Devenir français - article ; n°1 ; vol.70, pg 229-242
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Description

Communications - Année 2000 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 229-242
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Evelyne Ribert
Devenir français
In: Communications, 70, 2000. pp. 229-242.
Citer ce document / Cite this document :
Ribert Evelyne. Devenir français. In: Communications, 70, 2000. pp. 229-242.
doi : 10.3406/comm.2000.2071
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2000_num_70_1_2071Evelyne Ribert
Devenir français
« Passer sa nationalité française » : curieuse expression employée par
une Tunisienne devenue française. « Passer sa carte », disent plutôt les
autres jeunes nés en France de parents étrangers, souvent avant de se
corriger aussitôt : « faire sa carte ». Examen de passage, simple passage,
ou banale démarche administrative ? Le discours des intéressés se caract
érise par son ambivalence. Passage évoqué, mais aussitôt presque
démenti, comme s'ils refusaient de reconnaître qu'un seuil a été franchi.
C'est pour remédier au fait que le changement de statut — d'« étranger »
à « national » — ne serait pas véritablement perçu par les jeunes nés en
France de deux parents étrangers qui acquerraient automatiquement la
nationalité française à leur majorité que le législateur a instauré une forme
de rite de passage, en remplaçant cette procédure par une « manifestation
de volonté ». La loi, dite Méhaignerie, du 22 juillet 1993, abrogée depuis
par la loi Guigou de 1998 1, obligeait ainsi ceux qui souhaitaient devenir
français à réclamer la nationalité. Il leur fallait pour cela se rendre, entre
16 et 21 ans, devant l'une des autorités compétentes — à la mairie, à la
gendarmerie, à la préfecture ou au tribunal d'instance — pour demander
la nationalité. S'ils n'effectuaient pas, dans le laps de temps imparti, cette
simple démarche, preuve de leur envie d'acquérir la qualité de Français,
ils restaient étrangers, alors qu'auparavant, sans rien faire, ils devenaient
français à 18 ans.
Cette loi Méhaignerie s'inscrivait à contre-courant de la tendance
actuelle. De nos jours, les passages font en effet de moins en moins l'objet
d'un rite formalisé, l'individu revendiquant au contraire la possibilité de
définir lui-même la signification des étapes qu'il franchit. La Commission
de la nationalité, dont les propositions avaient été reprises par le législa
teur, savait bien que l'autonomie est devenue une norme : c'est justement
pour que l'individu adhère à sa nationalité que celui-ci doit, d'après elle,
la choisir librement. Mais ces deux exigences, à savoir accorder une plus
229 Evelyne Ribert
grande autonomie à l'individu et instituer un rite de passage, sont-elles
conciliables ? Surtout, en cette époque de contestation de nombre de
passages formalisés, les intéressés acceptent-ils de conférer à ce nouveau
rite sa pleine signification, ou s'y conforment-ils au contraire avec déta
chement, refusant de se laisser imposer le sens de leur démarche ? Sont
en jeu ici à la fois la reconnaissance du passage et sa définition. À travers
l'étude des effets, sur les jeunes, de l'instauration de ce rite de passage
particulier qu'était la manifestation de volonté, on essayera d'une part
de comprendre les raisons du rejet actuel de certains rites de passage et
d'autre part de déterminer si l'on assiste à une remise en cause de l'exi
stence des passages eux-mêmes ou à leur redéfinition.
Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé, en 1995 et 1996,
une enquête par entretiens semi-directifs auprès d'un échantillon divers
ifié de cinquante jeunes concernés par la procédure de manifestation de
volonté, c'est-à-dire nés en France de deux parents étrangers et âgés de
16 à 20 ans. (Comme les intéressés pouvaient manifester leur volonté
entre 16 et 21 ans et que la loi avait pris effet au 1er janvier 1994, seuls
étaient concernés en 1995 et 1996 des jeunes âgés de 16 à 20 ans.) Les
entretiens ont été menés avec des garçons et des filles de cinq nationalités
différentes (espagnole, marocaine, portugaise, tunisienne et turque),
sélectionnées parce qu'elles regroupent l'essentiel des jeunes susceptibles
de manifester leur volonté, les enfants d'Algériens et des ressortissants
des anciennes colonies et des territoires d'outre-mer n'étant pas concernés.
Les interviewés, en majorité scolarisés, avaient un niveau scolaire très
hétérogène, allant de la cinquième à la première année universitaire.
Quelques-uns étaient inscrits à la Mission locale, organisme qui propose
des stages et des formations à des jeunes sortis sans diplôme du système
scolaire,' pour leur permettre de s'insérer sur le marché du travail.* Ils
résidaient • dans des endroits assez contrastés de ♦ l'Ile-de-France : le
XVIe arrondissement de Paris, Saint-Denis, Mantes-la- Jolie et, plus géné
ralement, la région du Mantois. Des observations ont également été effec
tuées dans deux tribunaux d'instance de la région parisienne, qui recueil
laient et enregistraient les manifestations de volonté.
On présentera d'abord les raisons pour lesquelles la Commission de la
nationalité a voulu instaurer une sorte de rite de passage et les difficultés
auxquelles elle s'est heurtée pour définir des modalités d'application qui
n'entravent pas trop l'autonomie de l'individu. On essayera ensuite de
déterminer si les jeunes percevaient l'acquisition de la qualité de Français
comme un changement de statut national, conformément aux souhaits de
la Commission.
230 Devenir français
L'instauration d'un rite de passage.
La loi Méhaignerie du 22 juillet 1993 fut le fruit d'une longue contro
verse. L'idée d'une réforme du code de la nationalité avait été lancée par
le RPR et l'UDF lors de la campagne pour les élections législatives de
1986, dans le but de raffermir l'identité nationale, menacée d'après cer
tains. Elle avait été suivie, sous le gouvernement Chirac de 1986, d'un
projet présenté en Conseil des ministres, qui provoqua un tollé et fut
retiré. Une commission, composée d'éminentes personnalités, avait alors
été chargée de réfléchir sereinement à une éventuelle réforme du code de
la nationalité. En 1988, la majorité ayant changé, le projet fut abandonné.
En 1993, la droite, revenue au pouvoir, fit voter une loi — dite Méhaigner
ie — qui reprenait, avec quelques amendements, l'essentiel des proposit
ions de la Commission de la nationalité.
Cette commission avait en effet jugé nécessaire de modifier le code de
la nationalité, afin de permettre le maintien d'une identité nationale forte.
D'après elle, l'assimilation des étrangers s'effectuait plus difficilement
que par le passé, en raison de l'affaiblissement du creuset français. Les
institutions qui le constituent, à savoir l'école, les Eglises, les syndicats
et l'armée, avaient perdu de leur efficacité, du fait de la diminution de
leur audience ou de leur prestige et de la concentration des étrangers dans
certaines communes. Il convenait dès lors de s'assurer de l'intégration et
du sentiment d'appartenance nationale des candidats à la nationalité, et,
plus particulièrement, des jeunes nés en France de parents étrangers.
Devenant automatiquement français à leur majorité, à condition qu'ils
aient résidé entre 13 et 18 ans sur le territoire, ces derniers ne réfléchis
saient pas à la signification de l'acquisition de la nationalité française ;
certains ignoraient même qu'ils avaient changé de statut et étaient deve
nus français contre leur gré2. D'après la Commission :
l'absence de décision personnelle crée [ainsi] l'illusion éphémère d'un
cheminement confortable d'un statut vers un autre. [...] Ce processus
muet, remettant à la loi tout le soin de déterminer l'identité de ces jeunes
souvent situés à la croisée de deux mondes, risque de ne susciter de leur
part qu'une adhésion à la nationalité française plus résignée que réso
lue3.
Elle pr

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