Comment on apprenait à lire aux petits paysans russes  ; n°1 ; vol.31, pg 103-113
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Cahiers du monde russe et soviétique - Année 1990 - Volume 31 - Numéro 1 - Pages 103-113
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Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 40
Langue Français

Extrait

Michaël Confino
Comment on apprenait à lire aux petits paysans russes
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 31 N°1. Janvier-Mars 1990. pp. 103-113.
Citer ce document / Cite this document :
Confino Michaël. Comment on apprenait à lire aux petits paysans russes. In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 31
N°1. Janvier-Mars 1990. pp. 103-113.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1990_num_31_1_2208NOTES ET COMPTES RENDUS
MICHAEL CONFINO
COMMENT ON APPRENAIT A LIRE
AUX PETITS PAYSANS RUSSES
Autour d'un ouvrage récent*
Les questions de l'alphabétisation des populations et celles de l'enseignement et
de la scolarisation dans le passé récent et lointain sont depuis plusieurs années à
l'ordre du jour de la recherche historique. Travaux pionniers d'abord, puis études
de plus en plus fouillées ont vu le jour dans de nombreux pays en Occident, à l'Est
et dans le tiers-monde1. Mais on aurait du mal, semble-t-il, à mettre le doigt sur les
raisons exactes de cet intérêt accru. Sont-ce les progrès dans le domaine de la sco
larisation survenus durant les cent dernières années ? Ou bien les « campagnes
d'alphabétisation » dans les pays du tiers-monde poussent-elles à se tourner vers le
passé pour en tirer des « leçons » utiles ? Ou enfin, est-ce la découverte stupéfiante
(mais déjà banale), il y a deux décennies, que même dans les pays « développés »
la proportion d'analphabètes est considérable (allant souvent de 15 à 20 % de la
population adulte), tandis que celle des personnes atteintes ď « analphabétisme
fonctionnel » dépasse parfois les 30 % ? Quoi qu'il en soit, si les causes de cet inté
rêt restent obscures, par contre les résultats dans le domaine de la recherche en
sont clairs et parfois même brillants. Ainsi, l'historiographie russe s'est enrichie
dernièrement de deux ouvrages remarquables : celui de Jeffrey Brooks qui exa
mine la littérature populaire « au temps où la Russie apprenait à lire »2, et celui de
Ben Eklof sur les écoles paysannes en Russie ; c'est sur ce dernier que nous vou
drions présenter ici quelques réflexions et commentaires. Rappelons d'abord que
quiconque a lu des ouvrages sur l'alphabétisation, examiné leurs cartes et di
agrammes, déchiffré leurs tables statistiques, sait à quel point il est difficile d'en
résumer brièvement les sources variées, les méthodes d'analyse et les trouvailles par
fois surprenantes. Ouvrages fouillés, denses et aux nombreux aspects, dont chaque
♦ Ben Eklof, Russian peasant schools. Officialdom, village culture, and popular pedagogy, 1861-
1914, Berkeley, University of California Press, 1986, 652 p.
Cahiers du Monde russe et soviétique, XXXI (1), janvier-mars 1990, pp. 103-114. 104 MICHAEL GONFINO
chapitre pourrait faire l'objet d'un compte rendu à part. Tel est aussi celui de Ben
Eklof et telles sont les raisons pour lesquelles il est fort difficile de présenter toute la
richesse des informations et des interprétations qu'il apporte. Essayons quand même.
Les idées reçues
Le point de départ de l'auteur est la constatation que l'historiographie de l'édu
cation populaire en Russie se caractérise par deux thèses majeures. D'une part, on
estime sans réserve que l'initiative de la propagation de l'enseignement (écoles,
manuels d'étude, financement, direction) est toujours venue ď « en haut », c'est-à-
dire du gouvernement central. D'autre part, on tient pour acquis que cette éducat
ion (surtout au niveau de l'école primaire) s'est toujours soldée par un échec manif
este : résultat « logique » de la première thèse et qui conforte les préjugés que l'on
a envers l'« exécrable et inefficace bureaucratie Lsariste ». Et y aurait-il des raisons
pour qu'elle ait réussi dans ce domaine, alors qu'elle échoua dans tous les autres ?
Comme on le verra, dans le cas présent la question n'est pas du tout là.
Deux tendances majeures de l'historiographie russe ont conspiré à renforcer
cette interprétation conventionnelle concernant l'initiative et les résultats de l'édu
cation en Russie. La première est l'importance attribuée par les historiens au rôle
de l'État dans l'histoire du pays. Considéré comme primordial dans leurs analyses,
ce rôle a conduit, si je puis dire, à une hypertrophie conceptuelle de l'État, et celle-
ci, parce qu'elle se trouve au centre de ces analyses, en a engendré d'autres de son
côté. Telle est, pour employer la formule courante, « la tradition de l'intervention
de l'État russe dans tous les domaines de la vie sociale et économique » ; et cette
thèse, quoique fortement exagérée, se retrouve, hélas, dans la plupart des ouvrages
récents3. Telle est également la tendance des historiens à fonder leurs analyses
principalement sur la législation du gouvernement et sur les débats politiques « au
sommet » ayant conduit à telle ou telle décision : comme si la politique des gou
vernements dans les divers domaines qu'ils gèrent résulte uniquement de ce que
disent ministres et hauts fonctionnaires, et non de la pesanteur de divers intérêts
sociaux, économiques et politiques. Cette tendance, selon Ben Eklof, est particuli
èrement prononcée dans l'histoire de l'enseignement en Russie qui se révèle, en fait,
comme un exposé des décisions et de la politique du gouvernement en matière
d'enseignement. Mais cela suffit-il pour épuiser tout le réel ? Il ne le semble pas.
Néanmoins, ajoute-t-il, vu sous cet angle déformant, lorsqu'un développement his
torique se traduit « par un progrès » (disons plutôt, par la substitution de manières
de faire plus modernes aux habitudes traditionnelles au village), on attribue inév
itablement la raison de ce changement à l'État cl à l'élite cultivée, c'est-à-dire, à
nouveau, au gouvernement, à la législation et aux discussions l'ayant précédée.
C'est cette déformation de la perspective historique qui a conduit à cette autre
déformation dans l'état des questions en la matière : il y a des histoires institution
nelles de l'éducation en Russie4, mais il n'y en a pas qui considèrent l'éducation
comme un phénomène social et culturel ayant eu lieu dans un milieu humain
donné, en l'occurrence - la paysannerie.
Cela nous conduit à la seconde tendance majeure de l'historiographie, qui a
contribué à renforcer les thèses conventionnelles de l'histoire de l'éducation, à
savoir, l'idée qu'on a du paysan russe et du monde rural. NOTES ET COMPTES RENDUS 105
« La Russie, écrit Ben Eklof, a été considérée comme extrêmement arriérée, sa paysann
erie comme particulièrement ignorante et ayant besoin d'être guidée, et la communauté
rurale opposant une grande résistance à tout changement. Évidemment, dans
cette perspective, [on estime que] lorsqu'un changement aura lieu, il se produira avec
force et il viendra nécessairement de dehors »5.
c'cst-à-dirc lorsque des écoles auront été créées, lorsque l'enseignement sera allé de
l'avant et que l'aptitude des petits paysans à lire et à écrire se sera répandue, on
attribuera (à nouveau) ces développements à l'initiative, aux décisions, aux
mesures et à la direction du gouvernement et de l'élite cultivée. (Eklof démontre
qu'il n'en est pas toujours ainsi et il nous réserve quelques surprises à ce sujet). C'est
ainsi que l'hypertrophie du rôle de l'État se joint à l'idée qu'on a du paysan russe et
du monde rural pour créer une vision de l'histoire russe, erronée en règle générale
et particulièrement pernicieuse pour l'étude de l'histoire de l'éducation paysanne.
Cette idée du paysan russe, en raison de sa persistance et de sa portée, qui va au-
delà de l'histoire de l'éducation, mérite d'ailleurs qu'on s'y arrête plus longuement.
Ben Eklof nous rappelle qu'à peu d'exceptions près, le paysan est décrit dans
les livres d'histoire comme un être naïf, impulsif, irrationnel et renfrogné, inca
pable de compren

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