Jacobs : narration, science-fiction - article ; n°1 ; vol.24, pg 41-61
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Description

Communications - Année 1976 - Volume 24 - Numéro 1 - Pages 41-61
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1976
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Luc Routeau
Jacobs : narration, science-fiction
In: Communications, 24, 1976. pp. 41-61.
Citer ce document / Cite this document :
Routeau Luc. Jacobs : narration, science-fiction. In: Communications, 24, 1976. pp. 41-61.
doi : 10.3406/comm.1976.1365
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1976_num_24_1_1365Routeau Luc
Jacobs : narration, science-fiction
Théologie, apocalypse.
La tentative qui sera faite, ici, consiste à huiler les termes d'une concomitance :
celle d'une pratique démiurgique de la bande dessinée, fondée sur une répression
de la signifiance, et d'un traitement particulier des contenus science-fictionnels.
Voici, dans le cycle des Blake et Mortimer d'E. P. Jacobs *, la convenance d'une
narration théologique dans sa forme et d'une apocalypse enrayée des contenus,
dont l'éviction cautionne, à rebours, la toute-puissance et le maintien réitéré
d'un modèle narratif entretenant avec la société qui l'offre et le demande une
identité consubstantielle. Jamais, chez Jacobs, les contenus science-fictionnels
n'ont le dernier mot; une nécessité traverse le texte j'acobsien qui fait sans cesse
avorter les possibles apocalyptiques au profit de la narration. Ainsi faut-il qu'au
terme de chaque récit les contenus science-fictionnels s'évanouissent, faisant
place, sans doute, à l'ordre retrouvé du monde, mais prorogeant surtout, une
fois encore, le caractère inj'onctif du pouvoir narratif. Dissoudre le science-fiction-
nel équivaut, en somme, chez Jacobs, à réinstaurer dans ses « droits » une narra
tion dont le idéologique ne fait aucun doute.v.Le texte jacobsien se
met donc lui-même en jeu dans les sens qu'il manipule — qui le manipule. Les
fins du monde qu'il embraye risquent toujours d'anéantir un certain ordre du
monde qui coïncide à celui de la narration, et l'apocalypse emporterait alors la
théologie qui la fait être. En fait, le récit débraye à temps : à force de leurres
successifs, l'apocalypse est évitée et l'ordre — textuel, social, narratif : indiff
éremment — est rétabli. Les apocalypses possibles que libère le récit mais que
contient la narration, menacent moins les modalités morales du lui-même
(manichéennes) que la dimension axiologique soutenue, en profondeur, par la
narration. De sorte que le contenu, ici, menace la forme : tout au long de ses
vignettes bien rangées, la narration laisse se figurer en elle ce qui, pour un peu
plus, pourrait la défigurer, c'est-à-dire, aussi, la démasquer. Il semble bien qu'en
définitive le véritable enjeu des épopées dessinées de Jacobs soit la confirmation
de la forme narrative sur un contenu toujours réprimé en ce qu'il constitue un
danger décisif pour un certain ordre textuel. Débridées, les apocalypses science-
fictionnelles feraient éclater la gangue narrative aussi sûrement que certaines
1. De ce cycle, on consultera les neuf albums : le Secret de l'Espadon, I et II, le Myst
ère de la grande pyramide, I et II, l'Énigme de l'Atlantide, S.O.S. météores, le Piège diabol
ique, l'Affaire du collier, et plus particulièrement la Marque jaune.
Ai Luc Rouleau
bandes dessinées modernes x affolent leur pourtour dans une surchauffe tridimens
ionnelle et chromatique que l'espace tabulaire de la page parvient à contenir
encore dans la seule mesure des impératifs commerciaux. Encore chez Jacobs
l'étouffement de l'apocalypse, pris au point déterminant de l'ultime combat
des principes en présence, laisse-t-il percevoir des velléités transgressives alors
que les gerbes d'une déflagration nucléaire 2 semblent nier l'hiatus et le cadrage,
tous procédés imaginaires où la narration, « d'ordinaire », s'applique singulièr
ement. Somme toute, ce n'est là qu'un affleurement du texte, son risque au plus
près, la menace qu'il se donne de sa propre fission, mais avec l'assurance de la
prévenir grâce à son puissant ancrage narratif. Les vicissitudes du récit jacobsien
engagent ainsi la survie de sa forme : un texte s'y met à l'épreuve pour confirmer
le complexe codique dont il procède, idéologiquement. La science-fiction y joue
un rôle catalytique : l'apocalypse, comme langage — rien que langage — , donne
toute sa raison d'être au discours théologique qui la parle, qui s'y parle.
Lever le texte.
Le discours ici tenu n'est sans doute pas spécifique à la bande dessinée :
requérir à son propos une forme qui subsume bien d'autres textes — la narration
— ou l'écharper par l'oblique d'un de ses contenus — la science-fiction — peuvent
paraître l'esquiver. Au juste, il s'agit là de deux des nombreux codes qui tressent
le récit dessiné : celui-ci se constitue en point d'interférence de trajectoires signi
fiantes multiples dont les sens se coagulent mal puisque sans cesse ouverts
à l'appropriation sociale de l'Histoire. Et, de même qu'il n'est pas d'être stable
de la bande dessinée, il n'en est pas non plus, sans doute, de vérité une. Le discours
critique ne peut donc prétendre dévoiler quoi que ce soit d'une spécificité idéale
et peut-être mythique de la bande dessinée; il pourvoit simplement son « objet »
d'un intelligible historique et subjectif 3, pour autant que la notion d' « »
soit tenable. Cet objet est essentiellement attente, appel, désirabilité. Pénétrant
la bande dessinée, l'observateur critique en modifie le donné transitoire par
l'adjonction d'un sens nouveau : l'objet, si l'on ose dire, se voit traversé d'un
discours qu'il accueille et mêle aux sens mouvants qui le constituent : un discours
sémiologique, sociocritique « sur », ou plutôt « dans » la bande dessinée, en modifie
nécessairement le cours. Il s'agit de faire lever, du texte, une nouvelle constella
tion de ses sens, tous remaniés au télescopage d'un regard entraîné au courant
de ce qui est moins texte que miroir, et par quoi s'éclaire moins le texte que ne
s'édifie un nouveau texte, tout uniment, sans écart, texte ou critique. Ce qui va
se produire, ici, c'est donc une proposition logique visant à relier ces termes dits
plus haut concomitants : qu'est-ce qui fait se défier, en un profond effort textuel,
la narration et la science-fiction? Qu'est-ce qui nécessite, sur l'exclusion de la
seconde, le triomphe de la première? En quoi le contenu menace-t-il la forme
au point que le récit, dans tous ses affrontements, et comme en un mouvement
réflexif, devient le symbole d'un enjeu textuel, soit de l'affirmation ou de l'infir-
mation d'une pratique instituée de la bande dessinée? Voici donc la bande
dessinée, défaite de son image mythique essentielle, plongée dans l'Histoire et
1. P. Druillet, par exemple.
2. Le Secret de l'espadon, II, Dargaud, p. 83.
3. Cf. R. Barthes, Essais critiques, Seuil, p. 252-257.
"42 : narration, science- fiction Jacobs
par conséquent justiciable d'une attribution idéologique, pour autant que les
instances qu'elle met en jeu s'y laissent prendre : mais elles s'y laisseront, car
Jacobs, c'est aussi bien : nous. Telle est donc la consistance de ce discours qu'elle
veut vérifier, en habitant le texte, la validité d'une option critique qui puisse
le parler en le défaisant, en le couvrant d'un intelligible sociologique.
Récit fictif l fiction récitée.
Avant de se voir fondre dans l'immense brassage des codes en quoi consiste
la société, le texte tend à se découper, produit clos, offrant des sens gelés dont la
remontée et le dévidage semblent étiquetés une fois pour toutes. Ce texte, bien
sûr, est tout à la fois isolé et innocent; et pour tout dire, il n'a rien d'un texte
et tout d'un récit. Ainsi la fiction scientifique1 constitue-t-elle pour une large
part le merveilleux de l'univers jacobsien, c'est-à-dire un irréel récitatif que le
réalisme expressionniste est chargé de faire passer pour un représenté, soit
pour la réalité elle-même, rapportée. Dans la syntagmatique recitative, les
thèmes science-fictionnels appartiennent au récit en tant qu'il est une situation
d'exception. On sait, en effet, qu'un des leurres caractéristiques de l'école de
Bruxelles consiste à engrener le récit

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