Identité et appartenances. Entretien - article ; n°1 ; vol.50, pg 121-133
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Description

Mots - Année 1997 - Volume 50 - Numéro 1 - Pages 121-133
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 29
Langue Français

Extrait

Amin Maalouf
Identité et appartenances. Entretien
In: Mots, mars 1997, N°50. pp. 121-133.
Citer ce document / Cite this document :
Maalouf Amin. Identité et appartenances. Entretien. In: Mots, mars 1997, N°50. pp. 121-133.
doi : 10.3406/mots.1997.2309
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1997_num_50_1_2309Amin MAALOUF
« Identité et appartenances. Entretien » l
M. T : Dans tous les romans d'historien que vous avez publiés, on trouve
non seulement l'histoire mais une leçon pour aujourdhui. Ainsi, dans le
dernier, les Échelles du Levant, est posé le constat du mariage impossible
entre un musulman et une juive au début de ce siècle. Cette union
écartelée, scindée, mène l'homme à la folie — folie elle-même symbolique
sans doute de Beyrouth et de la folie des hommes — mais elle produit
en même temps son miracle, une enfant, quelqu'un qui aura le droit de
choisir : musulmane, juive, l'une et l'autre à la fois, ni l'une ni l'autre,
bref la ou les appartenances qu'elle voudra2. Message pour notre temps ?
Amin Maalouf : V histoire, pour moi, n'est pas que pour l'histoire,
le passé que pour le passé. Il s'agit toujours de préoccupations
liées à aujourdhui, aux questions de coexistence, aux affirmations
exacerbées d'appartenance, aux conflits proches, qu'il s'agisse du
Liban, de la Palestine et d'Israël, du Proche-Orient en général.
L'histoire est un réservoir immense d'événements, de personnages,
dont on peut tirer toutes sortes d'enseignements. On la reconstruit,
à chaque époque, selon ses propres besoins d'explication du monde.
Les manières dont on l'aborde, les choix que l'on pratique ne sont
jamais innocents. On raconte l'histoire tel qu'on est.
M. T. : Et on est voyageur, comme Léon l'Africain, et toute fiction est,
comme vous dites, « impure » 3.
Amin Maalouf: Et l'on est situé entre plusieurs cultures, on a
traversé des événements traumatisants, qui font qu'on lit l'histoire
1. Romancier, essayiste, auteur de : Les Croisades vues par les Arabes (1983),
Léon l'Africain (1986), Samarcande (1988), Les Jardins de lumière (1991), Le 1er
siècle après Béatrice (1992), Le Rocher de Tanios (Prix Goncourt, 1993), Les
Échelles du Levant (1996).
2. Les Échelles du Levant, Paris, Grasset, 1996, p. 255.
3. « Ce livre s'inspire très librement d'une histoire vraie /.../ Tout le reste n'est
qu'impure fiction » (Note à Le Rocher de Tanios, Paris, Grasset, 1993, p. 279.
121 à travers ses propres expériences. Pour moi, il y a un événement,
« fondateur » en quelque sorte, qui est la guerre du Liban, déchi
rement qui a bouleversé ma vie, pour le meilleur et pour le pire,
et qui fait que je raconte l'histoire en fonction de cet événement
et de ma réflexion à partir de lui. C'est certainement la clé de ce
que j'écris de l'histoire.
M. T. : Cette histoire personnalisée pose deux problèmes, celui de la
tolérance et celui de l'identité. Dans ce voyage dans le temps et les
espaces, devant l'assimilation possible de plusieurs cultures, religions,
langues, qui nécessitent sa tolérance, comment l'homme peut-il trouver
son identité ? , ,
Amin Maalouf : C'est un problème majeur, aujourdhui plus qu'à
aucun autre moment. À cela diverses raisons, notamment le fait
que des avancées technologiques, en particulier dans le domaine
des communications, font que, partout dans le monde, on sent une
sorte de pression unificatrice, que beaucoup redoutent parce qu'ils
y voient une pression uniformisante. Face à elle, les gens ressentent
le besoin d'affirmer une certaine identité. À mon avis, il faut
conjuguer la nécessité de préserver les identités culturelles, de ne
pas laisser, par exemple, mourir des langues, des traditions, et la
nécessité d'avancer vers un monde unifié, non pas uniformisé mais
unifié. Sur cette contradiction, je sens un important besoin de
réfléchir, cela d'autant plus que les dérapages des appartenances
trop fortement affirmées me touchent et m'ont touché de près. Je
n'ai pas de solution toute faite.
M. T. : Les médias dominés par la « pensée unique » néo-libérale sont
aussi ceux où s'entendent toutes les musiques. Comment se situer soi
dans ce concert envahissant et discordant si on ne se réfère pas à une
source spécifique ? !r
Amin Maalouf: II y a une exigence de préservation et donc une
certaine légitimité à l'affirmation d'appartenances. Bien que je trouve
qu'il y a beaucoup trop de complaisance à l'égard des affirmations
intolérantes d'appartenance, je pense qu'existe là un droit légitime,
le droit de préserver certaines traditions, dont les plus menacées.
Mais j'ajouterai, premièrement, qu'il ne s'agit pas de s'affirmer
contre une autre appartenance d'une manière violente et, deuxiè
mement, que toutes les traditions ne sont pas, de mon point de
vue, également défendables.
122 T. : L'excision, la main coupée des voleurs... M.
Amin Maalouf : Par exemple. Préserver une langue, des arts, un
savoir-faire artisanal, oui. Mais si les traditions vont à rencontre
de la dignité de la personne humaine, si elles sont empreintes de
cruauté, elles ne méritent pas d'être préservées. Pour moi, toutes
les traditions sont à mesurer à l'aune de la dignité de l'être humain.
L'exigence de préservation des cultures n'est donc pas contradictoire
avec l'envie d'aller vers l'universalité.
Certes, il y aura au sein de cette culture universelle plus
d'influence pour certains que pour d'autres. Je suis, en même temps,
hostile à l'idée que cette culture en train de se faire soit a priori
considérée comme occidentale et, plus spécialement, américaine.
Nous sommes dans une phase où il est évident qu'il y a une
composante occidentale très importante (la révolution industrielle
s'est lancée en Europe, la puissance américaine s'est développée,
économiquement et politiquement : il y a là des réalités). Cette
composante peut rencontrer un refus total, rigide. Il me semble
qu'il vaut mieux reconnaître son poids, savoir qu'elle n'est pas
simplistement manipulée, qu'elle reste ouverte et que chacun a le
devoir d'y apporter des éléments de sa propre culture, qu'ils viennent
d'Afrique, d'Orient, de l'islam, du judaïsme, du christianisme, etc.
M. T. : C'est faire l'éloge du métissage culturel. Rien n'avance que par
métissage. Il n'y a pas de création à partir de la répétition de l'identique ;
c'est toujours l'intrusion d'un élément étranger qui est moteur de progrès.
Vous ne croyez pas ?
Amin Maalouf: Je préfère parler de tissage. Notre patrimoine
commun n'est pas réduit à l'américanité (d'ailleurs, elle-même n'a-
t-elle pas, par exemple, une composante « noire » incorporée ?). Ce
que je souhaite, c'est qu'il y ait dans le bagage de chacun non
seulement ce qui vient de sa source propre, mais ce qu'il fait sien
en s 'ouvrant aux apports les plus variés ; à partir de quoi il peut
se créer sa propre identité.
Je reviens là à une notion qui m'est chère. Je fais la différence
entre Y identité, au singulier, et les appartenances, au pluriel. Je
pense que chacun d'entre nous a une identité qui est faite de
nombreuses appartenances. Certaines des appartenances d'un homme
sont liées à ses origines, au pays où il est né, à la culture, à la
langue, à la religion dans laquelle il a grandi ; d'autres appartenances
sont venues plus tard, ont été choisies, sont liées à des gouts
personnels, à une activité professionnelle, artistique ou autre, et
123 c'est l'ensemble de ces appartenances qui forme l'identité de chacun.
Nous ne sommes jamais identiques, d'une personne à l'autre. Aussi
je ne cesse de dire : il ne faut pas prendre une appartenance,
qu'elle soit religieuse, ethnique ou autre, et l'ériger en appartenance
suprême au mépris de toutes les autres. C'est un appauvrissement.
À ceux qui rétorquent qu'il s'agit d'affirmer par là son i

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