De la cruauté comme principe de gouvernement. Les Princes « scélérats » de la Renaissance italienne au miroir du romantisme français - article ; n°27 ; vol.13, pg 95-105
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De la cruauté comme principe de gouvernement. Les Princes « scélérats » de la Renaissance italienne au miroir du romantisme français - article ; n°27 ; vol.13, pg 95-105

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Médiévales - Année 1994 - Volume 13 - Numéro 27 - Pages 95-105
Of Cruelty as a Principle of Government. The « Iniquitous » Princes of the Italian Renaissance Reflected in the Mirror of French Romanticism - This paper proposes a study interrelating two subjects : the anthropological structure of the tyranny of the Italian princes at the close of the Middle Ages, and the fascination they inspired in several nineteenth-century French writers. Starting with Stendhal's works, the study endeavors to define the cruel energy exerted by the Italian princes, whose evil deeds were only equal to their debauchery. Striving solely toward their own pleasure, tyrannies worked toward their own ruin : the dreaded prince was thus a prisoner of his own power. Nor did the calculating prince of the fifteenth century cease to be cruel ; although he cast aside futile turpitudes, he still used cruelty for the good of the State. What fascinated Stendhal and Victor Hugo was the distant, abhorred power of the tyrants. In this they are the inheritors of the late Middle-Age French thinkers, who had already made the distinction between fear of the tyrant and love of the king.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 40
Langue Français

Extrait

Monsieur Patrick Boucheron
De la cruauté comme principe de gouvernement. Les Princes «
scélérats » de la Renaissance italienne au miroir du romantisme
français
In: Médiévales, N°27, 1994. pp. 95-105.
Abstract
Of Cruelty as a Principle of Government. The « Iniquitous » Princes of the Italian Renaissance Reflected in the Mirror of French
Romanticism - This paper proposes a study interrelating two subjects : the anthropological structure of the tyranny of the Italian
princes at the close of the Middle Ages, and the fascination they inspired in several nineteenth-century French writers. Starting
with Stendhal's works, the study endeavors to define the cruel energy exerted by the Italian princes, whose evil deeds were only
equal to their debauchery. Striving solely toward their own pleasure, tyrannies worked toward their own ruin : the dreaded prince
was thus a prisoner of his own power. Nor did the calculating prince of the fifteenth century cease to be cruel ; although he cast
aside futile turpitudes, he still used cruelty for the good of the State. What fascinated Stendhal and Victor Hugo was the distant,
abhorred power of the tyrants. In this they are the inheritors of the late Middle-Age French thinkers, who had already made the
distinction between fear of the tyrant and love of the king.
Citer ce document / Cite this document :
Boucheron Patrick. De la cruauté comme principe de gouvernement. Les Princes « scélérats » de la Renaissance italienne au
miroir du romantisme français. In: Médiévales, N°27, 1994. pp. 95-105.
doi : 10.3406/medi.1994.1315
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1994_num_13_27_131527, automne 1994, pp. 95-105 Médiévales
Patrick BOUCHERON
DE LA CRUAUTÉ COMME PRINCIPE DE GOUVERNEMENT
Les princes « scélérats » de la Renaissance italienne au miroir
du romantisme français1
« Chose singulière ! L'époque brillante de
l'Italie finit au moment où les petits tyrans
sanguinaires furent remplacés par des monarq
ues modérés. »
Stendhal, Rome, Naples et Florence
Parcourant avidement les chroniques médiévales pour composer
son Histoire de la peinture en Italie, Stendhal n'y trouvait qu'assass
inats politiques et ambitions meurtrières, vengeances, supplices et
cruauté. Il ne s'en scandalisait pas, goûtant l'étrange saveur de cette
litanie de crimes « intéressante comme Walter Scott », se refusant à
refouler la trouble attirance pour la tyrannie qu'il partageait avec nomb
re de ses contemporains. Il y aurait donc deux Renaissances, celle
des artistes et des humanistes, qu'il faut admirer, et celle de leurs prin
ces scélérats, qu'il convient de réprouver2 ?
Stendhal se refusait à ce clivage, et l'historien non plus ne peut
s'en satisfaire. Il faut bien se rendre à l'évidence : si les crimes inces
sants, la violence débridée, la brutalité sanguinaire encombrent les
récits d'une Renaissance qu'on voudrait plus clémente, on ne peut se
contenter de l'expliquer par la débilité ou la malignité des familles
1. Cet article reprend, en le modifiant légèrement, le texte d'une communication
prononcée à la Maison des sciences de l'homme de Bordeaux en février 1993 dans le
cadre du colloque international Images du pouvoir organisé par le laboratoire pluri
disciplinaire de recherches sur l'imaginaire appliquées à la littérature. Il est publié ici
avec l'aimable autorisation des éditeurs des actes du colloque (à paraître prochainement).
2. Stendhal, Rome, Naples et Florence (1826), Paris, 1987, Folio, p. 86. Sis-
mondi, auteur d'une Histoire des républiques italiennes très largement mise à contri
bution par Stendhal, a, dans les premières années du xix< siècle, donné le ton au
chœur des historiens libéraux effrayés par les turpitudes italiennes. 96 P. BOUCHERON
princières italiennes. Comment l'Italie du Quattrocento, ce laboratoire
politique où se sont élaborées les techniques les plus modernes de gou
vernement, a-t-elle pu rester si longtemps à la merci de la cruauté des
princes ? Et pourquoi cette tyrannie brutale a-t-elle exercé pareille
séduction sur les penseurs politiques et sur les historiens français du
XIXe siècle ? En menant de front ces deux interrogations, référant une
pratique déréglée de gouvernement à la fascination paradoxale qu'elle
inspire des siècles plus tard, on tente d'approcher les fondements an
thropologiques du pouvoir autoritaire.
« Partout des passions ardentes dans leur sauvage fierté » 3
Découragé par la veulerie de son temps, Stendhal cherchait par
tout cette énergie, qu'il avait définie comme foyer de toutes les pas
sions et de toutes les créations. En France, il la trouvait parfois dans
la vie des grands criminels. Mais l'Italie, seule, est la patrie de l'éner
gie. Il y faut tout admirer, en bloc : les œuvres d'art comme le gou
vernement des princes. Stendhal se délecte donc de l'histoire des tyrans
du Nord, et singulièrement des Visconti, dont il se plaît à réciter la
longue liste des méfaits, des tortures et des assassinats. « Les passions
gigantesques du Moyen Âge éclatent dans toute leur féroce énergie ;
nulle affectation ne vient les masquer. Il n'y avait pas de place pour
l'affectation dans ces âmes brûlantes4. »
La fascination stendhalienne pour cette énergie cruelle puise donc
à la source de sa propre théorie de la création. Ce qu'il admire dans
la tyrannie, c'est l'expression sans retenue de la violence d'une pas
sion. Ce faisant, Stendhal ne nous livre pas que son impression de
« touriste », mais bien celle du lecteur assidu de Matteo Villani,
Machiavel ou Guichardin, théoriciens de l'idée de tyrannie. Celle-ci
fut définie par Aristote comme déviation despotique de la royauté,
de même que l'oligarchie dérive de l'aristocratie, et la démocratie de
la république. Mais la tyrannie, parce qu'elle dévie de la royauté qui
est cette forme divine rassemblant les vertus de tous les principes de
gouvernement, réunit également tous les vices de l'oligarchie et de la
démocratie. Ainsi, « la tyrannie n'a jamais en vue le bien général,
si ce n'est pour sa propre utilité. Le but du tyran, c'est le plaisir »5.
La tyrannie ne connaît pas de loi, qui est, selon la formule aristotéli-
3. C'est ainsi que Stendhal définissait le Quattrocento italien : « De l'esprit, de
la superstition, des mascarades, des poisons, des assassinats, quelques grands hommes,
un nombre infini de scélérats habiles et cependant malheureux, partout des passions
ardentes dans toute leur sauvage fierté — voilà le x\< siècle. », Id., Histoire de la pein
ture en Italie, 1817, t. 1, p. 15, cité par L. Febvre, Michelet et la Renaissance, Paris,
1992, p. 290, qui consacre quelques belles pages à la fascination romantique pour les
tyrans italiens de la Renaissance.
4. Ibid., p. 87.
5. Aristote, Politique, Livre V, 1310 b 40s. DE LA CRUAUTÉ COMME PRINCIPE DE GOUVERNEMENT 97
cienne, « la raison libérée du désir »6. Au contraire, la seule loi de
la tyrannie est la jouissance sans limite du tyran.
Jouissance, et violence débridée. Les chroniques médiévales éta
blissaient constamment le parallèle entre la cruauté des princes et leur
appétit sexuel. Ainsi à Milan, au tournant du XIVe siècle, lorsque les
trois frères Galeazzo, Bernabô et Matteo Visconti se partagent le pou
voir en rivalisant de brutalité. Le plus jeune et le plus redouté, Matt
eo, a mis au point un système de terreur par la débauche. Tous les
soirs, il fait venir en son palais une vingtaine de jeunes filles et d'épous
es de riches citoyens milanais pour leur faire subir les outrages de
son effrayante lubricité. Décrivant ces scènes orgiaques — avec d'ail
leurs quelque complaisance dans les détails — l'historien Matteo Vil-
lani, Florentin épris de libertés, y voit rassemblés tous les vices de
la tyrannie milanaise7.
La puissance sexuelle du prince est à la mesure de sa malignité
et toutes les tortures qu'il inflige à ses sujets ne font que redoubler
son excitation libidineuse. Il faut en effet imaginer chez Galeazzo Vis
conti une jouissance dans la cruauté proprement sadique pour com
prendre le soin avec lequel il réglait le déroulement des supplices de
ses prisonniers. Ainsi les faisait-il soigner par ses chirurgiens après
chaque journ

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