État, nation et religion dans l Allemagne réunifiée - article ; n°1 ; vol.66, pg 37-52
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Vingtième Siècle. Revue d'histoire - Année 2000 - Volume 66 - Numéro 1 - Pages 37-52
Tout en redonnant l'avantage au protestantisme sur le catholicisme, la réunification allemande accentue la disjonction entre de larges pans de la société allemande et la religion chrétienne. Cette nou velle donne, loin de ne concerner que le champ religieux, porte en germe une rupture avec une culture politique reposant plus ou moins explicitement sur les valeurs chrétiennes. Accroissant subitement la conscience de la disqualification des Églises et du christianisme dans l'espace social, la réunification met en cause le statut privilégié qui leur est réservé dans l'espace public. Elle pose la question de la légitimité d'un statut qui reconnaît implicitement le christianisme comme l'un des pôles de structuration de l'identité nationale. Elle ouvre sur une redistribution des rapports entre nation et religion et de nouvelles formes de pluralisme. Les récentes controverses à propos de l'avortement, les débats relatifs à la présence de crucifix dans les écoles publiques en Bavière ou suscités par la mise en place dans le Brandebourg d'un enseignement des normes et des valeurs échappant au contrôle des Églises, les polémiques relatives à l'institutionnalisation de l'islam sont autant d'indicateurs des déplacements en cours.
Government, Nation and Religion in Reunified Germany.
While favoring Protestantism over Catholicism, German reunification accentuates the divide between wide swaths of German society and the Christian religion. This new deal, far from concerning the religious field only, carries the seeds of a splitfrom a political culture based more or less explicitly on Christian values. Subtly increasing the awareness of the disqualification of churches and Christianity in the social space, reunification challenges the privileged status reserved for them in public space. It poses the question of the legitimacy of a status that implicitly acknowledges Christianity as one of the poles in theforming of national identity. It leads to a redistribution of the relations between nation and religion and new forms of pluralism. The recent controversies over abortion, the debates on the pressence of the cross in public schools in Bavaria or sparked by the norms and values not controlled by the churches taught in Brandebourg, and the discussions on the institutionalization of Islam are so many indications of the changes going on.
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 41
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Claire de Galembert
État, nation et religion dans l'Allemagne réunifiée
In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°66, avril-juin 2000. pp. 37-52.
Citer ce document / Cite this document :
Galembert Claire de. État, nation et religion dans l'Allemagne réunifiée. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°66, avril-juin
2000. pp. 37-52.
doi : 10.3406/xxs.2000.4561
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_2000_num_66_1_4561Résumé
Tout en redonnant l'avantage au protestantisme sur le catholicisme, la réunification allemande accentue
la disjonction entre de larges pans de la société allemande et la religion chrétienne. Cette nou velle
donne, loin de ne concerner que le champ religieux, porte en germe une rupture avec une culture
politique reposant plus ou moins explicitement sur les valeurs chrétiennes. Accroissant subitement la
conscience de la disqualification des Églises et du christianisme dans l'espace social, la réunification
met en cause le statut privilégié qui leur est réservé dans l'espace public. Elle pose la question de la
légitimité d'un statut qui reconnaît implicitement le comme l'un des pôles de structuration
de l'identité nationale. Elle ouvre sur une redistribution des rapports entre nation et religion et de
nouvelles formes de pluralisme. Les récentes controverses à propos de l'avortement, les débats relatifs
à la présence de crucifix dans les écoles publiques en Bavière ou suscités par la mise en place dans le
Brandebourg d'un enseignement des normes et des valeurs échappant au contrôle des Églises, les
polémiques relatives à l'institutionnalisation de l'islam sont autant d'indicateurs des déplacements en
cours.
Abstract
Government, Nation and Religion in Reunified Germany.
While favoring Protestantism over Catholicism, German reunification accentuates the divide between
wide swaths of German society and the Christian religion. This new deal, far from concerning the
religious field only, carries the seeds of a splitfrom a political culture based more or less explicitly on
Christian values. Subtly increasing the awareness of the disqualification of churches and Christianity in
the social space, reunification challenges the privileged status reserved for them in public space. It
poses the question of the legitimacy of a status that implicitly acknowledges Christianity as one of the
poles in theforming of national identity. It leads to a redistribution of the relations between nation and
religion and new forms of pluralism. The recent controversies over abortion, the debates on the
pressence of the cross in public schools in Bavaria or sparked by the norms and values not controlled
by the churches taught in Brandebourg, and the discussions on the institutionalization of Islam are so
many indications of the changes going on.NATION ET RELIGION ETAT,
DANS L'ALLEMAGNE RÉUNIFIÉE
Claire de Galembert
Polémiques sur l' avorteraient, « sorties » 1992, tandis qu'une personne sur quatre
d'Églises, affrontements sur l'enseignement vivant en Allemagne se déclarait sans
religieux à l'école : la fonction sociale des religion 2. Volontiers provocateur, Der
Églises ne suscite plus de consensus en All Spiegel résumait ainsi la situation en
juin 1992 : « Six millions d'Allemands ont emagne. La chute du mur a paradoxalement
affaibli les institutions religieuses. Au-delà perdu la foi, les sans-confession sont déjà
du déclin des croyances, Claire de Galemb plus nombreux que les pratiquants ; seule
ert montre que la crise du partenariat ment 10 % des Allemands continuent à
entre Églises et État remet en cause une d aller à la messe le dimanche... l'All
imension essentielle de l'identité collective emagne, pays de païens aux quelques rel
iquats de christianisme » 3. allemande.
À défaut de refléter fidèlement la réalité,
La réunification allemande s'est indi ce diagnostic n'en contient pas moins une
scutablement traduite par un accroi part de vérité. De manière incontestable, la
ssement de la population protes réunification allemande signifie moins un
tante '. Elle a ainsi rendu l'avantage au retour au protestantisme qu'elle n'accentue
protestantisme sur le catholicisme et fermé une disjonction toujours plus prononcée
une parenthèse historique durant laquelle entre de larges pans de la société all
le centre de gravité de l'Allemagne s'était emande et la religion chrétienne. Ce fait est
déplacé de l'Est vers l'Ouest, d'une All d'importance, car loin de ne concerner que
emagne ancrée dans le protestantisme à le champ religieux, il met en jeu l'éc
une Allemagne rhénane imprégnée de onomie des rapports entre religion et poli
culture catholique. Mais ce changement de tique en Allemagne. Il porte en effet en
rapport de force entre les confessions germe une rupture avec une culture poli
chrétiennes, consacré par le transfert de la tique reposant explicitement sur les va
capitale à Berlin, ne doit pas occulter une leurs chrétiennes. Accroissant subitement
conséquence autrement plus importante la conscience de la disqualification des
de la réunification : la progression brutale Églises et du christanisme dans l'espace so
des sans-religion et le net recul qu'enreg cial, la réunification met en cause le statut
istre la population s'identifiant explicit privilégié qui leur est réservé dans l'espace
ement au christianisme. Alors que celle-ci public. Posant la question de la légitimité
représentait 85 % de la population pré d'un statut qui reconnaît implicitement le
sente en République fédérale en 1987, le christianisme comme l'un des pôles de
pourcentage n'était plus que de 70 % en structuration de l'identité nationale, elle
ouvre sur une redistribution des rapports
1. Au recensement de 1992, la population allemande entre nation et religion. s'élevait à 81 millions de personnes, dont 28,9 millions de
protestants (35,68 %) et 27,7 millions de catholiques Le propos de cet article est précisément
(34,20 %). Au recensement de 1987, les chiffres étaient de de s'interroger sur l'impact, non seulement 6l,l millions d'habitants, dont 26,2 millions de
(42,9 %) et 25,4 millions (41, 6 %) de protestants, Statisti
sches Jahrbuch 1994 für die Bundesrepublik Deutschland, 2. Statistisches Jahrbuch..., op. cit.
3. Der Spiegel, 25 juin 1992. Wiesbaden, Statistisches Bundesamt, 1994, p. 98.
■37-
Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 66,
avril-juin 2000, p. 37 à 51- .
Claire de Galembert
religieux mais aussi politique, de l'effo fait, les formes de pluralisme entérinées
par la paix d'Augsbourg puis par le traité ndrement sur ce que l'on peut appeler avec
Daniele Hervieu-Léger « la centralité régul de Westphalie, au terme desquels les
atrice » 1 des Églises chrétiennes en All États allemands présentaient un kaléidos
emagne. En partant d'une analyse des tran cope de confessions chrétiennes (catho
lique, luthérienne et réformée), sont desformations du paysage religieux, nous
meurées une composante fondamentale montrerons dans un premier temps le rôle
catalyseur joué par la réunification, et plus pour la structuration de la vie religieuse,
sociale et politique en Allemagne. Loin fondamentalement par l'effondrement de
la polarisation Est-Ouest, dans la prise de d'atténuer les lignes de clivage entre
catholiques et protestants, l'unité allconscience de la marginalisation des
emande les a ravivées puis stabilisées - au normes chrétiennes dans la société all
grand regret de Max Weber d'ailleurs 3. emande. Dans une seconde partie, nous
nous concentrerons sur l'analyse de deux L'antagonisme confessionnel, en se redé
ployant selon des catégories politiques débats récents significatifs des redistribu
modernes et en donnant lieu à la naistions impliquées par la remise en cause de
l'hégémonie des Églises sur le champ sance de partis confessionnels tels que le
Zentrum, a constitué ainsi, comme l'a religieux : la controverse provoquée dans
le Land du Brandebourg par la mise sur montré Walser Smith, l'une des dyna
miques centrales de la constitution pied d'un enseignement des normes et des
nationale 4. valeurs à l'école échappant au contrôle des
Églises, d'une part ; la polémique consécut
Déconfessionnalisation de la vie sociale ive au jugement du tribunal constitu
et politique tionnel fédéral (Bundesverfassungsgericht)
à propos de la pré

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