Connaissance du corps et prise de conscience de la personne chez le Mélanésien de Lifou (îles Loyalty) - article ; n°6 ; vol.6, pg 33-65
34 pages
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Description

Journal de la Société des océanistes - Année 1950 - Volume 6 - Numéro 6 - Pages 33-65
33 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1950
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Maurice-H. Lenormand
Connaissance du corps et prise de conscience de la personne
chez le Mélanésien de Lifou (îles Loyalty)
In: Journal de la Société des océanistes. Tome 6, 1950. pp. 33-65.
Citer ce document / Cite this document :
Lenormand Maurice-H. Connaissance du corps et prise de conscience de la personne chez le Mélanésien de Lifou (îles
Loyalty). In: Journal de la Société des océanistes. Tome 6, 1950. pp. 33-65.
doi : 10.3406/jso.1950.1656
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jso_0300-953X_1950_num_6_6_1656DU CORPS CONNAISSANCE
ET
PRISE DE CONSCIENCE DE LA PERSONNE
CHEZ LE MÉLANÉSIEN DE LIFOU
(ÎLES LOYALTY)
L'examen de la terminologie anatomique et physiologique du Lifou
peut aider à nous faire connaître, chez l'autochtone des îles Loyalty, la
prise de conscience de son propre corps et des fonctions de celui-ci
en regard du monde vivant qui l'englobe et même à saisir les dévelop
pements qu'il tire de sa découverte. Les expressions de son vocabulaire
dans le domaine des sensations et de la vie affective puis dans celui
de la démarche intellectuelle et de la volonté, nous feront apercevoir
la notation du travail cérébral et sa connexion avec la réflexion ment
ale. Nous pourrons ainsi obtenir quelques indications sur son processus
de pensée et son mode d'intellection et savoir comment il dégage la
notion de sa propre personne des contingences sociales ou naturelles et
comment des phénomènes physiques et mentaux il tire la conception de
l'être.
*
Des parties du corps et des viscères, le Lifou a une connaissance empi
rique qui est source de notions anatomiques et physiologiques assez pré
cises. De l'aspect extérieur du corps humain, il possède également une
vision esthétique, car il en saisit la forme : ngôn (1) [forme, apparence]
(1) Les phénomènes du Lifou qui n'existent pas en français sont notés ici
selon la transcription suivante : dh, interdentale sonore, se réalisant comme
dans l'anglais that; th, interdentale sourde, se réalisant comme dans l'an
glais thick; dr, cacuminale sonore; tr, cacuminale sourde; c, palatale sourde se
réalise comme en italien dans duce; ny, correspond au phonème espagnol n;
x, phonème allemand ch dans machen; ng, nasale vélaire se réalisant à peu près
comme dans l'anglais singing; wh labio-vélaire sourde se à peu SOCIÉTÉ PES OCÉANISTES. 34
dans un ensemble sculptural. Il a su en noter le relief, en découper les
parties et les circonscrire en régions marquées par des contours arron
dis : hune (dessus), des méplats : hna (ensemble plat), des saillants :
hene (tête) , des plis : hnasa (endroit plié) . Cette connaissance n'est pas
seulement visuelle, elle est aussi plastique et résulte d'une investigation
tactile : il y a vision, mais aussi palpation. Le détail de sa toponymie
anatomique nous montre qu'il connaît les parties de son corps en chi
rurgien en même temps qu'en artiste. Le cannibalisme des anciens temps
lui a révélé non seulement une connaissance détaillée des parties molles,
mais aussi la quasi-totalité de l'ostéologie et des organes internes de la
circulation, de la nutrition et de la respiration.
Cependant, bien qu'il ait une bonne connaissance physique des part
ies du corps, ainsi qu'une vision esthétique des plans et des volumes
dessinés, le Lifou, comme les autres mélanésiens, parvient mal à dégager
la représentation de son propre corps du reste du monde végétal et minér
al auquel il s'identifie parce qu'il y adhère et y participe. L'analogie
des formes qui lui fournit les termes de son vocabulaire va pour lui
jusqu'à une véritable identification. « Cette nomenclature végétale, dont
il use, révèle, comme l'a écrit M. Leenhardt, entre l'homme et l'arbre,
une identité de structure et une identité de substance. Elle est l'effet
d'une vue mythique qu'a le Mélanésien. Celui-ci ignore ce que nous
appelons un mythe. Il sait encore moins ce que nous entendons par
identité. Mais il appréhende nombre d'aspects du monde au travers de
sa vision mythique, et il crée des identifications, par le truchement de
représentations que nous ne pouvons imaginer, et qui sont mythi
ques » (2) .
Sa représentation rejoint, sans doute, notre notion moderne de l'unité
organique du monde, mais avec la différence fondamentale que celle-ci
est le résultat de la connaissance scientifique, tandis que celle-là est une
vue mythique.
Comme il s'identifie aux êtres qui l'entourent, le Lifou les identifie
à lui; s'il appelle ahnû (litt. faire - emplacement - esprit) à la fois son
âme, et son ombre projetée sur le sol, il pourvoit également les autres
êtres d'une ahnû, ombre et âme. Hommes, bêtes, plantes et minéraux
font partie d'un monde physique et mythique.
près comme dans what, mais un peu plus dévoisée; ô, comme en allemand
dans bose; ë, voyelle plus ouverte encore que dans le français père; u, comme
ou dans loup. La lettre h est la marque du dévoisement de la consonne qui se
réalise par un effort de souffle latéral pour hl, de souffle nasal pour hm, hn,
hng, hny.
(2) M. Leenhardt. Do Kamo, Paris, 1947, p. 27. ANATOMIQUE DE LIFOU. 35 VOCABULAIRE
Ainsi, Thu (le lézard) est un totem qui, à sa guise, prend la forme
humaine ou la forme animale, mais sous l'une ou l'autre forme, ce
lézard pense, parle et agit comme tout autre être humain. Les blocs
coralliens au profil anthropomorphique qui se dressent dans une baie
s'animeront aussi; à certains moments, lorsqu'ils se savent seuls, si une
femme vient pêcher près d'eux, ils vont l'appeler d'une voix séductrice,
tels des Lorelei, et la femme, attirée irrésistiblement, disparaît pour
continuer à vivre avec eux dans le monde sous-marin. Tout événement
est possible et crédible dans cette unité de vie du monde qui a le mythe
pour soutien.
Dans la dénomination des parties du corps, la nomenclature végétale
permet donc, tout naturellement, de noter les identités et de désigner les
dispositifs analogues.
ANATOMIE.
L'être humain se présente selon une forme : ngôn qui exprime l'appa
rence et donc aussi le contour, l'aspect et la couleur : c'est l'être appré
hendé sous l'angle esthétique. Cette forme est le contour spatial du corps
physique : ngôneitrei, soit l'armature fondamentale. Ngôneitrei désigne
avant tout la forme plastique d'une enveloppe corporelle, c'est la gaine
matérielle, palpable, qui sert à enrober le corps physiologique et le
contenu psychique de l'être. Or, ce revêtement corporel n'est qu'une
dépouille, la dépouille qui subsistera comme seule relique du vivant
après sa mort.
Le terme itrei recouvre un vaste concept : celui d'enveloppe, de gaine,
de carcasse, de dépouille, de contexture plus ou moins fibreuse et en
même temps de base, de fondement, de maintien. Il éclaire la morphol
ogie structurale du corps humain. Le morphème i est un préfixe collectif
et réflexif qui s'affixe à tout objet formé de plusieurs parties et la racine
trei se présente également sous les formes sémantiques tra : construire
et ta : fondement, base. Sous la forme itra, l'expression désigne, d'une
part, tout ce qui enveloppe et enserre : c'est d'abord le plat national
loyaltien fait d'ignames, de taros, de poissons ou de poulets : itra koko,
itra thuma, itra ie, itra gutu, etc., selon le cas, enrobés dans des feuilles
de bananiers pour former un paquet qui sera mis à rôtir dans les
cailloux du four canaque; itra, c'est donc l'enveloppe de feuille pour ce
genre de cuisine.
itrawathë : étoffe d'écorce de balassor dont on fait un turban.
itraunenidre : dépouille de la mue de l'insecte. SOCIÉTÉ DES OCÉAN1STES. 36
itrapet : coiffure ornementale, c'est-à-dire itra : enveloppe, petën :
coiffer.
itraudhë : natte (en langue des chefs), c'est-à-dire enveloppe qu'on
retourne.
itrapeleth : enduit ou glu pour attraper les oiseaux.
itra désigne également les excrétions de consistance visqueuse ana
logue à la glu et considérées comme provenant d'un dépouillement :
Urahnyidhîi : crachat et itra mo : sperme.
Selon leur consistance dure ou molle, les matériaux qui concourent
à l'

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