Fierté, désespoir et mémoire : les récits juifs de la première croisade - article ; n°35 ; vol.17, pg 125-140
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Description

Médiévales - Année 1998 - Volume 17 - Numéro 35 - Pages 125-140
L'étude des récits juifs de la première croisade, qui rapportent les massacres des communautés juives de Rhénanie en 1096, révèle quatre composantes thématiques : le concept de l'épreuve qui éloigne tout soupçon de culpabilité ou de péché, c'est-à-dire d'une souffrance collective vécue comme perfectionnement intellectuel : la mémorisation des noms des morts qui canalise la mémoire collective ; l'image du Temple et du sacrifice, un sacrifice à Dieu et à la communauté symbolique ; la guerre rituelle, une guerre des récits et des injures. Ces récits, qui sont les fruits d'une longue tradition textuelle et d'une religiosité intense, témoignent d'une intolérance nouvelle et des nouveaux rapports des juifs à leur Dieu, placés sous les auspices de la fierté.
Pride, Despair, and Memory : The Jewish Narratives of the First Crusade. From the study of the Jewish narratives of the first crusade, which recount the massacres of Jewish communities in the Rhineland in 1096, four thematic components emerge : the concept of trial which banishes all shadow of guilt or sin, that is to say, the idea of a collective suffering experienced as an intellectual perfecting ; the memorisation of the names of the dead, a means of channeling collective memory ; the image of the Temple and of sacrifice, a sacrifice to God and to the symbolic community ; and lastly, the ritual war, a war of narratives and of insults. These narratives, the fruit of a long literary tradition and an intense religiosity, evidence a new intolerance, and a new relationship between the Jews and their God, placed under the auspices of pride.
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Prof. Henriette Benveniste
Fierté, désespoir et mémoire : les récits juifs de la première
croisade
In: Médiévales, N°35, 1998. pp. 125-140.
Résumé
L'étude des récits juifs de la première croisade, qui rapportent les massacres des communautés juives de Rhénanie en 1096,
révèle quatre composantes thématiques : le concept de l'épreuve qui éloigne tout soupçon de culpabilité ou de péché, c'est-à-
dire d'une souffrance collective vécue comme perfectionnement intellectuel : la mémorisation des noms des morts qui canalise la
mémoire collective ; l'image du Temple et du sacrifice, un sacrifice à Dieu et à la communauté symbolique ; la guerre rituelle, une
guerre des récits et des injures. Ces récits, qui sont les fruits d'une longue tradition textuelle et d'une religiosité intense,
témoignent d'une intolérance nouvelle et des nouveaux rapports des juifs à leur Dieu, placés sous les auspices de la fierté.
Abstract
Pride, Despair, and Memory : The Jewish Narratives of the First Crusade. From the study of the Jewish narratives of the first
crusade, which recount the massacres of Jewish communities in the Rhineland in 1096, four thematic components emerge : the
concept of trial which banishes all shadow of guilt or sin, that is to say, the idea of a collective suffering experienced as an
intellectual perfecting ; the memorisation of the names of the dead, a means of channeling memory ; the image of the
Temple and of sacrifice, a sacrifice to God and to the symbolic community ; and lastly, the ritual war, a war of narratives and of
insults. These narratives, the fruit of a long literary tradition and an intense religiosity, evidence a new intolerance, and a new
relationship between the Jews and their God, placed under the auspices of pride.
Citer ce document / Cite this document :
Benveniste Henriette. Fierté, désespoir et mémoire : les récits juifs de la première croisade. In: Médiévales, N°35, 1998. pp.
125-140.
doi : 10.3406/medi.1998.1436
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1998_num_17_35_1436Médiévales 35, automne 1998, pp. 125-140
Henriette BENVENISTE
FIERTÉ, DÉSESPOIR ET MÉMOIRE :
LES RÉCITS JUIFS DE LA PREMIÈRE CROISADE
La première croisade, quatre ans après sa déclaration, aboutit à la conquête
de Jérusalem ; mais cette aventure est aussi étroitement liée à la première per
sécution de grande ampleur à rencontre des juifs d'Europe, si l'on fait except
ion, peut-être, des conversions forcées qui eurent lieu dans l'Espagne wisigo-
thique. Les communautés juives de Rhénanie sont tombées victimes de la
violence des croisés sans que les autorités puissent leur porter secours.
Le but initial de la croisade, tel qu'il fut prêché en décembre 1095 à
Clermont, était certainement la reconquête des Lieux Saints et la libération des
fidèles chrétiens du joug des musulmans, mais la première croisade a tout autant
stigmatisé les juifs, ces derniers étant considérés responsables de la mort de
Jésus. Ainsi, sur leur route pour Jérusalem, les armées régulières des croisés -
et non pas des hordes de paysans indisciplinés ' - convergeant de toutes parts
de l'Europe occidentale et conduites par des chefs expérimentés, se sont att
aquées aux juifs le long de la vallée du Rhin en leur imposant un choix : le
baptême ou la mort.
La chronologie et la géographie de ces persécutions sont bien connues des
historiens2. Dès le mois de décembre 1095, les juifs d'Allemagne reçoivent des
informations de leurs coreligionnaires de la France du Nord concernant des
événements qui ont eu lieu à Rouen3. Le 3 mai 1096, les croisés conduits par
Godefroy de Bouillon engageaient les massacres des juifs de la ville de Spire.
L'armée réunie par Emich de Leiningen - formée des Souabes et des habitants
de Rhénanie - marchait alors vers le nord et continuait les massacres à Worms
et à Mayence, les 18 et 25 mai 1096. Ce fut dans cette région que les rejoignirent
des croisés anglais, français, flamands et certains venus de Lorraine. Puis, les
croisés se dirigèrent vers Cologne. Les juifs de cette ville avaient tenté de
chercher refuge dans les environs, mais les croisés les repérèrent et les anéant
irent dans les villes voisines de Wevelinghoven, Ellen, Neurs, Dortmund, Mors,
Gelden et Xanten. Une autre armée commit des massacres à Trêves et à Metz.
Des croisés conduits par Pierre l'Ermite avaient déjà obligé, au mois de mai,
1. J. Riley-Smith, « The First Crusade and the Persecution of the Jews », Studies in Church
History, t. XXI, 1984, p. 57-72.
2. Voir entre autres : S. W. Baron, A Social and Religious History of the Jews, High Middle
Ages 500-1200, vol. IV : Meeting of East and West, New York-Londres, 1957, p. 89-116 ; St. Runci-
man. The First Crusade, Londres, 1992, p. 62-93.
3. N. Golb, « New Light on the Persecution of French Jews at the Time of the First Crusade »,
Proceedings of The American Academy for Jewish Research, 34, 1966, p. 1-63. 126 H. BENVENISTE
les juifs de Ratisbonne à se convertir. Les communautés juives de Wessili et
de Prague furent quant à elles massacrées par une armée de Saxons et de Bohé
miens conduits par le prêtre Folcmar.
Trois chroniques juives
Les actes de violence exercés par les premiers croisés contre les juifs ne
font pas l'objet de longs développements dans les chroniques chrétiennes du
xr et du xiie siècle, à l'exception peut-être de la Gesta Treverorum et de VHis-
toria Hierosolymitana4 . En revanche, nous possédons trois textes, connus sous
le nom de « chroniques hébraïques »5 qui présentent les événements avec le
souci manifeste de les décrire en détail, de faire apparaître les différences, selon
les cas. Le thème central des récits est bien l'exaltation du comportement de
ces juifs qui, décidés à s'opposer au baptême forcé, firent le choix de se suicider
collectivement ou individuellement.
Ces « chroniques » ne sont pas de simples récits des faits, présentés selon
l'ordre chronologique des événements et complétés d'un rapide commentaire
théologique et de quelques vers. Ces narrations complexes ont été élaborées
dans une optique littéraire et rhétorique. Nous préférerons le terme de « récit »
et nous essaierons de faire apparaître les modes et les symboles culturels utilisés
pour construire une explication juive des événements de 1096. Les prières et
les passages liturgiques insérés dans les textes affirment que ces récits ont été
composés dans un double but6 : ils sont adressés à Dieu, comme prière, mais
ils visent aussi les lecteurs juifs, la narration de la catastrophe leur offrant une
explication rassurante.
Des auteurs de ces trois récits nous ne connaissons que les deux premiers,
le troisième récit étant anonyme. Le premier récit, qui est le plus long, est
attribué à Solomon bar Simson, et l'auteur du deuxième est le rabbin Eliezer
ben Nathan. Toutes les éditions modernes ont été effectuées à partir de manusc
rits copiés au moins deux cents ans après les événements. Bien qu'il s'agisse
de narrations courtes, leur texte est complexe ; on trouve parfois des passages
presque identiques dans plusieurs récits et il existe des lacunes.
Selon R. Chazan, leur écriture inaugurerait un nouveau style dans le récit
historique et constituerait une rupture dans l'historiographie juive du Moyen
Âge7. Les inter-textes des récits sont constitués surtout d'histoires bibliques,
mais y est aussi incorporé le livre de Jossiphon8, et peut-être certaines chroni-
4. Gesta Treverorum, MGH, SS, VIII, p. 190-191 ; Albert dAix, Historia Hierosolymitana,
RHC, Hist. Occid., IV, p. 292-293.
5. Nous possédons par ordre chronologique les éditions suivantes : Hebraische Berichte ttber
die Judenverfolgungen der Kreuzzuge, A. Neubauer et H. Stern éd., trad. S. Baer, Berlin, 1892 ;
Sefer Gezerot Ashkenaz ve-Zarfat, A. M. Habermann éd., Jérusalem, 1945 ; The Jews and the Cru
saders. The Hebrew Chronicles of the First and Second Crusades, S. Eidelberg trad, et éd., Wisconsin,
1977 ; R. Chazan, traduction en Appendice dans European Jewry and the First Crusade, Berkeley-Los
Angeles, 1987, p. 223-297. Nous avons consulté les éditions d'Eidelberg et de Chazan et

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