De l individu créateur à la droite américaine - article ; n°1 ; vol.78, pg 245-268
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Communications - Année 2005 - Volume 78 - Numéro 1 - Pages 245-268
The Fountainhead (1943) is a novel by the American ideologue Ayn Rand in which the reader is almost inevitably led to an identification with a specific promethean ideal of the Self through a set of images and ideas which resonate with widely shared representations and the legitimate and universal desire of freedom of the Self. The novel echoes as well the current ideology of the American neo-conservatives, for whom a radical individualism is the sole and unique way of guaranting individual freedom against the power of the state and socialist ideas.
Le roman La Source vive a été publié en 1943 par l'idéologue américaine Ayn Rand. Le lecteur, à partir d'un réseau d'images et d'idées qui font écho à des représentations largement partagées ainsi qu'au désir légitime et universel d'exister librement, est insensiblement conduit à une forme spécifiquement prométhéenne d'affirmation de soi. Puis de celle-ci à l'idéologie de la droite américaine actuellement au pouvoir, l'individualisme ultra-libéral apparaissant comme la seule manière de préserver la liberté contre l'emprise de l'État et du socialisme.
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2005
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mr François Flahault
De l'individu créateur à la droite américaine
In: Communications, 78, 2005. pp. 245-268.
Abstract
The Fountainhead (1943) is a novel by the American ideologue Ayn Rand in which the reader is almost inevitably led to an
identification with a specific promethean ideal of the Self through a set of images and ideas which resonate with widely shared
representations and the legitimate and universal desire of freedom of the Self. The novel echoes as well the current ideology of
the American neo-conservatives, for whom a radical individualism is the sole and unique way of guaranting individual freedom
against the power of the state and socialist ideas.
Résumé
Le roman La Source vive a été publié en 1943 par l'idéologue américaine Ayn Rand. Le lecteur, à partir d'un réseau d'images et
d'idées qui font écho à des représentations largement partagées ainsi qu'au désir légitime et universel d'exister librement, est
insensiblement conduit à une forme spécifiquement prométhéenne d'affirmation de soi. Puis de celle-ci à l'idéologie de la droite
américaine actuellement au pouvoir, l'individualisme ultra-libéral apparaissant comme la seule manière de préserver la liberté
contre l'emprise de l'État et du socialisme.
Citer ce document / Cite this document :
Flahault François. De l'individu créateur à la droite américaine. In: Communications, 78, 2005. pp. 245-268.
doi : 10.3406/comm.2005.2287
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2005_num_78_1_2287François Flahault
De l'individu créateur
à la droite américaine
En 1949, King Vidor réalise un film, The Fountainhead {Le Rebelle).,
dans lequel Gary Cooper joue le rôle d'un architecte génial et intransi
geant en butte à l'incompréhension et au conformisme. A la fin du film,
celui-ci comparaît devant un tribunal. Howard Roark - c'est le nom de
l'architecte - a dynamité un ensemble de constructions à peine achevées.
Pourquoi ? Parce que, malgré la garantie formelle que son œuvre serait
réalisée telle qu'il l'avait conçue, l'aspect des immeubles a été modifié
afin d'être adapté au goût du public.
Le spectateur du film voit donc se dérouler l'une de ces scènes de procès
si fréquentes dans le cinéma américain. Howard Roark assure lui-même
sa défense. Il entame ainsi son plaidoyer :
II y a des milliers d'années, un homme fit du feu pour la première fois.
Il fut probablement brûlé vif sur le bûcher qu'il avait allumé de ses
propres mains. Il fut considéré comme un malfaiteur qui avait dérobé
à un démon un secret que l'humanité redoutait. Mais, grâce à lui, les
hommes purent se chauffer, cuire leurs aliments, éclairer leurs cavernes.
[...] Cet homme-là, le pionnier, le précxirseur, nous le retrouvons dans
toutes les légendes que l'homme a imaginées pour expliquer le com
mencement de toutes choses. Prométhée fut enchaîné à un rocher et
dépecé par des vautours parce qu'il avait dérobé le feu des dieux. Adam
fut condamné à souffrir qu'il mangé du fruit de l'arbre de
la connaissance. [...] Au cours des siècles, il y eut ainsi des hommes qui
s'élancèrent sur des voies nouvelles, guidés uniquement par leur vision
intérieure. [...] Les grands créateurs : les penseurs, les artistes, les
savants, les inventeurs, se sont toujours dressés, solitaires, contre les
hommes de leur temps.
La destruction des immeubles n'est pas un délit : l'artiste est maître de
son œuvre, il est en droit de l'anéantir lorsqu'elle ne correspond pas à
245 François Flahault
son idée créatrice. Et c'est précisément par son refus de se conformer aux
exigences de la société que l'artiste, en fin de compte, procure à celle-ci
les plus grands bienfaits. Howard Roark, nouveau Prométhée, défend les
valeurs de l'individu, et les valeurs de l'individu sont celles de l'Amérique.
Le jury rend son verdict : non coupable.
« Le Rebelle » : le film et sa scénariste.
Dans les pages qui suivent, j'aimerais montrer comment, à partir d'un
réseau d'images et d'idées qui font écho à des représentations largement
partagées et qui répondent au désir légitime et universel d'exister libr
ement, le lecteur du roman dont le film est tiré se trouve conduit à une
forme spécifiquement prométhéenne d'affirmation de soi. Et de celle-ci
à l'idéologie de la droite américaine, l'individualisme ultra-libéral appa
raissant comme la seule manière de préserver l'épanouissement humain
contre l'emprise de l'Etat et les dangers du socialisme.
Le film de King Vidor est tiré d'un best-seller publié en 1943, The Foun-
tainhead1, un roman qui, aujourd'hui encore, attire de nombreux lecteurs
aux Etats-Unis. L'auteur, Ayn Rand, de son vrai nom Alice Rosenbaum,
a également écrit le scénario du film. Née en Russie au début du XXe siècle,
elle fuit l'URSS en 1926 et gagne les États-Unis. À l'époque, le cinéma
américain est bien présent en Union soviétique ; Mary Pickford et Douglas
Fairbanks y sont célèbres. La jeune femme devient lectrice de scénarios
à Hollywood, elle-même en écrit, et elle publie des romans qui connaissent
un grand succès. Le contraste entre son pays d'origine et sa patrie d'adopt
ion, alors que l'URSS cherche à rivaliser avec les Etats-Unis 2, se traduira
chez elle par une vision du monde manichéenne que la guerre froide
viendra encore renforcer.
Vers la fin des années 1950, la self-made woman s'engage résolument
au service de ses idées : aversion profonde pour l'idéologie soviétique et
tout ce qui, de près ou de loin, la lui rappelle — le New Deal de Roosevelt
et le goût d'un certain nombre d'artistes et d'intellectuels américains pour
le marxisme (aux yeux d'une certaine droite américaine, Roosevelt et
Marx sont à mettre dans le même sac3). Eloge du libre marché et du pur
capitalisme qui sera réalisé dans la société de l'avenir. Célébration du
droit naturel et souverain de l'individu (le titre du roman, The Fountain-
head., « la source vive », désigne la force créatrice qui prend naissance au
cœur de l'individu). Ayn Rand écrit des essais philosophiques et politi
ques, donne des conférences dans les plus grandes universités, crée un
institut chargé de diffuser sa pensée (d'ailleurs largement inspirée par
celle de Herbert Spencer).
246 De l'individu créateur à la droite américaine
Active jusqu'à la fin des années 1970 (elle meurt en 1982), Ayn Rand
a exercé une influence considérable sur la vie intellectuelle et politique
américaine, notamment dans la haute administration républicaine. Elle
a contribué à nourrir le courant qui a commencé à triompher avec l'élec
tion de Ronald Reagan, l'un de ses disciples les plus fervents. Sa pensée
connaît aujourd'hui un regain de faveur aux Etats-Unis et des centaines
de milliers d'exemplaires de ses ouvrages se vendent chaque année4. Le
credo de la droite américaine telle que nous la connaissons aujourd'hui
— prééminence de la liberté de l'individu, valorisation de la réussite indi
viduelle (ce qui implique que la responsabilité de l'échec incombe elle
aussi aux individus), opposition à toute politique sociale, éloge du libre
marché — était déjà celui d'Ayn Rand, à l'exception, toutefois, de l'évan-
gélisme conservateur qui s'y est associé à partir de la présidence de Bush
père, un courant religieux difficilement compatible avec le modernisme
émancipateur d'Ayn Rand.
Certains de ses disciples ont eu beau la hisser au niveau de Hannah
Arendt, Ayn Rand reste une idéologue, quelqu'un qui a eu le talent
d'exprimer des idées communes avec une force et une clarté remarquab
les. L'intérêt que je lui porte et que j'invite le lecteur à partager ne tient
donc pas à la valeur et à la singularité de sa pensée ; il tient au contraire
au fait qu'elle partage ses idées avec des millions de gens.
Lorsqu'on découvre Le Rebelle - par hasard, un soir à la télévision

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