantinople, de la terre sainte, etc., etc., racontant ses impressions de voyage. Michaud est assez à l’aise ; son talent de causer se déploie librement comme au coin du feu de laQuotidienne, et quelques passages doivent avoir du charme pour les hommes de goût et de salon qui ne rendent pas justice à ce que la littérature actuelle renferme d’énergie, de vraies beautés et d’art à côté de fautes graves, 4° (En collaboration avec Lœiîlard d’Avrigny),Histoire des progrès et de la chute de l'empire de Mysore sous le règne d’Hyder-âly et de Typpoo-Saïb, 1801, 2 vol. in-8°. Ce n’est qu’une compilation faite à la hâte sur des matériaux qui étaient alors à la disposition du public, matériaux la plupart tronqués, superficiels. 5°Voyage littéraire fait en 1737 au Mont Blanc et dans quelques lieux pittoresques de la Savoie, Paris, 1791. Ce fut le premier ouvrage publié par Michaud, 6°Origine poétique des mines d’or et d’argent, conte oriental; 7° et 8° lesAdieux à Bonaparte, et lesDerniers adieux à Bonaparte victorieux, anonymes tous les deux, mais réimprimés avec son nom en 1814). Ce sont deux plaidoyers en faveur des Bourbons, Ce fut un acte de courage assez remarquable ; bien que l’auteur n’y eût pas mis son nom, Bonaparte, alors premier consul, ne l’ignora pas. On ne devait pas supposer qu’il prendrait aussi bien la chose. Ces deux écrits avaient été commandés à Michaud de la part du roi Louis XYIII. 9°Les Quinze semaines, ou le Dernier règne de Bonaparte1815, in-8°, Ce pamphlet eut 27 éditions. Ce n’est absolument qu’un ouvrage de circonstance, Les faits y sont rares, les dates manquent totalement rien n’est approfondi. 10° Bon nombre d’articles, les uns dans laBiographie moderne, on Dictionnaire des hommes qui se sont fait en Europeune réputation depuis 1789les autres dans cette ;Biographie universelle. Parmi ces derniers, nous indiqueronsGuillaume de Tyr etGodefroy de Bouillon; du reste, il en est beaucoup auxquels il mit son nom et où sa tâche se réduisit à donner à une rédaction trop aride un aspect un peu littéraire tel fut, entre autres,Alexandre le Grand, fait d’abord par Clayier, qui ne voulut pas le signer parce qu’on y avait fait des suppressions). Nous ne pouvons nous dispenser d’ajouter à cette liste la Collection des Mémoires pour servir à l’histoire de France, depuis le 13e siècle jusqu’au 18e siècle, Paris, 1836-44, 32 vol,in-8û ; et l’Abrégé chronologique de l’Histoire de France, du président Hénault, continué jusqu’en 1830. Michaud ne prenait qu’une part de plus en plus faible à la compilation pour laquelle on s’étayait de son nom, puisqu’il passait des mois entiers sans toucher une plume, et qu’il répondit un jour à quelqu’un qui, après lui avoir fait quelques questions sur lesMémoiresque l’on publiait en son nom, revenait à l’Abrégédu président Hénault : Ah ! pour celui-là, je l’ai lu !» - On lui a attribué :Déclaration des droits de l'homme, poème, précédé de quelques Réflexions sur la Déclaration des droits adoptée par l’assemblée constituante, suivi de l’Apothéose de Franklin, Paris, 1792 (mois de novembre) ;
mais il a nié toute participation à cet écrit, composé dans un esprit révolutionnaire et sur le titre duquel son nom se trouve défiguré. MICHAUD (François), frère puîné du précédent, se rendit à St-Domingue, à peine âgé de dix-huit ans, et y était devenu le gérant d’une habitation considérable, lorsque les Anglais s’emparèrent du Port-au-Prince en 1794. Plein de courage et de patriotisme, il fit tous ses efforts pour les en expulser, et se mit à la tête d’un complot qui fut découvert au moment de l’explosion. Arrêté et traduit devant une commission militaire par ordre du général anglais, il fut condamné à mort et fusillé, C’était un des plus beaux hommes de la colonie, et il y fut vivement regretté. P-OT.
1. ↑(1) Dans une partie de chasse, se trouvant pressé par le besoin de se rafraîchir, il entra dans une chaumière où il vit des huissiers saisissant, pour une modique somme de soixante francs, les meubles d’une malheureuse femme. Il offrit de leur remettre cette somme s’ils voulaient venir la recevoir à son domicile ; mais ils s’y refusèrent et continuèrent leur funeste opération en sa présence ce qui l’irrita au point qu’il les menaça de se servir de ses armes, et qu’en effet il porta à l’un d’eux un si violent coup de la crosse de son fusil, qu’il l’étendit roide mort., 2. ↑ (1) On voit par ces faits et par ces dates incontestables que si Michaud fut attaché de bonne heure à la première Quotidienne, à celle qui parut à la révolution, il n’en fut en aucune façon le fondateur. La création de cette feuille appartient à deux personnes seulement, de Coutouli et Rippert. De Coutouli périt ainsi qu’on vient de le voir ; Rippert, resté jusque dans les derniers temps copropriétaire de la Quotidienne, est mort vers 1840. 3. ↑(2) Dès l’arrivée de Michaud à Paris, entre les chevaux des gendarmes, Giguet, qui l’avait vu passer en cet état devant les Champs-Elysées, lui avait prodigué les témoignages de l’affection la plus vive. Comme chaque jour on conduisait Michaud des Quatre-Nations, alors converties en prison, aux Tuileries, siège du conseil militaire qui devait le juger, Giguet ne pensait à rien moins qu’à brûler la cervelle aux deux gendarmes qui servaient d’escorte au prisonnier. Il comprit cependant que ce n’était pas là un bon moyen, et il imagina un expédient plus doux et plus sur. Au jour convenu, il se trouve, à la sortie du pont Royal, sur le passage de Michaud, et, feignant de le voir pour la première fois après une longue absence, il lui demande ce qu’il fait, ou il va, s’il veut venir déjeuner avec lui. -
« Non, non, répond Michaud, j’ai une petite affaire, là, aux Tuileries ! quelques « mots d’explication ! c’est l’affaire d’un instant. Commencez le « déjeuner sans moi, je vous rejoins tout à l’heure.» - « Du « tout, du tout, on n’expédie pas ainsi.les gens. On ne commence-« ra pas par toi peut-être ; déjeunons d’abord. Ces messieurs « sans doute (montrant les gendarmes) n’ont pas déjeuné, ils ne « refuseront pas une côtelette et un verre de vin de Bordeaux. « Justement voilà un restaurant tout proche. »
Les gendarmes, après quelques hésitations, se laissent affriander : prisonnier, gardiens, amis, les voilà tous attablés ; on verse rasade, on mange, on parle un peu, de tout, de la Bresse surtout et de la délicieuse chère qu’on y fait. Les poulardes sont sur le tapis : l’eau en vient à la bouche des gendarmes.
« Parbleu, messieurs, s’écrie Giguet, puisque vous ne connaissez pas les poulardes « de notre pays, je tiens à vous convaincre qu’il n’en est pas de « pareilles dans les quatre-vingt-trois départements. Nous avons « le temps, vous mangerez bien encore un morceau, et l’appétit « vient en... buvant (et il remplit les verres). Garçon, une pou-« larde de Bresse ! et pas de triche ! qu’elle soit de la Bresse, « mon ami, et non du Mans… Tiens, Michaud, toi qui t’y con-« nais, surveille-moi un moment ces coquins-là, descends à la « cuisine. A votre santé, messieurs ! »
Pendant qu’on trinque, Michaud se lève, et bientôt est hors d’atteinte. Giguet eut encore l’art de les retenir près d’une demi-heure à table, disant que son ami surveillait le rôtisseur ; puis, quand ils surent que le prisonnier n’avait pas paru à la cuisine, Giguet, feignant de croire que son ami n’avait voulu que plaisanter, ou bien s’était trouvé incommodé et était retourné chez lui, leur fit perdre encore une heure ou deux en vaines courses.
4. ↑(1) Du reste, les deux brochures que nous avons citées ne furent point cause de l’arrestation de Michaud à cette époque. Comme elles étaient écrites avec beaucoup de ménagement et d’égards, nous avons lieu de croire, et Michaud lui-même en a depuis eu la preuve, qu’elles ne blessèrent point trop vivement Bonaparte, et que sa police eut ordre de les laisser circuler sans obstacle. L’arrestation, de J. Michaud, qui arriva un peu plus tard, fut causée par une méprise de la police, qui le prit pour son frère, et le soupçonna d’avoir participé. à un complot royaliste avec Pichegru, qu’il ne connaissait même pas. 5. ↑(1) Fontanes, le pressant un jour de se rallier, lui disait :
« Il faut qu’enfin toutes les résistances finissent ; elles diminuent « tous les jours. Faites comme les autres. Tenez, M. Delille, par « exemple, vient d’accepter une pension de six mille francs. » -« Oh ! pour celui-là, répondit Michaud, il a si grand’peur, que
« vous lui feriez accepter cent mille francs de rente. »
6. ↑(1) C’est donc par une étrange méprise que !M. Poujoulat, dans une lettre qui fut insérée dans la Quotidienne du 22 décembre racontant la réception si bienveillante faite à Michaud, sembla vouloir repousser la prétention du roi sarde, en disant que l’auteur des Croisades était né en Savoie, mais de parents français ! Cette erreur fut relevée dès le lendemain par M. Michaud jeune, qu’elle intéressait comme son aîné. On pensa que celui-ci saisirait avec plaisir cette occasion de réparer une inconvenance qui n’était pas son fait ; mais depuis longtemps Michaud l’aîné n’appartenait plus à sa famille, et il ne s’appartenait guère à lui-même. Aigri par l’âge, la maladie et d’autres causes encore, il se montra fort irrité de la réclamation de son frère, qui cependant était faite dans les termes les plus mesurés et les plus affectueux. Plusieurs mois après, il disait encore à sa belle-sœur, à la femme de son frère, qui s’efforçait de le faire revenir d’un pareil travers, qu’on devait lui laisser le soin d’expliguer lui-même son origine.
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