Formes et couleurs du désordre: le jaune avec le vert - article ; n°4 ; vol.2, pg 62-73
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Description

Médiévales - Année 1983 - Volume 2 - Numéro 4 - Pages 62-73
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 68
Langue Français

Extrait

Monsieur Michel Pastoureau
Formes et couleurs du désordre: le jaune avec le vert
In: Médiévales, N°4, 1983. pp. 62-73.
Citer ce document / Cite this document :
Pastoureau Michel. Formes et couleurs du désordre: le jaune avec le vert. In: Médiévales, N°4, 1983. pp. 62-73.
doi : 10.3406/medi.1983.921
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1983_num_2_4_921Michel PASTOUREAU
FORMES ET COULEURS DU DESORDRE:
LE JAUNE AVEC LE VERT
Enfin libérée du carcan de l'histoire généalogique et nobiliaire, l'héraldique
médiévale peut et doit désormais constituer un terrain d'enquêtes privilégié
pour l'anthropologie historique. Depuis quelques années j'ai ainsi tenté de
souligner ce que pouvait apporter à l'historien de la sensibilité l'étude des
armoiries « imaginaires », c'est à dire l'étude des armoiries que les auteurs et
les artistes, du XHe au XVe siècle, ont attribuées à des héros littéraires, à des
figures bibliques ou mythologiques, aux vices et aux vertus personnifiés, aux
saints et aux personnes divines (1). La relation existant entre les figures ou les
couleurs qui composent ces armoiries et ce que l'on sait ou ce que l'on croit du
personnage à qui elles sont attribuées est toujours pertinente. Elle met en
valeur différents problèmes culturels de goût, de choix, de mode et de signif
ication qui dépassent largement le seul domaine de l'héraldique mais pour
l'étude desquels celle-ci fournit des pistes fructueuses. En cette matière, ce sont
les armoiries littéraires qui se sont révélées les plus riches. Ce sont à la fois les
plus nombreuses, les plus largement diffusées et celles où les systèmes de
valeurs s'expriment avec le plus de vigueur et de nuances, notamment pour
ce qui concerne les animaux, les couleurs et certaines structures géométriques
de repiésentation.
Aujourd'hui je souhaiterais revenir sur la question des couleurs et, à partir
des armoiries attribuées à l'un des personnages les phis déroutants mis en scène
par la légende arthurienne — Sagremor — montrer comment cette héraldique
littéraire, loin d'être anodine ou circonstancielle, est un des lieux d'expression
favori de la sensibilité symbolique et peut traduire parfois des phénomènes qui
se situent en profondeur et dans la longue durée.
1. On me permettra ici de renvoyer aux différentes études que j'ai récemment réunies
d*DxL7ierm*te et le sinopk, Paris, 1982, pp. 261-314.
62 Le chevalier hois de son sens.
Sagremor ne joue pas dans les romans arthuriens un rôle de premier plan,
comme Lancelot ou Gauvain. Ce n'est pas non plus un personnage de troisième
ordre, comme il y en a tant dont le nom n'apparaît que parmi les participants
à un tournoi ou dans une liste des quêteurs du Graal. C'est plutôt, pourrait-on
dire, un héros du second rang, au même titre que Bohort, Bedoïer, Galehaut,
Dinadan et quelques autres. Son nom est déjà cité dans YErec de Chrétien de
Troyes (il réapparaît dans Cligès et dans le Conte du Graal), et jusqu'au XVe
siècle rares sont les romans de la Table Ronde, en vers ou en prose, qui ne le
mentionnent pas. Chevalier parmi d'autres, Sagremor est distingué par l'étrange
qualificatif de desréé que lui donne Chretien et que reprendront tous ses succes
seurs.
Les desréés (le terme est si fort et si riche qu'il est à peu près intraduisible
en français moderne) sont très rares dans les romans courtois mais il y en a
plusieurs exemples remarquables dans les chansons de geste. Ce sont des êtres
acharnés, excessifs, démesurés, incapables de contrôler leurs emportements.
Non pas qu'ils soient foncièrement mauvais ; ce sont fréquemment les circons
tances qui les poussent à bout et les font céder à la tentation de la violence.
Ils sont alors comme possédés (2).
Sagremor n'est pas un desréé de chanson de geste. Il est souvent plus fou
gueux et désordonné que proprement possédé. Mais sa fougue lui fait perdre
parfois le contrôle de ses sens et il apparaît alors comme fou. Ses amis comme
ses ennemis ont du mal à lui faire retrouver sa raison. Gêné par cette folie
inhabituelle chez les « bons » chevaliers de la Table Ronde, un des auteurs du
Lancelot en prose a inventé une cause presque biologique à ces troubles du
comportement : Sagremor est un gros mangeur et c'est lorsqu'il est affamé qu'il
perd le contrôle de ses moyens, spécialement lorsqu'il est resté à jeun jusqu'à
l'heure de none (3). Explication à la fois savante et riche de dimensions folklo
riques, où la symbolique de la nourriture rejoint celle du temps et de la course
du soleil (essentielle dans la légende arthurienne). Vers 1220-1230, en Anglet
erre et dans la France du Nord, none c'est déjà midi et non plus trois heures
de l'après-midi comme c'était le cas dans le compte primitif des heures monas-
2. Voir J.-C. Payen, Le motif du repentir dans la littérature française médiévale (des
origines à 1230), Genève, 1968, pp. 157-180.
3. Ed. H.O. Sommer, The Vulgate Version of the Arthurian Romances, tome VII,
Washington, 1913, pp. 46-55. - Sur le personnage de Sagremor voir l' article étonnant de
P. Gallais, « Scénario pour l'affaire Sagremor », dans Mélanges Rita Lefeune, Gembloux,
1969, t. 2, pp. 1025-1038.
63 tiques (4). Dès lors Sagremor apparaît comme un héros « solaire », au même
titre que Gauvain. Au combat celui-ci atteint en effet la plénitude de ses forces
physiques lorsque le soleil est à son zénith (5), moment paroxysmique où
celui4à est au bord de la crise.
Homme sauvage, créature presque surnaturelle (comme le sont évidemment
bon nombre de compagnons d'Arthur), Sagremor porte curieusement pour
nom celui d'un arbre merveilleux auquel la poésie courtoise puis romantique
a voué une sorte de culte : le sycomore, figuier poussant en Egypte et au Moyen
Orient mais inconnu en Occident. En ancien français sicamor et sacremor sont
synonymes (6). Pourquoi Sagremor, qui n'est une figure archétypale ni de
l'amour, ni de la fécondité, ni de la mélancolie, a-t-il reçu un tel nom ? La ques
tion est jusqu'à présent restée sans réponse satisfaisante (7).
Héraldique de la turbulence, héraldique de l'ambiguïté.
Pour doter Sagremor d'armoiries la solution la plus simple aurait été de lui
donner une figure parlante, en l'occurence un sycomore. Mais ce n'est pas celle
qui a été retenue. L'héraldique a été plus ambitieuse et a préféré jouer sur le
caractère desréé du personnage. Elle l'a ainsi pourvu d'un écu qui, tant par
la figure que par les couleurs, évoque le dérèglement, la perte du contrôle de
soi, voire la violence: gironnéd'or et de sinople (fig. 3). Ces armoiries apparais
sent pour la première fois dans le roman anonyme Durmart le Gabis, composé
en Picardie vers 1215-1220; elles sont blasonnées à l'occasion d'un récit de
tournoi (8). Jusqu'au début du XVe siècle ces armoiries ne changeront plus,
mis à part la modification ponctuelle de l'une des deux couleurs, le sinople
(vert) devenant parfois du sable (noir) (9).
4. J. Le Goff, Four un autre Moyen Age, Paris, 1977, p. 68.
5. Thème récurrent dans toute la littérature arthurienne, qui a suscité une abondante
littérature. En voir une synthèse dans le beau livre de K. Busby, Gauvain in old French
Literature, Amsterdam, 1980.
6. Ce qui ne va pas sans poser de difficiles problèmes phonétiques et philologiques.
Voir A. Planche, « La dame au sycomore », dans Mélanges Jeanne Lods, Paris, 1978,
pp. 495-516.
7. Voir les études de P. Gallais et A. Planche citées aux notes 3 et 6.
8. Ed. J. Gildea, Villanova (U.S.A.), 1966, vers 8480-8482. Nous avons là, contrair
ement à ce que croit G.J. Brault (cf. note 9), l'un des premiers exemples où le terme
sinople, dans un emploi héraldique, ne signifie plus rouge mais a déjà le sens de vert.
9. Voir les cas recensés par G.J. Brault, Early Blazon. Heraldic Terminology in the
twelfth and thirteenth Centuries with Special Reference to Arthurian Literature, Oxford,
1972, p. 50, note 4. - On notera que le rapprochement que je fais tout au long de la
présente étude entre le jaune/vert et le thème

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